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John Herschel

héros d'un canular lunaire...

Une mystification restée célèbre avait fort ému, dans les derniers mois de 1835, tous les curieux des choses de la nature, lorsque sous le nom respecté de sir John Herschel, alors au cap de Bonne-Espérance pour ses recherches astronomiques de l'hémisphère austral, un publiciste en bonne humeur avait lancé dans le public la curieuse brochure portant pour titre flamboyant: « Découvertes dans la Lune, faites au cap de Bonne-Espérance, par Herschel fils, astronome anglais ». Son véritable auteur parait être un certain de Locke, qui n'était pas philosophe.

D'après cet opuscule, traduit du journal le New York American, Sir John Herschel, qui venait d'être envoyé en mission au cap de Bonne-Espérance pour des études astronomiques, aurait observé sur la Lune les spectacles les plus fantastiques, spectacles tels, selon les propres expressions de l'auteur, que la prose la plus habile ne saurait en faire une description exacte, et que l'imagination portée sur les ailes de la poésie pourrait à peine trouver des allégories assez brillantes pour les peindre! 

La première page était déjà brûlante d'enthousiasme : «Venez que je vous embrasse! Il y a des hommes dans la Lune! ». Ainsi commence l'exorde. Puis l'auteur décrit avec un soin bien calculé la construction du télescope géant d'Herschel, l'usage des lentilles, la série progressive des observations faites.

A l'aide du plus puissant oculaire on aurait vu des rochers de rubis et d'améthystes, des grottes de stalactites diamantées, des arbres aux formes indescriptibles, des troupeaux de bisons portant une visière de chair sur les yeux, des chèvres unicornes gambadant dans les campagnes. Au sein des sites les plus pittoresques, on voyait encore de sombres cavernes d'hippopotames s'élever sur le haut d'immenses précipices comme des remparts dans le ciel, et des forêts aériennes paraissant suspendues dans l'espace. De brillants amphithéâtres étalaient mille rubis au Soleil, des cascades argentées, des dentelles d'or vierge ornaient de riches franges les vertes montagnes. Des moutons aux cornes d'ivoire paissaient dans les plaines, des chevreuils blancs venaient boire aux torrents, des canards (sic) nageaient sur les lacs! 

Mieux que tout cela, les humains de la Lune étaient de grands êtres ailés, de notre taille, et dont les ailes étaient membraneuses à la façon de celles des chauves-souris; ces hommes-oiseaux voltigeaient par groupes de colline en colline, etc. Dans un moment de vision magnifique, une troupe de ces oiseaux humains, ou, pour mieux dire, de ces humains ailés, traversa, nous apprend l'auteur, le champ du télescope :

« Ils étaient couverts de longs poils touffus comme des cheveux, couleur de cuivre, et leurs ailes étaient formées d'une membrane très mince, analogue à celle des ailes de chauve-souris ». etc.
Et grâce aux prodiges de la technique, toutes ces merveilles avaient été vues, nous précisera-t-on, à 80 mètres de distance!  L'auteur, toutefois, n'avait pas pensé à tout. Il décrit les grottes, les rochers, les mouvements, comme on les verrait de face, étant sur la Lune, et non comme nous les verrions ici. En fait, nous voyons la Lune au télescope comme nous voyons la Terre du haut d'un ballon, non de face, mais en projection verticale. 

Ce que John Herschel n'a pas vu...
La mystification fit un grand bruit  et Arago se crut obligé de s'insurger à l'occasion de la séance de l'Académie des sciences du 9 novembre 1835 :
« Depuis quelques jours, dit-il, les personnes connues pour s'occuper d'astronomie sont fréquemment questionnées sur de grandes découvertes  qui auraient  été faites tout à fait récemment au Cap de Bonne-Espérance, par M. Herschel.

À l'aide de nouveaux instruments, différents de tous les instruments optiques connus, ce savant serait parvenu à voir la lune comme on la verrait à l'oeil nu si on n'était qu'à un mètre de distance de sa surface, de manière à y pouvoir  observer jusqu'aux plus petits objets.

