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Bonaventura Francesco
Cavalieri est un mathématicien
né à Milan en 1598, mort à
Bologne le 3 décembre 1647. Religieux
de l'ordre des hiéronymites ou jésuates,
il fut envoyé par ses supérieurs à l'université
de Pise, où il suivit les leçons
de Benedetto Castelli. Dès cette époque,
il ressentait les atteintes de la goutte, à laquelle il succomba
dans la force de l'âge. Les souffrances qu'il éprouvait rendirent
son caractère mélancolique et d'autant plus acharné
au travail.
En 1629, à l'âge de trente
et un ans, il concourait pour une chaire d'astronomie à l'université
de Bologne. Les mémoires qu'il présenta pour le concours
et qui le firent nommer étaient relatifs, l'un à la géométrie
des sections coniques, l'autre à
la méthode des indivisibles, à laquelle son nom est resté
attaché. Dès 1632, il publiait en italien (à Bologne,
comme ses autres écrits) ses travaux sur le premier de ses sujets,
sous le titre : Lo Spechio ustorio ovvero trattato delle settioni coniche.
Mais pour sa méthode des indivisibles, il attendit un peu plus longtemps,
s'occupant d'abord de faire connaître en Italie l'usage des logarithmes.
Son Directorium generale uranometricum,
in quo trigonometriae logarithmicae fundamenta ac regulae demonstrantur
(1632), donne pour tous les degrés et minutes du quart de cercle,
les sinus, tangentes,
sécantes et arcsinus, avec leurs logarithmes
à huit décimales. Ces tables renferment même une addition
importante par rapport aux autres déjà connues à cette
époque; elles sont en effet calculées de seconde en seconde
pour les cinq premières et les cinq dernières minutes, de
cinq secondes en cinq secondes pour les cinq minutes suivantes, de vingt
en vingt secondes jusqu'à 30', de 30 en 30 jusqu'à 1°
30'. Les logarithmes naturels sont également donnés jusqu'à
2000. Cet ouvrage fut ensuite complété et réimprimé
sous le titre Trigonometria plana et sphaerica, linearis et logarithmica
(1643).
En 1635, parut sa célèbre
Geometria indivisibilibus continuorum nova quadam ratione promota
et en 1647 il la défendait et la complétait par ses Exercitationes
geometricae sex.
L'originalité de Cavalieri est incontestable;
mais ce qui lui appartient en propre, c'est moins l'invention d'une méthode
de recherche analogue à celle des infiniment petits, que la constitution
de cette méthode en un corps muni de démonstrations suffisamment
rigoureuses. En même temps que Cavalieri, et indépendamment
de lui, Fermat et Roberval
arrivaient en France, chacun de leur côté, à des procédés
tout à fait semblables, et le premier surtout devançait singulièrement
le géomètre italien dans les applications de ces procédés.
Mais Cavalieri fut le théoricien de la nouvelle géométrie,
et comme tel, il eut une influence immédiate beaucoup plus grande.
Son langage fut adopté et ses idées dominèrent jusqu'aux
inventions de Newton et de Leibniz.
L'indivisible de Cavalieri n'est en effet
rien autre chose que la différentielle,
en tant du moins que partie de l'intégrale. Car on ne saurait trop
insister sur ce point que la grande et véritable découverte,
pour le calcul infinitésimal,
a été la liaison établie entre la différentiation
et l'intégration. La relation d'inversion
entre le problème des tangentes et celui des quadratures ne paraît
en effet avoir été soupçonnée par aucun mathématicien
de la première moitié du XVIIe
siècle, tandis qu'ils étaient arrivés à résoudre
séparément ces problèmes par des procédés
très généraux.
Cavalieri donc se borne aux quadratures,
c.-à-d. à ce qui correspond au calcul intégral; il
s'agit pour lui d'éviter le recours fastidieux aux démonstrations
par l'absurde, dont le modèle était donné dans les
oeuvres d'Euclide et d'Archimède.
C'est dans ce but qu'il regarde à la limite, par exemple, l'aire
d'une courbe comme étant la somme de ses ordonnées (lignes
indivisibles en largeur), au lieu de dire, comme on le fait aujourd'hui,
qu'elle est la somme des rectangles (divisibles suivant leur largeur) infiniment
petits formés par les ordonnées et la différentielle
de l'abscisse. L'apparent paradoxe que présente
le mot indivisible ne signifie rien autre chose, et si le mode d'expression
de Cavalieri prête à la critique, la formule moderne n'y échappe
pas davantage. Ainsi, abstraction faite du choix des mots, la méthode
des indivisibles est essentiellement la même que la méthode
du calcul intégral (par sommation directe) et les démonstrations
de Cavalieri sont aussi rigoureuses que les démonstrations modernes.
Cependant l'auteur de la Géométrie
des indivisibles n'avait pas su, dès sa première publication,
préciser suffisamment sa pensée et la rendre assez claire
pour éviter tout reproche de relâchement. Il fut assez vivement
attaqué, en particulier par Guldin. Mais
les reproches qui lui ont été faits de la sorte ne touchent
nullement la difficulté véritable, car le concept de limite
n'est pas encore, à cette époque, suffisamment précisé.
Aussi Cavalieri eut-il beau jeu dans cette polémique, à laquelle
sont consacrés, en majeure partie, ses Exercitationes. Il
suffit de dire ici que, d'une part, Guldin ne regardait pas comme convenable,
en géométrie, l'emploi du procédé de superposition
des figures égales; qu'en revanche il ne fondait que sur une induction
mal déguisée le célèbre théorème
sur les centres de gravité, auquel il a attaché son nom et
qu'il avait emprunté à Pappus. Aussi
Cavalieri put-il lui retourner justement le reproche de défaut de
rigueur, et montrer en même temps que son adversaire exagérait
singulièrement les conditions à imposer à une démonstration
géométrique.
Libri (Histoire des Mathématiques
en Italie) affirme que le réel inventeur de la méthode
des indivisibles est Galilée. Quoique
Cavalieri ait certainement été mis en rapport avec le maître
de Castelli, cette assertion doit être rejetée. La question,
comme on l'a dit, ne doit pas être posée sur l'invention même,
car le problème s'agitait depuis que les oeuvres d'Archimède
étaient répandues dans le public savant. Quant à la
forme de la solution, elle ne consiste pas en un simple mot, mais dans
l'ensemble d'une théorie, et cette théorie, il n'y a jamais
eu que Cavalieri qui l'ait développée. (P.
Tannery). |
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