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L'invention de l'imprimerie
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Coster et la piste hollandaise

Les renseignements réunis sur Gutenberg ne sont pas aussi nombreux et aussi explicites qu'on le souhaiterait ; ils sont tout au moins tirés de documents dont l'authenticité est incontestable. Ceux qu'on a sur Coster sont puisés à une source unique et de second ordre, qu'on ne peut contrôler et dont on ne saurait accepter, par suite, le témoignage sans de sérieuses réserves. Tout ce qu'on sait, en effet, de celui que beaucoup d'auteurs n'ont pas craint d'appeler l'inventeur de l'imprimerie, est tiré d'un ouvrage d'Adrien de Jonghe (Junius), intitulé Batavia et publié à Leyde, en 1588, in-4. Cet ouvrage a été composé, de 1565 à 1569, sur la demande des États de Hollande, mais il n'a été imprimé qu'après la mort de son auteur, survenue le 10 juin 1575. Le passage relatif à Coster est dans le chapitre XVII. Il est trop long pour que nous puissions le reproduire ici dans son entier : il nous suffira d'en donner les parties essentielles, d'après la traduction qui en a été faite par A. Bernard :

 « Il y a cent vingt-huit ans demeurait à Haarlem un nommé Laurent, [fils de] Jean, surnommé sacristain ou marguillier [koster], de la charge lucrative et honorable que sa famille, très connue sous ce nom, possédait alors par droit d'héritage; c'est celui-là même qui, ayant mérité une gloire supérieure à celle de tous les conquérants, peut revendiquer à juste titre l'honneur de l'invention de l'art typographique, honneur usurpé aujourd'hui par d'autres. Se promenant un jour dans le bois voisin de la ville, Laurent se prit à façonner des écorces de hêtre en forme de lettres, desquelles, en les renversant et imprimant successivement une à une sur une feuille de papier, il obtint, en s'amusant, des versets [ou petites sentences] destinés à servir d'exemple à ses petits-fils.

Cela ayant heureusement réussi, il se mit, en homme ingénieux et habile qu'il était, à méditer dans son esprit quelque chose de plus sérieux. Et d'abord, aidé de son gendre Thomas, [fils de] Pierre, il imagina une sorte d'encre plus visqueuse et plus tenace que l'encre ordinaire, parce qu'il avait éprouvé que celle-ci s'étendait trop, et c'est par son moyen qu'il reproduisit des planches gravées avec figures, auxquelles il ajouta des caractères. J'ai vu en ce genre un livret, premier et grossier essai de ses travaux, imprimé par lui d'un côté seulement et non sur le verso; c'était un livre composé dans la langue du pays par un auteur anonyme et ayant pour titre : Miroir de notre salut. On remarquait, dans ce premier produit d'un art encore au berceau, que les pages opposées étaient réunies dos à dos avec de la colle, pour que les côtés vides n'apparussent pas comme une difformité. Plus tard, il employa pour ses caractères du plomb au lieu de hêtre; puis il les fit en étain pour que la matière fût moins flexible, plus solide et plus durable. 

Le goût du public étant naturellement favorable à l'invention, l'amour de Laurent pour son art s'en accrut, et aussi le besoin d'étendre ses travaux. Il joignit, à cet effet, aux membres de sa famille des ouvriers étrangers, ce qui fut l'origine du mal. Parmi ces aides se trouvait un nommé Jean, soit qu'il fût, comme je le soupçonne [Jean] Faust [Fust] au surnom de mauvais augure, infidèle et funeste à son maître, soit que ce fût un autre du même nom. Dès que ce Jean, initié sous la foi du serment aux travaux typographiques, se vit assez habile dans l'assemblage des lettres, dans les procédés de la fonte des caractères et dans les autres parties de l'art [il résolut d'en tirer parti pour lui-même]. Saisissant l'occasion on ne peut plus propice de la nuit de Noël, il s'introduit dans le magasin des types, qu'il fouille tout entier, fait un paquet de ce qu'il y a de plus précieux parmi les instruments inventés avec tant d'art par son maître et, chargé de son larcin, il s'enfuit de la maison. Il gagna d'abord Amsterdam, ensuite Cologne, et de là se rendit à Mayence. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce fut un an environ après le vol, vers l'année 1442, que parurent, avec les types mêmes qu'avait employés Laurent de Haarlem, le Doctrinale d'Alexandre Gallus et les traités de Pierre d'Espagne. »

