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Géographie historique de la France
Le domaine royal
Administration et condition des terres
L'expression domaine royal ou domaine de la couronne avait, sous l'Ancien régime, deux sens différents, dont l'un dérive de l'autre. Elle désignait d'abord l'ensemble des terres du royaume sur lesquelles le roi n'avait pas seulement droit de souveraineté, mais encore droit de propriété ou de seigneurie. Ainsi, sous les deux premières dynasties, le domaine royal était formé des terres que les rois mérovingiens ou carolingiens possédaient en propre, et qu'ils administraient comme leur patrimoine : on l'opposait aux domaines privés appartenant à des particuliers ou à des communautés. A partir de l'époque féodale, il comprenait en outre les terres dont le roi avait la seigneurie immédiate, les fiefs qui relevaient directement et effectivement de sa personne, par opposition aux domaines féodaux, c.-à-d. aux possessions des grands feudataires ou des petits seigneurs qui n'étaient pas ses vassaux directs.

Mais, vers le XIVe siècle, la même expression prit une acception plus abstraite et plus large, qui était usitée surtout dans le langage fiscal : elle s'entendit de tous les revenus ordinaires qui appartenaient au roi, non seulement comme propriétaire ou comme seigneur dans ses terres et ses fiefs, mais aussi comme souverain dans tout le royaume; en d'autres termes, de ses droits féodaux et de ses droits régaliens. Dans ce second sens, le mot domaine faisait antithèse au mot impôt, l'un désignant les ressources ordinaires du Trésor, l'autre ses ressources extraordinaires. Afin de distinguer ces deux acceptions différentes du même mot, les légistes appelaient domaine corporel les terres du roi, et domaine incorporel ses revenus domaniaux.

Pour se faire une juste idée de ce qu'était autrefois le domaine royal, il faut se rappeler qu'il comprenait à la fois ce qu'on appelle dans le langage administratif moderne le domaine public et le domaine privé de l'Etat, c.-à-d. d'une part les portions du territoire national qui, par leur nature ou leur destination, sont affectées à l'usage de tous, et d'autre part les biens mobiliers ou immobiliers dont la propriété exclusive appartient à l'Etat, en taut que personne morale distincte des individus qui sont soumis à sa souveraineté. Cette confusion était la conséquence naturelle de la conception monarchique d'après laquelle l'Etat et le roi ne faisaient qu'un; de même que la puissance publique résidait tout entière dans la personne royale, de même les biens, les terres, les revenus, les droits, les intérêts du roi s'identifiaient avec ceux du royaume. Ce fut seulement après la chute de l'ancien régime, en vertu des lois votées par l'Assemblée constituante, que la séparation du domaine public et du domaine privé de l'Etat devint l'une des règles fondamentales du droit moderne et se réalisa dans les faits.

L'exposé qui va suivre sera divisé en trois périodes : la première, du VIe au Xe siècle, qui correspond à la monarchie franque; la seconde, du XIe au XIIIe siècle, qui comprend les premiers temps de la monarchie capétienne; la troisième, du XIVe au XVIIIe siècle, pendant laquelle le régime administratif de cette monarchie reçoit son plein développement. Dans chacune de ces périodes, on examinera successivement la composition, puis l'administration du domaine royal; dans la dernière, un chapitre spécial sera consacré aux mesures législatives par lesquelles furent limitées et réglementées les aliénations de ce domaine.

Monarchie franque (VIe-Xe siècle)

Composition du domaine.
Le domaine royal des Mérovingiens se composait de deux éléments: de biens qui avant la couquête de la Gaule par les Barbares faisaient partie du fisc impérial, et de biens acquis depuis la conquête. On sait que le domaine public du peuple romain (ager publicus), formé des terres successivement enlevées aux peuples vaincus, avait fini par devenir, dès le Ier siècle de l'ère chrétienne, la propriété, exclusive des empereurs. Ce domaine immense, encore accru par les biens que de fréquentes confiscations enlevaient aux particuliers, était dispersé dans toutes les provinces de l'Empire, et comprenait des terres cultivées, des pâturages, des forêts, des cours d'eau, des mines, des carrières, des salines, etc. Il était administré par des procurateurs de l'empereur (procuratores possessionum principis, actores dominii ou sacri patrimonii), qui en exploitaient une partie au moyen d'esclaves, d'affranchis et de colons, et affermaient le reste, soit par baux de cinq ans, soit par contrats emphytéotiques et baux perpétuels. La rente des terres exploitées et les redevances payées par les concessionnaires des terres affermées étaient versées dans le trésor privé de l'empereur (fiscus) : de là le nom de fundi fiscales, que l'on donnait aux domaines impériaux. Quand les invasions du Ve siècle firent tomber la Gaule sous la domination des Francs, des Goths et des Burgondes, les terres qui, dans cette province, appartenaient au fisc, passèrent naturellement dans les mains des rois barbares, qui se considéraient comme les représentants et les héritiers du pouvoir impérial. Ceux-ci en distribuèrent sans doute une partie à leurs compagnons d'armes, mais en gardèrent la plus large part, pour L'exploiter comme leur bien propre.

A ces fundi fiscales qui formaient le premier élément du domaine mérovingien, s'ajoutèrent, dans le cours du VIe et du VIIe siècle : des terres conquises sur les rois burgondes et wisigoths et sur quelques peuples de la Germanie; des terres achetées ou acquises par échange; les biens qui dans le royaume restaient sans maître, par déshérence, abandon ou toute autre cause; enfin les biens de tous les particuliers qui étaient mis hors la loi ou contre qui la confiscation était prononcée, soit légalement, soit par l'arbitraire du prince.

Le domaine ainsi constitué ne formait pas un territoire compact et nettement délimité, mais une série de terres isolées les unes des autres et répandues dans tous les pagi du royaume. Elles se divisaient, d'une manière générale, en deux catégories : d'une part de grands pâturages, des forêts, des terres incultes, sur lesquels le roi conférait des droits d'usage aux monastères ou aux villages voisins, moyennant le paiement d'une redevance appelée agraria ou pascuaria; d'autre part, des domaines cultivés ou des fermes appelés agri fiscales, villae fiscales, fisci dominici, dont on trouve un certain nombre cité dans les diplômes royaux et dans les chroniques; par exemple au VIe siècle : Latiniacus (Lagny), Brennacus (Berny), Cala (Chelles), Compendium (Compiègne), Novigentum (Nogent-sur-Marne), Nucetum (Noisy-le-Grand), Rigojalum (Rueil). 

La consistance et l'étendue de ce domaine variait sans cesse : car les rois mérovingiens en disposaient librement, comme un particulier dispose de sa fortune privée. Les causes d'aliénation étaient nombreuses c'étaient des ventes ou des échanges; des constitutions de douaire ou de dot au profit de leur mère, de leurs soeurs, ou de leurs filles; des legs ou des donations qu'ils faisaient à des églises et à des monastères en vue de fondations pieuses; enfin des concessions à titre de bénéfice par lesquelles ils rémunéraient les services des fonctionnaires royaux ou le dévouement des leudes. Ces dernières concessions se faisaient quelquefois en usufruit, le plus souvent en propriété; mais dans ce dernier cas elles étaient toujours temporaires et révocables : à la mort du bénéficiaire, à l'expiration de ses fonctions, en cas de révocation pour infidélité, le bien concédé faisait de plein droit retour au domaine royal. Aussi peut-on dire que le roi ne se dessaisissait pas complètement de la terre qu'il concédait en bénéfice : ce qui le montre bien, c'est que souvent, dans le patrimoine privé où elle entrait, cette terre gardait le caractère et le nom de terre royale (fiscus), par opposition aux autres biens (bona).

Dès la fin du VIIe siècle et au commencement du VIIIe, les nombreuses cessions de terres arrachées à la faiblesse des derniers Mérovingiens et les usurpations commises à la faveur des guerres civiles par les fonctionnaires et par les leudes les plus puissants, épuisèrent presque entièrement la domaine royal. La dynastie carolingienne le reconstitua, on joignant aux débris qui subsistaient encore dans la Neustrie les vastes possessions patrimoniales qui lui appartenaient en Austrasie, autour d'Héristal et de Landen, et les terres dont elle s'empara à la suite des guerres contre les Aquitains, les Lombards et les Saxons, de sorte que Charlemagne se trouva, au commencement du IXe siècle, maître d'un immense domaine qui comprenait d'une part un très grand nombre de villae (Attigny, Aix-la-Chapelle, Héristal, Quierzy, Compiègne, Chasseneuil, Thionville, Worms, etc.); d'autre part, presque toutes les grandes forêts du nord de la France, notamment celle des Ardennes et celle de Senlis avec ses démembrements, Cuise, Verneuil, Samoucy, Selve, Quierzy, etc. Sous ses successeurs, les donations et les concessions bénéficiaires appauvrirent de nouveau le domaine royal. Beaucoup de terres concédées en usufruit par Louis le Pieux et par Charles le Chauve à leurs comtes, à leurs évêques ou à leurs leudes, et qui devaient, au bout d'un certain temps, faire retour au domaine, restèrent, par consentement du prince ou par usurpation, dans le patrimoine des bénéficiaires et passèrent après eux à leurs enfants. 

Enfin dans le cours du Xe siècle, au milieu de l'anarchie d'où sortit le régime féodal, le domaine carolingien se trouva réduit presque à néant.

Administration du domaine.
Sous les Mérovingiens, la surintendance des domaines royaux appartenait au maire du palais, qui veillait à leur conservation et agissait par voie judiciaire contre les usurpateurs. La gestion de ces domaines était habituellement confiée à des agents spéciaux appelés domestici, quelquefois aussi aux comtes dans le pagus duquel ils étaient situés. Les domestici étaient des fonctionnaires importants, nommés dans les diplômes royaux immédiatement après les ducs et les comtes : il est probable que chacun d'eux était préposé, non pas à une circonscription fixe comme le pagus, mais, à une ou plusieurs ville et aux terres qui en dépendaient. Ils avaient la garde et la police des domaines, en percevaient les revenus, exerçaient la juridiction sur les tenanciers et commandaient à un certain nombre d'officiers subalternes, decani, forestarii, venatores, etc. 

Les fermes royales (villae fiscales) étaient organisées et exploitées de la même manière que celles des particuliers. Chacune d'elles était divisée en deux portions : la terre réservée au maître (terra indominicata, dominicum) et les tenures distribuées par lots (mansi) aux hommes qui cultivaient son domaine. Il y avait une demeure principale où le roi venait passer quelque temps chaque année; tout autour se groupait un nombre considérable d'habitations qui formaient une sorte de ville : c'étaient d'abord les maisons des officiers attachés au service du roi, puis les fabriques destinées à pourvoir à tous les besoins de la vie, manufactures d'armes, ateliers de tissage, orfèvreries, enfin les bâtiments d'exploitation destinés à l'agriculture, et les nombreuses cabanes des colons, affranchis et serfs (hommes regii, servi fiscalini) chargés de cultiver la terre; des champs, des jardins, des bois, des pâturages complétaient le domaine de la villa. 

