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Le
barattement de la mer de lait est un des épisodes les plus curieux
de la mythologie hindoue. La fin principale
de cette opération a été la production du breuvage
d'immortalité connu en sanscrit
sous le nom d'amrita (= immortalité) et
en grec sous celui d'ambroisie (ce dernier mot n'est que la modification
du premier); mais il a produit encore une foule d'autres objets qui jouent
un grand rôle dans le système religieux des
brahmanes. C'est pourquoi, on donnera ici la traduction d'un passage
d'après le Mahabharata,
poème sacré des Hindous. Ce morceau donnera en même
temps une idée du style dans lequel cette célèbre
épopée a été écrite. Cette traduction
est due à Lancereau :
« Il y a une montagne appelée le mont Mérou, masse immobile, glorieuse et resplendissante, dont les cimes dorées surpassent en éclat le Soleil. Elle est couverte et ornée d'or; elle est la demeure des dévas et des gandharvas : les humains qui se rendent coupables de péché ne peuvent ni la mesurer ni la franchir. Elle est habitée par des serpents redoutables, et ses flancs sont couverts de plantes célestes. Son sommet s'élève jusqu'aux cieux; la pensée même ne saurait la comparer aux autres montagnes; elle est la source de différentes rivières; elle est couverte d'arbres, et on y entend les chants agréables d'une multitude d'oiseaux. Les puissants souras montèrent sur la cime élevée de cette montagne éclatante, couverte de pierres précieuses, et dont la durée est éternelle. Ces pieux et vertueux habitants du ciel s'assirent pour délibérer; ils s'étaient réunis pour découvrir l'amrita. Tandis que les souras méditaient et tenaient conseil, le divin Nârâyana dit à Brahma : Que les dévas et les troupes des asouras barattent l'Océan ; l'océan baratté produira l'amrita. Dévas, rassemblez toutes les plantes et toutes les pierres précieuses, agitez l'Océan et découvrez l'amrita!Le Mandara est une haute montagne dont le sommet ressemble à un nuage qui s'élève; il est enveloppé d'un réseau de plantes grimpantes; on y entend les chants d'une quantité innombrable d'oiseaux; il est peuplé de serpents; il est la demeure des kinnaras, des apsaras et des dévas eux-mêmes; il est élevé de onze mille yojanas, et, sous terre, il a la même mesure en profondeur. Les troupes des dévas, ne pouvant le soulever, allèrent trouver Vishnou qui était assis avec Brahma, et leur dirent : Seigneurs, prêtez-nous l'appui de votre intelligence suprême et qui donne le souverain bonheur, et, pour notre bien , aidez-nous à soulever le Mandara; réunissez vos efforts aux nôtres. Soit, dirent Brahma et Vishnou fils de Bhrigou; et le dieu magnanime aux yeux de lotus ordonna au roi des serpents de paraître. Le robuste Ananta, obéissant à l'ordre de Brahma, parut, et Nârâyana lui ordonna de se mettre à l'ouvrage. Alors le vigoureux Ananta souleva violemment cette reine des montagnes, née de Brahma, et avec elle ses forêts et leurs habitants; les souras le suivirent et se dirigèrent avec lui vers l'Océan; puis ils dirent à l'Océan : Nous allons baratter tes eaux pour en tirer l'amrita. Le maître des eaux répondit : J'en demande ma part, car les mouvements du Mandara me feront éprouver une grande secousse.Les asouras et les souras dirent à la reine des tortues qui était sur le rivage : Porte cette montagne. - Oui, reprit la tortue; et on mit la montagne sur son dos.Lorsque la montagne fut sur le dos de la tortue, Indra la poussa comme une machine. Les dévas, se servant du Mandara comme d'un ribot, et de Vasouki comme d'une corde, se mirent à baratter les eaux de l'Océan. Les asouras et les dânavas les agitèrent aussi pour en tirer l'amrita. Les grands asouras tenaient une des extrémités du serpent, et tous les souras réunis se saisirent de la queue. - Episode du barattage de la mer de lait (côté Assouras) évoqué dans une allée d'Angkor-Thom (Cambodge). Photos : © Angel Latorre, 2008. Le vénérable et divin Ananla était auprès de Nârâyana; il tirait la tête du serpent et la lançait à plusieurs reprises. Le serpent Vasouki. violemment agité par les souras, vomissait des torrents de flammes et de fumée, qui s'élevaient en nuages épais et lumineux, et tombaient sur les troupes des souras fatigués par le travail et la chaleur. Du haut de la montagne, une pluie de fleurs se répandait de tous côtés sur les souras et les