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La politique est
proprement l'art de gouverner un Etat. La science
politique peut donc se définir la science
du gouvernement des États ou l'étude des principes
qui constituent les gouvernements et doivent les diriger dans leurs rapports
avec les citoyens et avec les autres Etats. On s'est plu à appeler
plus proprement science politique l'étude des phénomènes
politiques en vue de la recherche des lois qui les
régissent; art politique, leur étude en vue de la recherche
et de la découverte des moyens de les modifier et de les accommoder
au mieux aux intérêts des citoyens ou de l'Etat. Cette distinction
est pratiquement inutile. La science politique, moins que toute autre,
est une pure métaphysique. Tous les
savants en matière politique ont été en même
temps des artistes, c.-à-d. ont étudié le gouvernement
et l'Etat en prétendant tirer des conclusions pratiques de leurs
études ou en suggérant quand ils ne les formulaient pas.
Par ailleurs, on a nié qu'il y eût une science politique.
Il serait oiseux de discuter ici sur la définition
du mot science. Il est certain que, dans la vie sociale, il y a des phénomènes
politiques qui présentent un certain enchaînement et peuvent
fournir matière à des études. Sans prétendre
que la science politique soit aussi avancée ou aussi précise
que la mathématique,
on peut désigner de ce nom l'étude des phénomènes
politiques. Toutes les sociétés, quel que soit leur degré
de complexité, quelque diverses que soient leurs formes, ont ceci
de commun qu'il y a un gouvernement et des gouvernés. La science
politique étudie les principes de leurs relations.
La science politique est donc en rapport
avec une quantité d'autres sciences avec lesquelles elle s'est parfois
longtemps confondue pour ne s'en dégager que lentement. Elle
relève à la fois de la science sociale, de la morale
et de la philosophie.
L'économie politique s'est dégagée
d'elle pour former une science à part; la science financière,
le droit public, le droit privé, etc.,
lui sont intimement unis. Le lecteur trouvera dans l'article Etat
des développements relatifs à diverses questions politiques
: celle de la forme du gouvernement en particulier (monarchie,
république, aristocratie,
démocratie, etc.). Il se reportera
également aux noms des divers penseurs que nous aurons à
citer. Nous nous proposons ici de montrer historiquement la manière
dont a été traitée la question qui constitue le fond
même de la science politique : quels sont les principes qui doivent
régler les rapports de pouvoir avec les citoyens ou sujets; autrement
dit : quel est le principe de l'autorité de l'État et par
suite quelle est sa limite? - quels sont par ailleurs les droits et les
devoirs des individus?
Toutes les théories
professées en cette matière se meuvent entre deux extrêmes.
Les uns exaltant à outrance l'idée de l'Etat,
lui confèrent tous les droits, lui constituent une personnalité
indépendante de l'humain et vont jusqu'à nier l'individu.
Les autres, au contraire, ne considèrent que la personne humaine,
n'aspirent qu'à son développement intégral, réduisent
le rôle de l'Etat au minimum, parfois vont jusqu'à l'abolir.
On désigne sous le nom de socialisme
la tendance vers la première de ces théories; l'individualisme
désignant la seconde. Faisons toutefois observer qu'on emploie souvent
ces mots dans une autre signification et qu'il est impossible chez nombre
de philosophes de leur attribuer un sens très précis : car
d'une certaine manière on peut dire que le socialisme est le comble
de l'individualisme, puisque le fond même de sa doctrine est d'assurer
l'existence suffisante et le développement de chaque individu; l'individualisme,
d'autre part, étant le comble du socialisme, puisqu'il part de l'égalité
des droits de tous et prétend justement la réaliser. Afin
d'éviter toute logomachie stérile et toute confusion, nous
prévenons donc nos lecteurs que dans cette étude nous désignerons
du nom de socialistes, ou de préférence d'étatistes
(le mot socialisme ayant pris une signification plus particulièrement
économique), les théoriciens qui tendent à accroître
l'action et les pouvoirs de l'Etat, et par individualistes ceux qui veulent
les réduire au minimum, demeurant entendu que chacun est le socialiste
ou l'individualiste d'un autre et que le but des deux écoles est
de former par des moyens différents des « individus sociaux
».
Jalons historiques.
La science politique est inconnue de l'Antiquité
orientale, où règne le despotisme
absolu d'un homme ou d'une caste, qui représente la Divinité.