Les revenus du domaine royal étaient considérables, et, plus régulièrement perçus que les impôts et les produits de justice, formaient le principale source qui alimentait le trésor du roi. Ils comprenaient, d'une manière générale, les cens en nature ou en argent qui étaient payés, soit par les tenanciers des villae, soit par les communautés à qui étaient concédés des droits d'usage sur les cours d'eau, les pâturages et les forêts; les corvées ou services corporels, dus par des hommes libres aussi bien que par les serfs du domaine et quelquefois convertis en redevances pécuniaires; enfin les tonlieux, péages et autres droits analogues perçus dans les terres royales sur les personnes et les marchandises qui les traversaient.

Sous les Carolingiens, l'administration du domaine fut notablement perfectionnée. Charlemagne, apportant le même soin à l'organisation de ses fermes qu'à celle de l'Empire, rédigea un capitulaire spécial (capit. De Villis; 800 ou 812) pour régler, en propriétaire attentif et quelquefois méticuleux, tout ce qui les concernait. La gestion du domaine était confiée à des intendants, appelés judices villarum, et préposés à un certain nombre de districts qui comprenaient chacun plusieurs fermes et terres domaniales. Ces judices réunissaient les pouvoirs d'administrateurs, de comptables et de juges, présidaient aux travaux de culture et aux approvisionnements, entretenaient les bâtiments, surveillaient les ateliers, les haras, les étables, les jardins, percevaient les redevances et les droits divers, en-voyaient tous les ans au palais un état détaillé des recettes et des dépenses, exerçaient enfin la police et la justice sur tous les hommes du roi, libres, colons ou serfs, qui habitaient dans leur district. Ils recevaient directement les ordres du roi, de la reine, du sénéchal ou du bouteiller et ne relevaient que d'eux : les comtes n'avaient autorité dans les domaines royaux que pour exercer les poursuites criminelles et pour juger les hommes libres étrangers à la maison du roi. Au-dessous des judices et nommés par eux, il y avait un grand nombre d'officiers subalternes chargés des différents services du domaine : majores, decani, villici, forestarii, cellerarii, venatores, etc.

Monarchie capétienne (première période : XIe - XIIIe siècle). 

Composition du domaine. 
Lorsque s'accomplit en 987 le changement de dynastie qui substitua les Capétiens aux Carolingiens, le domaine royal se trouva être en grande partie un domaine seigneurial, le patrimoine des ducs de France. Mais il s'en fallait que ce patrimoine comprit encore, à l'avènement de Hugues Capet, les immenses possessions qui avaient appartenu à son père Hugues le Grand, et qui se trouvaient disséminées dans le pays situé entre la Seine et la Loire, dans le Poitou et sur les points les plus divers de la France du Nord. Des concessions volontaires, des inféodations forcées, l'insubordination des vassaux les plus puissants en avaient successivement détaché un grand nombre de fiefs, et l'autorité réelle de Hugues Capet ne s'exerçait guère que sur le comté de Paris et sur quelques parcelles plus ou moins étendues des comtés voisins, Orléans, Etampes, Melun, Senlis, Poissy. Ce domaine, qu'il est difficile de déterminer exactement, faute de documents, et dont les limites étaient sans doute sujettes à de fréquentes contestations, se composait de deux catégories de terres. Les unes étaient placées in alodio, fisco ou domino regali, expressions générales employées dans les textes contemporains pour désigner les possessions propres du prince, celles dont il était propriétaire et dont les habitants, nobles, bourgeois, vilains, hôtes et serfs, se trouvaient soumis à son autorité directe. Les autres étaient placées in beneficio ou in feodo regis : c'étaient des fiefs dont il n'était pas le propriétaire, mais le suzerain immédiat, et où il n'avait d'autre droit que celui d'exiger des vassaux, à qui ces fiefs appartenaient, l'exécution de leurs devoirs féodaux. Au point de vue de la condition des terres dont il était composé et des personnes qui y vivaient, le domaine royal des premiers Capétiens ne différait donc en rien des nombreux domaines seigneuriaux qui couvraient alors le royaume. Aussi quand avait lieu la réunion à ce domaine d'une seigneurie féodale, aucun changement n'était apporté à la condition des terres ou des personnes qui faisaient partie de cette seigneurie; entre le régime qui avait précédé et celui qui suivait la réunion, toute la différence consistait en ce que le roi se substituait à l'ancien seigneur soit comme propriétaire, soit comme suzerain : il joignait à son domaine propre celui du seigneur dont il recueillait les droits, à son domaine féodal l'ensemble des fiefs qui étaient jusque-là dans la mouvance directe de ce seigneur.

Ce n'est pas ici le lieu de tracer l'histoire des accroissements successifs du domaine royal sous les Capétiens du XIe du XIIe et du XIIIe siècle, ni de rechercher quelles étaient, parmi les terres de la couronne, celles dont le roi était propriétaire et celles dont il n'était que le suzerain immédiat. Le premier point, qui se rattache de près à l'histoire politique de la France, est traité sous forme de tableau dans l'aperçu de ce chapitre; le second, qui ne peut être résolu que par l'étude attentive des textes  contemporains, présente encore bien des obscurités, à cause de la rareté ou du peu de précision de ces textes. On se bornera à constater qu'à la fin du XIIIe siècle la royauté avait considérablement accru son domaine, aux dépens de la féodalité, soit par la transformation en terres propres de fiefs domaniaux dont le roi n'était que le suzerain, soit par l'extension de la suzeraineté directe sur de nouvelles seigneuries. D'après le Compte général des revenus du roi en 1202, conservé par Brussel, le domaine se composait déjà à cette époque de l'lle-de-France, du Hurepoix, du Vexin, du  Mantois, des comtés d'Evreux, de Meulan, de Beauvoisis, du Valois, du Vermandois, de l'Amiénois, du Ponthieu, du comté de Santerre, du Gâtinais, du Sénonais, de l'Orléanais, du Berry et du Nivernais; d'après le Compte des revenus de 1285, il comprenait de plus : la Normandie, la Touraine, l'Anjou et le Maine, le Perche et le pays Chartrain, le Mâconnais, la Champagne et la Brie, le Poitou, la Saintonge et l'Aunis, l'Auvergne, le Quercy, le Rouergue. l'Albigeois et le Languedoc. Toutefois, il faut bien remarquer que ce domaine était discontinu, en ce sens qu'il était formé de seigneuries ou de possessions distinctes, souvent séparées par d'autres fiefs dont le roi n'était ni le propriétaire ni même le seigneur immédiat : dans les vingt-neuf provinces qui viennent d'être énumérées, ce que le roi possédait, ce n'était pas le territoire entier, mais seulement des terres plus ou moins nombreuses, plus ou moins étendues.

Les modes d'acquisition qui firent entrer dans le domaine royal ces diverses terres peuvent se ramener à cinq :

 1° cession consentie à prix d'argent ou moyennant certaines compensations par le seigneur à qui la terre appartenait (comtés de Dreux, 1017, et de Sens, 1034; Gâtinais, 1068; vicomté de Bourges, 1100; comtés d'Evreux, 1203; de Blois et de Chartres, 1233; de Mâcon, 1238; Montpellier, 1293);

 2° succession en ligne directe ou collatérale (duché de Bourgogne, 1002;  Vexin normand, 1184; Vermandois, Valois et Amiénois, 1185; comtés de Toulouse, Quercy et Rouergue, 1271) ;

 3° constitution de dot faite par un feudataire à l'occasion du mariage de sa fille avec le roi de France ou l'un de ses fils (duché d'Aquitaine, 1137 ; Artois et Hesdin, 1180, Champagne et Brie, 1285); 

4° saisie féodale et confiscation opérées sur des vassaux rebelles, dans le domaine ou hors du domaine (seigneuries de Corbeil et de Montlhéry, 1112-1118; Normandie, Anjou, Maine et Touraine, 1203-1205);

 5° conquête à main armée (Vexin français, 1082; Auvergne, 1209-1213; Bas-Poitou et Saintonge, 1224; Bas-Languedoc, 1226; Gévaudan, Albigeois, 1229).

On peut y joindre les traités de pariage conclus avec des églises et quelquefois des seigneurs laïques, par lesquels le roi obtenait de partager le pouvoir et les revenus des seigneuries qu'il ne pouvait incorporer, mais dont il devenait le coseigneur; ces traités, qui préparaient d'ordinaire la réunion totale, devinrent fréquents à partir de Philippe le Bel.

Toutefois, il ne faut pas croire que toutes les terres qui, pour l'une de ces causes, étaient réunies au domaine royal, y fussent définitivement incorporées. Les premiers Capétiens disposaient de leurs possessions domaniales avec la même liberté qu'un seigneur féodal disposait de ses fiefs; aucune limite n'avait encore été apportée à leur droit d'alié nation, qu'ils exerçaient de plusieurs manières. 

1° par vente ou par échange; 

2° par donations de terres ou abandon de droits aux communautés religieuses et aux églises; 

3° en constituant une dot à leurs filles : c'est ainsi que le comté d'Auxerre fut donné en pleine propriété, sans clause de réversion, à une fille de Hugues Capet, Alix de France, le Vexin normand à Marguerite, fille de Louis VII; mais, depuis Philippe-Auguste, la dot des filles de France ne fut plus constituée qu'en deniers comptants ou, quand la dot n'était payée qu'en partie, par la cession temporaire de quelques terres dont la jouissance seule servait de garantie jusqu'à parfait paiement;

 4° en assignant à la reine, pour le cas où elle resterait veuve, un douaire qui consistait ordinairement en terres détachées du domaine; mais, par leur nature même, ces dernières concessions étaient peu nombreuses et toujours d'une durée limitée;

5° enfin en constituant des apanages au profit de leurs fils ou de leurs frères. On sait qu'au XIe et au XIIe siècle les terres du domaine érigées en apanages étaient concédées en pleine propriété, à titre héréditaire (duché de Bourgogne apanagé par Robert II à son fils Henri, 1017, puis par celui-ci à son frère Robert, 1032 comtés de Dreux et de Courtenay apanagés par Louis VI à ses fils Robert et Pierre, 1137); elles ne faisaient retour à la couronne que si le prince apanagé devenait plus tard roi de France. Louis VIII fut le premier qui stipula, en cédant à son frère Philippe le comté de Clermont en Beauvoisis (1223) et à son fils Robert le comté d'Artois (4226), que les apanages feraient aussi retour à la couronne, si le titulaire décédait sans héritiers directs, et cette clause de réversion devint la règle sous Louis IX et ses successeurs; mais il faut remarquer qu'au XIIIe siècle elle s'appliquait seulement dans le cas où le prince apanagé ne laissait aucune postérité, ni masculine ni féminine, ou bien si ses descendants en ligne directe ne laissaient eux-mêmes aucun enfant : les filles pouvaient donc succéder aux apanages ; les collatéraux seuls étaient exclus.


