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Mairet

Jean Mairet est un auteur dramatique, l'un des pères de la tragédie classique en France, né à Besançon en 1604, mort dans la même ville en 1686. Il appartenait à une famille de gentilshommes allemands qui, en haine de la Réforme, étaient venus s'établir dans la Franche-Comté, alors dépendante de l'Espagne, et partant très catholique. Orphelin de bonne heure, Jean Mairet se rendit à Paris. 

Il venait-de terminer ses études au collège des Grassins, lorsque, en 1620, il fit jouer sa première tragédie, Chryséide et Arimand, qu'on met au-dessus des pièces de Hardy et qui eut un véritable succès. L'année suivante, Mairet donna au théâtre une seconde tragédie, Sylvie (1621), qui fut également bien accueillie. Peu après, il se rendit à Fontainebleau, y gagna les bonnes graces du duc de Montmorency, grand amiral de France, et le suivit dans son expédition contre les protestants maîtres des îles de Ré et d'Oléron (1625). Mairet fit preuve, dans cette campagne, de tant d'intelligence et de bravoure que le duc, reconnaissant, le gratifia d'une pension de 1500 livres. 

Après avoir fait diverses pièces, il produisit en 1631 son chef-d'oeuvre, Sophonisbe. Cette tragédie est réellement une date dans l'histoire dramatique, et, à ce titre, elle vaut qu'on s'y arrête. Elle inaugure l'ère littéraire ou va entrer définitivement le XVIIe siècle. Le sujet, tiré de Tile-Live, avait déjà été traité en Italie par le prélat Georgio Rismio. Celui-ci, à l'instigation de l'archevêque de Bénévent, appliqua à ce sujet toute la sévérité des formes antiques. Cinquante ans après, Mellin de Saint-Gelais en donna une mauvaise traduction en prose; et avant Mairet, un sieur de Mont-Chrétien avait déjà traité en France ce sujet de Sophonisbe. 

En 1629, Mairet composa sa tragédie à l'hôtel de Montmorency; elle fut jouée devant Louis XIII et elle mérita à l'auteur une pension de Richelieu, qui s'attacha Mairet et le comprit parmi les écrivains qui travaillèrent pour lui. 

Le succès de cette tragédie, la première en France où ait été observée la règle des trois unités, fut tel qu'il durait encore en 1663 époque à laquelle Corneille la refit sous le même titre; mais, dans un avis au lecteur, ce dernier déclare que l'oeuvre da son devancier a des droits inimitables. 

Par la forme et la com position, la pièce de Mairet faisait sortir définitivement la tragédie française des barbaries et des inepties d'où n'avaient pu la retirer les efforts louables mais malheureux, des Baïf, des Jodelle et des Garnier. Néanmoins, il n'en faut pas conclure que Mairet ait fait un chef-d'oeuvre et que Sophonisbe, déjà disparue du théâtre vers la fin du XVIIe siècle, serait supportable au goût contemporain. La versification en est molle et vague, et la langue, souvent gonflée jusqu'à l'emphase, descend à des naïvetés et à des grossièretés agaçantes. Cependant Sophonisbe a dû aux réelles beautés de ses deux derniers actes un succès durable et mérité. 
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Massinisse à Scipion

« Elle [Sophonisbe] est morte, et ma main par cet assassinat 
M'a voulu rendre quitte envers votre Sénat. 
Si la reconnaissance aux bienfaits se mesure,
Cette seule action le paie avec usure. 
Par cet acte, témoin de votre cruauté, 
J'ai mis dans le tombeau l'amour et la beauté. 
Enfin par cette mort, qui fait notre assurance, 
Vous n'avez plus de peur, ni moi plus d'espérance. 
Ne me dites donc plus que je serais ingrat, 
Et bien peu soucieux du bien de mon État, 
Si je vous obligeais par quelque violence
A retrancher pour moi de votre bienveillance. 
Quant à moi, désormais tout m'est indifférent; 
Et, quant à mon État, ma douleur vous le rend 
Après m'avoir ôté le désir de la vie, 
Vos biens ni vos honneurs ne me font point envie. 
Usurpez l'univers de l'un à l'autre bout;
Je n'y demande rien, je vous le cède tout; 
Rendez-moi seulement une chose donnée 
Par l'hymen, par l'amour, et par la destinée; 
En un mot, donnez-moi ce que vous craignez tous, 
Et je serai plus riche et plus content que vous; 
Rendez-moi Sophonisbe.... »
 

(J. Mairet, extrait de Sophonisbe).

Mairet écrivit plusieurs autres pièces, mais aucune d'elles n'eut le succès de Sophonisbe. Lorsque le duc de Montmorency tomba en disgrâce, il lui resta fidèle. Quand parut le Cid, il conçut une vive jalousie contre Corneille et fut un de ceux qui attaquèrent avec le plus de vivacité et d'aigreur ce chef-d'oeuvre. Par la suite, Mairet passa quelques années dans le Maine, chez un de ses amis, le marquis de Belin. En 1647, il se maria et revint peu après à Paris.

Deux ans plus tard, il plaida la cause de la Franche-Comté, et obtint pour elle un traité de neutralité, car, de toutes les possessions espagnoles, c'était certainement la plus exposée aux coups de Louis XIV. Nommé résident à Paris par le parlement de Dôle, il déplut à Mazarin en faisant l'éloge du roi d'Espagne, et le cardinal l'exila à Besançon (1653).

Longtemps il sollicita en vain l'autorisation de revenir à Paris. Elle ne lui fut accordée qu'en 1659, à la paix des Pyrénées. Bien reçu par la cour, il présenta à la reine un sonnet de circonstance qui lui valut, dit-on, 1000 louis d'or, Enfin, éclipsé par le génie de Corneille, il eut le bon esprit de lui laisser le champ libre et alla finir ses jours à Besançon. 

« Mairet, dit Voltaire, ouvrit la carrière dans laquelle entra Rotrou, et ce ne fut qu'en les imitant que Corneille apprit à les surpasser. »
On lui doit les ouvrages suivants : Chryséide et Arimand, tragi-comédie, sujet tiré de l'Astrée de d'Urfé (1620); la Sylvie (1621), pièce de phébus et de concetti, à la manière italienne alors en vogue; la Sylvanire ou la Morte vive, tragi-comédie pastorale (1625-1631) tirée de l'Astrée; Galanteries du duc d'Ossonne (1627-1636), comédie un peu leste; la Virginie, tragi-comédie (1628-1635); la Sophonisbe, tragédie (1629-1635); Marc-Antoine ou la Cléopâtre, tragédie (1630-1637); le Grand et dernier Soliman ou la Mort de Mustapha, tragédie (1629-1639); Athénaïs, tragi-comédie 1642); Roland furieux, tragi-comédie 1636-1640); l'Illustre corsaire, tragi-comédie (1637-1640); Sidonie, tragi-comédie héroïque (1637-1643).

Mairet a publié en outre : Oeuvres poétiques, imprimées à la suite de la Sylvie et de la Sylvanire; Lettre à ***, sous le nom d'Ariste, critique du Cid; Epître familière au sieur Corneille, sur la tragi-comédie du Cid, avec une réponse à l'ami du Cid sur ses invectives contre le sieur Claverel (Paris, 1637); Apologie du sieur Mairet contre les calomnies du sieur Corneille, etc. (Paris, 1637). Mairet est l'éditeur des Nouvelles oeuvres de Théophile [de Viau], son ami (Paris, 1642). (PL).

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