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Les
fêtes dionysiaques
Il nous faut maintenant parler des fêtes
dionysiaques qui tiennent une si grande place dans cette religion. Nous
en avons déjà énuméré un grand nombre;
nous avons indiqué le caractère des orgies nocturnes de Thrace,
du Parnasse et du Cithéron ;
nous avons dit la part qui revient au dieu dans les Mystères
(V. ce mot et Eleusis). Nous parlerons seulement
ici des fêtes de l'Attique ,
qui sont les mieux connues et les plus intéressantes. Celles des
campagnes ont été décrites par Aristophane
(Acharn., v. 201, 240 et suiv.); on promenait le phallus au chant
de l'hymne phallique et on sacrifiait une chèvre
au dieu. La fête, où l'on buvait du vin, en prenait le nom
de Qeoina.
Au mois de Gamélion, se célébrait la fête des
Lénées, dont nous savons peu de chose; c'était une
fête ionienne, sous caractère orgiaque, semble-t-il, probablement
une répétition urbaine des Dionysies rurales.
L'enclos sacré où sont les
deux temples du dieu s'appelait Leneum. La grande fête antique de
Dionysos est celle des Anthestéries; on y goûtait le vin nouveau;
maîtres et serviteurs fraternisaient; le second jour avait lieu une
sorte de concours de beuverie; à cette fête bruyante étaient
associés les enfants que l'on couronnait de fleurs.
Le même jour, par un contraste curieux, on supposait que les âmes
erraient sur la terre et l'on calfeutrait soigneusement les serrures, on
renforçait les clôtures des maisons et des champs pour les
tenir à distance, le temple du dieu était fermé et
entouré d'une corde. Mommsen suppose, sans le prouver, que ces pratiques
appartenaient d'abord à une fête de Zeus
et passèrent à celle de Dionysos; on les rattachait à
la légende du déluge de Deucalion.
On y joignit également celle d'Oreste;
on supposait que le temple était clos pour l'en écarter et
que les Erinyes symbolisaient les âmes
errantes. Les vases
(coes) qui
donnent leur nom à ce jour de la fête avaient une forme spéciale
et n'étaient usités que dans cette circonstance. On venait
offrir des libations aux quatorze autels du sanctuaire, le matin du troisième
jour après que l'on avait passé la nuit
à s'amuser et à boire. Le soir du second jour, on allait
prendre la statue
du dieu pour la porter au petit temple du Céramique ,
et la ramener le soir avec une procession solennelle à la lueur
des torches. Le temple était desservi par la reine, la femme de
l'archonte-roi, assistée de quatorze
femmes qui attestaient, par serment, leur pureté et leur attachement
traditionnel au service du dieu.
Le dernier jour de la fête portait
le nom de cutroi;
on apportait aux morts, dans des pots, des légumes
cuits qui leur étaient destinés comme repas; on invoquait
Hermès pour qu'il rendit le calme aux
âmes des morts, et on concluait la fête par un appel adressé
à ceux-ci. Les Anthesteries sont, en somme, une fête du printemps,
et les âmes des morts y surgissent à la lumière dans
ce moment du réveil universel de la nature et de la vie après
l'hiver. Dionysos y préside à la fois comme dieu de la végétation
et du vin et comme dieu des morts.
Les Grandes Dionysies, célébrées
dans la ville au mois d'Elaphebolion, sont la plus éclatante des
fêtes dionysiaques. Elles ont pu commencer au temps des Pisistratides,
peut-être seulement au temps de Cimon, et
ont donné lieu au grand développement dramatique avec lequel
elles coïncident. Elles ont dû remplacer d'anciennes fêtes,
sans qu'on puisse dire lesquelles.
Les Oschophories sont la fête de
la vendange; elles s'adressent particulièrement au couple de Dionysos
et Ariane, et comprennent une course à
pied dont les vainqueurs recevaient un breuvage symbolique composé
de vin, d'huile, de miel, de farine et de fromage, et une procession où
deux adolescents vêtus d'un costume féminin portaient un rameau
de vigne
chargé de grappes.
