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Gottfried Wilhelm Leibniz
La doctrine de Leibniz
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Métaphysique

Pour Leibniz, deux problèmes résument toute la métaphysique : 1° quelle est la nature des êtres, en particulier des êtres matériels? 2° comment ces êtres agissent-ils les uns sur les autres? comment communiquent-ils entre eux? Leibniz résout le premier problème par la théorie des monades, le second par celle de l'harmonie préétablie.
Descartes avait fait consister la substance matérielle dans la seule étendue. Mais l'étendue est par elle-même indifférente au mouvement et au repos, or la matière a une force propre de résistance. D'où il suit que la loi fondamentale de la nature, c'est la conservation de la quantité de force vive (mv²) (ou de l'énergie 1/2.mv²) et non, comme il l'a cru, la conservation de la quantité de mouvement (mv); en outre, l'étendue n'est qu'une répétition, une diffusion de la substance et ne peut en expliquer la nature puisqu'elle la présuppose. La matière est donc pure multitude. Mais une multitude ne peut tirer sa réalité que d'unités véritables. Il y a donc des substances simples, car tout composé « n'est qu'un amas ou aggrégatum de simples »; et la matière n'est qu'un phénomène sans fondement on est constituée par des unités immatérielles et actives. Ces unités, les monades, sont « les véritables atomes de la nature et en un mot les éléments des choses. »

L'expérience interne confirme ce raisonnement : l'âme se connaît elle-même à la fois comme unité indivisible et comme force tendant à produire une série indéfinie d'effets. 

« Nous expérimentons en nous-même, dit Leibniz, une multitude dans la substance simple, lorsque nous trouvons que la moindre pensée dont nous nous apercevons enveloppe une variété dans l'objet. » 
Dès lors on ne peut concevoir les autres substances ou monades qu'à l'imitation de l'âme. Leur unité consiste en dernière analyse dans la perception et la pensée; leur force dans la tendance et l'appétition. La matière, le mécanisme ne sont que l'apparence extérieure des choses; au fond tout est vivant et animé. 
« Il y a un monde de créatures, de vivants, d'animaux, d'entéléchies, d'âmes dans la moindre partie de la matière [...]. Il n'y a rien d'inculte, de stérile, de mort dans l'univers, point de chaos, point de confusion qu'en apparence; à peu près comme il en paraîtrait dans un étang à une distance dans laquelle on verrait un mouvement confus et grouillement, pour ainsi dire, de poissons de l'étang, sans discerner les poissons mêmes.-»
L'univers est l'ensemble des monades il ne forme pas un nombre; car un nombre fini, quelque grand qu'on le suppose, serait sans raison suffisante, et un nombre infini impliquerait contradiction, mais il est supérieur à tout nombre assignable. Les monades qui le composent sont toutes différentes les unes des autres, car il ne saurait y avoir deux substances identiques ou qui ne diffèrent que par des dénominations extrinsèques (principe des indiscernables) et elles sont d'autre part toutes plus ou moins analogues entre elles, car la nature ne fait point de sauts (principe de continuité). Elles forment une hiérarchie dont les différents étages répondent aux différents degrés de perfection dont elles sont susceptibles : les entéléchies ou monades nues, qui n'ont que des perceptions confuses, les âmes, qui ont quelques perceptions distinctes, grâce à la coopération d'un système de monades subordonnées dont elles occupant le centre, enfin les esprits qui, à la conscience et à la mémoire, attributs des âmes, ajoutent encore la raison, hiérarchie qui se continue sans doute au delà, jusqu'à Dieu. A tous ces degrés, l'activité des monades consiste d'une part en perceptions, par lesquelles chacune d'elles réfléchit et concentre en son unité la multitude extérieure; d'autre part en appétitions, par lesquelles elle fait sans cesse effort pour passer d'une perception à une autre, d'une perception confuse à une perception distincte. Grâce à ses perceptions, chaque monade est « un miroir représentatif de l'univers »; l'univers entier avec tous ses phénomènes passés, présents et futurs est comme enveloppé dans ses plis; mais c'est seulement dans les monades supérieures, dans les âmes et surtout dans les esprits, que cette représentation de l'univers, par le moyen de la conscience, de la mémoire et de la raison, est plus ou moins distinctement aperçue.