Seule la Chine,
avec Confucius et Mencius,
s'inquiète des devoirs du gouvernement. Elle apparaît en Grèce,
Platon expose le plan d'une république
idéale; Aristote, appliquant la méthode
d'observation, analyse les différentes
formes de gouvernement, la notion de souveraineté, les droits des
hommes libres, sans séparer encore la politique de la morale.
Au Moyen âge,
les docteurs de l'Eglise,
Thomas d'Aquin notamment, déclarent que
le pouvoir civil vient de Dieu,
mais par l'intermédiaire du peuple en qui Dieu l'a mis, et qui le
communique aux chefs de l'Etat. En cas de conflit,
ils placent la théologie au-dessus
de la politique. Au XIVe siècle,
le pouvoir civil, avec Occam, avec Philippe
le Bel, revendique son indépendance en se réclamant,
lui aussi, du droit divin. Au XVe
siècle, Machiavel envisage la politique
en soi, sans préoccupations religieuses ni morales. Au XVIe
siècle, d'audacieuses recherches sur le droit
naturel, les prérogatives du peuple, les limites du pouvoir
des princes, illustrent à des titres divers Hubert
Languet, Hotman,
Buchanan, Suarez, La Boëtie,
Bodin, Th. More, Campanella.
Au XVIIe
siècle, Grotius et Puffendorf érigent
le droit naturel en science indépendante;
Hobbes en déduit l'absolutisme,
tandis que Locke expose un système de gouvernement
représentatif. Les philosophes du
XVIIIe siècle essayent de dégager
de la doctrine des conclusions pratiques ils s'éclairent aussi
par l'étude des institutions de l'Antiquité classique
et de l'Angleterre,
de la Chine,
puis des Etats-Unis.
Les physiocrates et d'Holbach
préconisent le despotisme éclairé;
Rousseau le gouvernement direct; Mably le gouvernement
représentatif, avec prépondérance du pouvoir législatif;
Montesquieu, la séparation et l'équilibre
des pouvoirs. La Révolution française
proclame les droits de l'individu (Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen) et réorganise l'Etat.
Elle soulève les critiques des écoles historiques : Burke,
Savigny; et des théocrates
: Joseph de Maistre, de
Bonald.
Les doctrinaires et les libéraux
laissent s'amoindrir la doctrine des droits de l'homme, mais les démocrates
établissent en France
l'égalité politique, manifestée par le suffrage universel
(1848). Dans la seconde moitié du XIXe
siècle, les historiens étudient les origines de l'Etat,
les juristes son organisation comparée dans les diverses contrées,
les philosophes et les économistes ses droits au regard des droits
de l'individu, tandis que les hommes d'Etat cherchent à concilier
les institutions existantes avec les principes d'égalité
démocratique et de justice sociale. Mais, au regard de ce que sera
l'histoire du XXe siècle, ce sont
surtout les idées de Karl Marx, qui vont
donner un tour nouveau à la science politique. Dans le Manifeste
du parti communiste, qui publie en 1848, avec Engels, il pose les bases
du marxisme, une forme de scientisme
social : prétendant s'appuyer sur la science seule, celui-ci donne
à l'histoire une explication purement matérialiste
et mécaniste, et, avec la lutte des classes comme moyen, et propose
l'établissement du collectivisme
comme terme nécessaire et légitime de l'évolution
des sociétés.
Le
XXe siècle.
Après la révolution soviétique
de 1917 et la formation de l'URSS,
en 1922, premier Etat reposant sur cette doctrine, les questions sur les
fonctions dévolues aux Etats déjà très largement
agitées au siècle précédent ont pris une acuité
nouvelle. Traditionnellement, en effet, on a donné à
l'Etat trois fonctions simples, mais importantes,
à remplir : protéger la société contre les
attaques ou les violences des autres nations indépendantes; garantir
chaque membre de la société contre les effets de la malveillance
et de l'injustice de tout autre membre; enfin ériger et entretenir
certains établissements utiles au public, soit parce qu'il n'est
jamais dans l'intérêt d'un individu ou d'un petit nombre d'individus
de créer et d'entretenir pour leur compte, par la raison que les
dépenses occasionnées par ces établissements surpasseraient
les avantages que pourraient en tirer les particuliers qui les soutiendraient
à leurs frais, soit parce que l'existence établissements
est jugée indispensable au maintien de principes dont l'état
est garant (égalité des citoyens devant l'acccès à
l'éducation, à la santé, etc.).
Cependant, d'autres fonctions peuvent être
dévolues à l'Etat. Partout, dans les faits, celui-ci est
chargé de rendre à la société un grand nombre
de services collectifs, en concurrence ou non avec l'industrie privée.
