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Gottfried Wilhelm Leibniz
La géologie de Leibniz
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D'après les théories de Burnet, Whiston, etc., la Terre doit finir par le feu. Suivant Leibniz, elle a dû, au contraire, commencer par là. Descartes avait déjà dit que la Terre était un Soleil encroûté, c'est-à-dire éteint, qu'elle cachait, dans son intérieur un foyer ardent, et que la réaction de ce foyer contre la surface avait produit les inégalités qu'on y remarque. C'était à la fois affirmer l'origine ignée du globe, l'existence du feu central et le mode de formation des principales chaînes de montagnes. Leibniz, qui s'était initié en France aux doctrines de Descartes, qui avait eu, en Italie, des conférences avec Sténon, et qui savait penser par lui-même, fit sur la physique du globe un système qui, tout en conservant son originalité, tient tout à la fois des idées de Descartes et de celles de Sténon.
Voici, en résumé, la théorie de Leibniz. La Terre et toutes les autres planètes étaient autrefois des étoiles lumineuses par elles-mêmes. Primitivement liquéfiées par le feu, elles se sont éteintes, faute de matière combustible, et sont devenues opaques [1]. Par la condensation de la matière à la surface, la chaleur a été concentrée, et la croûte refroidie s'est affermie. De la sorte est né l'astre opaque, destiné à réfléchir des rayons étrangers. 
"Si les grands ossements de la Terre, ces roches nues, ces impérissables silex, sont presque entièrement vitrifiés, cela ne prouve-t-il pas qu'ils proviennent de la fusion des corps, opérée par la puissante action du feu de la nature sur la matière encore tendre? Et l'action de ce feu surpassant infiniment en intensité et en durée celle de nos fourneaux, faut-il s'étonner si elle a amené un résultat que les hommes maintenant ne peuvent atteindre, bien que l'art fasse de continuels progrès, qu'il enfante chaque jour des nouveautés extraordinaires, et qu'il porte même quelquefois à un degré de dureté très prononcé les corps qu'il est parvenu à fondre?"
L'aspect vitreux des grès, des sables, des pierres siliceuses, des cailloux, si abondamment répandus, des quartz disséminés dans tous les granites et gneiss, a fait dire à Leibniz que 
"le verre est en quelque sorte la base de la Terre, et qu'il est caché sous quelque masque de la plupart des autres substances."
Ce qu'il dit ensuite de l'origine de la salure de la mer réunit toutes les chances de probabilité. Il cherche, en effet, très bien à établir que, pendant la période de l'incandescence du globe, toutes les eaux ont dû être projetées au loin dans l'espace sous forme de vapeurs; que, par suite de l'abaissement de la température, ces vapeurs, se trouvant en contact avec la surface refroidie de la Terre, se condensaient en eau, et que celle-ci, délayant les scories, a retenu en elle les sels solubles, d'où une sorte de lessive ou de saumure, qui est l'origine de la salure de la mer. 
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A l'appui de cette hypothèse, nous ajouterons que les sels que la mer tient en dissolution et qui lui communiquent ses propriétés caractéristiques, se retrouvent dans la composition des roches d'origine ignée.

Les saillies et les anfractuosités de la surface terrestre proviennent, selon Leibniz, des inégalités dans le mouvement de retrait pendant le refroidissement des masses formées par le feu. 