Un des plus grands mérites des fêtes
dionysiaques et celui qui est de beaucoup le plus remarquable pour la postérité
est la naissance du drame. Le chant usuel dans le culte de Dionysos est
le dithyrambe
chanté par un chanteur et un choeur; par des transformations successives
le dithyrambe finit par devenir la tragédie. Nous n'avons
à nous occuper ici que d'une seule question, celle des rapports
entre le dithyrambe et l'orgie bacchique. Otfried
Muller admet que l'enthousiasme des acteurs est à l'origine
une participation passionnée aux phénomènes de la
vie naturelle, symbolisés par la passion, la mort et la résurrection
du dieu, dont les acteurs de la fête croyaient éprouver tour
à tour les sentiments, le combat, la souffrance, le triomphe. Ceci
est très douteux; car dans les légendes de passion de Dionysos,
il n'est jamais question des satyres, lesquels
sont censés être les acteurs du dithyrambe; le nom même
de tragédie y fait allusion. Il vaut mieux croire avec Voigt que
les acteurs de la fête, déguisés en satyres, personnifient
ces démons ou esprits de la nature agreste
qu'il s'agit de conjurer. C'est lorsque le déclin de la foi et les
progrès de l'analyse empêchent le fidèle de s'absorber
dans son personnage divin au point de se confondre avec lui, lorsque apparaît
évidente la dualité de l'acteur et du personnage, lorsqu'on
admire surtout le savoir-faire et l'ingéniosité de celui-ci,
la manière dont il joue son rôle, que le jeu dramatique naît
de l'extase dionysiaque. Ses progrès ultérieurs appartiennent
à l'histoire de la littérature.
Dionysos en Italie.
Il nous faut revenir maintenant à
la forme italienne de la religion dionysiaque qui diffère suffisamment
de la forme grecque pour être étudiée isolément.
Elle y avait pris une importance telle que Sophocle
appelle Dionysos le dieu qui règne sur l'Italie .
Dans les cités de la Grande-Grèce ,
le culte de Dionysos avait eu un rapide développement; il s'était
agrégé de nouvelles légendes. Ce qu'il a de particulier
c'est qu'il fut apporté par des gens imbus des idées éleusiniennes
et adeptes de la religion mystique où
se combinaient les cultes de Déméter
et de Dionysos. On contait que les deux divinités s'étaient
disputé la Campanie; on attribuait au dieu l'implantation de la
vigne en Italie, reliant son séjour dans la péninsule à
la série de ses conquêtes. Dans toute l'Italie méridionale,
Apulie, Lucanie ,
Campanie ,
prospèrent les mystères bacchiques
qui de là passèrent en Etrurie
et à Rome.
Les Bacchanales,
dont nous savons malheureusement trop peu de chose, devinrent au IIIe
siècle av. J.-C. la principale religion de toutes ces populations.
Elles inspirent presque exclusivement les vases
peints de la dernière époque; le sens mystique de ces compositions
nous échappe d'ailleurs presque toujours. Nous connaissons cependant
les traits essentiels de la religion dionysiaque italienne. Elle révère
un couple divin formé de Dionysos et de Coré
dont les noms latins sont Liber et Libera; on
leur associe Déméter ou Cérès,
mais celle-ci est très effacée; dans les mystères
où liber et Libera jouent le rôle de génies médiateurs,
le troisième personnage de la trinité divine est l'Eros
hermaphrodite. On donne parfois à Dionysos le nom d'Hébon
qui se rapproche de celui d'Hébé
associée au dieu dans les cultes de Phlionte
et de Sicyone .
Libera répond autant à Ariane et
même à Aphrodite-Vénus
qu'à Coré-Perséphone (Proserpine).
On simplifie ainsi le groupe des divinités féminines parentes
de Dionysos.
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Bacchanale,
par Auguste Lévêque.
Les Bacchanales introduites à Rome
y donnèrent lieu à de grands désordres; le sénatus-consulte
de 186 supprima les mystères dionysiaques à Rome, et une
violente persécution les traqua dans toute l'Italie. Ils ne subsistèrent
qu'en secret et très affaiblis. Mais le culte officiel de Bacchus-Dionysos
fut conservé. Il fut identifié avec Liber, le vieux dieu
latin. Les lettrés et les étrangers grecs et orientaux restèrent
les dévots de Dionysos, jusqu'au jour où César
rétablit à Rome les fêtes orgiastiques.
Symboles et attributs.
Dionysos a eu une collection de symboles
très variés empruntés aux trois règnes de la
nature. Nous les énumérerons ici brièvement. En premier
lieu, il faut citer le taureau, type de puissance
et de force génératrice; il sert de monture au dieu qui souvent
revêt sa forme; à Elis, à Lerne on l'évoque
ainsi. C'est très souvent un taureau ou un boeuf
qu'on lui sacrifie, particulièrement dans l'Omophagie; à
Ténédos on immole un veau nouveau-né.