Administration du domaine. 
Les premiers Capétiens n'avaient, à quelques exceptions près, d'autres revenus que ceux qu'ils tiraient de leur domaine. Sans doute, on a pu démontrer que, dès le XIe et surtout le XIIe siècle, les rois de France avaient, en dehors de leur domaine, exercé quelques droits financiers (régale, confirmations d'échanges ou de cessions, amendes pour contravention aux édits royaux) et trouvé quelques ressources extraordinaires (emprunts aux particuliers et aux communautés religieuses). Mais la plupart des droits régaliens exercés par les rois des deux premières dynasties, notamment les impôts et les droits de justice, s'étaient transformés, au milieu de l'anarchie du Xe siècle, en redevances patrimoniales; ils étaient devenus, dans chaque fief, des produits du domaine, analogues aux cens et aux corvées, et que chaque seigneur percevait pour son propre compte. Le roi capétien n'avait plus assez d'autorité pour les exiger, dans tout le royaume, en se qualité de souverain et sous la forme de droits royaux; toutefois, dans les terres de son domaine, il continuait à les percevoir comme propriétaire et comme seigneur, sous la forme de droits domaniaux. Il en résulte que, pendant le XIe, le XIIe et même la plus grande partie du XIIIe siècle, le trésor royal, comme celui des hauts barons du royaume, n'était régulièrement alimenté que par les revenus du domaine; mais il en résulte aussi que le nombre et l'importance de ces revenus s'étaient notablement accrus, puisqu'aux produits ordinaires s'était ajouté tout ce qui
restait des anciens impôts et droits de justice. Enfin, on sait que le domaine royal ne se composait pas seulement des terres dont le roi était propriétaire et seigneur direct, mais aussi des fiefs dont il était le suzerain immédiat. Or les vassaux devaient à leur suzerain, à raison même de leur fief, un certain nombre de droits pécuniaires qui venaient encore grossir la liste des revenus domaniaux.

Les revenus dont le roi jouissait comme propriétaire et seigneur direct, étaient : les coutumes, contributions directes fixées par l'usage ou les contrats, prélevées dans les villes et les campagnes sur les bourgeois, paysans libres et hôtes du domaine, et désignées sous les noms particuliers de cens, champart, terrage, brennage, forage, usinage, etc., suivant qu'on les percevait en argent ou en nature, sur les céréales ou sur les boissons; les exactions, contributions que le roi percevait soit à volonté, soit à intervalles déterminés, sur les serfs et les hôtes du domaine, et dont la taille et la tolte étaient les principales espèces; les droits indirects dont le commerce et l'industrie étaient frappés (tonlieux et péages sur l'achat, la vente et le transit des marchandises, dons gratuits payés par les corporations marchandes et industrielles, banalités, concessions de foires et marchés, bénéfices sur la fabrication, le rachat et le change des monnaies royales); les droits de justice (amendes, confiscations, actes judiciaires) et les droits de chancellerie pour la délivrance des diplômes et chartes; les revenus des forêts et des eaux (droits de chasse, d'usage, de pêche, d'écluse); les successions vacantes, épaves et trouvailles d'or et d'argent; les droits sur les aubains et les juifs; les services personnels (corvées, ost et chevau chée) qui étaient souvent convertis en redevances pécu niaires (hauban); enfin les droits de prise, de gîte et de procuration, grâce auxquels le roi et ses officiers vivaient en partie aux frais des églises, des monastères et des villes qui étaient tenus de pourvoir à leur subsistance.

Les revenus dont le roi jouissait comme suzerain étaient les droits de relief, de vente, d'échange, d'amortissement, et les aides féodales, que lui devait chaque vassal conformément à l'usage ou aux termes du contrat de fief.

Pour assurer la perception régulière de ces revenus, le roi, ou plutôt celui de ses grands officiers qui était spécialement chargé de la surveillance du domaine et du soin des finances, c.-à-d. le sénéchal, affermait les terres domaniales à un certain nombre d'intendants, par voie d'adjudication aux enchères. Ces intendants paraissent avoir été institués sur le modèle de ceux qui, dans les communautés ecclésiastiques, géraient les possessions éloignées de l'abbaye, et leur avoir emprunté le nom de prévôts (praepositi). Leur nombre, d'abord restreint, s'accrut à mesure que s'étendait le domaine royal. Les premiers que mentionnent les chartes royales sont ceux de Sens (sous Robert II), d'Etampes, d'Orléans, de Melun (sous Henri Ier'), de Senlis, de Paris, de Poissy, de Mantes, de Bourges, de Beauvais et de Compiègne (sous Philippe ler). Mais ce n'était là que les principaux : l'examen des textes permet d'affirmer qu'il y avait, au XIe' et au XIIe siècle, un prévôt royal dans toutes les localités de quelque importance autour desquelles le roi possédait des terres et une exploitation; dans quelques villes importantes, à Paris, Sens, Etampes, Orléans, Bourges, il y avait simultanément deux ou trois prévôts, dont l'un avait sans doute autorité sur les autres. C'est seulement au début du XIIIe siècle que des documents précis permettent de reconstituer le tableau complet des prévôtés établies dans le domaine. On sait, par le Compte des revenus du roi en 1202 (avant la réunion des fiefs de Jean sans Terre), qu'il y en avait alors quarante-neuf.

Les prévôts étaient, dans le principe, de simples fermiers des revenus du domaine, à qui le roi concédait, dans l'étendue de la circonscription qui leur était assignée, le droit de percevoir pour le compte du Trésor, en retenant une quote-part à leur profit, les cens, redevances, tonlieux, péages, reliefs féodaux et autres revenus d'origine diverse qui constituaient l'actif du budget royal. Mais comme ils étaient les seuls agents directs du roi établis dans le domaine, le droit de percevoir les revenus entraînait par voie de conséquence : le droit de veiller à l'entretien et à la bonne exploitation des terres et des forêts domaniales d'où ils tiraient une partie de ces revenus; le droit de faire observer la sauvegarde du roi sur les chemins publics, les cours d'eau, les foires et marchés, où ils percevaient une autre partie de ces revenus; le droit de contraindre par les voies de rigueur les récalcitrants qui refusaient de payer, et par conséquent d'avoir un tribunal pour les juger; enfin le droit de disposer des forces militaires pour assurer la police du domaine et l'exécution de leurs sentences. De là vint que les prévôts joignirent à la ferme des revenus des attributions administratives, judiciaires et militaires, qui peu à peu s'étendirent bien au delà de ce qu'exigeait la perception des revenus royaux et qui firent d'eux, à tous les points de vue, les représentants directs de l'autorité royale dans le domaine. Pour exercer leurs multiples pouvoirs, ils avaient sous leurs ordres dans les centres importants un viguier ou voyer (vicarius, viarius), dans les villages un maire (major), sans compter de nombreux officiers subalternes appelés bedelli, baillivi, servientes praepositi.

Fermiers des revenus, représentants de l'autorité royale dans le domaine, les prévôts étaient, en outre, comme les grands officiers du palais, des feudataires du roi. Ce troisième caractère surtout les distingue des domestici et des judices de la monarchie franque, à qui ils ressemblent beaucoup parla nature et la diversité de leurs attributions. Ils prenaient leur charge et leur ressort comme une tenure, pour laquelle ils relevaient du roi et qui leur était concédée par une investiture toute féodale; plusieurs même furent autorisés par le roi à disposer de leur charge en faveur de leurs héritiers. Les prévôts formaient donc une sorte de féodalité administrative, qui avait ses velléités d'indépendance. Sans doute, pris parmi les hommes de basse naissance ou de petite noblesse, obligés de venir à Paris à de certaines époques rendre compte de leur gestion, soumis à la surveillance du sénéchal qui devait faire chaque année une tournée dans les prévôtés, ils étaient en général les serviteurs zélés du roi. Mais les abus de pouvoir étaient fréquents : ils empiétaient sur les biens et les privilèges des seigneuries ecclésiastiques protégées parle roi; comme ils n'avaient pas d'appointements réguliers, mais seulement une, certaine part sur les revenus qu'ils percevaient, ils multipliaient les exactions, levaient dans les villes et les campagnes des droits arbitraires, multipliaient les procès-verbaux et les frais de justice. Aussi les rois du XIIe siècle durent-ils souvent intervenir pour réglementer les pouvoirs des prévôts, soit en déterminant par des chartes de privilège les limites de leurs droits dans chaque commune du domaine, soit en distinguant avec soin le ressort de la justice prévôtale et celui de la haute justice exercée par leur propre cour.

Au XIIIe siècle, l'administration du domaine fût modifiée par Philippe-Auguste, Louis IX et Philippe le Bel. Les prévôts restèrent les agents spécialement préposés à cette administration; mais, au lieu d'être placés sous le contrôle intermittent et peu efficace du sénéchal, ils furent, après la suppression de cet office (1191), soumis d'une manière permanente à l'autorité de fonctionnaires supérieurs, les baillis; ils cessèrent d'être les représentants directs du roi, pour devenir les subordonnés de ces nouveaux fonctionnaires. Par suite, l'ancienne division du domaine royal en prévôtés se trouva encadrée dans une division plus générale en bailliages, circonscriptions qui comprenaient chacuire un plus ou moins grand nombre de prévôtés, depuis deux jusqu'à dix ou douze. Dans quelques-uns des grands fiefs qui lurent annexés par les rois du XIIIe siècle et où ils respectèrent le régime administratif qu'ils y trouvèrent établi, les circonscriptions domaniales portaient des noms un peu différents : en Normandie, au lieu de prévôtés, il y avait des vicomtés; dans les fiefs anglais de l'Ouest et du Sud, au lieu de bailliages, il y avait des sénéchaussées qui se subdivisaient en prévôtés dans le Poitou et la Saintonge, en bailies dans le Languedoc, l'Albigeois, le Rouergue et le Quercy, en vigueries dans les seigneuries de Beaucaire et de Carcassonne. Mais à ces différences de noms ne répondait aucune différence notable dans les attributions des fonctionnaires. A la fin du XIIIe siècle, la domaine royal comptait environ deux cent soixante-trois prévôtés, vicomtés, bailies ou vigueries, groupées en une trentaine de bailliages ou sénéchaussées. 

A la suite de la transformation qui s'était opérée dans l'administration domaniale, les prévôtés cessèrent d'être tenues à long terme : elles furent affermées tous les ans aux enchères par les baillis, qui ne devaient accepter que des hommes de bonne vie, solvables et pouvant fournir caution. Si personne ne se présentait, on donnait la prévôté en garde, c.-à-d. qu'on nommait un prévôt qui recevait des gages fixes et devait au roi le montant intégral de ses recettes. Les prévôts cessèrent également, à partir de 1249, de rendre compte directement aux grands officiers du roi des revenus qu'ils percevaient; ils les remirent au bailli dont ils dépendaient, et celui-ci, centralisant toutes les recettes de son bailliage, allait seul les verser entre les mains du trésorier royal et rendre ses comptes à la commission de la cour du roi qui siégeait à Paris, au Temple. C'est aussi le bailli qui ordonnait et soldait dans chaque prévôté les dépenses nécessaires pour l'entretien des châteaux et bâtiments royaux, des routes, ponts, marchés et autres lieux publics du domaine. Enfin les prévôts n'exercèrent plus leurs droits de police et de justice que sous la surveillance des baillis, au tribunal desquels on appelait de leurs sentences.