La question des origines de l'imprimerie serait résolue si l'on pouvait accepter les principaux détails de ce témoignage. Il n'en est malheureusement pas ainsi. On a fait au récit de Junius de sérieuses objections. D'abord on s'est étonné, et à juste titre, d'une réclamation si tardive. On s'est moins préoccupé, il est vrai, au XVIe siècle qu'on ne le fait depuis, de savoir à qui revenait le mérite d'une si belle découverte, mais il n'en est pas moins très surprenant de voir prononcer, pour la première fois, le nom de cet heureux inventeur cent vingt-huit ans après sa mort. Les recherches auxquelles on s'est livré dans les archives de Haarlem n'ont pas donné de résultat. On a relevé dans des comptes des mentions relatives à des personnages du nom de Laurent Janssoon ou fils de Jean, mais aucune des identifications qu'on a proposées ne paraît acceptable. Tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'il a réellement existé, dans cette ville, une ou plusieurs familles du nom de Coster. On a dit, de plus, qu'il était difficile d'admettre que Jean, le voleur, ait pu, pendant une messe de Noël, désorganiser complètement une imprimerie, mais peut-être ne faut-il entendre par les mots instrumentorum suppellectilem, employés par Junius, qu'un choix d'outils portatifs. Il est ensuite peu croyable qu'un pareil vol n'ait donné lieu ni à une plainte, ni à des poursuites, alors qu'on savait où s'était réfugié le voleur. Or, à partir de 1439, la Hollande a joui d'une grande tranquillité et on aurait conservé des traces d'un pareil procès, s'il avait jamais été fait. Certains bibliographes ont, en outre, rejeté toute la partie de la déclaration de Junius relative à l'impression à Mayence, en 1442, avec les types volés à Coster, d'un Doctrinale d'Alexandre de Villedieu, mais A. Bernard a fait remarquer qu'on avait trouvé de nombreux fragments d'une édition de ce Doctrinale, dont les caractères présentaient une ressemblance frappante avec ceux du Speculum. Enfin, ce que rapporte Jacques Wimpfeling, dans son Catalogus episcoporum Argentinensium, des recherches faites à Mayence par plusieurs personnes, au moment de l'arrivée de Gutenberg, vers 1445, peut bien s'appliquer à cet ouvrier infidèle :
Cum is Moguntiam descenderet, ad alios quosdam in hac arte similiter laborantes [...] ea ars completa et consumata fuit.
Les découvertes de Coster se placent entre 1426 et 1440. Son heureuse promenade ne peut être, en effet, postérieure à 1426, parce que le bois dans lequel le hasard l'a si bien servi fut détruit à cette date, et on sait que l'année 1440 est donnée par conjecture, d'après le récit de Junius, comme celle de sa mort. Ces conclusions sont indirectement appuyées par les témoignages en faveur de la Hollande dont nous parlerons plus loin. Toutefois, rien de ce qu'on a pu dire en leur faveur n'est de nature à produire une conviction scientifique.

Avignon, l'outsider

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'étude des origines de l'imprimerie pouvait se limiter à l'examen des prétentions respectives de Coster et de Gutenberg, ou des villes de Haarlem, de Strasbourg et de Mayence. Les contrats découverts à Avignon, en 1890, par l'abbé Requin, dans des minutes de notaires, apportèrent des éléments supplémentaires au problème, sans en donner d'ailleurs la solution. Ces contrats nous apprennent qu'un orfèvre de Prague, Procope Waldfoghel, établi à Avignon, dès le début de l'année 1444, enseigna à un ,juif de la ville, Davin de Caderousse, l'art d'écrire artificiellement. Ce juif se proposait, semble-t-il, de faire servir cet art nouveau à la vulgarisation des livres hébraïques. En effet, deux ans après, le 10 mars 1446, Waldfoghel s'engage à lui fournir un outillage complet : 

