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Sophonisbe, de Corneille

Sophonisbe est une tragédie de Corneille d'abord jouée en 1653. Avec Sophonisbe, Corneille remettait à la scène un sujet déjà souvent traité par ses prédécesseurs. Sans parler de la Sophonisbe italienne de Georges Trissino, la première en date (1514), nous avons eu sur ce sujet des pièces de Mellin de Saint-Gelais, de Mermet, de Montchrétien, et d'autres encore. Mais la plus célèbre est la Sophonisbe de Mairet (1629), qui tint la scène pendant plus de quarante ans. Corneille n'a pas imité ses prédécesseurs : dans son avertissement au lecteur, il se défend vivement d'avoir voulu donner lieu à une comparaison avec Mairet :
 « J'ai cru plus à propos de respecter sa gloire et ménager la mienne, par une scrupuleuse exactitude à m'écarter de sa route. »
Il a pris les données de sa pièce aux historiens anciens, Polybe, Tite-Live et Appien, dont il a quelque peu modifié les récits.

Fille d'Hasdrubal, général carthaginois, et d'abord mariée à Massinisse, roi de Numidie, Sophonisbe, cédant à sa haine contre les Romains, a rompu son premier hymen pour s'unir à Syphax, autre roi de cette contrée qu'elle veut rattacher aux intérêts de Carthage. Assiégée dans Cyrthe, sa capitale, elle apprend que Syphax est venu à son secours et engage des pourparlers avec les Romains (a.I, sc. I) :

Madame, il était temps qu'il vous vînt du secours; 
Le siège était formé, s'il eût tardé deux jours :
Les travaux commencés allaient à force ouverte 
Tracer autour des murs l'ordre de votre perte,
Et l'orgueil des Romains se promettait l'éclat 
D'asservir par leur prise et vous et tout l'État.
Syphax a dissipé par sa seule présence 
De leur ambition la plus fière espérance.
Ses troupes, se montrant au lever du soleil, 
Ont de votre ruine arrêté l'appareil.
A peine une heure ou deux elles ont pris haleine 
Qu'il les range en bataille au milieu de la plaine.
L'ennemi fait de même, et l'on voit des deux parts 
Nos sillons hérissés de piques et de dards,
Et l'une et l'autre armée étaler même audace, 
Égale ardeur de vaincre et pareille menace.
L'avantage du nombre est dans notre parti;
Ce grand feu des Romains en paraît ralenti; 
Du moins de Lélius la prudence inquiète
Sur le point du combat nous envoie un trompette. 
On le mène à Syphax, à qui sans différer 
De sa part il demande une heure à conférer. 
Les otages reçus pour cette conférence,
Au milieu des deux camps l'un et l'autre s'avance; 
Et, si le ciel répond à nos communs souhaits, 
Le champ de la bataille enfantera la paix.
Elle ne tient pas beaucoup à la paix, car sa captive Eryxe, reine de Gétulie, aime Massinisse, et Sophonisbe, jalouse, craint que celui-ci ne l'épouse. Aussi conseille-t-elle la guerre à Syphax, qui s'incline devant sa volonté.

Battu, il est fait prisonnier, et Sophonisbe se retrouve en présence de Massinisse qu'elle reconquiert. Puis, craignant d'être conduite captive au Capitole, elle presse Massinisse d'aller trouver le général romain, Lélius, et reste indifférente aux reproches de Syphax qu'elle a trahi.

Cependant Scipion vient d'arriver au camp. Massinisse l'engage à venir avec lui demander la ratification de leur mariage à celui-ci. Elle s'y refuse énergiquement (a. IV, sc. V) :

Quoi? j'irais mendier jusqu'au camp des Romains 
La pitié de leur chef qui m'aurait en ses mains? 
J'irais déshonorer par un honteux hommage 
Le trône où j'ai pris place et le sang de Carthage; 
Et l'on verrait gémir la fille d'Hasdrubal 
Aux pieds de l'ennemi pour eux le plus fatal? 
Je ne sais si mes yeux auraient là tant de force 
Qu'en sa faveur sur l'heure il pressât un divorce; 
Mais je ne me vois pas en état d'obéir 
S'il osait jusque-là cesser de me haïr. 
La vieille antipathie entre Rome et Carthage 
N'est pas prête à finir par un tel assemblage. 
Ne vous préparez point à rien sacrifier 
A l'honneur qu'il aurait de vous justifier. 
Pour effet de vos feux et de votre parole 
Je ne veux qu'éviter l'aspect du Capitole 
Que ce soit par l'hymen ou par d'autres moyens, 
Que je vive avec vous ou chez nos citoyens, 
La chose m'est égale; et je vous tiendrai quitte, 
Qu'on nous sépare ou non, pourvu que je l'évite. 
Mon amour voudrait plus; mais je règne sur lui 
Et n'ai changé d'époux que pour prendre un appui.
Massinisse y va seul, laissant Sophonisbe en proie à des craintes qui ne sont que trop justifiées. En effet Mézétulle lui apporte ce billet écrit de la main du roi (a. V, sc. III) :
Il ne m'est pas permis de vivre votre époux; 
Mais enfin je vous tiens parole,
Et vous éviterez l'aspect du Capitole
Si vous êtes digne de vous.
Ce poison que je vous envoie 
En est la seule et triste voie;
Et c'est tout ce que peut un déplorable roi 
Pour dégager sa foi. »
Elle le montre à Eryxe pour lui inspirer le mépris d'un homme aussi lâche, puis, malgré les assurances de pardon qu'on lui offre, elle s'empoisonne. Une telle fin excite l'admiration de Lélius (a. V, sc. VII):
Je dirai plus, madame, en dépit de sa haine, 
Une telle fierté devait naître romaine.
Sophonisbe eut peu de succès; elle fut violemment critiquée, en particulier par l'abbé d'Aubignac dans plusieurs Dissertations. Au bout de peu de temps elle céda la place à la pièce de Mairet.

Le sujet fut repris par quelques poètes, Lagrange-Chancel (1716), Thomson (1729) et Voltaire lui-même (1769); aucune de ces pièces n'est un chef-d'oeuvre. (H. Clouard).

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Dictionnaire Le monde des textes
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