Monarchie capétienne (deuxième période : XIVe - XVIIIe siècle) 

Composition du domaine.
A partir du XIVe siècle, l'expression domaine royal prit une acception plus large. Les légistes distinguèrent le domaine corporel qui correspondait aux terres et fiefs dont le roi était le propriétaire ou le seigneur, et le domaine incorporel qui embrassait tous les revenus domaniaux perçus par le roi. Or, depuis le XIVe siècle, ces revenus ne provenaient plus seulement des droits féodaux qu'il exerçait, comme propriétaire ou seigneur, sur les terres et fiefs soumis à son autorité directe, mais encore des droits régaliens qu'il exerçait, comme souverain, dans tout le royaume. Cette dernière catégorie comprenait d'abord un certain nombre de revenus qui avaient été purement féodaux à l'origine et comme tels avaient appartenu également aux seigneurs dans leurs fiefs et au roi dans son domaine, mais dont la royauté s'était attribuée peu à peu la jouissance exclusive sur toutes les terres françaises, au détriment de la féodalité (droits de francs-fiefs, d'amortissement, d'aubaine, de bâtardise, etc.); puis les revenus provenant de l'exercice de la justice royale dans toutes les parties du royaume (amendes, confiscations, droits de sceau); enfin les droits fiscaux établis par le roi en vertu de sa prérogative souveraine pour la police générale du royaume (anoblissements, ventes d'offices et de maîtrises, taxes sur l'enregistrement des actes privés, etc.). Le produit de tous ces droits domaniaux (féodaux ou régaliens) formait dans le budget royal le chapitre des revenus ordinaires, par antithèse aux ressources extraordinaires, appelées impositions, que la royauté se procura, dès la fin du XIIIe siècle, en levant, dans tout le royaume, des tailles et des aides générales, destinées à subvenir d'abord à des dépenses accidentelles, puis à des charges permanentes.

Cette division du domaine en corporel et incorporel étant la plus importante et la plus générale de toutes celles qu'admettaient les anciens juristes, il convient de la suivre dans l'énumération détaillée des biens qui composaient le patrimoine royal.

1° Domaine corporel.
Il n'y a pas lieu de rappeler ici les événements qui, depuis le XIVe jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, amenèrent la réunion à la couronne de tous les grands fiefs français qui n'en relevaient pas encore à la fin du XIIIe siècle, et des provinces étrangères dont l'annexion, dans le cours du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle, acheva de former la France moderne.

Il suffira de dire que ces accroissements du domaine eurent, comme dans la période précédente, des causes diverses : héritage (Provence, 1481), mariage (Bretagne, 1532), confiscation (Bourbonnais, Marche, Auvergne et
Forez, 1527), conquête (Guyenne, 1474; Trois-Evêchés, 1555, Alsace, 1618, etc.), cession amiable (Lyon, 1312; Dauphiné, 1349; Bresse et Bugey, 1601; Lorraine, 1763; Corse, 1768). 

On pourrait croire que, par suite de ces réunions successives, le royaume entier était entré dans le domaine royal et qu'il n'y avait pas de terre en France dont le roi ne fût devenu le propriétaire ou le seigneur. Telle était en effet la doctrine de quelques juristes, théoriciens de la monarchie absolue et du droit divin : d'après eux, le pouvoir sur la terre et les hommes, exercé à l'époque féodale par des milliers de propriétaires souverains, ne l'était plus désormais que par un seul qui s'était substitué à tous les autres et avait recueilli leurs droits; à l'ancienne formule « point de terre sans seigneur » avait succédé celle-ci « point de terre qui ne soit au roi ». Mais c'était là une conception théorique, commode pour justifier l'établissement des taxes les plus lourdes et les plus arbitraires. En fait, les choses se passaient tout autrement. 
 D'une part, il faut remarquer que, dans chacun des grands fiefs réunis et dans chaque province annexée, le roi ne faisait que succéder aux droits du seigneur ou du souverain étranger de qui ce fief ou cette province relevait antérieurement, et que ces droits, fort inégaux, variaient pour ainsi dire avec chaque parcelle du territoire : à côté de terres, dont il devenait le propriétaire ou le seigneur immédiat, il y en avait souvent d'autres, appartenant à des seigneurs laïques à des communautés religieuses ou à des villes privilegiées, qui échappaient à son autorité directe et rompaient ainsi la continuité du domaine royal. Parfois des traités de pariage conclus avec ces diverses seigneuries, des lettres de sauvegarde instituant dans les terres ecclésiastiques ou dans les villes de commune des commissaires royaux pour les protéger contre les exactions féodales, préparèrent l'incorporation graduelle de ces territoires isolés; mais un assez grand nombre gardèrent leur indépendance jusqu'à la fin de l'Ancien régime. 

D'autre part, si le domaine s'était considérablement accru, il y avait aussi de nombreuses causes d'appauvrissement qui faisaient perdre à la royauté une grande partie de ses gains. Sans parler des conquêtes de l'étranger qui enlevèrent à la couronne diverses provinces dont la plupart furent plus tard reconquises, les constitutions d'apanages princiers, qui allèrent se multipliant du XIVe au XVIIIe siècle, reconstituèrent sans cesse au profit de nouvelles familles le domaine féodal; quand les grands fiefs ainsi détachés du domaine y faisaient retour par suite de l'extinction de l'apanage, il n'était pas rare qu'ils fussent, à plusieurs reprises, concédés à de nouveaux apanagistes. Enfin par des aliénations de toute sorte (ventes, donations, abandons de droits, engagements, etc.), qui étaient consenties, tantôt par faveur, tantôt pour des raisons fiscales, au profit d'églises, de communautés religieuses, de seigneurs de la cour, d'hommes d'affaires ou de spéculateurs, la royauté diminuait continuellement son patrimoine; et, malgré les mesures législatives qui furent souvent prises, comme on le verra plus loin, pour les révoquer dans le passé on les interdire dans l'avenir, la plupart de ces aliénations furent maintenues. Il résulte de ces diverses considérations que, loin d'absorber le royaume tout entier, le domaine royal n'en formait guère, à la fin de l'ancien régime, d'après les évaluations les plus probables que la sixième partie. Les cinq autres sixièmes se répartissaient en apanages, terres féodales, terres ecclésiastiques, possessions communales, biens des bourgeois et des petits propriétaires de la campagne, et formaient des domaines distincts de celui de la couronne, sur lesquels le roi n'avait en réalité ni droit de propriété, ni seigneurie, mais seulement droit de souveraineté.

Les biens dont se composait le domaine royal peuvent être classés en trois catégories :

1° les parties du territoire français qui par leur nature ou leur destination étaient d'un usage public, comme les rivages de la mer (ord. de 1681, édit de 1710), les fleuves et les rivières navigables (ord. de 1669), les grandes routes, les ports, les murs, remparts et fossés des villes fortifiées, etc.; 

2° les bâtiments les forêts et les domaines ruraux dont le roi était propriétaire et seigneur direct; ainsi, les palais et châteaux du Louvre, de Versailles, de Marly, de Compiègne; les manufactures et les académies royales; les forêts de Fontainebleau, Vincennes, Sénart, Compiègne, Saint-Germain-en-Laye; les fermes et les censives, qui étaient exploitées par des « hommes du roi », paysans ou gens de métiers; des cours d'eau, des pâturages, des bois, des landes, des maisons particulières, des moulins, des halles, etc.;

3° les terres vassales, dont les détenteurs devaient acquitter envers le roi les obligations féodales; elles étaient éparses dans le royaume et se subdivisaient en fiefs titrés ou non titrés, terres ecclésiastiques, communes royales. A tous ces biens immobiliers, il faut ajouter les meubles des résidences et bâtiments royaux et les joyaux de la couronne. 

Quant à déterminer avec précision quelle était, à une époque donnée, la consistance réelle du domaine, c'est chose fort difficile. Le détail des biens qui le composaient ne nous est le plus souvent connu que d'une manière incomplète par les actes d'aliénation ou de réversion dont chacun d'eux pouvait être l'objet. Il est même certain que la royauté ne se rendit jamais un compte exact de l'étendue de ses possessions, car il lui manqua toujours un cadastre ou terrier général indiquant l'état du domaine et ses modifications successives. A la vérité les baillis furent chargés dès le XIVe siècle de contraindre les détenteurs de fiefs et d'arrière-fiefs de fournir de temps à autre aux chambres des comptes des aveux et dénombrements : mais cette opération
fut mal exécutée; et pour les domaines affermés, aucun terrier ne fut entrepris. On ne réussit pas mieux aux siècles suivants : Mazarin ordonna en 1656 la confection d'un terrier du domaine dans le ressort de la chambre des comptes de Paris et créa à cet effet une chambre souveraine du terrier du domaine; mais les travaux qu'elle entreprit furent suspendus au bout de quelques années à cause des difficultés et des procès sans nombre auxquels ils donnaient lieu. Si l'on veut se faire une idée de l'état du domaine à la veille de la Révolution française, on peut consulter les rapports présentés à l'Assemblée constituante par Barrère et Enjubault (10 avril - 22 novembre 1790), en vue de l'aliénation des domaines nationaux.

2°  Domaine incorporel.
Il comprenait, comme on l'a vu, tous les revenus domaniaux, dont les uns avaient pour origine les droits féodaux du roi, les autres ses droits régaliens. Les revenus féodaux perçus par le roi sur ses terres propres et ses fiefs étaient à peu près les mêmes que ceux qui appartenaient aux nobles dans leurs seigneuries. La plupart pesaient sur les roturiers : cens et rentes en nature ou en argent, dîmes, champarts, terrages, lods et ventes, qui étaient les plus lucratifs; péages, bacs, leides, revenus des salines, mines et carrières, droits de pêche, de chasse, de garenne, de colombier, qui étaient surtout vexatoires. Ceux qui frappaient les vassaux nobles étaient les droits de relief, quint et requint, en cas de mutation, et les droits de garde ou d'administration du fief pendant la minorité du vassal. La quotité de ces revenus féodaux variait à l'infini, suivant les coutumes locales ou les conventions.

