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Entretiens sur la pluralité des mondes
de Fontenelle
Les Entretiens sur la pluralité des mondes est un ouvrage de Fontenelle (1686). Dans cette production véritablement originale, l'auteur s'est proposé de vulgariser une science abstraite, d'initier les profanes aux secrets de la voûte céleste, d'expliquer enfin les lois de l'astronomie, ou plutôt de populariser la philosophie de Descartes, dans les cercles et les salons, sous un air d'agrément que la science ne connaissait pas. Ce sont les idées de Copernic présentées sous une enveloppe à la Scudéry.

Fontenelle, en ses Entretiens, se suppose à la campagne après souper, dans un parc, avec une belle marquise. La conversation tombe sur les étoiles; la marquise en vient à demander des explications astronomiques. Fontenelle fait semblant de vouloir parler d'autre chose.

« Non, répliquai-je, il ne me sera point reproché que dans un bois, à dix heures du soir, j'aie parlé de philosophie à le plus aimable personne que je connaisse. Cherchez ailleurs vos philosophes. »
Malgré tout, cette dissertation galante, à laquelle il a fait mine de vouloir se soustraire, commence et se continue dans une suite d'entretiens. 

Dès la première soirée Fontenelle, voulant expliquer à la marquise le secret des rouages et des contre-poids de la nature, compare le grand spectacle du monde physique à celui de l'Opéra. Le philosophe qui cherche les causes est comme le machiniste assis au parterre de l'Opéra, et qui tenterait de se rendre compte des effets extraordinaires de la mise en scène.
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L'univers est dans un perpétuel changement

« Toute cette masse immense de matière qui compose l'univers est dans un mouvement perpétuel, dont aucune de ses parties n'est entièrement exempte; et, dès qu'il y a du mouvement quelque part, ne vous y fiez point il faut qu'il arrive des changements, soit lents, soit prompts, mais toujours dans des temps proportionnés à I'effet. Les anciens étaient plaisants de s'imaginer que les corps célestes étaient de nature à ne changer jamais, parce qu'ils ne les avaient pas encore vus changer. Avaient-ils eut le loisir de s'en assurer par l'expérience? Les anciens étaient jeunes auprès de nous. Si les roses, qui ne durent qu'un jour, faisaient des histoires, et se laissaient des mémoires les unes aux autres, les premières auraient fait le portrait de leur jardinier d'une certaine façon, et, de plus de quinze mille âges de roses, les autres, qui l'auraient encore laissé à celles qui les devaient suivre, n'y auraient rien changé. Sur cela elles diraient « Nous avons toujours vu le même jardinier; de mémoire de rose on n'a vu que lui; il a toujours été fait comme il est : assurément il ne meurt point comme nous; il ne change seulement pas. » Le raisonnement des roses serait-il bon? Il aurait pourtant plus de fondement que celui que faisaient les anciens sur les corps célestes; et quand même il ne serait arrivé aucun changement dans les cieux jusqu'à aujourd'hui, quand ils paraîtraient marquer qu'ils seraient faits pour durer toujours sans aucune altération, je ne les en croirais pas encore; j'attendrais une plus longue expérience. Devons-nous établir notre durée, qui n'est que d'un instant, pour la mesure de quelque autre? Serait-ce à dire que ce qui aurait duré cent mille fois plus que nous, dût toujours durer? On n'est pas si aisément éternel. Il faudrait qu'une chose eût passé bien des âges d'homme mis bout, à bout pour commencer à donner quelque signe d'immortalité. »
 

(Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, cinquième soir).

Fontenelle arrive ainsi à parler des principaux systèmes cosmiques qui ont été tour à tour proposés par les philosophes. Il expose si clairement la succession naturelle de ces erreurs, que l'on comprend la nécessité de ces illusions provisoires, en même temps qu'on s'en détache. Quand il en vient à l'astronomie en particulier, à la question de savoir si c'est la terre qui est le centre autour duquel tourne l'univers, ou si c'est elle au contraire qui décrit une révolution dans l'espace, il trouve des comparaisons sensibles, insinuantes, qui conduisent sans fatigue au point voulu par l'auteur.

« Il faut que vous remarquiez, s'il vous plaît, que nous sommes tous faits naturellement comme un certain fou athénien, dont vous avez entendu parler, qui s'était mis dans la fantaisie que tous les vaisseaux qui abordaient au port de Pirée lui appartenaient. Notre folie, à nous autres, est de croire aussi que toute la nature, sans exception, est destinée à nos usages, et, quand on demande à nos philosophes à quoi sert ce nombre prodigieux d'étoiles fixes, dont une petite partie suffirait pour faire ce qu'elles font toutes, ils vous répondent froidement qu'elles servent à leur réjouir la vue. »
En parlant de l'ordonnance céleste, Fontenelle n'a pas de ces conceptions majestueuses, de ces expressions élevées qui se mettent en quelque sorte à la hauteur du sujet. Ses images rapetissent le point de vue; il se sert d'un microscope, et non d'un télescope. 

