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Bhagavad-Gita

On donne le nom de Bhagavad-Gita, qui signifie chant excellent, à un poème sanscrit vulgairement considéré en Inde comme le dernier chant du Mahâbhârata. Le poète suppose qu'avant la grande bataille épique de Kourouxêtra, le coeur manque au héros Arjouna en présence de ces armées fratricides prêtes à combattre; son écuyer Krishna, qui est Vishnu lui-même incarné, répond à ses craintes en lui exposant la loi de la transmigration et la destinée des bons et des méchants.

A quelque école de philosophie qu'on rattache la Bhagavad-Gita, la doctrine qu'elle expose est essentiellement brahmanique, fondée sur les lois de Manu et sur les Védas, dont l'autorité y est partout invoquée; la croyance aux dieux antiques de l'Inde, le système fondamental des castes, les devoirs de chacune d'elles, y sont donnés comme les principes conservateurs de la société et les conditions indispensables du salut. Il n'y est fait aucune allusion aux doctrines bouddhiques; ce qui se comprendrait à peine dans un pays de controverse, si la Bhagavad-Gita était postérieure en date à la prédication du Bouddha. Si donc il est, dans la grande épopée, des chants plus anciens que la Bhagavad, celle-ci peut toutefois être reportée à une assez haute antiquité. 
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La vie contemplative et mystique d'après le Bhagavad-Gita

« Les sens sont puissants, mais l'âme est plus puissante que les sens, l'intelligence est plus puissante que l'âme, et au-dessus de l'intelligence s'élève l'Être. - Les œuvres sont bien inférieures à la dévotion de l'esprit. - Celui qui est dévot en esprit abandonne à la fois en ce monde les actions bonnes ou mauvaises. - Celui qui a la foi a la science, et celui qui a la science et la foi atteint, par cela seul, à la tranquillité suprême. - Celui qui a déposé le fardeau de l'action dans le sein de la dévotion et qui a tranché tous les doutes avec la science, celui-là n'est plus retenu par les liens des oeuvres. - Comme le feu naturel réduit le bois en cendres, ainsi le feu de la vraie sagesse consume toute action. - Délivré de tout souci de l'action, le vrai dévot reste tranquillement assis dans la ville aux neuf portes [c'est-à-dire dans le corps], sans agir lui-même, et sans conseiller aux autres l'action. - Le dévot parvient en Dieu à l'anéantissement. »
 

(Extrait du Bhagavad-Gita; trad. Schlegel).

Voici le sommaire des doctrines qu'elle contient, dans l'ordre où elles y sont exposées-:

L'âme étant immortelle, la mort est indifférente; le sage, impassible, suit les lois de sa caste sans désirer aucune récompense, et tout entier à la contemplation qui conduit à l'unification avec Dieu. Faire son devoir en pensant à Dieu, telle est la doctrine enseignée jadis à Manu; l'inaction n'est pas une vertu par elle-même; l'action vaut mieux qu'elle, si elle a pour but final de s'unir à Dieu par la contemplation, c.-à-d. par la défaite des sens et des désirs et par la connaissance de l'essence divine; tel est, en effet, le souverain bien et le but suprême de tous les efforts du sage. Les hommes qui mettent la pratique au-dessus de la contemplation, et qui croient l'oeuvre supérieure à l'intelligence, non seulement se trompent, mais encore, ne pouvant s'identifier avec Dieu par la pensée, se condamnent à revenir dans la vie par la loi de la transmigration; le seul moyen d'échapper à cette condition de la renaissance, c'est de connaître la nature divine et d'avoir sans cesse l'esprit fixé sur elle; par cette vue, les actions de la vie, s'accomplissant selon la loi et avec désintéressement, au lieu d'enchaîner l'âme dans les sens et les choses matérielles, lui laissent cette liberté sainte qui lui permet de se confondre dans l'essence divine et lui assure la vie éternelle.

