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Les banquets civiques
On appelle banquets civiques les repas en commun qui ont pour objet de célébrer soit un grand événement politique ou militaire, soit un miversaire célèbre. L'usage des banquets civiques date des premiers moments de la Révolution française. Quelques jours après la prise de la Bastille, le 18 juillet 1789, le marquis de Villette écrivait, dans la Chronique, les lignes suivantes qui ont trait aux repas fraternels : 
« J'aimerais, disait-il, n 'on instituât une fête nationale au jour qui fait l'époque de notre résurrection (au 14 juillet). Pour une révolution qui n'a point d'exemple, il faut un appareil d'un genre nouveau. Je voudrais que tous les bourgeois de la bonne ville de Paris fissent dresser leurs tables en public et prissent leur repas devant leurs maisons. Le riche et le pauvre seraient unis, et tous les rangs confondus. Les rues ornées de tapisseries, jonchées de fleurs, il serait défendu d'y cheminer à voiture ou à cheval. La capitale, d'un bout à l'autre, ne formeroit qu'une immense famille; on verrait un million de personnes assises à la même table; les toasts seraient portés au son de toutes les cloches, au bruit de cent coups de canon, des salves de la mousqueterie, au même instant dans tous les quartiers de Paris : ce jour-là, la nation tiendrait son grand couvert.-» 
Il y avait là une conception, grandiose à la fois et touchante, des banquets destinés à célébrer la conquête de la liberté. Mais les repas qui eurent lieu à Paris et en France, du temps de la Révolution, eurent-ils le caractère que le marquis de Villette avait assigné à ces réunions? On en pourrait douter en lisant la description des « soupers fraternels » donnée par Sébastien Mercier dans le Nouveau Paris
« Chacun, disait-il, sous peine d'être suspect, sous peine de se déclarer l'ennemi de l'égalité, vint manger en famille à côté de l'homme qu'il détestait ou méprisait. Le riche apppauvrit tant qu'il put le luxe de sa table; le pauvre se ruina pour cacher sa misère; et tandis qu'il avait consommé par orgueil tout le produit de sa semaine, son modeste repas l'avait fait rougir auprès de celui qui croyait s'être bien sans-culottisé. La jalousie d'un côté, les orgies de l'autre, changèrent en bacchanales ces soupers prétendus fraternels; le mécontentement était général, et ceux qui les avaient commandés dénoncèrent comme agents de Pitt et de Cobourg tous les peureux qui leur avaient obéi. »
Plus d'un historien s'est inspiré de ces lignes de Mercier, relatives aux banquets des sections, et a représenté à sa suite les repas civiques de la Révolution comme de véritables orgies. Mais en plus d'une occasion Mercier a été un témoin partial; ses tableaux manquent souvent de vérité, et même de vraisemblance: Les repas civiques de la Révolution ont été, surtout à l'époque des Fédérations, de touchantes et fraternelles réunions où le riche coudoyait le pauvre, où le magistrat municipal prenait place à côté de ses administrés, où la vieillesse était honorée, où tous, oubliant les soucis, les rivalités même, s'unissaient dans un commun amour de la patrie et de la liberté. Tel a été le caractère du banquet qui eut lieu dans le parc de la Muette, le 14 juillet 1790, et où, après la fête du Champ-de-Mars, vinrent s'asseoir plusieurs milliers de fédérés. Les Révolutions de Paris rendent compte en quelques mots de ce banquet. 
« Les députés des départements et, de l'armée, disent-elles, allèrent le soir se rafraîchir à la Muette, où M. de La Fayette courut risque d'être étouffé par les embrassants; ils se rendirent ensuite par diverses bandes, et tous allèrent sous les fenêtres des Tuileries crier Vive le Roi! Le château était superbement illuminé; mais une pluie abondante éteignait les lampions. Les députés n'ayant aucun point de ralliement, et les places en plein air n'étant pas tenables, se retirèrent pour se délasser des fatigues de la journée. » 
Et plus bas, l'on trouve cette note : 
« On cria peu Vive la Reine! Cependant des placards, placés depuis deux jours sur les piédestaux des statues des Tuileries, sollicitaient, mendioient pour elle les faveurs des fédératifs; on lisait :  Français, que sommes-nous devenus? Souffrirons-nous qu'une reine, qui est le plus bel ornement de la France, n'assiste pas à la fête qui se prépare. Nous laisserons-nous abuser plus longtemps par les calomnies répandues contre une femme aussi vertueuse, etc....?»
Les repas en commun continuèrent pendant quelques jours encore. Les choses s'étaient ainsi passées à Lyon, lors de la fédération des départements du Rhône, tenue le 30 mai, et à Wissembourg, aux fêtes civiques données le 26 juin, par le régiment de Neustrie, aux gardes nationales de la région. Maintes fois, depuis, ces fêtes se renouvelèrent, mais elles eurent par la suite un autre caractère. La patrie était en lutte avec l'Europe coalisée. Le sol français était menacé. Des milliers d'hommes accouraient de toutes parts pour le défendre. Avant de marcher à la victoire ou à la mort, ils aimaient à se réunir à leurs concitoyens dans de fraternelles agapes, et à boire à la gloire de France. Tel fut le banquet offert aux fédérés des départements, le soir du 26 juillet 1792, sur les ruines de la Bastille, et auquel prit part toute la population du faubourg Saint-Antoine Quelques jours après éclatait la révolution du 10 août.