Je savais bien que si M. Herschel avait fait réellement quelque découverte  importante ce ce n'aurait pas été par une voie aussi indirecte que j'en eusse été informé. Comme je n'avais reçu aucune lettre du savant astronome anglais, je ne pouvais, même en faisant une aussi large part que possible à l'exagération, deviner quelle était l'origine de ce bruit absurde; enfin j'ai appris que ce n'était autre chose qu'une plate mystification imaginée par quelques habitants de New York, et publiée sous forme de supplément au Journal of Sciences de Brewster. Comme l'auteur de ce sot écrit n'a  pas craint de supposer des lettres de savants Justement respectés, c'est une infamie qui mériterait toute la colère des honnêtes gens, si son extrême stupidité ne la garantissait.

M. Herschel, suivant cette brochure, aurait été pourvu par le gouvernement anglais des moyens d'exécuter les gigantesques instruments dont il avait prévu la puissance, mais à condition de garder secrets les résultats; et c'eût été seulement à l'indiscrétion d'une des personnes qu'il employait qu'on en eût dû la connaissance. L'objectif de sa lunette n'aurait pas pesé moins de 148 quintaux. Avec le secours de cet instrument, il aurait vu dans la Lune, des masses d'or énormes., une améthyste de 60 pieds, des animaux de diverses espèces, des boeufs portant au-dessus des orbites un rideau qui devait voiler  leurs yeux par  intervalles, afin de  prévenir la fatigue résultant de la  trop longue durée du jour dans ce pays; des castors à deux pieds; sachant non seulement se construire des maisons, mais encore allumer du feu... 

Il n'y aurait dans tout cela qu'une insipide, plaisanterie, si, l'on n'avait, comme il a été dit, supposé des lettres de personnes connues et trop respectables  pour qu'on puisse se permettre de les faire figurer dans une pareille farce. Il n'en peut résulter aucun ridicule pour M. Herschell, mais seulement du mépris pour l'auteur de cette spéculation; et il est bon que quelqu'un se charge. d'exprimer publiquement sur ce sujet l'opinion générale. »


Quant au principal intéressé, John Herschel, il prend l'affaire avec beaucoup plus de flegme Un journal américain  a publié quelque temps plus tard une lettre de John Herschel, à un capitaine qui lui avait envoyé un numéro du Journal du Commerce de New York, où se trouvait le récit des prétendues découvertes dans la Lune. Voici cette lettre :

« Au Capitaine Caldwell,
Sur le bâtiment américain Le Levant, Table-Bay.
Veldhauser, près Wynberg, Cap de
Bonne-Espérance, 5 janvier 1836.

Sir John Herschel présente ses compliments au capitaine Caldwell, et le remercie de lui avoir communiqué la fable singulière et artistement conçue qui a paru dans le Journal du Commerce de New York, du 2 septembre 1835. Sir John Herschel serait bien aise de pouvoir Ia garder, un peu comme curiosité, et aussi comme nous faisant perpétuellement souvenir combien sont vaines (trivial) les découvertes que toute notre science, si vantée a jusqu'ici réalisées on pourra réaliser dans les siècles à venir, en comparaison de ce, qui nous est inconnu et de ce, que nous ne soupçonnons pas parmi les réalités de la nature, et même parmi celles qui sont sous notre main, et qui ne sont point hors de notre portée. Sir John Herschel serait heureux, si le séjour du capitaine Caldwell au Cap lui permet de lui faire voir par ses yeux sous quelle humble échelle ses opérations astronomiques seront conduites. »

John Herschel, qui continue de se tenir au courant des développements de l'affaire grâce aux navires venus d'Europe et d'Amérique et qui font escale Cap, s'occupera également de tempérer l'indignation de ses défenseurs. Tout cela n'est pas si grave, au fond. A Arago, il écrit :
« Le capitaine Hall a eu la bonté de pourvoir à mon amusement, en m'envoyant divers journaux qui renfermaient l'histoire de mes prétendues découvertes dans la Lune, et des remarques critiques, dans quelques-unes desquelles j'ai cru reconnaître votre style. M. Hall n'a pas oublié de m'informer de l'empressement amical que vous avez mis à désabuser à ce sujet le bon public de Paris. Je vous prie d'accepter mes sincères remerciements pour vos bons offices, quoique, en vérité, je doive regretter qu'un temps aussi précieux que le vôtre, ait été ainsi employé. Puisqu'il y a des gens assez niais pour croire tout conte extravagant qu'on leur débite, nous devons désirer que ces contes soient toujours aussi innocents (harmless) que celui dont il s'agit : en tout cas, je ne suis pas disposé à me plaindre sérieusement d'un événement qui m'a rappelé à votre souvenir, et qui vous a constitué mon défenseur. »
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