Les revenus provenant de l'exercice de droits régaliens avaient un caractère tout différent : ils appartenaient au roi seul, qui les percevait dans tout le royaume, en vertu de règlements généraux et d'une manière uniforme. On peut les diviser en trois catégories : 

1° Les uns étaient d'anciens droits féodaux dont le roi s'était attribué la jouissance exclusive : ainsi le droit d'amortissement, payé à chaque acquisition par les églises, les communautés ecclésiastiques, les communes et les corporations laïques, pour tenir lieu des droits de mutation auxquelles elles échappaient en qualité de mainmortables (mandement de 1372); le droit de nouvel-acquêt de par les mêmes gens de mainmorte pour la possession des biens qu'ils acquéraient, jusqu'à ce qu'ils eussent amorti, et pour ceux dont ils n'avaient que l'usufruit (ordonn. de 1316); le droit de francs-fiefs que tout roturier, devenant acquéreur d'un fief, devait payer à titre d'indemnité pour l'abrégement de ce fief dont les services nobles n'étaient plus remplis (ordonn. de 1373); le droit de directe universelle, que payait tout possesseur de terre roturière ou de franc-alleu, qui voulait ériger ces terres en fief, sous là directe ou seigneurie du roi (déclar. de 1696, édits de 1702 et 1708) ; les droits sur les aubains et les bâtards (chevage, formariage, aubaine et bâtardise) que la royauté chercha à enlever aux seigneurs vers la fin du XIVe siècle, mais qu'elle ne réussit à s'attribuer d'une manière exclusive qu'au XVIe siècle ; les droits de déshérence et d'épaves (ordonn. de 1413); le droit de seigneuriage, prélèvement sur les matières d'or et d'argent qui servaient à la fabrication des monnaies royales (ordonn. de 1346 et 1361); le droit du 1/10 sur tous les métaux trouvés dans les mines, et le droit du 1/20 sur le marbre et la pierre de toutes les carrières du royaume (ordonn. de 1413). On peut y joindre la régale, c.-à-d. la jouissance des revenus de tous les évêchés pendant leur vacance; car c'était un droit d'origine féodale que la royauté avait revendiqué dès le temps des premiers Capétiens.

2° D'autres provenaient de l'exercice de la justice royale, qui s'étendait sur tout le royaume : c'étaient les amendes prononcées par les parlements, les présidiaux, les bailliages, sénéchaussées et autres justices royales; les confiscations ordonnées par les mêmes tribunaux; les droits de sceau payables pour tous jugements et actes émanés des chancelleries royales, ainsi que pour tous contrats et actes publics rédigés par les notaires et tabellions du roi (ordonn. de 1320 et 1595).

  3° D'autres enfin étaient des droits fiscaux établis par le roi, en vertu de sa souveraineté, pour la police générale de l'Etat : le droit d'anoblissement (1373) ; les droits payés par les aubains et les bâtards pour obtenir leur naturalité ou leur légitimation, et réglés d'une manière générale par l'ordonnance de 1697; le droit de marc d'or, payé au moment de la prestation de serment, par tout particulier qui obtenait du roi une grâce, une faveur, une commission ou une charge (édit de 1578); l'annuel des marchands perçu pour l'autorisation de tenir hôtellerie, taverne ou cabaret (édit de 1577); le prix de vente des offices, c.-à-d., dès le XIVe siècle, des greffes royaux, des charges de notaires et tabellions, des geôles et prisons, puis, au XVe et surtout à partir du XVIe siècle, de la plupart des offices de judicature, d'administration et de finances, des grades militaires, des charges de cour, etc.; le prix de vente des lettres de maîtrise, ressource fiscale employée de bonne heure par les rois et généralisée en 1581 par Henri III qui fit de l'autorisation de travailler un droit royal et domanial, et déclara l'achat de ces lettres obligatoire pour tous les chefs d'industrie en retour de la protection que leur accordait l'Etat; le droit d'ensaisinement, payé par tout détenteur de biens mouvants du roi en fief, roture on franche-bourgeoisie, à chaque mutation entre vifs ou par succession (édit de 1701) ; les droits perçus à l'occasion des formalités prescrites pour garantir l'authenticité des actes privés ou pour en assurer la publicité, c.-à-d.: le droit d'insinuation ou de centième denier (1%) pour la transcription sur les registres des greffes royaux, sous peine de nullité entre les parties comme à l'égard des tiers, des donations entre vifs, des contrats à titre onéreux et généralement de tous les actes de disposition entre vifs ou de dernière volonté (ordonn. de 1539 et 1553); le droit de contrôle pour l'enregistrement dans les greffes royaux, puis dans des bureaux spéciaux institués en 1693, des actes notariés (ordonn. de 1581), des actes sous seing privé (édits de 1696, 1699 et 1705) et des exploits d'huissiers ou de sergents (édits de 1654 et 1669), dont la teneur et la date ne devenaient certaines, à l'égard des tiers, que du jour où cette formalité avait été remplie; le droit de formule ou de timbre, établi en 1655 et 1673 sur tous les papiers et parchemins qui devaient servir à l'expédition des actes judiciaires, et le droit prélevé par le Trésor sur la taxe que percevaient les conservateurs des hypothèques pour l'enregistrement des inscriptions, oppositions et autres actes de leur compétence (édits de 1673); le prélèvement de 5% sur le capital des procès (1563), remplacé peu après par un prélèvement du cinquième sur les épices et vacations des magistrats des cours souveraines; les taxes sur les maisons de jeu, perçues en vertu d'édits du XVIe et du XVIIe siècle ; les droits sur les forges de fer (1543); le droit de marque sur les métaux (fer, acier, étain, or et argent; édits de 1672 et 1680); enfin le don de joyeux avènement, taxe payée au nouveau roi par tout sujet tenant de la couronne un privilège ou une charge, pour en obtenir la confirmation.

Si la division du domaine royal en domaine corporel et domaine incorporel est la plus importante, ce n'est pas la seule qu'il importe de mentionner. Les juristes avaient établi quelques autres distinctions doctrinales, qui n'avaient guère d'intérêt qu'au point de vue de l'aliénabilité (V. ci-dessous). Ainsi on distinguait le grand et le petit domaine : l'un comprenait « toutes les seigneuries ayant justice haute, moyenne ou basse, telles que villes, duchés, principautés, marquisats, comtés, vicomtés, baronnies, châtellenies, prévôtés, vigueries et autres, avec leurs mouvances, circonstances et dépendances »; l'autre, les immeubles détachés qui ne faisaient partie d'aucune seigneurie, c.-à-d. les moulins, fours, pressoirs, halles, maisons, boutiques, ponts, canaux, îles, marais, étangs, prés, landes, terres vaines et vagues, ainsi qu'un certain nombre de droits perçus pour les concessions dont ces immeubles étaient l'objet (édits de 1650, 1654, 1667, 1669, 1672, 1681, 1695 et 1708). On distinguait le domaine fixe et le domaine casuel; le premier composé des terres définitivement incorporées et des revenus réguliers; le second, des territoires conquis, des biens nouvellement échus par donation ou legs, déshérence, aubaine et bâtardise ou des droits éventuels, comme reliefs, rachats, lods et ventes, amendes, confiscations, etc. Le domaine fixe se subdivisait lui-même en immuable, dont le produit n'augmentait ni ne diminuait (cens et rentes) et en muable, dont le produit variait suivant les conditions du bail conclu avec les fermiers du domaine (greffes, sceaux, péages, etc.).

Enfin c'était une question discutée entre les anciens juristes, que celle de savoir si, parmi les biens du domaine royal, il y avait lieu de distinguer ceux qui appartenaient à la couronne et ceux qui formaient le patrimoine privé du prince. Cette distinction n'avait pas d'intérêt au point de vue du droit de propriété qui, pour chacun de ces domaines, appartenait également au roi; elle en avait au point de vue du droit d'aliénation, qui devait être plus large pour le domaine privé que pour le domaine de la couronne, et au point de vue de la gestion administrative, qui pouvait ne pas être la même pour ces deux catégories de terres. La question se posait à l'occasion des biens qui appartenaient au prince avant son avènement au trône ou qui lui advenaient éventuellement pendant son règne. Philippe le Long avait formellement déclaré en montant sur le trône, en 1316, que tous ses biens particuliers étaient de plein droit réunis à ceux de la couronne et soumis à la même administration. Mais Louis XII avait refusé d'incorporer au domaine les biens de la maison d'Orléans qui lui étaient personnels et qu'il donna en 1509 à sa fille Claude de France; Henri IV, en 1590, prétendit aussi conserver la propriété distincte de ses biens patrimoniaux, mais il y renonça devant la vive résistance du parlement (1607); et, dès lors, ce fut une maxime incontestée que les biens personnels du roi étaient de plein droit dévolus à la couronne le jour de son avènement et gérés par les agents du domaine. Toutefois, conformément à l'ordonnance de 1566, qui établit, comme on le verra plus loin, l'inaliénabilité du domaine, on distingua si ces biens personnels avaient été ou non incorporés d'une manière expresse : dans le premier bas, ils étaient immédiatement assimilés aux terres de la couronne; dans le second, ils restaient pendant dix ans séparés du domaine, en ce sens qu'ils continuaient durant cette période à être pleinement aliénables. La même distinction fut appliquée aux biens qui advenaient au roi pendant son règne par conquête, donation, déshérence, aubaine, épave (ce qu'on appelait le domaine casuel). C'est seulement dans ces cas exceptionnels et au point de vue de cette aliénabilité temporaire qu'il y avait lieu d'admettre, comme on le faisait habituellement, l'existence d'un domaine privé distinct du domaine de la couronne.

Administration du domaine. 
Pendant la période qui s'étend du XIVe au XVIIIe siècle, l'administration des biens royaux fut divisée en deux branches distinctes : celle du domaine proprement dit, et celle des eaux et forêts qui avait été enlevée aux agents du domaine, vers la fin du XIIIe siècle, pour être confiée à des fonctionnaires spéciaux.

a. Domaine proprement dit (corporel et incorporel).
Au début du XIVe siècle, les terres du roi, divisées en bailliages ou sénéchaussées et subdivisées en prévôtés ou bailles, étaient administrées par les baillis et les sénéchaux, qui réunissaient les pouvoirs d'intendants, de comptables et de juges, et avaient sous leurs ordres un certain nombre de prévôts ou de bailes, à qui étaient affermées toutes les parties du domaine. L'administration était centralisée par la chambre des comptes qui examinait la gestion de chaque bailli et sénéchal, et par le gardien du Trésor royal qui encaissait les recettes et effectuait les paiements. Ces rouages fort simples allèrent se compliquant et se perfectionnant à mesure que s'agrandissait le domaine royal et que les revenus domaniaux augmentaient. On peut distinguer, dans les transformation qu'ils subirent, deux grandes périodes : l'une qui va jusqu'au milieu du XVIe siècle et pendant laquelle l'administration du domaine reste séparée de l'administration des impôts; l'autre qui va de Henri Il à la fin de l'ancien régime et pendant laquelle ces deux services publics sont réunis entre les mains des mêmes fonctionnaires.

1° Du XIVe au milieu du XVIe siècle. - C'est d'abord l'administration centrale qui fut organisée par Philippe le Bel et ses fils. Les attributions de la chambre des comptes furent déterminées avec précision : non seulement elle reçut les comptes des baillis et les rapports des commissaires royaux chargés d'inspecter le domaine non seulement elle jugea « le contentieux incident à la ligne de compte », mais elle fut spécialement préposée à la régie et à la garde du domaine, préparant les ordonnances qui s'y rapportaient, enregistrant les actes domaniaux, révoquant les aliénations contraires à l'intérêt du roi, vérifiant l'évaluation des terres concédées en apanage ou délivrées en douaire, recevant les actes de foi et d'hommage des vassaux du roi, exerçant la juridiction des régales et des relations féodales de l'épiscopat avec le roi, veillant à la conservation des meubles et des joyaux de la couronne. Les trésoriers de France, qui avaient succédé vers 1308 à l'unique gardien du Trésor, furent non seulement chargés des recettes et des paiements, mais encore de contrôler et d'ordonner, d'accord avec la chambre des comptes où ils avaient leur entrée, tout ce qui concernait le domaine du roi.