Le principe essentiel de la nature est qu'elle fait toutes choses avec le moins de frais possible; Fontenelle dira qu'elle use d'une épargne extraordinaire dans son grand ménage. Il n'est donc pas poète; mais c'est un esprit ferme et sérieux, qui s'attache à la vérité positive; c'est un adversaire calme et patient de l'ignorance et de la sottise, audacieux et intraitable, malgré sa froideur et sa frivolité apparentes.

Il se rend très bien compte du progrès qui marche à la suite du monde moderne, dont il est lui-même un organe et un instrument. La clé de ce progrès est dans la méthode, l'analyse, l'examen, dans le doute scientifique, qui s'étend à tous les ordres de sujets; il croit que c'est à Descartes qu'on en doit la découverte et l'usage, et il pense qu'il s'agit de le mieux appliquer encore qu'il ne l'a fait.

Les Entretiens sur la pluralité des mondes sont restés comme le principal titre littéraire de Fontenelle. C'est l'ouvrage où brillent à leur plus haut point les qualités qui le caractérisent : le talent de tempérer le sérieux de l'instruction par un ingénieux badinage, de conduire ses lecteurs, par un détour insensible, à des vues étendues et profondes; de rendre accessibles les pensées fortes et ingénieuses par une forme familière, de faire d'une objection philosophique un bon mot, et d'une solution savante un compliment plein de grâce.  (PL).

Tous les critiques s'accordent sur ce point :

« A l'égard de sa manière (car il en a une), dit Thomas, la finesse et la grâce y dominent, comme on sait, bien plus que la force. Il n'est point éloquent, ne doit et ne veut point l'être; mais il attache et il plait. D'autres relèvent les choses communes par des expressions nobles; lui, presque toujours, peint les grandes choses sous des images familières. Cette manière peut être critiquée; mais elle est piquante. D'abord, elle donne le plaisir de la surprise, par le contraste et par les nouveaux rapports qu'elle découvre; ensuite, on aime à voir un homme qui n'est pas étonné des grandes choses : ce point de vue semble nous agrandir. »
Après avoir réclamé l'indulgence des censeurs, au nom des agréments propres au genre et au goût de l'écrivain, Garat fait cette observation :
« Tous ces défauts, qui lui ont été reprochés avec tant de dureté, appartiennent moins encore sans doute au goût de Fontenelle qu'à sa complaisance pour le goût d'une nation qui aime trop peut-être jusqu'aux abus de l'esprit [...]. Ce n'est là ni son talent ni son art - c'est son artifice, ou plutôt la politique de son style, comme le disait assez plaisamment un de ses ennemis; et c'est en partie avec cette politique qu'il a fait une si grande révolution dans les lettres, dans les sciences et dans le monde. »
De son côté, Sainte-Beuve écrit :
« Pascal sentait avec tressaillement, avec effroi, la majesté et l'immensité de la nature, quand Fontenelle semble n'en épier que l'adresse. Cet homme-ci n'a pas en lui cette géométrie idéale et céleste que conçoivent un Pascal, un Dante, un Milton, ou même un Buffon; il ne l'a pas et il ne s'en doute pas; il amincit le ciel en l'expliquant. Tout cela est vrai, et pourtant il est un point par lequel Fontenelle va reprendre aussitôt sa revanche sur Pascal lui-même; car, dans cette vue admirablement sentie et embrassée tant au physique qu'au moral, Pascal, à un endroit, a corrigé lui-même sa phrase, l'a rétractée et altérée pour faire tourner le Soleil autour de la Terre et non la Terre autour du Soleil. Ce grand esprit, atteint en ceci d'un reste de superstition, recule devant la vérité de Copernic et laisse indécise la balance. Si inférieur à Pascal comme imagination et comme âme, et dans un rapport qu'on dirait incommensurable avec lui (nous sommes en style de géomètre), Fontenelle, à titre d'esprit libre et dégagé, d'esprit net, impartial et étendu, reprend lentement ses avantages, et de grandeur, mais certes aussi d'illusion et de timidité majestueuse, il ose voir en réalité et exprimer en douceur les vérités naturelles telles qu'elles sont. Là est son originalité, là est sa gloire. »
Voltaire enfin dit :
« Ce livre fut le premier exemple de l'art délicat de répandre des grâces jusque sur la philosophie. » 
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Dictionnaire Le monde des textes
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