Mais l'animal le plus souvent choisi pour les sacrifices à Dionysos
est le bouc ou la chèvre que Pan et Silène
lui offrent. Au chevreau on substitue le faon dont la dépouille
(nebris) lui sert de vêtement. Les Ménades
déchirent vivants des chevreaux et des faons dans les Triétéries
béotiennes; la statue de Scopas popularisa cette action; sa Ménade
porte dans ses mains un lambeau de la bête qu'elle vient de déchirer.
Le porc ou le sanglier était encore une
des victimes préférées du dieu. L'Asie lui est consacré
et lui sert de monture à l'occasion, même dans la Gigantomachie;
il est surtout la monture de Silène; l'âne
et le mulet sont des animaux phalliques, et
comme tels consacrés à Dionysos. On lui attribue encore (en
Thrace) le cheval; le chien qui figure dans la légende d'Erigone;
le lièvre, le dauphin.
Dieu du miel, il est le protecteur des abeilles.
En Asie Mineure, il a emprunté au Bassareus lydien le lion
qui devient un de ses animaux favoris; de même les autres grands
félins à peau tachetée, panthères,
tigres, lynx, etc. La panthère est représentée plus
fréquemment que tout autre. Le serpent
appartient au culte de Dionysos mystique comme symbole des divinités
chtoniennes; il joue un rôle dans les orgies.
Les symboles empruntés au règne
végétal sont les plus nombreux. En première ligne,
il faut nommer la vigne; le dieu est couronné de pampres, comme
tous les personnages de son thiase. Le lierre est un des symboles anciens
du dieu, et, comme la vigne, il est parfois adoré comme une image
du dieu lui-même; il forme sa couronne autant que les pampres, et,
n'est jamais omis dans ses fêtes. Un convolvulus supplée à
l'occasion le lierre et la vigne. Parmi les arbres,
le chêne, le lentisque, le myrte, le pin
qu'il partage avec Poseidon, le laurier qu'il
partage avec Apollon sont quelquefois donnés
à Dionysos. La pomme de pin est un de ses attributs; souvent elle
termine son thyrse. Les arbres fruitiers sont sous sa protection spéciale
et parmi ses symboles on voit la pomme, la noix, la grenade, l'orange,
surtout la figue. Les xoana de Dionysos, les phallus portés
dans ses processions sont faits en bois de figuier. Parmi les fleurs, il
possède la rose dont il se couronne; la Thrace,
où dominait Sabazius, possédait dès cette époque
de magnifiques jardins de roses. Le dieu a encore l'asphodèle, fleur
funèbre. Des plantes des champs, on lui voue la férule (narqhx)
dont la tige sera l'origine du thyrse. Des pierres précieuses, il
préfère l'améthyste.
Les insignes de Dionysos sont en partie
artificiels, et non les moins importants. Le thyrse fut d'abord une tige
de férule garnie d'une bandelette, et terminée par une pomme
de pin ou un faisceau de lierre; c'est le sceptre
du dieu, et c'est aussi son arme, grâce à la pointe de fer
dissimulée sous les feuilles qui en fait une lance déguisée.
Tous les personnages du thiase en sont munis. Le Bacchus
est un thyrse court et très orné, bâton
inoffensif que les mystes d'Eleusis portèrent
à la main dans les nuits des initiations. Dionysos s'arme souvent
du bipenne, la hache à double tranchant. Lui-même et ceux
de son thiase portent souvent des flambeaux, par exemple quand le dieu
mène la danse des Thyiades. Parmi ses attributs
il faut encore nommer le vase à boire, généralement
le canthare ou le carchesium, ou une corne ou
encore un scyphus; ses suivants les tiennent non moins souvent; les récipients,
amphore, cratère, outre, sont figurés sur les murs des salles
de banquet, sur les vases de marbre, mis aux mains des Satyres
et des Silènes. Ils tiennent aussi des
instruments de musique, au moyen desquels le thiase accompagne ses bruyants
et joyeux ébats, des flûtes, la syrinx de Pan,
le tambourin, les cymbales, les clochettes; constamment des masques
tragiques, comiques ou satyriques. Dans les concours choragiques des Grandes
Dionysies athéniennes, on donne en
prix un trépied. Un attribut essentiel du dieu est le ciste, la
corbeille ronde à couvercle, où souvent est enfermé
le serpent; il se retrouve toujours dans les
compositions mystiques et sur les sarcophages.
(A.-M. B.). |
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