"Ces masses se sont, dit-il, inégalement raffermies, et ont éclaté çà et là, de sorte que certaines portions, en s'affaissant, ont formé le creux des vallons, tandis que d'autres, plus compactes, sont restées debout comme des colonnes et ont ainsi constitué les montagnes".
Leibniz était loin de croire que toutes les pierres ou roches proviennent d'une fusion primordiale; il n'admettait l'origine ignée que pour les roches les plus anciennes, formant en quelque sorte la base de la Terre. 
"A l'action du feu, il faut, dit-il, joindre celle des eaux, qui, par leur poids, tendaient à se creuser un lit dans un sol encore mou; et puis, soit par le poids de la matière, soit par l'explosion des gaz, la croûte terrestre venant à se briser, l'eau a été chassée par le feu des profondeurs de l'abîme à travers les décombres, et, se joignant à celle qui s'écoulait naturellement des lieux élevés, a donné lieu à de vastes inondations qui ont laissé, sur différents points, d'abondants sédiments. Ces sédiments se sont durcis; et, par le retour de la même cause, les couches sédimenteuses se sont superposées, et la face de la Terre, peu consistante encore, a été ainsi souvent renouvelée, jusqu'à ce que, les causes perturbatrices ayant été épuisées et équilibrées, un état plus stable s'est enfin produit. Cela doit nous faire comprendre dès à présent la double origine des substances solides, d'abord par leur refroidissement après la fusion ignée, et puis, par de nouvelles agrégations après leur dissolution dans l'eau."
Il était impossible d'établir plus nettement la distinction, aujourd'hui universellement adoptée, des roches éruptives ou ignées et des roches sédimenteuses.
[1] D'après les théories en vogue dans la deuxième moitié du 19e siècle, c'est là encore le même sort qui serait réservé au Soleil, centre de notre monde.
La condensation des vapeurs à la surface refroidie du globe et le déplacement des eaux par suite des modifications violentes qu'a subies cette même surface, expliquent à Leibniz la présence des fossiles de tout genre que l'on trouve répandus dans les terrains sédimenteux des continents. A cette occasion il s'élève avec force contre les prétendus observateurs qui regardent les fossiles comme des jeux de la nature. 
"Ils se servent, dit-il, d'un mot vide de sens, ceux qui nous présentent ces pierres ichthyomorphes comme un exemple indubitable des caprices du génie des choses, espérant par la trancher toutes les difficultés, et nous prouver que la nature, cette grande fabricatrice, imite, comme en se jouant, des dents et des ossements d'animaux, des coquilles et des serpents. Et toutes les fois qu'on leur objecte qu'en dehors du règne animal il ne se produit que des semblants informes d'organisation, ils invoquent nos pierres (fossiles), dans lesquelles, il faut l'avouer, la perfection du dessin ne laisse rien à désirer; car on y reconnaît, au premier coup d'oeil, l'espèce à laquelle appartient le poisson, et il n'y a rien de changé, ni dans la symétrie des parties, ni dans leurs proportions. Mais il est à craindre qu'un argument tiré d'une si parfaite ressemblance ne prouve le contraire de ce qu'on voudrait établir. Il y a un tel rapport entre ces prétendus simulacres de poissons et la réalité, leurs nageoires et leurs écailles sont reproduites avec tant de précision, et la multiplicité de ces images en un même lieu est si grande, que nous supposons plus volontiers une cause manifeste et constante qu'un jeu du hasard, ou je ne sais quelles idées génératrices, vaines démonstrations sous lesquelles s'abrite l'orgueilleuse ignorance des philosophes."
Les arguments, que Leibniz fait valoir en faveur de sa thèse, lui paraissent avec raison, sans réplique. 
"Que peut-on, demande-t-il, nous opposer, si nous disons qu'un grand lac avec ses poissons, par suite d'un tremblement de terre ou d'une inondation, ou de toute autre cause majeure, a été enseveli dans du limon, qui en se durcissant, a conservé les vestiges et comme la reproduction en relief des poissons, dont le corps, d'abord empreint sur la masse encore molle, a été ensuite pénétré et remplacé par une matière plus dure?" Comparant le procédé employé ici par la nature avec l'art des orfèvres, il ajoute : "Après avoir enveloppé une araignée ou quelque autre insecte d'une matière appropriée à ce but, en y laissant toutefois une étroite issue, les orfèvres font durcir cette matière au feu, puis, à l'aide du mercure qu'ils introduisent, ils chassent par la petite ouverture les cendres de l'animal, et à leur place ils font couler par la même voie de l'argent fondu, enfin, brisant l'écale, ils trouvent un animal d'argent avec son appareil de pattes, d'antennes et de fibrilles d'une similarité étonnante."
