| On entendait autrefois par racine tout mot supposé primitif d'où étaient formés les autres mots; logos, par exemple, était la racine de logikos, logisomai, etc. ; on connaît le Jardin des Racines grecques de Lancelot, composé d'après ce principe. Cette définition était, à tous les points de vue, très inexacte. Si l'on examine les mots d'une langue, on découvre aisément des groupes de mots représentant des idées de même nature: steichô (marcher, aller en ligne), stoichos (rangée), stichos (rangée, ligne), sont évidemment apparentés non seulement par le sens, mais aussi par la forme. En analysant ces mots de plus près, il est également facile d'y reconnaître un élément commun, steich, stoich, stich, variable dans son vocalisme, auquel on pourra attacher le sens général de « marcher en ligne ». Si l'on embrasse d'un seul regard plusieurs langues, une analyse du même genre conduira au même résultat, et l'on isolera de même, par exemple, dans gr. phero, lat. fero, skr. bharâma, un noyau commun ou morphème pher, fer, bhar, dont la signification abstraite sera celle de « porter ». Cet élément significatif, quelle que soit la forme primitive qu'on veuille lui donner, est ordinairement monosyllabique et a reçu conventionnellement le nom de racine. Il ne faut pas croire cependant que la racine ainsi entendue ait jamais été une réalité historique. Ces abstractions, imaginées par les grammairiens, n'ont jamais eu d'existence indépendante, et si l'on y voit les premiers éléments du langage, jusqu'ici irréductibles, on n'en saurait conclure que dans la langue proto-indo-européenne, pas plus qu'à l'origine des autres familles de langues, les humains aient jamais parlé par racines. Ces formes n'ont qu'un sens large et indéterminé, précisé seulement lorsque la racine se trouve en contact avec les différents affixes, et ce n'est qu'en l'isolant artificiellement qu'on en a établi la signification générale. La racine, comme on l'a vu par le groupe de mots grecs cités plus haut, peut se présenter sous plusieurs aspects steich, stoich, stich sont bien trois formes d'une même racine. Mais quelle est la forme que l'on admettra comme primitive, c.-à-d. celle à qui l'on rapportera les autres et que l'on prendra comme racine unique de tous les mots appartenant à un même groupe? Suivant une théorie mise en crédit par Bopp, et empruntée aux grammairiens hindous, la forme génératrice était celle où la voyelle était la plus brève, stich, suivant l'exemple donné; steich était obtenu par le gouna ou renforcement de i en ei et stoich par un second renforcement ou vriddhi. Cette théorie est aujourd'hui abandonnée par les linguistes, et on est d'accord maintenant pour enseigner les principes suivants : toute racine contenant e a la faculté d'expulser cet e ou de lui donner la nuance o dans des cas déterminés : steich est le degré fort ou normal, stich le degré faible ou réduit, stoich le degré fléchi. L'e se présente soit seul (pet, tomber; es, être), soit accompagné d'un élément particulier appelé sonnante, qui fait fonction tantôt de voyelle, tantôt de consonne, suivant sa position devant une consonne ou devant une voyelle, lorsque l'e est expulsé; ces éléments sont les semi-voyelles i, u, et les liquides et nasales r, l, m, n (sreu, couler; deik, montrer; derk, voir; men, penser). Ces dernières, en fonction de voyelles, sont diversement exprimées suivant les langues; la nasale sonnante, par exemple, est représentée en grec par (alpha) et en latin par en ou em. Les racines qui contiennent une autre voyelle que e sont moins nombreuses et sont traitées, autant qu'on peut le croire, de la même façon, pouvant se présenter sous les trois formes normale, réduite et fléchie. Ajoutons que Bopp a proposé de diviser les racines en deux catégories, les racines verbales (ou prédicatives), de beaucoup les plus nombreuses, d'où sont issus les verbes et les noms (substantifs et adjectifs) et les racines pronominales (ou démonstratives), qui ont donné naissance aux pronoms, aux prépositions primitives, aux conjonctions et aux particules. Bien que cette dualité des racines ait été contestée, notamment par Schleicher, qui faisait dériver les secondes des premières, la théorie de Bopp conserve son utilité. (Mondry Beaudouin). | |