Peu après, l'administration provinciale était modifiée par la séparation des pouvoirs qui se trouvaient jusque-là réunis entre les mains des baillis et des sénéchaux. On leur enleva d'abord le maniement des fonds pour le confier à des receveurs des droits royaux, qui furent institués en 1320 dans chaque bailliage et sénéchaussée, avec mission de recouvrer le produit des terres et des droits affermés aux prévôts et de faire sur place les payements autorisés, sous l'obligation de rendre compte au pouvoir central. Puis on enleva aux baillis une grande partie de leur juridiction pour en investir les trésoriers de France. Ceux-ci furent divisés par l'ordonnance de 1389 en trésoriers sur le fait des finances et trésoriers sur le fait de la justice; les premiers restèrent chargés de l'administration supérieure du domaine;  les seconds devinrent les juges du contentieux domanial et formèrent la chambre du Trésor réglementée par les édits de 1386,1390 et 1490. Cette chambre avait une juridiction exclusive à Paris et dans un certain ressort; ailleurs elle jugeait concurremment avec les baillis sur lesquels on lui reconnut un droit de prévention (ordonn. de 1539); un édit de 1543 étendit ses pouvoirs en lui attribuant juridiction exclusive dans dix bailliages. Mais la souveraineté de ses arrêts fut contestée par la chambre des comptes et surtout par le parlement de Paris, qui prétendit recevoir ses appels : François Ier admit cette prétention et créa au parlement une chambre du domaine pour juger en appel toutes les causes domaniales (1543). En somme, dès le XVe siècle, les baillis et sénéchaux avaient cessé d'être comptables; ils ne jugeaient plus qu'un petit nombre de procès domaniaux; ils n'avaient même pas gardé la plénitude de leurs pouvoirs administratifs, car les receveurs des droits royaux étaient subsidiairement autorisés par l'ordonnance de 1320 à passer les baux et à surveiller la gestion du domaine.

2° Du milieu du XVIe à la fin du XVIIIe siècle. - Le produit des impositions publiques, longtemps traité comme revenu extraordinaire, bien qu'il fournit au Trésor la plus grande partie de ses recettes, fut vers le milieu du XVIe siècle classé parmi les revenus ordinaires au même titre que les domaines; en conséquence, l'administration du domaine et celle de l'impôt furent réunies en un service unique, celui des finances du royaume. François Ier transforma les receveurs des droits royaux en receveurs généraux, chargés de percevoir à la fois les revenus du domaine et les impôts, dans les seize généralités auxquelles ils étaient préposés; Henri II adjoignit à chacun d'eux un trésorier, puis réunit ces deux fonctions entre les mains d'un seul fonctionnaire, le trésorier général des finances (1551); enfin Henri III y substitua, en 1577, dans chaque généralité, un bureau des finances composé de trois trésoriers généraux, principalement chargés du domaine, et de deux receveurs généraux, principalement chargés de l'impôt. Dès lors les bailliages et les sénéchaussées cessèrent d'être les cadres de l'administration domaniale : ce furent les généralités (au  nombre de trente-deux à la fin de l'Ancien régime) qui devinrent au point de vue du domaine, comme au point de vue de l'impôt, les circonscriptions essentielles; ce furent les receveurs et les trésoriers des bureaux de finances qui devinrent les principaux représentants de l'administration du domaine, surtout après que l'édit de 1627 eut définitivement attribué à ces derniers ce qui restait encore de pouvoir aux baillis et aux sénéchaux. La recette resta, en principe, distincte de la gestion et de la juridiction : une tentative faite par Colbert pour réunir ces attributions échoua complètement (1669-1673).

Voici donc comment était organisée, dans ses lignes générales, l'administration des domaines pendant les deux derniers siècles de la monarchie. Au point de vue de la recette et de la comptabilité, les receveurs généraux, assistés de collecteurs et de commis, centralisaient dans chaque généralité la plus grande partie des revenus du domaine et faisaient les paiements, suivant les états arrêtés au conseil du roi. Ils furent réorganisés, en 1685, sous le nom de receveurs généraux des domaines et des bois et joignirent à leurs autres recettes domaniales celles des eaux et forêts du roi. A côté de ces receveurs ordinaires, il y avait un certain nombre de receveurs spéciaux : pour les amendes prononcées au parlement de Paris au grand conseil, à la cour des aides, à celle des monnaies et dans quelques autres juridictions spéciales; pour les droits de chancellerie; pour les droits sur les monnaies et les droits sur les mines.

Au point de vue de la gestion, c'étaient les trésoriers généraux, placés depuis 1635 sous la haute direction de l'intendant de la généralité, qui faisaient les baux et les adjudications, qui avaient la police et l'inspection du domaine, qui examinaient en premier ressort les comptes des agents inférieurs. Ils perdirent, en 1669, le pouvoir de faire les baux, qui fut réservé par Colbert au conseil des finances assisté des intendants. Auprès des trésoriers étaient placés, depuis 1581, des contrôleurs généraux du domaine, chargés de la surveillance, et des conservateurs des fiefs et des domaines aliénés, chargés de rechercher et de vérifier les droits du roi; ces derniers fonctionnaires, plusieurs fois supprimés, furent rétablis en 1708 sous le nom d'inspecteurs-conservateurs généraux des domaines.

Au point de vue du contentieux domanial, c'étaient encore les trésoriers généraux, siégeant en chambre du domaine, sous la présidence de l'intendant, et assistés d'un avocat et d'un procureur du roi, qui formaient la juridiction ordinaire de première instance; dans la généralité de Paris, l'ancienne chambre du Trésor, qui exerçait cette juridiction depuis 1386, fut réunie, en 1693, au bureau des finances de cette ville. Les appels de ces tribunaux étaient portés devant les parlements. Par privilège spécial, le parlement de Paris connaissait en première instance, dans sa chambre du domaine, des droits des terres tenues en apanage et des exemptions de régale; dans sa grand-chambre, de toutes les causes domaniales qu'il plaisait au procureur général du roi d'y évoquer à cause de leur importance ou de la qualité des parties intéressées. Enfin, les conseils du roi jugeaient souvent aussi, par évocation, les mêmes causes; un inspecteur général du domaine, créé en 1717, avait mission de poursuivre et défendre les affaires domaniales portées devant ces conseils. Quant à la chambre des comptes de Paris, elle n'avait plus, depuis longtemps, d'attributions contentieuses, mais seulement des fonctions d'enregistrement, de vérification et de contrôle, qu'elle partageait avec les onze chambres des comptes créées dans les provinces.

Le mode de gestion habituellement employé peur les biens et les droits domaniaux, comme d'ailleurs pour la plupart des revenus publics, était la mise en ferme par voie d'adjudication. Cependant, quelques droits casuels furent pendant longtemps gardés en régie, c.-à-d. perçus directement par les officiers royaux; ainsi, les droits de francs-fiefs, d'amortissement et de nouvel-acquêt ne furent mis en ferme qu'en 1689; ceux de contrôle en 1693; ceux de formule en 1727. Au XIVe siècle, le domaine était encore affermé en détail, à un grand nombre de prévôts, et par une infinité de baux annuels qui ne concernaient souvent qu'une seule catégorie de revenus ou de taxes. Pour obtenir de meilleures conditions et surveiller lus facilement les recettes, on réunit plus tard dans le même bail tous les droits à percevoir dans la même prévôté ou même dans plusieurs prévôté ; on en vint ainsi peu à peu à faire pour tout le domaine, à partir de 1666, un seul bail général, ordinairement conclu pour six années. 

Les adjudications donnaient lieu à de fréquents abus auxquels bien des ministres, notamment Sully et Colbert, cherchèrent à porter remède. La plupart des fermiers traitaient avec des sous-fermiers, et le prix des sous-baux s'élevant à peu près au double des adjudications, l'Etat se trouvait lésé de tout le profit que faisaient les fermiers adjudicataires. Sully rapporta les sous-baux et les interdit à l'avenir; il remit en vigueur l'usage mal observé d'adjuger les fermes aux enchères publiques et la défense faite depuis longtemps aux officiers du roi et aux membres du conseil d'y avoir aucun intérêt. Colbert autorisa les sous-baux à la condition qu'ils fussent contrôlés par des commissaires royaux et régla définitivement, par l'ordonnance de 1681, les formes des adjudications. Le fermier, à qui était adjugée la ferme générale du domaine, était garanti par des cautions et ordinairement commandité par des associés; il s'engageait à verser au Trésor une somme fixe, à forfait (5,540,000 livres en 1682). Les sous-fermiers, par l'intermédiaire desquels il exploitait la ferme, faisaient les recouvrements au moyen d'une armée de commis, vérificateurs, contrôleurs ambulants, inspecteurs et directeurs, et versaient entre les mains des receveurs généraux du roi les sommes fixées par le bail; toutefois, ils ne recouvraient ainsi que les revenus fixes; les revenus casuels étaient directement perçus par les receveurs généraux ou spéciaux, à charge de remettre au fermier général, tous les mois, la part qui devait lui revenir. Le Trésor avait, pour la garantie de ses droits, un privilège spécial, au préjudice des autres créanciers, sur les biens meubles, deniers comptants, immeubles et offices des fermiers du domaine (édit de 1666). Ceux-ci pouvaient user de la contrainte par corps pour leurs recouvrements; avides de gros bénéfices, pressurant sans pitié les débiteurs du domaine, ils leur arrachaient souvent beaucoup plus qu'ils n'auraient dà régulièrement en retirer. 

En 1780, un arrêt du conseil modifia, pour les domaines comme pour les impôts indirects, le mode de perception. Il créa trois grandes compagnies ou administrations, dont l'une eut la régie des domaines et droits domaniaux; elle se composait de dix-neuf administrateurs, qui remplissaient le double office de fermiers du domaine et de receveurs généraux. En 1789, le nombre de ces administrateurs était de vingt-huit; la régie des domaines leur avait été confiée pour un bail de six ans commençant le 1er janvier 1787; ils donnaient un cautionnement de 1,200,000 livres et recevaient 45,000 livres de traitement; ils devaient faire rendre au domaine un revenu de 50 millions de livres, et au delà ils avaient droit à un tiers du bénéfice. C'est de cette organisation nouvelle, maintenue par la Révolution, que devait sortir les administrations de l'enregistrement, des domaines et du timbre formées après la Révolution.

b. Eaux et forêts. 
C'est dans les dernières années du XIIIe siècle que l'administration des eaux et forêts fut séparée de celle du domaine proprement dit. Cette séparation s'explique par les soins particuliers qu'exigeaient la garde et l'aménagement de cette partie du domaine, par l'importance des revenus forestiers et des droits de pêche, par le prix que les rois attachaient à la conservation des forêts en vue de la chasse qui était un de leurs plaisirs favoris. Philippe le Bel organisa, vers 1291, un service complet, ayant à sa tête des maîtres des eaux et forêts, et dans un rang inférieur des gruyers ou verdiers auxquels étaient subordonnés des sergents et des gardes : les attributions de ces fonctionnaires furent minutieusement réglées par les ordonnances de 1319 sur les forêts, et de 1326 sur la pêche. Philippe de Valois révisa toute la constitution de ce service (ordonn. de 1346) : il divisa le domaine en dix maîtrises; réserva aux maîtres le soin de faire les ventes de bois et d'affermer les étangs et les cours d'eau avec l'assistance des baillis; confia les recettes et les dépenses aux officiers inférieurs qui devaient compter devant les maîtres deux fois par an, et ceux-ci à leur tour devant la chambre des comptes (cf. ordonn. de 1319); enfin régla la juridiction forestière et fluviale, dont furent investis au premier degré les sergents et les verdiers (jusqu'à concurrence de 60 livres), au second degré les maîtres des eaux et forêts, sauf appel à la Table de marbre du Palais, nouvelle chambre spécialement créée au parlement de Paris. Cette organisation fut complétée en 1384 par l'institution d'un souverain maître, « inquisiteur général et réformateur des eaux et forêts », qui présidait la Table de marbre et avait la direction supérieure de l'administration.