On voit ce que peuvent être les corps dans un tel système. Malgré certains passages des Lettres au Père des Bosses, où Leibniz semble admettre la réalité d'une substance corporelle, passages évidemment inspirés par le désir de concilier sa doctrine avec le dogme catholique de la transsubstantiation, les corps ne sont, au point de vue de la monadologie, que des phénomènes bien réglés et bien fondés : toute leur réalité se résout d'une part dans celle des perceptions rationnellement coordonnées de l'âme humaine à laquelle ils apparaissent, d'autre part dans les monades nues ou entéléchies dont ils sont les phénomènes et où ils ont par conséquent leur dernier fondement. L'espace est l'ordre des phénomènes coexistants; le temps, ordre des phénomènes successifs : Spatium ordo coexistentium phaenomenorum, tempus autem successivorum. L'un et l'autre s'assujettissent les états des monades et non, comme l'ont cru de trop nombreux historiens ou critiques et Kant lui-même, les monades qui, étant sans parties, ne peuvent être juxtaposées dans l'espace ne situm quidem habent, et dont l'existence ne saurait commencer ou finir naturellement.

Maintenant, comment les monades communiquent-elles entre elles? Ce problème semble avoir été étudié tout d'abord par Leibniz au point de vue particulier des rapports de l'âme et du corps. On sait combien la difficulté avait paru grande aux cartésiens, et Leibniz nous dit lui-même (Système nouveau de la nature) qu'après avoir établi la nature de la substance, il croyait entrer dans le port, nais que, lorsqu'il se mit à méditer sur l'union de l'âme et du corps, il fut comme rejeté en pleine mer. Il semble cependant que son hypothèse des monades diminue singulièrement la difficulté, car il ne s'agit plus de comprendre comment deux choses hétérogènes telles que l'étendue et la pensée peuvent être unies et communiquer l'une avec l'autre; il s'agit seulement de découvrir le mode d'union et de communication de deux choses homogènes qui ne diffèrent l'une de l'autre que par le nombre et le degré de perfection, car qu'est-ce que l'âme pour Leibniz, sinon une monade consciente et raisonnable, et qu'est-ce que le corps sinon une pluralité de monades sans conscience et sans raison?

Mais la difficulté que Leibniz découvre dans ce nouveau problème est infiniment plus profonde : elle est indépendante de la nature particulière du corps et de l'âme; elle s'impose à tous les systèmes, quels qu'ils soient, qui admettent une action réciproque des êtres; elle n'est autre que la contradiction qui semble enveloppée dans le concept même de l'action réciproque ou simplement transitive. Par action transitive, on entend l'action d'un être sur un autre, une action qui, commencée dans l'un, passe pour ainsi dire et se termine dans l'autre. L'action immanente est, au contraire, l'action d'un être sur lui-même, une action qui reste dans l'être où elle s'exerce. Mais, dans la pensée de Leibniz, l'action ne peut se séparer sinon par abstraction du sujet agissant; elle est un état de ce sujet même. 

« Les accidents ne sauraient se détacher ni se promener hors des substances, comme faisaient autrefois les espèces sensibles des scolastiques. » 
Il est donc, impossible que l'action appartienne en même temps à deux sujets différents, à celui qui l'exerce et à celui qui la subit : on ne peut concevoir une manière d'être à cheval, pour ainsi dire, sur deux êtres. Il s'ensuit que l'action transitive se décompose en deux états dont chacun appartient à un sujet distinct, états corrélatifs sans doute, mais non identiques elle n'est en définitive que la correspondance ou l'harmonie de ces deux états; on appelle actif l'être dont l'état précède et explique celui de l'autre; passif, l'être dont l'état suit celui du premier et est expliqué par lui. Qu'on le remarque, cette difficulté se retrouve aussi bien dans l'action réciproque des corps, telle qu'on l'imagine d'ordinaire, que dans celle des monades. On suppose, en effet, qu'un corps transmet son mouvement à un autre par l'effet du choc; mais, outre que les corps qui se choquent ne sont nullement en contact immédiat, le mouvement d'un corps ne peut se séparer de ce corps que par abstraction : il est ce corps même en train de se mouvoir, il ne peut donc devenir le mouvement d'un autre corps. La prétendue communication du mouvement ne peut donc consister qu'en ceci : un corps se met de lui-même en mouvement lorsqu'il se trouve à proximité d'un autre corps qui est lui-même en mouvement.