asouras; on entendait un grand bruit semblable à celui que fait un grand nuage : c'était le mugissement de l'Océan, que les souras et les asouras agitaient en faisant tournoyer le Mandara. Mille productions des eaux furent broyées et détruites, et une foule d'animaux, habitants des profonds abîmes de la mer, périrent écrasés par le Mandara. Dans ce mouvement rapide imprimé à la montagne, les arbres s'entrechoquant tombaient du haut de ses cimes, avec les oiseaux qui les habitaient. Leur choc produisit un feu dont la flamme, brillante comme l'éclair, enveloppa le mont Mandara d'un noir nuage de fumée. Les éléphants et les lions, cherchant à fuir, furent consumés par les flammes; tous les êtres vivants et les diverses productions furent la proie de l'incendie. Le roi des immortels, Indra, fit tomber l'eau des nuages, et éteignit ce feu qui étendait ses ravages de tous côtés. Alors un jus, formé par la décomposition des arbres et des plantes, se répandit dans les eaux de l'Océan; ce fut dans ce jus, semblable à du lait, qui devait produire l'amrita, et dans un mélange d'or fondu, que les souras trouvèrent l'immortalité. Les eaux de l'Océan, mêlées à ce jus excellent, se changèrent en lait, et de ce lait se forma du beurre. Les dévas retournèrent auprès de Brahma, le dispensateur des grâces, qui était assis, et lui dirent Brahma, les dânavas et nous, excepté le divin Nârâyana, sommes très fatigués, et l'amrita ne paraît pas encore, bien que depuis longtemps nous barattions l'Océan. Alors Brahma dit au divin Nârâyana : Vishnou, donne-leur de nouvelles forces; c'est toi qui es le directeur de l'ouvrage.Vishnou dit : Je donnerai de nouvelles forces à tous ceux qui prendront part à cette oeuvre; que tous barattent l'Océan et fassent mouvoir le Mandara.A ces mots, tous réunirent leurs efforts, et agitèrent avec une nouvelle force le lait de l'Océan. Alors de cette mer agitée on vit sortir la lune au visage riant; éclatante de lumière et répandant une douce clarté. De ce beurre naquit aussi la déesse Sri, dont la demeure est la fleur du Pandara; puis vinrent la nymphe Sonrâ Dêvi, le cheval blanc Outshêhsravas, et la pierre précieuse Kôstoubha, joyau divin et étincelant que porte Nârâyana sur sa poitrine. La déesse Srî, Sourâ Dévi, la Lune et le cheval aussi rapide que la pensée, suivant la route du Soleil, allèrent rejoindre les dévas. Puis vint le divin Dhanwantari, revêtu d'une forme humaine et tenant dans sa main un vase blanc où était renfermé l'amrita. A la vue de ce prodige, les asouras réclamèrent l'amrita, et tous crièrent : Il m'appartient. Cependant l'on vit paraître, avec ses quatre défenses blanches, l'énorme éléphant Erâvana que possède le dieu du tonnerre; et l'agitation prolongée de l'Océan produisit encore le poison kâlakoûta. Ce poison, brûlant comme le feu, se répandit dans l'univers, et, par son odeur, jeta le trouble dans les trois mondes. Mais, pour sauver le monde. Shiva, d'après l'ordre de Brahma, avala le poison, et le poison s'arrêta dans la gorge du dieu souverain et à la forme de Mantra; de là lui vint le surnom de Nilakanta (gosier bleu). A la vue de ce miracle, les dânavas furent désespérés; l'amrita et la déesse Srî devinrent pour eux la cause d'une implacable inimitié. Nârâyana eut recours à la ruse; il prit la forme d'une belle femme, de Mohini, et se présenta aux dânavas. Les dânavas et les détyas, séduits par la beauté de cette femme, eurent l'esprit troublé, et lui donnèrent l'amrita. Alors les dêtyas et les dânavas se couvrirent de belles armures, s'armèrent de toutes pièces, et marchèrent tous contra les dévas. Le divin, le puissant et illustre Vishnou, accompagné de Nara, prit l'amrita des mains des principaux asouras et le donna aux dévas, qui le burent au milieu du désordre et du tumulte du combat. Pendant que les dévas
buvaient l'amrita si désiré, le dânava Râhou,
sous la forme d'un soura, vint en boire à son tour. L'amrita n'était
encore que dans la gorge du dânava, lorsque la Lune et le Soleil,
amis des souras, leur découvrirent la supercherie. Tandis qu'il
buvait l'amrita, le grand Nârâyana ni porta un violent coup
de tchakra et lui trancha la tête. La tête énorme du
dânava, semblable à la cime d'une montagne, s'élança
vers les cieux, en poussant un cri terrible; le tronc tomba en s'agitant
sur la terre, et ébranla les îles, les montagnes et les forêts.