Promisit et convenit eidem judeo ipsi facere, et factas reddere, et restituere viginti septem litteras ebraycas, formatas, scisas in ferro [...] una cum ingeniis de fuste, de stagno et de ferro. 
Le 26 du même mois, il lui remet tout ce qui était nécessaire pour la reproduction
de textes latins : 
Omnia artificia, ingenia et instrumenta ad scribendum artificialiter in litera latina.
Dans un acte passé avec un autre associé, le 4 juillet 1444, Procope donne des renseignements encore plus précis; il reconnaît avoir chez lui 2 alphabets en acier, 2 formes en fer, 1 vis en acier, 48 formes en étain et diverses autres formes propres à l'art d'écrire artificiellement : 
Duo abecedaria calibis et duas formas ferreas, unum instrumentum calibis, vocatum vitis, quadraginta octo formas stangni, necnon diversas alias formas ad artem scribendi pertinentes.
Procope n'ayant pas, en effet, des ressources suffisantes pour exploiter seul l'industrie de l'écriture artificielle, avait dû chercher des bailleurs de fonds. Il en avait trouvé plusieurs, mais, soit défaut d'entente, soit manque d'argent, les sociétés qu'il avait formées ne semblent pas avoir prospéré. L'abbé Requin n'a pas rencontré sur lui de pièce postérieure à celle de 1446. On n'a, en outre, signalé aucun spécimen de ses productions, à supposer toutefois qu'il soit arrivé à des résultats.

Les expressions employées dans ces contrats sont trop explicites et trop claires pour qu'on puisse avoir des doutes sur leur signification. L'art d'écrire artificiellement, dont il est parlé, est bien certainement l'art de l'imprimerie. On doit même reconnaître que l'outillage employé par Waldfoghel, en 1444, est de beaucoup plus perfectionné que celui dont les termes du procès de 1439 permettent d'affirmer l'existence chez  Gutenberg. Il ne faudrait pas en conclure pour cela que cet orfèvre de Prague ait passé par Strasbourg, en venant en Avignon, et y ait surpris le secret de l'art qu'il devait ensuite chercher à exploiter. Rien n'autorise une pareille supposition. Il ne nous semble pas, d'un autre côté, qu'on puisse le proclamer l'inventeur de l'imprimerie. Avant d'en arriver aux conclusions qui nous paraissent se dégager des faits que nous venons d'exposer, il convient d'interroger la tradition et de savoir quel est celui de ces inventeurs que désignent les meilleurs témoignages.

Dans la balance

On ne cite qu'un seul témoignage en faveur de Coster, celui de Junius, mais on en possède plusieurs en faveur de la Hollande. Ce sont ces témoignages généraux qui nous paraissent corroborer le récit de Junius. Ils permettent, tout au moins, de conclure que si l'histoire de Coster n'est pas vraie dans tous ses détails, elle contient pourtant une part de vérité. Si elle est le résultat d'une légende, comme on l'a souvent dit, cette légende a eu, comme point de départ, un fait historique.

Le premier et peut-être le plus important de ces témoignages est celui de la Chronique de Cologne, imprimée en 1499. L'auteur anonyme de cette chronique dit expressément, en se réclamant de l'autorité d'Ulric Zell, que les premiers essais d'imprimerie furent tentés en Hollande