Mais, si l'on remplace l'action transitive des êtres par la correspondance de leurs états respectifs, encore faut-il expliquer cette correspondance. Leibniz l'explique par son hypothèse de l'harmonie préétablie. Les monades sont « closes, sans portes ni fenêtres » : chacune d'elles agit comme si elle était seule, et les perceptions suivantes naissent spontanément en elle de ses seules perceptions précédentes. D'où vient cependant qu'elle s'accorde avec toutes les autres? C'est que la série de ses états a été réglée dès l'origine par l'acte créateur de manière à correspondre à celle des autres. En particulier, Dieu a créé l'âme et le corps de-telle sorte que chacun d'eux, sans faire autre chose que suivre ses propres lois qu'il a reçues dès l'origine avec son être, s'accorde de lui-même avec l'autre ainsi, au moment où la volonté de lever le bras se produit en moi comme conséquence de mes pensées antérieures, le mouvement se produit dans mon bras comme conséquence des mouvements antérieurs. On peut comparer, selon Leibniz, l'âme et le corps à deux horloges qui marchent ensemble. L'hypothèse vulgaire de l'influence naturelle qu'Euler a soutenue équivaut à supposer entre elles un lien matériel; dans l'hypothèse de l'assistance divine ou des causes occasionnelles qui est celle de Malebranche, il faut une intervention constante de l'horloger pour les mettre d'accord; dans l'hypothèse de l'harmonie préétablie, elles ont été si bien accommodées d'avance l'une à l'autre que leurs mouvements s'accordent toujours. Une autre comparaison, moins grossière peut-être, est celle d'un chœur ou orchestre de musiciens où chacun joue sa partie sans s'occuper de ses compagnons et cependant s'accorde avec eux parce que le compositeur a pris soin, en écrivant chaque partie, d'avoir égard à toutes les autres.

Psychologie

La psychologie de Leibniz se rattache étroitement à sa métaphysique. On peut y distinguer les deux grandes théories de l'entendement et de la volonté

La base de l'entendement ou de la connaissance intellectuelle réside dans les perceptions qui sont communes à toutes les monades; mais, tandis que Descartes fait de la pensée, c.-à-d. de la conscience, l'essence de l'âme, Leibniz distingue entre la perception qui est la représentation du monde extérieur dans l'âme, l'expression de la multitude dans l'unité (expressio multorum in uno) et l'aperception qui est la conscience plus on moins distincte de cette représentation ou expression. 

« Il y a mille marques, dit-il, qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c.-à-d. de changements dans l'âme même, dont nous ne nous apercevons pas, parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part; mais, jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir dans l'assemblage au moins confusément. » 
Par ces petites perceptions qu'il appelle encore perceptions insensibles, Leibniz explique les sensations, les instincts, les habitudes, la conservation des idées dans la mémoire; la continuité de la vie morale, l'identité personnelle, etc. 
« Elles sont, dit-il, d'un aussi grand usage dans la pneumatique (psychologie et morale) que les corpuscules dans la physique. » 
Cette hypothèse a renouvelé toute la psychologie moderne en lui ouvrant, pour ainsi dire, dans l'esprit humain, une suite de perspectives sans fin.Cependant l'aperception n'est pas encore l'entendement
« Nous nous apercevons de bien des choses en nous et hors de nous que nous n'entendons pas; et nous les entendons quand nous en avons des idées distinctes avec le pouvoir de réfléchir et d'en tirer des vérités nécessaires. » (Nouveaux Essais, liv. II, ch. XXI, par. 5). 
La connaissance des vérités nécessaires est, en effet, selon Leibniz, « ce qui nous distingue des simples animaux et nous fait avoir la raison et les sciences ». Or, toutes ces vérités se ramènent à deux grands principes, sur lesquels sont fondés nos raisonnements, celui de la contradiction et celui de la raison suffisante; et ni ces principes ni aucune vérité nécessaire ne peuvent dériver de l'expérience
« La preuve originaire des vérités nécessaires vient du seul entendement, et les autres vérités viennent des expériences ou des observations des sens. Notre esprit est capable de connaître les unes et les autres, mais il est la source des premières ; et quelque nombre d'expériences particulières qu'on puisse avoir d'une vérité universelle, on ne saurait s'en assurer pour toujours par l'induction, sans en connaître la nécessité par la raison. » 
Toutefois, Leibniz ne contredit pas la maxime des empiriques rappelée par Locke : Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu; mais il y ajoute cette restriction que V. Cousin a qualifiée de sublime : nisi ipse intellectus. Les idées de la raison ne sont pas innées; elles ne sont pas tout imprimées en nous « comme l'édit du préteur sur son album »; mais la raison est innée à elle-même, et elle a sans doute ses «-virtualités naturelles » qui, manifestées à la réflexion, ne sont autres que les idées des vérités nécessaires.

