Baudelaire
1857 |
I
Tu n'es certes pas,
ma très chère,
Ce que Veuillot
nomme un tendron.
Le jeu, l'amour,
la bonne chère,
Bouillonnent en
toi, vieux chaudron!
Tu n'es plus fraîche,
ma très chère,
Ma vieille infante!
Et cependant
Tes caravanes insensées
T'ont donné
ce lustre abondant
Des choses qui sont
très usées,
Mais qui séduisent
cependant.
Je ne trouve pas
monotone
La verdeur de tes
quarante ans;
Je préfère
tes fruits, Automne,
Aux fleurs banales
du Printemps!
Non, tu n'es jamais
monotone!
Ta carcasse a des
agréments
Et des grâces
particulières;
Je trouve d'étranges
piments
Dans le creux de
tes deux salières
Ta carcasse a des
agréments!
Nargue des amants
ridicules
Du melon et du giraumont!
Je préfère
tes clavicules
A celles du roi
Salomon,
Et je plains ces
gens ridicules!
Tes cheveux, comme
un casque bleu,
Ombragent ton front
de guerrière,
Qui ne pense et
rougit que peu,
Et puis se sauvent
par derrière,
Comme les crins
d'un casque bleu.
Tes yeux qui semblent
de la boue,
Où scintille
quelque fanal,
Ravivés au
fard de ta joue,
Lancent un éclair
infernal!
Tes yeux sont noirs
comme la boue!
Par sa luxure et
son dédain
Ta lèvre
amère nous provoque;
Cette lèvre,
c'est un Eden
Qui nous attire
et qui nous choque.
Quelle luxure! et
quel dédain!
Ta jambe musculeuse
et sèche
Sait gravir au haut
des volcans,
Et malgré
la neige et la dèche
Danser les plus
fougueux cancans.
Ta jambe est musculeuse
et sèche;
Ta peau brûlante
et sans douceur,
Comme celle des
vieux gendarmes,
Ne connaît
pas plus la sueur
Que ton oeil ne
connaît les larmes,
(Et pourtant elle
a sa douceur!)
II
Sotte, tu t'en vas
droit au Diable!
Volontiers j'irais
avec toi,
Si cette vitesse
effroyable
Ne me causait pas
quelque émoi.
Va-t'en donc, toute
seule, au Diable!
Mon rein, mon poumon,
mon jarret
Ne me laissent plus
rendre hommage
A ce Seigneur, comme
il faudrait.
"Hélas! c'est
vraiment bien dommage!"
Disent mon rein
et mon jarret.
Oh! très
sincèrement je souffre
De ne pas aller
aux sabbats,
Pour voir, quand
il pète du soufre,
Comment tu lui baises
son cas!
Oh! très
sincèrement je souffre!
Je suis diablement
affligé
De ne pas être
ta torchère,
Et de te demander
congé,
Flambeau d'enfer!
Juge, ma chère,
Combien je dois
être affligé,
Puisque depuis longtemps
je t'aime,
Etant très
logique! En effet,
Voulant du Mal chercher
la crème
Et n'aimer qu'un
monstre parfait,
Vraiment oui! vieux
monstre, je t'aime! |
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