« Quoique l'art, tel qu'on le pratique actuellement, ait été trouvé à Mayence, cependant la première idée vient de la Hollande et des Donats qu'on imprimait dans ce pays auparavant. De ces Donats date donc le commencement de cet art. » 
Mariangelo Accurse reconnaît aussi à la Hollande le rôle d'initiatrice. Il avait écrit, en effet, sur un exemplaire d'un Donat, qui tomba ensuite entre les mains d'Alde le Jeune, la note suivante : 
Impressus autem est hic Donatus [...] anno 1450. Admonitus certe fuit ex Donato Hollandiae, prius impresso in tabula incisa. 
Jean van Zuyren, bourgmestre de Haarlem, revendique naturellement pour son pays, dans un Dialogus de prima artis typographicae invention, écrit au plus tard en 1561, l'honneur d'avoir posé les premiers fondements de l'édifice nouveau, 
« fondements grossiers sans doute, mais cependant les premiers... rudia fortasse sed tamen prima ».
Il ne manque pas, néanmoins, d'ajouter que le mérite d'avoir perfectionné et vulgarisé cet art revient à Mayence :
 Nihil tamen Moguntiensi quicquam reipublicae unquam detractum volo.
Coornhert déclare, dans la dédicace de sa traduction hollandaise des Offices de Cicéron, imprimée à Haarlem en 1563, 
« qu'il a entendu dire que l'art de la typographie avait été d'abord découvert dans la ville de Haarlem, bien que d'une façon tout à fait grossière, mais que cet art, ayant été transporté à Mayence par un valet infidèle, y fut rapidement amélioré ». 
Louis Guicciardini se fait l'écho de cette tradition dans sa Descrizione di tutti i Paesi Bassi, publiée à Anvers en 1567, mais il ajoute qu'il ne veut pas se constituer juge de ce qu'il y a de vrai. Des passages plus ou moins affirmatifs qu'il est inutile de rapporter ont encore été signalés dans les ouvrages de Georges Broya (Braunius), Civitates orbis terrarum (Cologne, 1570-88, in-fol.); d'Abraham Ortelius, Theatrum orbis terrarum (Anvers, 1570, in-fol.); de Michel von Eytzing ou Eytzinger, Leo Belgicus (Cologne, 1583, in-fol.); de Mathias Quad (Quadus), etc. A ces témoignages, il faut en joindre un dernier dont l'autorité nous paraît très grande. Il se trouve dans les Mémoriaux de Jean Le Robert, abbé de Saint-Aubert de Cambrai, qui sont aujourd'hui conservés aux archives du département du Nord, à Lille. On y lit, en effet, les deux passages suivants :
« Item, pour 1 Doctrinal getté en molle (c.-à-d. imprimé) anvoiet querre à Bruge par Marquet, 1 escripvain de Vallenciennes, ou mois de jenvier XLV (1446, n. s.) pour Jaquet, xx s. t. S'en heult Sandrins 1 pareil que l'église paiia... Item, envoiet Arras 1 Doctrinal pour apprendre ledit d. Girard, qui fu accatez a Vallenciennes, et estoit jettez en molle, et cousta XXVIII gr. Se me renvoia led. Doctrinal, le jour de Toussaint l'an LI, disans qu'il ne falloit rien et estoit tout faulx. S'en avoit accaté 1, XX pattars, en papier.-»
Or, comme l'expression « getté en molle » est constamment employée dans les documents du XVe siècle pour désigner un ouvrage imprimé avec des caractères mobiles, on doit conclure de ces deux passages que des livres imprimés sur vélin et sur papier étaient vendus dans les Flandres en 1445-46, c.-à-d. à une date où les ateliers de Mayence n'avaient encore rien produit. Et, à qui attribuer ces oeuvres, sinon à des Hollandais? Nous verrons plus loin dans quelle mesure l'examen des premières productions typographiques de la Hollande confirme cette conclusion. Passons, en attendant, aux témoignages en faveur de Gutenberg.