Dans sa théorie de la volonté, Leibniz exclut à la fois, au nom du principe de raison suffisante, le fatalisme et la doctrine de la liberté d'indifférence. Nos actions sont spontanées et contingentes; mais elles ne sont pas pour cela indéterminées. Tout au contraire, elles ne sont libres que si elles sont délibérées, c. -à-d. si nous connaissons les raisons qui nous inclinent. « La liberté, c'est la spontanéité de l'être intelligent. [...] L'intelligence est l'âme de la liberté. » Leibniz distingue donc nettement le déterminisme du fatalisme avec lequel on l'avait jusquelà plus on moins confondu, et il fait consister la liberté dans un déterminisme rationnel et conscient.

Théodicée 

La doctrine de Leibniz sur Dieu s'enveloppe des formes de la théologie traditionnelle : elle n'en recèle pas moins un sens original et profond.

Dieu, selon Leibniz, peut se prouver soit a priori, comme l'a affirmé Descartes après saint Anselme, soit a posteriori, comme raison dernière de l'existence et de l'harmonie des choses.

1° L'être parfait existe nécessairement, par cela seul qu'il est possible. Mais Descartes a omis de démontrer sa possibilité. Leibniz fait voir que Dieu étant l'être sans bornes, il ne peut rien exister en lui ni hors de lui qui limite son essence. En d'autres termes, tous les possibles tendent à exister (omne possibile exigit existere) en proportion de la perfection qu'ils enveloppent, mais leurs tendances se contredisent et s'empêchent les unes les autres. Un seul possible existe nécessairement parce que, étant la perfection même, il ne contient et ne rencontre aucune borne, à savoir Dieu.

2° Le monde est contingent : il n'enferme pas en lui-même sa raison d'existence. Dire que son état présent vient d'un précédent, celui-ci d'un autre, et ainsi à l'infini, n'avance à rien; la question : pourquoi existe-t-il? subsiste toujours. Il faut donc que la raison suffisante qui n'ait plus besoin d'une autre raison soit hors de la suite des choses contingentes, dans un être qui porte avec soi la cause de son existence.

3° Enfin, chaque être exprimant à sa manière, tout ce qui se passe au dehors sans recevoir pourtant aucune influence étrangère, il faut bien que tous les êtres aient reçu leur nature, en vertu de laquelle ils s'accordent ainsi, d'une cause universelle, capable de calculer les rapports que chacun d'eux doit avoir à chaque instant avec la multitude infinie des autres êtres.

Quelle est la nature de Dieu? « Les perfections de Dieu, dit Leibniz, sont celles de nos rimes; mais il les possède sans bornes : il est un océan dont nous n'avons reçu que des gouttes; il y a en nous quelque puissance, quelque connaissance, quelque bonté; mais elles sont toutes entières en Dieu. » 
Les attributs de Dieu sont donc la puissance, la sagesse et la bonté. Il semble cependant que Leibniz ramène on tout au moins subordonne la puissance et la bonté à la sagesse, car c'est la sagesse qui détermine à la fois le possible, objet de la puissance, et le meilleur, objet de la bonté. La sagesse ou intelligence divine est la région des idées ou essences. Elle détermine, conformément au principe de contradiction, l'infinité des possibles; ces possibles, selon qu'ils s'accordent ou s'excluent réciproquement, selon qu'ils sont ou ne sont pas compossibles, composent des mondes en nombre infini, tendant tous à l'existence, et y tendant avec d'autant plus de force que chacun d'eux enferme une plus grande quantité d'essence ou de perfection. Ils forment une sorte de pyramide dont la base va s'élargissant à l'infini et dont la pointe est occupée par le meilleur des mondes possible. Le sage ne fait rien sans raison; la seule raison pour laquelle il choisit entre plusieurs partis possibles, c'est que le parti qu'il préfère est le meilleur. Dieu crée donc le meilleur des mondes possible. L'optimisme est ainsi démontré a priori. Comment le concilier avec l'expérience qui nous montre partout le mal? Comment justifier la Providence?