A la fin du XIVe comme pendant le XVe et le XVIe siècle, les rois de France s'occupèrent fréquemment de renouveler et de compléter dans les moindres détails ces règlements administratifs (ordonn. de 1376, 1388, 1402, 1515, 1519, 1543, 1561 et 1583). L'époque des coupes, le mode de réserve, l'entretien des hautes futaies qui devaient occuper au moins le tiers des bois du domaine, les ventes aux enchères, l'exercice des droits de pacage et de ramage concédés aux particuliers dans les forêts domaniales furent déterminés avec soin; la police et la juridiction des officiers royaux furent étendues, malgré de vives réclamations, aux forêts et aux eaux seigneuriales, dont la conservation était réputée d'intérêt public, et par conséquent de droit royal.

D'autre part, l'organisation de la haute justice forestière fut complétée par la création de Tables de marbre dans les parlements provinciaux (Rouen, 1508, Toulouse, Bordeaux, Aix, Dijon, Grenoble, Rennes, 1554) : ces chambres, qui jugeaient en appel les causes portées devant les maîtrises de leur ressort, ne statuaient définitivement que sur les cas ordinaires; dans un certain nombre de cas exceptionnels, leurs sentences pouvaient être réformées par le parlement de Paris.

Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, le désordre pénétra dans l'administration des eaux et forêts, par suite de la multiplication des offices inutiles, des irrégularités de gestion, etc.; la charge de souverain maître fut partagée entre six, puis entre douze maîtres (1575, 1586). Sully rétablit l'unité de direction, en créant la charge de surintendant des eaux et forêts, et restaura l'ordre dans les services, en remboursant nombre d'offices et en remettant les règlements en vigueur. Colbert acheva la réforme il maintint la surintendance et réorganisa les maîtrises; dans chacune d'elles un grand maître nommait les officiers inférieurs et faisait des inspections annuelles dont il rendait compte au surintendant; au-dessous de lui, dans chaque siège, le nombre des officiers était réduit à cinq : maître particulier, lieutenant, procureur, garde-marteau et greffier; chaque forêt isolée était confiée à un gruyer. Les revenus des forêts et des eaux étaient versés dans les caisses des receveurs ordinaires du domaine, qui portaient depuis 1685 le titre de receveurs généraux des domaines et des bois. Enfin, par l'ordonnance générale des eaux et forêts (1669), Colbert condensa en un code unique tous les règlements administratifs qui concernaient cette partie du domaine. Après lui, il n'y eut que des modifications de détail : augmentation du nombre des maîtrises (seize en 1689, dix-huit en 1720), création, en 1704, dans quelques parlements, d'une chambre des eaux et forêts pour juger en appel les causes sur lesquelles les Tables de marbre statuaient jusque-là en dernier ressort, etc.

Aliénations du domaine; 
mesures législatives auxquelles ces aliénations donnèrent lieu. 
On a vu précédemment dans quelle large mesure les constitutions d'apanages, les ventes, donations et engagements de toutes sortes appauvrirent et diminuèrent le domaine du roi depuis le XIVe jusqu'au XVIIIe, siècle. Cependant le droit de disposer des terres et des droits qui formaient ce domaine fut limité pendant cette période par un grand nombre de mesures législatives, émanées tantôt de l'initiative du roi lui-même, tantôt de celle des Etats généraux. Mais ces mesures furent le plus souvent stériles : sans cesse renouvelées par raison, elles étaient sans cesse méconnues ou violées, tantôt par nécessité, tantôt par faiblesse ou par caprice. Il faut examiner séparément celles qui concernent les apanages et celles qui se rapportent aux autres aliénations.

a. Apanages. 
A la fin du XIIIe siècle les apanages territoriaux faisaient retour à la couronne dans deux cas : lorsque le prince apanagé devenait roi de France, et lorsqu'il mourait sans laisser d'héritier en ligne directe. La première de ces règles, formellement acceptée en 1316 par Philippe le Bel, mais plus tard méconnue par Louis XII et par Henri IV (V. ci-dessus), devint à partir du XVIIe siècle une maxime incontestée. La seconde fut rendue plus étroite par l'exclusion des filles : Philippe le Bel, dans son testament de 1311, exigea que les apanages constitués par lui fissent retour à la couronne, si l'apanagé mourait sans héritiers mâles. Cette clause ne devint une règle absolue que lorsqu'elle eut été consacrée par l'ordonnance de 1566 ; mais dès le XIVe siècle elle fut appliquée dans la généralité des cas. 

Les apanages princiers ne cessèrent jusqu'à la fin de l'Ancien régime d'être constitués en possessions territoriales. En vain Charles V, qui comprenait à quels dangers ce mode de dotation exposait la couronne, décida-t-il par l'ordonnance de 1374 que les apanages des fils et des filles de France ne consisteraient plus désormais en terres du domaine, mais en argent ou en revenus pris sur le Trésor : ces sages prescriptions ne furent que très rarement observées sous les règnes suivants.

Toutefois, il faut bien remarquer qu'un apanagiste était loin d'avoir, sur les terres du domaine royal qui lui étaient concédées, la plénitude des droits qui appartenaient au roi avant la concession. Les réserves habituellement insérées dans les constitutions d'apanages, les doctrines des légistes qui érigeaient en maximes juridiques les pratiques les plus favorables à la royauté, avaient restreint dans une large mesure le droit de propriété qui théoriquement appartenait à l'apanagiste, et l'avaient réduit en fait à n'être guère qu'un droit d'usufruit. L'apanagiste ne pouvait ni aliéner ni hypothéquer ses terres, qui devaient revenir au domaine telles qu'elles en étaient sorties; il n'avait même pas d'ordinaire l'entière jouissance des droits utiles qui y étaient attachés : car, à moins d'avoir été concédé par une clause expresse, l'exercice des droits royaux les plus importants (nomination aux évêchés, aux présidiaux, aux offices de finance) était retenu par le roi. Il ne restait en somme à l'apanagiste que la nomination aux bailliages et aux offices subalternes, le patronage et la collation des bénéfices, la droit de rendre la justice en son propre nom, de percevoir les revenus du domaine, d'acquérir par commise, retrait féodal ou extinction de la famille du vassal, les arrière-fiefs placés en sa mouvance, de jouir des profits casuels, tels que déshérence, aubaine, confiscation, trésors et épaves. En retour, il devait supporter les charges de la jouissance : paiements des fiefs, aumônes et autres obligations qui grevaient le domaine, entretien des fondations pieuses, des maisons, châteaux et forteresses, etc.

b. Aliénations.
La conservation du domaine royal était moins compromise par les constitutions d'apanages que par les aliénations proprement dites, ventes, donations, engagements, que les rois se laissaient entraîner à consentir en faveur de leurs grands dignitaires, de leurs favoris, de simples particuliers, ou par lesquels ils cherchaient à répandre leur influence et à s'assurer des alliances au dehors. De toutes les ressources extraordinaires auxquelles la royauté pouvait recourir, c'était la plus facile et la plus dangereuse. Chacune de ces aliénations n'était pas considérable en elle-même et coûtait moins au domaine que la dotation immobilière d'un prince de sang royal; mais elles sa renouvelaient sans cesse et leur nombre était illimité. Il faut y joindre les usurpations de fait dont les terres ou les droits du domaine étaient souvent l'objet, soit par la négligence, soit par la connivence des officiers royaux. Les rois de France se préoccupèrent de bonne heure de l'appauvrissement qui résultait pour leur Trésor de ces aliénations multipliées; pour y mettre des limites, ils rendirent une série d'ordonnances et de règlements, dont le nombre même prouve le peu d'efficacité. Ces actes législatifs n'eurent pas toutes le même caractère : tantôt ce furent des mesures de circonstance, concernant certaines catégories d'aliénations, pour les révoquer dans le passé ou pour les interdire dans l'avenir; tantôt ce furent des ordonnances de principe, ayant une portée générale, et érigeant en règle de droit public l'indisponibilité du domaine royal. A cet égard, on peut distinguer trois périodes :

Première période. - Du XIVe au milieu du XVIe siècle, la royauté, sans poser de principe général, procède par mesures de circonstance, soit sur l'avis de ses légistes, soit à la requête des Etats généraux, soit de sa propre initiative, pour réparer des imprudences passées ou pour se prémunir contre sa propre faiblesse. Ainsi, en 1318, Philippe le Long ordonne la revision de toutes les aliénations domaniales faites depuis saint Louis; en 1322, Charles la Bel révoque la plupart de ces aliénations, et, en cas de fraude démontrée, oblige les détenteurs à restituer les fruits perçus. En 1344, Philippe VI interdit les « rentes par assiette de terre », c.-à-d. les concessions de domaines qui étaient faites à titre de payement, pour acquitter des engagements du Trésor, et qui donnaient lieu, par suite d'évaluations exagérées, à d'énormes abus. Quand les Etats généraux intervinrent, au milieu du XIVe siècle, dans l'administration financière; les ordonnances de 1357 et de 1358, rendues sur leur demande, confirmées en 1360 et renouvelées en 1364 et 1378, réunirent à la couronne tous les domaines qui depuis Philippe le Bel en avaient été séparés, soit par donations excessives, soit par ventes ou échanges entachés de fraude : on n'exceptait que les dons faits à l'Eglise, les apanages et les douaires. Les aliénations recommencèrent aux époques de détresse financière, pendant les guerres anglaises, puis sous Louis XII et François Ier; mais dès que les temps devenaient plus favorables, on rendait des édits et l'on nommait des commissions pour faire rentrer les biens on les droits aliénés dans le domaine (ordonn. de 1388, 1400, 1413, 1436, 1456, 1461, 1483, 1498, 1517, 1521, 1529, 1539, 1552, 1559). Ces révocations, qui ne s'opéraient presque jamais que par des mesures plus ou moins violentes, enlevaient aux acquéreurs toute sécurité, compromettaient les aliénations à venir et en rendaient nécessairement les conditions onéreuses. A chaque nouvelle vente, il fallait inspirer confiance aux acheteurs par des promesses qui ne tardaient pas à être violées comme les précédentes.