Le premier de ces témoignages remonte à 1468. Il émane de Pierre Schoiffer, le gendre de Fust et le continuateur de ses travaux. Dans une pièce de vers, placée par lui à la fin de son édition des Institutes de Justinien, Gutenberg (car il semble bien être l'un des deux Jean dont il est parlé) et Jean Fust sont proclamés les premiers typographes du monde. On voit que Schoiffer, mû par une reconnaissance excessive ou par un sentiment de vanité bien banale, veut faire partager à son beau-père la gloire de l'invention de l'imprimerie. Quatre ans après, en 1472, on rencontre un témoignage dont le sens n'est plus douteux et dont l'autorité n'est pas moins considérable. C'est celui des premiers imprimeurs. de Paris : Ulric Gering, Michel Friburger et Martin Krantz. Il est indirectement rapporté par Guillaume Fichet, dans une lettre écrite par lui le 1er janvier 1472, à Robert Gaguin. Une reproduction héliographique de cette lettre a été publiée, en 1889, par L. Delisle, d'après l'exemplaire unique conservé à la bibliothèque de l'université de Bâle. L'illustre Savoisien déclare avoir entendu dire (et de qui l'aurait-il entendu, sinon de la bouche de ceux qu'il avait appelés) que l'inventeur de l'imprimerie était un certain Jean surnommé Gutenberg :
Ferunt enim, illic, haud procul a civitate Maguncia, Joannem quemdam fuisse, cui cognomen Bonemontano, qui primus olim impressoriam artem excogitaverit.
Or, Martin Krantz passe pour être un parent de Pierre Krantz qui figure comme témoin dans le procès de 1455. Et on sait, d'un autre côté, que Michel Friburger et Ulric Gering étudiaient à Bâle, en 1461, à la veille du siège de Mayence. Ils devaient être, par suite, bien renseignés. Le passage de la Chronique des souverains pontifes de Ph. de Lignamine, imprimée en 1473, dont il a été question plus haut, ne saurait être invoqué, quoi qu'on en ait dit, pour la question d'origine. II faut descendre jusqu'en 1483, pour trouver un autre témoignage explicite en faveur de Gutenberg. Mathias Palmerius déclare dans sa continuation de la Chronique d'Eusèbe, publiée cette année-là à Venise, que l'art d'imprimer des livres fut inventé par Jean Gutenberg à Mayence, en 1440. Nous avons déjà rapporté, à propos de Coster, le témoignage d'Ulric Zell inséré dans la Chronique de Cologne. Ajoutons seulement que ce témoignage est un des plus sérieux qu'on puisse faire valoir, parce que Ulric Zell, introducteur de l'imprimerie à Cologne en 1462, avait appris son art à Mayence et s'était, par suite, trouvé bien placé pour connaître la vérité.

A ces témoignages, on pourrait joindre celui de Jean Schoiffer, fils et successeur de Pierre Schoiffer, s'il n'avait pris soin lui-même, pour des motifs sans doute très semblables à ceux qui avaient poussé son père, d'en diminuer l'autorité. Après s'être donné, en 1503, dans son édition du Mercurius Trismegistus, comme le représentant d'une famille dont un des membres avait eu l'honneur de découvrir l'art de la typographie, il fait, deux ans plus tard, en 1505, dans sa dédicace à l'empereur Maximilien, d'une traduction allemande de Tite Live, éditée par lui, la déclaration suivante : 

« C'est à Mayence que, primitivement, l'art admirable de l'imprimerie a été inventé surtout par l'ingénieux Jean Gutenberg, l'an 1450; il fut postérieurement amélioré et propagé pour la postérité par les capitaux et les travaux de Jean Fust et de Pierre Schoiffer. »
Ces termes sont formels. En 1509, néanmoins, il change d'avis. Dans son Breviarium Moguntinum, imprimé à cette date, il n'attribue plus qu'à son aïeul Jean Fust la découverte « de cet art mémorable », et il renouvelle cette affirmation dans le célèbre colophon du Compendium sine breviarium [...] de origine regum et gentis Francorum de Trithème, publié en 1515. Il fit même si bien qu'il put obtenir, en 1518, de l'empereur Maximilien, un privilège dans lequel il est rendu hommage à «-l'ingénieuse invention de la chalcographie » par son aïeul. On a cherché à expliquer ces contradictions et on a fait remarquer que la préface dans laquelle Schoiffer reconnaissait les droits de Gutenberg, était « écrite en allemand, langue du peuple et des ouvriers qui, sachant mieux que tous autres ce que Gutenberg avait fait, ne pouvaient être trompés »,  tandis que les souscriptions de 1509 et 1515 étaient en latin, « langue incomprise du peuple et des ouvriers ». Sans rejeter absolument cette explication, il semble plus raisonnable de croire que, dès le commencement du XVIe siècle et peut-être dès la fin du XVe, des traditions vagues ou des légendes s'étaient établies, à la faveur des incertitudes dont l'origine de l'imprimerie était déjà entourée, et que peu de personnes étaient à même de les discuter avec compétence.

Cette revue des témoignages peut être arrêtée ici, parce que ceux qu'on rencontre dans le cours du XVIe siècle en faveur de Gutenberg, pour nombreux qu'ils soient, n'augmentent pas d'une manière sensible l'autorité de la tradition. (C. Couderc).

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