Leibniz persistait à croire que ces empreintes d'animaux fossiles proviennent de véritables animaux. A cet égard, son opinion était nettement arrêtée. Aux objections des savants qui avaient peine à se persuader que la mer eût occupé le sommet des hautes montagnes ou qu'il y eût eu là des productions marines, il répond que cela vient de ce qu'ils jugent trop de l'état primitif du globe par son état actuel, qu'ils ne cherchent que dans les pluies la cause du déluge, et qu'ils ne prennent point garde que 
"les eaux du vaste abîme ont dû rompre leurs digues et déborder".
A ceux qui s'étonnent de ne retrouver dans aucune mer les analogues de certains fossiles, tels que les corne d'Ammon (Ammonites), Leibniz demande si l'on est sûr d'avoir exploré tous les abîmes souterrains et les dernières profondeurs de l'Océan. Il rappelle en même temps que le Nouveau-Monde nous offre une foule d'espèces animales auparavant inconnues. Enfin, il ne saurait se défendre de l'idée que 
"dans les grands changements que le globe a subis, beaucoup d'espèces animales ont été transformées."
Voilà comment Leibniz s'est élevé, par la seule pénétration de son génie, à l'idée d'espèces perdues ou transformées. Entrant ensuite dans l'examen des détails, il cite des ossements de certaines cavernes, les défenses d'éléphants fossiles, que les russes désignent sous le nom de mammouths; il parle des bélemnites ou dactyles, qu'il soupçonne avec raison appartenir à quelque animal marin; il décrit les langues de pierre, les glossopetres, qu'il déclare n'être que des dents de requin, les pierres jadaïques, signalées par des voyageurs à Bethléem et qui sont des pointes d'oursins fossiles. Il dit avoir rencontré, dans quelques mines du Harz, des dents et des portions de mâchoires, d'une dimension telle, qu'on ne saurait les rapporter à aucun animal actuellement connu. C'était probablement le mégathérium, un gigantesque pachyderme. Leibniz finit l'exposé de sa théorie par l'origine de la tourbe, 
"qui n'est point, dit-il, de la terre, mais bien un amas de matières végétales, accidentellement formé de bruyères, de mousse, de gazon, de racines et de roseaux de marais, desséchés et condensés à la longue."
En terminant cette analyse, n'oublions pas de rappeler que Leibniz a le premier proclamé l'emploi du microscope pour l'avancement de ces recherches, et il s'indigne 
"de la paresse des hommes qui ne daignent pas ouvrir les yeux et entrer en possession de la science qu'on leur a préparée."
Tels sont les éléments d'une science nouvelle que Leibniz voulait qu'on appelât Géographie naturelle (les noms de géologie et de paléontologie sont de création plus récente). Consignés pour la première fois dans le Journal des Savants (Acta Eruditorum Lips., cahier du mois de janvier 1693 [2], ces éléments reparurent, sous le titre de Protogaea, en 1749, édit. L. Scheidt, Goetting.) [3], trente trois ans après la mort de Leibniz, l'année même où Buffon fit paraître les trois premiers volumes de son Histoire naturelle.

Les idées mises en avant par les Acta Eruditorum n'eurent, malgré leur hardiesse et leur nouveauté, aucun retentissement. Le nom même de leur auteur, rival de Newton, n'éveilla pas l'attention du public. Schenchzer, l'auteur de la Physica sacra, continua dans un mémoire, adressé en 1708 à l'Académie des sciences, d'en appeler à la théologie plutôt qu'à l'observation; et la masse des penseurs, sans en excepter Voltaire, continuait à ne voir dans les fossiles que des jeux de la nature. (F. Hoefer).


 
 
 
 
 

[2] Et non de 1683, comme l'ont écrit Buffon et Cuvier.

[3] Cet intéressant opuscule a été traduit en français par le Dr. Bertrand de Saint-Germain, sous le titre Protogée ou de la formation des révolutions du globe, par Leibniz (Paris, 1859, in-8°).

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