Mais ces réunions comprenant plusieurs milliers de personnes ne pouvaient avoir lieu que dans les très grandes villes; or l'usage des banquets civiques se répandit de bonne heure dans les départements. Les réunions plus restreintes étaient plus cordiales encore, s'il est possible. Les plus célèbres furent les banquets sectionnaires, qui commencèrent en messidor an Il et durèrent une quinzaine de jours. C'est à ces banquets que faisait allusion Mercier dans les lignes citées plus haut. Mais les calomnies de Mercier ne sauraient prévaloir contre la vérité. Les prétendues orgies qu'il dénonce furent, au contraire, de vraies fêtes civiques. Chaque section eut son souper fraternel. Des tables ornées de fleurs et d'emblèmes patriotiques étaient dressées dans les rues, sous des guirlandes da feuillage. L'argenterie y figurait à côté des couverts d'étain; la porcelaine et les cristaux à côté de la vaisselle grossière; riches et pauvres s'asseyaient côte à côte et unissaient leurs voeux pour le triomphe des Français. Et, chose remarquable! on était alors en plein régime de la terreur. Le banquet des habitants du quai des Orfèvres se fit remarquer entre tous, par sa magnificence. C'est peut-être à ce repas des orfèvres que songeait Barrère lorsqu'il écrivait dans la Décade philosophique :
 « Les banquets civiques sont un présent de l'aristocratie et ses présents sont empoisonnés. » 
En 1790 déjà, an lendemain de la promulgation du décret sur la mendicité, un orfèvre du Quai riche, Carle, commandant du bataillon de Henri IV, s'était rendu avec tous ses gardes nationaux au village de Vaugirard, où la population était le plus misérable, et avait fait préparer un banquet où il avait invité deux cents pauvres. La fête de l'Etre suprême se termina par des danses, des illuminations, des repas civiques où les assistants s'embrassèrent. Un beau jour cependant on découvrit que ces fêtes présentaient des dangers. A la fin de messidor an II; la Commune défendit les repas civiques. 
« C'était, dit Augustin Challamel, proscrire le gaîté des Parisiens; c'était enlever son entrain à la Révolution. Par bonheur la France entière avait des consolations plus réelles que celles de fraterniser le verre à la main. »
Les réunions, comme celle des Vendanges de Bourgogne, sens la Restauration, où les invités seuls étaient admis, n'eurent pas le touchant caractère de ces fêtes de la Révolution. Après le 24 février 1848, on eut l'idée de renouveler les repas fraternels. Le 2 avril, deux cent cinquante délégués des clubs se réunirent en un banquet sur la place du Châtelet. Plusieurs villes suivirent cet exemple. A Marseille, Émile Ollivier, commissaire général de la République dans les Bouches-du-Rhône, présida un repas public de plusieurs milliers de personnes. A la veille des journées de juin, le journal le Père Duchesne lança l'idée d'un banquet à vingt-cinq centimes. De nombreuses souscriptions eurent lieu. Mais sur ces entrefaites, l'insurrection éclata, l'état de siège fut proclamé, et le banquet fut décommandé.

La mode des repas en plein air a reparu sous la troisième République. Lors de la fête de l'exposition universelle, en 1878, et plus tard, lors de la fête nationale du 14 juillet, y il eut dans Paris des repas qui rappelèrent les fameux soupers sectionnaires de l'an Il. Les écrivains du parti rétrograde, s'inspirant de Mercier, racontèrent que ces agapes furent de vraies orgies. Mais les banquets dont il s'agit se sont passés en présence de la population parisienne ; tout le monde a constaté qu'ils se distinguaient, au contraire, par la bonne tenue et la plus franche cordialité.

Toutefois si les banquets civiques n'ont existé que sous la République, les banquets politiques ont été en honneur, même sous les gouvernements monarchiques. Nous avons cité déjà le célèbre banquet des Vendanges de Bourgogne. On doit mentionner également les banquets qui furent offerts à La Fayette, lors de son voyage triomphal au centre de la France. Les banquets du temps de la monarchie de Juillet eurent une importance particulière en ce qu'ils furent un moyen d'agitation en faveur de la réforme. Il en sera parlé dans une autre page. Sous la troisième République, les banquets politiques se sont multipliés. Un des premiers a été le banquet donné en 1872, an café Corraza, au Palais-Royal, à l'occasion de l'élection de Jules Barni, Paul Bert et Derégnaucourt à l'Assemblée nationale. Louis Blanc, Barni et Bert y parlèrent éloquemment. A la même époque, Gambetta commençait par le banquet de la Ferté-sous-Jouarre son glorieux apostolat et prononçait, devant d'immenses auditoires, les harangues enflammées que lisait la France entière. 

Les banquets politiques, si fort en honneur chez les Anglais, ont été considérés de tout temps comme un puissant moyen de propagande. 

« Sous l'influence des sentiments d'amour et d'égalité fraternelle que toute grande réunion fait naître et réchauffe, dit Allaroche dans le Dictionnaire politique, des milliers de citoyens sont bientôt animés d'une pensée commune; toujours pleins d'expansion et d'enthousiasme, les aspérités s'effacent, les petites divergences s'harmonisent, et l'assemblée acclame, d'une seule voix, à la formule des toasts et aux développements des discours. » 
C'est dans les banquets que les partis politiques passent la revue de leurs troupes et qu'ils préparent les bataillons de l'avenir. Toute idée qui a passé par les banquets acquiert, par cela même, une importance nouvelle. Si elle est fausse, elle provoque vite la contradiction. Si elle est juste, elle fait son chemin et ne tarde pas à dire adoptée par la nation. (L. Delabrousse).
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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