Leibniz distingue trois formes du mal : le mal métaphysique ou l'imperfection générale des créatures, le mal physique on la souffrance, le mal moral ou le péché. Le mal métaphysique est la condition et la racine des deux autres. En effet, un être absolument parfait et bon serait tout à la fois impassible et impeccable. Qu'est-ce que la souffrance, sinon la conscience d'une imperfection? et qu'est-ce que la faute, sinon un mauvais usage de la liberté qui, dans un être imparfait, ignorant et passionné tel que l'humain, ne peut être elle-même que la possibilité de faillir? Or le mal métaphysique est purement négatif : c'est une simple limitation de l'être, c'est l'absence ou la privation d'un bien, un moindre bien, un moindre être. Le mal absolu serait donc identique au non-être, ce qui revient à dire que le mal absolu n'existe pas ou que le mal est essentiellement relatif. Selon les dictons scolastiques rapportés par Leibniz, bonum ex causa integra, malum ex quolibet defectu, et encore malum causam habet non efficientem sed deficientem.

Dès lors demander pourquoi Dieu a voulu ou permis le mal métaphysique, c'est demander pourquoi il a créé un monde imparfait. Mais un monde créé est nécessairement imparfait par cela seul qu'il est créé et qu'il est un monde. Il serait contradictoire que la créature fût parfaite, puisque son existence est contingente et dépendante, puisqu'elle n'a d'être que ce que lui en communique la cause même qui la crée. Un monde absolument parfait ne serait plus un monde, mais un Dieu. Or, Dieu est nécessairement unique poser deux dieux, c'est poser deux indiscernables, c'est poser un seul Dieu sous deux noms différents. Par conséquent, ou Dieu ne devait pas créer du tout, ou, s'il créait, il créait nécessairement un monde et un monde imparfait.
Le monde qu'il a créé n'en est pas moins le meilleur possible; car autant que nous en pouvons juger, c'est celui qui présente le plus de variété possible avec le plus grand ordre. Le mal d'ailleurs tend à diminuer de plus en plus par le seul effet des lois universelles de l'être, chaque monade faisant effort pour s'élever sans cesse à une perfection supérieure. Ce désir du meilleur est le ressort de toutes les activités, il est le fond et la source de tous les mouvements, et ainsi s'harmonisent dans le monde les causes efficientes et les causes finales ou, comme dit Leibniz, le règne de la Nature et le règne de la Grâce.

Morale

La doctrine morale de Leibniz est moins systématiquement déterminée que sa doctrine métaphysique. Elle semble aussi moins originale : on y reconnaît assez facilement l'eudémonisme d'Aristote. Nous la résumons ici d'après Boutroux (la Monadologie, Introduction). La fin de la vie, selon Leibniz, n'est autre que la félicité, pourvu qu'on l'entende comme il convient. La félicité se distingue de la connaissance en ce qu'elle est un sentiment, mais elle se distingue aussi du plaisir en ce qu'elle est non seulement un état qui présente quoique bonté, mais encore l'état le meilleur où nous puissions prétendre, savoir un état stable et intéressant notre âme tout entière; et cependant elle ne se confond pas avec la parfaite béatitude où il n'y aurait rien à désirer et qui n'étant pas faite pour nous rendrait nos esprits stupides c'est une joie raisonnable, un plaisir accompagné de lumière, et c'est en même temps un progrès perpétuel à de nouveaux plaisirs et à de nouvelles perfections.

Le moyen d'atteindre sûrement à la félicité ne peut consister que dans le développement de notre perfection, soit dans notre perfectionnement immédiat, soit dans l'accroissement de perfection que nous pouvons puiser dans la perfection même des autres êtres. Notre essence n'étant autre que notre raison, notre perfectionnement immédiat consistera évidemment dans une conduite aussi conforme que possible à la raison. Mais plus notre esprit se perfectionne, plus s'élargit le champ de ses perceptions distinctes, plus il prend conscience de son rapport avec les autres êtres, plus il se réjouit de leur perfection et de leur joie, en un mot plus il aime; car aimer c'est se réjouir de la félicité d'autrui, c'est faire sienne la félicité d'autrui. Cet amour a d'abord pour objet les autres humains, mais c'est en Dieu qu'il trouve son objet suprême. Dieu est notre perfection et notre bien. L'amour est la source de la vraie piété; il est aussi la source de la justice; la justice, dit Leibniz, n'est que la charité du sage. (E. Boirac).
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Dictionnaire biographique
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