Dans les sociétés antiques, et même à l'origine
des sociétés modernes, alors que l'esprit d'association n'avait
pas encore pris son essor, l'Etat seul pouvait exécuter les grands
travaux d'utilité publique : c'est ainsi que s'est établi
le principe d'après lequel l'État
doit rendre à la société les services collectifs dont
l'industrie particulière ne se chargerait pas, et qui sont cependant
considérés comme indispensables au bien-être de la
société. Mais quelle place et importance donner à
ces services? C'est justement la problématique que réactualise
l'apparition d'Etats adoptant un système
socialiste. Deux philosophies de l'Etat, qui sont en même temps
deux philosophies économiques, se sont
ainsi confrontées durant une grande partie du XXe
siècle : d'un côté, le libéralisme économique
(à ne pas confondre avec le libéralisme
politique) ou économie de marché, de l'autre le collectivisme
ou économie centralisée.
Dans un contexte de libéralisme
économique, les Etats ne doivent pas diriger le capital et l'industrie
des particuliers, et il leur faut intervenir le moins possible dans la
régulation des marchés; ils doivent, au contraire, laisser
à chacun, tant qu'il se conforme aux lois, le soin de surveiller
ses propres intérêts d'après ses vues personnelles.
L'exécution de cette maxime, estiment les partisans de ce système,
offre la garantie la plus sûre qu'on obtiendra des produits constants
et uniformes pour les besoins de la nation.
Dans le contexte collectiviste, toute l'économie
est entre les mains de l'Etat (seules, éventuellement, quelques
entreprises individuelles ont pu subsister dans certains pays ou à
certaines époques). Le gouvernement a dès lors tout pouvoir
sur la production. C'est le seul moyen, pour les partisans de ce système,
de faire disparaître les inégalités sociales. L'Etat
étant en principe le garant de l'accès de tous, à
égalité, à la richesse produite.
L'Angleterre,
la Suisse
et les États-Unis
sont les pays où le libéralisme économique a été
depuis le plus longtemps la règle. A l'opposé, à la
suite de la révolution soviétique qui a ouvert la voie en
Russie,
et après la Seconde Guerre mondiale, les pays de Europe
de l'Est, ou d'ailleurs (Chine,
Cuba,
etc.) ont adopté - ou se sont vus imposer - un système à
économie centralisée. Ce système s'est posé
en concurrent du système qui avait cours à l'Est. A l'échelle
des temps historiques cette concurrence aura été pourtant
très éphémère. Après 1978, la Chine
s'est progressivement réinstallée dans la perspective d'une
économie de marché. Et, depuis la disparition de l'Union
soviétique,
en 1991, c'est aussi le choix qui a été fait par tous les
pays d'Europe. On peut assurément reprocher à ces systèmes
le fait qu'ils aient eu pour corrollaire la constitution de régimes
totalitaires, où la main-mise d'une petite fraction de la population
(oligarchie) sur les rouages de l'économie
lui assurait son emprise sur la société tout entière,
en dépit des principes démocratiques
affichés. Mais ce qui a conduit à leur implosion, c'est d'abord
l'inefficacité du système économique sur lequel ils
reposaient.
Même si l'on met à part le
système politique particulier mis en place en Iran,
un an après la révolution islamique de 1978, cela ne signifie
pas pour autant que rôle dévolu aux Etats soit devenu le même
partout. Il existe toujours des différences d'appréciation
sur ce que doit être l'implication de l'Etat,
qui tient autant aux choix des gouvernements qu'aux circonstances. Aux
Etats-Unis,
l'Etat intervient sur l'économie beaucoup
que la doctrine du libéralisme économique qu'on y défend
pourrait le laisser penser. De son côté, la France
- de Colbert à De Gaulle - a eu une forte
tradition d'interventionnisme économique et reste encore un des
Etats les plus centralisés, même si, du fait de son intégration
à l'Union Européenne, elle se trouve dans une situation la
conduisant à un désengagement croissant de l'Etat. La constitution
de l'Union Européenne est d'ailleurs la principale innovation sur
laquelle la science politique peut se pencher depuis ces dernières
décennies. Les transferts de souveraineté qu'induisent pour
tous les pays de l'Union européenne leur intégration dans
cette entité supra-nationale est un facteur qui agit sur l'évolution
de leurs modes de gouvernance, et ouvre aux chercheurs des horizons inédits.
Et, plus largement, s'ajoute désormais la problématique de
la place dévolue aux Etats dans le contexte d'une économie
devenue globale. (André Lichtenberger
/ NLI). |
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