A partir de ce moment, la tête de Râhou concut une haine éternelle
envers la Lune et le Soleil, et maintenant encore il les dévore
tous deux.
Le grand Hari, quittant cette belle forme de femme qu'il avait prise, saisit ses armes redoutables et jeta l'épouvante dans les rangs des dânavas. Sur le rivage de l'Océan, un combat naval s'engagea entre les souras et les asouras. Les flèches acérées, les javelines aiguës , les traits de toute espèce, volaient par milliers. Les asouras, frappés de coups de tshakra, vomissaient beaucoup de sang et tombaient sur le sol, percés de coups d'épées, de lances et de piques aiguës. Leurs têtes, couvertes de parures d'or, tombaient les unes après les autres sous les coups redoutables de la hache; leurs cadavres nageaient dans le sang et gisaient semblables aux sommets des montagnes sur lesquelles resplendissent les minéraux. Les combattants poussaient de grands cris et se frappaient les uns les autres; le Soleil était obscurci; tous s'entretuaient à coups de piques; de près ils combattaient avec les poings, et le bruit de la mêlé arriva, pour ainsi dire, jusqu'aux cieux. On entendait de tous côtés ces cris terribles : Taillez en pièces, tuez, renversez, attaquez!Au milieu de cette horrible mêlée, les dieux Nara et Nârâyana arrivèrent sur le champ de bataille. Le grand Vishnou, voyant dans les mains de Nara un arc céleste, pensa à son tshakra destructeur des dânavas. Alors le tchakra Soudarsana, resplendissant comme le Soleil, rapide dans sa course, destructeur des ennemis et terrible à voir dans le combat, comprenant la pensée même du dieu, tomba du haut du ciel, brillant comme la flamme du sacrifice , et répandant partout la terreur. Vichnou, tournant son bras comme la trompe d'un éléphant, lança le tshakra redoutable et étincelant qui détruit les villes ennemies. L'arme, brillant d'un éclat pareil à celui du feu de la destruction finale des êtres, lancée, par la main du roi des humains, bondit à plusieurs reprises, et, dans sa course rapide, tua par milliers les enfants de Diti et de Danou. Semblable à une flamme ardente, elle brûla et renversa les asouras; puis, retombant sur la terre, elle s'abreuva de sang comme un pisâtcha. Alors les asouras, loin de se décourager, lancèrent sur les souras des quartiers de rochers, et volèrent dans l'espace comme des nuages dispersés. Du haut des airs, de grandes et terribles montagnes tombaient couvertes de leurs arbres, s'entrechoquaient et ébranlaient la terre jusque dans ses fondements, en roulant avec fracas sur le champ de bataille. Pendant que les souras
soutenaient ce choc terrible, Nara répandit dans les airs une grêle
de flèches ornées d'or à leur extrémité,
et de ses traits fendit les montagnes. Les asouras, pressés par
les souras, s'enfoncèrent dans les profondeurs de la terre et dans
les eaux salées de l'Océan, et les dévas apaisèrent
la fureur du Soudarsana, qui remonta au ciel, brillant comme la flamme
du sacrifice. Les souras vainqueurs remirent avec respect le mont Mandara
à sa place, et les eaux se retirèrent comme elles étaient
venues, faisant retentir l'air et le ciel de leur mugissement. Les souras
joyeux conservèrent l'amrita; avec soin, et Indra et tous les immortels
confièrent à Nârâyana la garde de ce trésor
». (Mahabharata).
Sculpture représentant le barattement de la mer de lait, à l'aéroport international de SuvarnabhumiI (Bangkok, Thaïlande). Source : The World Factbook. |
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