Tout vit et change dans le jour de Brahma; lui seul est éternel et immuable; l'humain qui le contemple s'unit à lui et ne renaît pas; les autres reviennent à la vie; de sorte que le séjour du ciel suivi de renaissance n'est pas le véritable souverain bien. Vishnu est une des formes de l'Être suprême : 

"Je suis, dit-il, la force qui soutient et gouverne les êtres; ils retournent à moi à chaque retour; à chaque renaissance du monde, je les recrée, et dans leur ensemble et individuellement; par moi la matière se meut et engendre; je suis aussi la prière et le sacrifice, la libation, le prêtre et la victime; je suis le père et l'aïeul du monde, l'essence des choses intelligibles, des choses visibles et invisibles; je suis le Dieu unique. Nul ne sait combien de fois je suis venu sur la terre: il suffit de savoir que je suis la cause première; j'ai des noms divers : Vishnu, le Soleil, Shiva, Kouvêra; je suis le chef des esprits célestes, la source de la mer et des eaux, Narada parmi les prophètes, Kapila parmi les sages, Krishna dans l'armée; je suis l'esprit divin des poètes, la sagesse des sages, la vertu des gens de bien : en un mot, tout ce qui est bien en toutes choses, c'est moi."
Alors Arjouna vit le dieu entouré d'une éclatante lumière; il vit le ciel et les mondes, les dieux, les saints et les principes des choses, dans le corps glorieux de Vishnu, et, se prosternant, il dit : Je crois
"Fixe sur moi ton esprit et ton coeur, et saisis-moi dans ma forme immatérielle; car c'est là le souverain bien. Matière, sensation, désir tiennent au corps; mais l'âme éternelle est intelligible et insaisissable; vaincue par la sensation, elle s'incorpore; dégagée, elle se divinise. L'homme de passion croit que le monde est par lui-même et que tout finit à la mort; j'ai joui, je jouis, je jouirai, voilà sa doctrine. Il y a, en effet, trois sortes d'hommes : les intelligents, qui adorent l'essence suprême de Dieu, sans espoir de récompense, et s'abstiennent des oeuvres sensuelles; les hommes de désir, qui adorent les déités inférieures et leur demandent les biens de ce monde, offrant le sacrifice dans l'espoir d'une jouissance prochaine et faisant leur devoir pour les avantages qu'il procure; les hommes de ténèbres, ignorants ou insensés, sacrifiant aux démons et aux fantômes malgré la loi du Véda, et n'accomplissant que des oeuvres de ténèbres. Offre donc le sacrifice désintéressé, qui purifie l'âme; fais le bien sans espoir; celui qui demeure fidèle à sa loi plaît à Dieu, se délivre de tous les maux, et, en mourant, s'identifie avec mon essence."
La doctrine morale contenue dans la Bhagavad-Gita est d'une grande élévation, et d'une philosophie qui dépasse de beaucoup celle de Platon lui-même. Ce n'est point une suite de prescriptions adressées à des solitaires; c'est la morale pratique d'hommes vivant dans le monde, et pour qui la pensée de Dieu est un principe capable de rendre bonnes et d'élever au rang d'oeuvres de vertu les actions les plus ordinaires de la vie. (Em. B. 1877).
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Quel est celui que Dieu aime

« Mets ta confiance en moi seul; sois humble d'esprit, et renonce au fruit des actions. La science est supérieure à la pratique, et la contemplation est supérieure à la science [...] Celui-là d'entre mes serviteurs est surtout chéri de moi, dont le coeur est l'ami de toute la nature, que les hommes ne craignent point, et qui ne craint point les hommes. J'aime encore celui qui est sans espérance et qui a renoncé à toute entreprise humaine. Celui-là est également digne de mon amour qui ne se réjouit ni ne s'afflige de rien, qui ne désire aucune chose, qui est content de tout, qui, parce qu'il est mon serviteur, s'inquiète peu de la bonne et de la mauvaise fortune. Enfin celui-là est mon serviteur bien-aimé, qui est le même envers son ami et son ennemi, dans la gloire et dans l'opprobre, dans le chaud et dans le froid, dans la peine et dans le plaisir; qui est insoucieux de tous les événements de la vie, pour qui la louange et le blâme sont indifférents, qui parle peu, qui se complaît dans tout ce qui arrive, qui n'a point de maison à lui, et qui me sert d'un amour inébranlable.. »
 

(Extrait du Bhagavad-Gita; trad. Schlegel).


En bibliothèque - Bhagavad-Gita, traduction anglaise par Wilkins, Londres, 1785; traduction allemande par Peiper, Leipzig, 1834. - Traduction latine par Schlegel, édit. de Lassen, in-8°, Bonn, 1846. -  Gita, traduction grecque de Galanos, Athènes, 1848. - G. de Humboldt, Sur l'épisode du Mahâbhârata connu sous le nom de Bhagavad-Gîtâ, Berlin, 1827.
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Dictionnaire Le monde des textes
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