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Le dogme de la chute

Le dogme chrétien de la chute s'appuie sur une page de la Genèse, dont il est intéressant de déterminer le véritable caractère (Genèse, ch. II et III). L'écrivain biblique rapporte que la divinité (Yahveh-Elohim) créa, au début de toutes choses, un jardin de délices, dans lequel il plaça l'homme, bientôt complété par l'adjonction d'une compagne. Le premier couple humain avait la jouissance de tous les fruits de son beau domaine à l'exception d'un arbre dit « l'arbre de la connaissance du bien et du mal ». Cependant, sur l'invitation du serpent, l'homme et la femme commirent la faute de goûter le fruit défendu. Ils y gagnèrent, en effet, de connaître désormais la distinction du bien et du mal, mais la divinité châtia leur désobéissance en les chassant du paradis terrestre et en les condamnant à une vie dure et pénible. 
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La Chute (sculpture du Palais des Doges, à Venise).
La Chute d'Adam et Eve, sculpture de Giovanni Buon, au Palais des Doges, à Venise.
Photo : © Angel Latorre

Le récit de la chute semble moins un récit, dont l'auteur se serait proposé de nous rapporter un événement du passé le plus reculé, qu'un apologue, que nous appellerions volontiers l'Apologue de la misérable condition humaine et que nous résumerons ainsi : l'homme (l'humain) a en commun avec la divinité et les êtres célestes l'intelligence du bien et du mal; mais ce privilège n'a pour effet que de faire ressortir davantage encore les misères de sa pénible condition et la lugubre perspective de sa mort, terme final d'une vie de labeur et de souffrance. Le cadre de l'apologue appartient, selon nous, entièrement à l'auteur, qui s'y montre tour à tour ingénieux et éloquent. 

Malheureusement, cette page de philosophie triste et amère est généralement mal comprise; certains traits, qui tiennent à la forme même de l'apologue populaire adoptée par l'écrivain, ont paru indiquer des conceptions primitives et grossières sur la divinité. Il est impossible de se fourvoyer plus complètement; l'apologue de la chute appartient, tout au contraire, à une époque de spéculation philosophique et morale dans le goût de celle qui a provoqué la composition des Livres de Job ou de l'Ecclésiaste. Le pessimisme même dont fait preuve l'écrivain ne se rattache pas au grand courant de l'ancienne pensée juive. 

L'on a cru que l'auteur du récit de la chute avait emprunté son cadre à la mythologie babylonienne (à laquelle, il est vrai la Bible fait de notables emprunts) ou persane, mais ces rapprochements sont superficiels. Les monuments ou les textes que l'on a allégués dans ce sens ne supportent pas l'examen. C'est une création absolument originale et non un emprunt fait à l'étranger. Nous pensons qu'il peut l'oeuvre du IIIe siècle avant notre ère, alors que les relations avec l'Occident, stimulaient la pensée juive et lui ouvraient des voies nouvelles. Nous sommes confirmé dans cette vue par le silence que les livres bibliques gardent sur ce morceau. Pour y trouver des allusions, il faut descendre jusqu'aux livres deutéro-canoniques. 

Par suite de la tendance qu'avaient les docteurs du judaïsme à considérer comme des faits historiques les tableaux relatifs au passé le plus reculé, l'apologue de la chute fut considéré comme le récit de ce qui s'était passé aux débuts même de l'histoire et l'on expliqua les misères de l'humanité par la faute d'Adam et d'Eve. Le christianisme, à son tour, fit voir dans Jésus le rédempteur qui arrachait l'humanité aux suites funestes du péché de son premier père. (Maurice Vernes).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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