Deuxième période. - Au milieu du XVIe siècle, par deux ordonnances célèbres de 1539 et de 1566, la royauté proclama et définit d'une manière précise la règle de l'indisponibilité du domaine, qu'elle empruntait au droit romain. L'ordonnance de 1539, rendue par François ler, déclara le domaine inaliénable et imprescriptible, et frappa ainsi de nullité tous les actes de disposition ou d'usurpation dont il pouvait être l'objet. L'ordonnance de Moulins, rendue sous Charles IX, en février 1566, dans une assemblée de notables et de grands du royaume, sous l'inspiration du chancelier de L'Hospital, et enregistrée au parlement de Paris le 13 mai de la même année, régla d'une manière définitive l'application de ces deux règles, en vingt et un articles dont les dispositions restèrent en vigueur, sauf quelques modifications de détail, ,Jusqu'en 1789 (édits et ordonn. de 1579, 1607, 1611, 1667, 1672; arrêt du conseil du 14 janvier 1781). 

Le texte de cette ordonnance, complété par la jurisprudence des parlements qui saisissaient volontiers toute occasion d'appliquer une loi restrictive du pouvoir royal, et par les commentaires des jurisconsultes les plus versés dans les questions domaniales (Choppin, Dumoalin, Bacquet, Loyseau, Lefebvre de La Planche), donna naissance à tout un corps de doctrine, dont voici le résumé. 

Le domaine royal, que l'on déclarait inaliénable, était défini par l'article 2 de l'ordonnance : 

« celui qui est expressément consacré, uni et incorporé à la couronne, ou qui a été tenu et administré par les receveurs et officiers royaux par l'espace de dix ans et est entré en ligne de compte ».
Par conséquent, les biens personnels que le roi avait apportés à son avènement au trône (domaine privé) et ceux qui lui advenaient pendant son règne, par conquête, donation, déshérence, aubaine, épave (domaine casuel), demeuraient aliénables pendant les dix premières années de leur réunion à la couronne, à moins qu'une clause expresse ne les eût immédiatement incorporés au domaine. On considérait également comme aliénables, parce qu'il était de meilleure administration d'en faire argent que de les conserver, les terres vaines et vagues (ordonn. de 1566), les biens du petit domaine, parcelles isolées qui ne constituaient pas un corps de seigneurie (édits de 1672, 1708 et 1711), et les meubles de la couronne. Enfin la plupart des offices de judicature, de finances et autres, faisant partie du domaine incorporel, avaient été déclarés vénaux par des édits ou des règlements spéciaux. Tout le reste du domaine, terres ou droits incorporels, était, en règle générale, indisponible : on n'en pouvait aliéner ni la propriété, ni l'usufruit, c.-à-d. les revenus réguliers et périodiques; mais la jurisprudence admettait l'aliénation des droits casuels attachés au domaine (aubaine, bâtardise, déshérence, épaves et trésors, régales, amendes et confiscations). La prohibition d'aliéner s'appliquait, suivant les juristes, non seulement au cas de
vente ou de donation, mais au cas d'inféodation, de bail à cens perpétuel, d'engagement consenti en payement de dettes antérieures; quant aux échanges, ils étaient valables à moins qu'il n'y eût fraude ou lésion énorme (édit de 1667).

La règle de l'indisponibilité souffrait exception dans trois cas légalement prévus par les ordonnances de 1566 et de 1667 : en cas d'apanage ou de douaire princier; quand il s'agissait d'aliénation faite au profit de l'Église et quand il y avait nécessité de guerre. Mais dans ce dernier cas, l'aliénation était entourée de certaines formalités elle devait être autorisée par lettres patentes soumises au parlement, qui examinait s'il y avait nécessité réelle et si les conditions étaient sérieuses, et qui pouvait refuser l'enregistrement; elle devait se faire par adjudication au plus offrant, qui avait lieu-devant les commissaires pris d'abord dans le parlement et la chambre des comptes, plus tard parmi les conseillers d'Etat et les intendants des finances. En outre, l'aliénation n'était pas absolue et irrévocable : elle était tacitement faite à réméré, c.-à-d. avec faculté de rachat. Le roi pouvait donc toujours reprendre le bien vendu en restituant le prix, et comme, en droit, sa situation était analogue à celle d'un débiteur qui aurait constitué un gage et qui pourrait toujours le retirer en remboursant la somme due, on assimilait les ventes du domaine à des engagements et les acquéreurs à des engagistes. Ceux-ci ne succédaient pas à tous les droits qui appartenaient au roi sur le domaine aliéné, mais seulement aux cens, rentes, loyers, fermes et droits casuels, ainsi qu'aux droits de nommer aux offices inférieurs; le roi retenait ce qu'on appelait vaguement les cas royaux, c.-à-d. le droit de recevoir les hommages des vassaux dépendant de la terre engagée, la nomination aux offices les plus élevés, les droits de haute justice et de patronage, la disposition des bois de haute futaie. Enfin les engagistes étaient soumis à certaines charges; ils devaient dresser devant les procureurs du roi un procès-verbal de l'état des lieux et des revenus et faire les réparations de toute nature. 

L'imprescriptibilité du domaine était moins nettement définie que l'inaliénabilité, par les ordonnances de 1539 et de 1566 : aussi les jurisconsultes n'étaient-ils pas d'accord sur l'étendue de cette seconde règle. La plupart soutenaient qu'il fallait distinguer: les droits de souveraineté, absolument imprescriptibles; les terres et droits domaniaux définitivement incorporés, qui se prescrivaient par cent ans; les terres et droits annexés depuis moins de dix ans et les biens casuels, qui se prescrivaient par trente ans. L'ordonnance de 1667 mit fin aux controverses en décidant que le domaine était absolument imprescriptible dans tous les cas où il était inaliénable, prescriptible par trente ans, dans les cas où il était aliénable.

Troisième période. - Les ordonnances du XVIe siècle n'opposèrent qu'une faible barrière aux aliénations du domaine : car la royauté élargit à son gré les cas exceptionnels dans lesquels la vente de ces biens était autorisée, souvent même elle viola ouvertement les dispositions restrictives de la loi. Aussi, dès la fin du XVIe siècle et pendant les deux siècles suivants, le nombre des engagements domaniaux fut-il excessif. Les ministres qui, pendant cette période, cherchèrent à remettre de l'ordre dans les finances de l'Etat, notamment Sully et Colbert, voulurent opérer sur une large échelle le rachat des aliénations légalement ou irrégulièrement consenties. Par des remboursements, par des vérifications de contrats dont un grand nombre furent déclarés nuls, résiliés pour fraude, on renouvelés à des conditions moins onéreuses, Sully fit rentrer dans le domaine, avant 1609, la valeur de 80 millions en terres et droits domaniaux; nombre d'offices, dont le multiplication et la vente avaient pris des proportions scandaleuses, furent rachetés; d'autres rendus héréditaires à charge pour le titulaire de payer au roi, chaque année, le soixantième du prix d'achat (Paulette, 1604). Mais ces opérations, interrompues après la retraite de Sully, ne furent pas continuées malgré les instances des Etats de 1614, et sous Louis XIII, pendant la minorité de Louis XIV, on recourut de nouveau aux aliénations pour remplir le Trésor public. Colbert reprit l'oeuvre de Sully et annonça en 1667 l'intention de racheter successivement tous les domaines engagés, pour rétablir dans son intégrité le patrimoine royal, en augmenter le revenu, et diminuer d'autant les impôts : il régla avec soin les conditions du rachat pour chaque catégorie de biens. Mais les besoins de la guerre et quelquefois le crédit des détenteurs l'empêchèrent d'exécuter son plan. Après lui, les aliénations de terres et les ventes d'offices continuèrent de plus belle : des surcroîts de prix an des taxes nouvelles furent imposés aux anciens détenteurs du domaine, dont le titre se trouva ainsi ratifié.

Ce n'est qu'en 1714 que l'administration reprit avec quelque suite la révision des contrats et le rachat des domaines : mais ses efforts furent impuissants à cause de l'étendue du mal et de la ténacité des abus.

L'oeuvre de la Révolution

En 1789, quand le pouvoir passa des mains du roi dans celles de la nation, la législation qui avait établi l'indisponibilité du domaine royal fut profondément modifiée. L'Assemblée constituante distingua, parmi les biens de ce domaine, ceux qui par leur nature ou leur destination servaient à l'usage de tous (fleuves, routes, ports, etc.), ou qui formaient une partie essentielle de la puissance publique (droits régaliens), elle les proclama inaliénables et imprescriptibles sous la dénomination nouvelle de domaine publia de l'Etat ou domaine national. Quant aux terres et aux droits royaux qui n'avaient pas ce caractère, elle les considéra comme formant le domaine privé de l'État et, à ce titre, comme aliénables et prescriptibles, suivant la loi commune à toutes les propriétés privées. Toutefois, respectant les actes accomplis sous le régime des lois anciennes, elle se regarda comme liée par les ordonnances royales du XVIe siècle qui avaient appliqué à cette partie du domaine aussi bien qu'à l'autre la règle de l'indisponibilité. 
En conséquence, toutes les aliénations antérieures à l'ordonnance de 1566 furent tenues pour valables et irrévocables à moins qu'une clause de retour y eût été insérée; toutes celles qui avaient eu lieu depuis cette époque, en violation de l'ordonnance. furent révoquées, sans égard pour les clauses qui y étaient insérées ou les formes dont elles étaient revêtues. Mais une compensation fut accordée, dans les cas où l'équité l'exigeait, aux détenteurs des biens ainsi réintégrés dans le domaine : les engagistes furent remboursés des sommes qu'ils avaient réellement versées au Trésor public; les apanagistes reçurent des rentes sur l'Etat en échange des terres dont ils étaient dépossédés (lois des 22 novembre - 1er décembre 1790).

Après avoir légalement réuni aux biens susceptibles d'appropriation privée qui composaient réellement le domaine de la couronne en 1789, ceux qui en étaient indûment sortis depuis le XVIe siècle, l'Assemblée constituante en ordonna l'aliénation en même temps que celle des biens du clergé, sous le nom commun de biens nationaux. En prenant cette mesure, elle n'avait pas seulement pour but de combler le déficit des finances publiques; elle s'inspirait surtout de cette idée économique qu'il n'est pas bon que l'Etat possède longtemps de simples propriétés foncières; car elles sont frappées en ses mains, comme en celles de toute autre personne morale, de stérilité relative, et ne deviennent pleinement productives que lorsqu'elles sont livrées par des aliénations aux efforts de l'activité individuelle. Toutefois, l'Assemblée excepta de la mise en vente les grandes forêts domaniales, dont la conservation intéressait à la fois la richesse et la sûreté nationales, et un certain nombre d'immeubles (palais, châteaux, propriétés de rapport), dont la jouissance devait former, avec une liste civile de 25 millions pris sur le Trésor, la dotation personnelle et viagère du chef de l'Etat. (Ch. Mortet)..


 
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