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Samedi  14
décembre 2024

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Fêtes et coutumes populaires
Charles Le Goffic

Chapitre X
La cérémonie des noces en Bretagne

Le Goffic
1911-
Il est peu de pays, je crois, où le mariage prête à un cérémonial plus compliqué, plus pittoresque aussi, qu'en Basse-Bretagne. Il y a une cinquantaine d'années surtout, avant que les chemins de fer n'eussent éventré de toutes parts

La terre de granit recouverte de chênes,

on pouvait assister, dans les fermes où se trouvait une jeune fille à marier, aux scènes de mœurs les plus inattendues. La demande en mariage ne se faisait point par l'intermédiaire des parents. C'était un tailleur, homme d'esprit souple et de langue acérée, qui en était ordinairement chargé. On appelait ce messager d'amour le bazvalan, des deux mots celtiques : baz, baguette, et balan, genêt, parce qu'il avait d'habitude pour caducée une branche de genêt fleuri. On le reconnaissait du premier coup d'œil à cet insigne et aussi à ses bas de chausses bi-partites, dont l'un était rouge et l'autre violet.

Le bazvalan commençait par s'assurer de l'assentiment de la jeune fille et des parents. Il revenait une seconde fois à la ferme pour la demande officielle; mais il était accompagné cette fois-là du jeune homme à qui l'on ménageait un tête-à-tête avec la jeune fille. Leur entretien terminé, les nouveaux accordés s'approchaient, en se tenant par le petit doigt, de la table où avaient déjà pris place leurs parents respectifs; on leur apportait une miche de pain frais, un couteau et un verre. Le même couteau devait leur servir à couper le pain et ils devaient boire dans le même verre l'hydromel ou le cidre que leur versait le bazvalan. Après cette sorte de communion préparatoire, qui s'observe encore à Plougastel ils étaient regardés comme liés l'un à l'autre : celui des deux qui se fût dédit eût été l'objet du mépris public.

Entre temps et d'un commun accord, les parents des nouveaux fiancés avaient fixé la date des noces. La jeune fille, accompagnée de son garçon d'honneur, le jeune homme, de sa fille d'honneur, s'étaient rendus de porte en porte pour faire leurs invitations. Plus on est pauvre en Bretagne, plus on tâche qu'il y ait d'invités à la noce. C'est que, là-bas, les convives ne paient pas seulement leur écot : ils offrent encore aux mariés les éléments du repas de noce, beurre, œufs, boudins, arbelèze, cuissots de veau, et la boisson par surcroît. Aucun peuple n'a l'esprit plus communautaire et n'est en même temps plus jalousement individualiste. Je ne me charge pas de vous expliquer cette contradiction. Tant y a que, grâce aux cadeaux de toutes sortes qui affluent chez les nouveaux époux, les moins fortunés ont de quoi se mettre en ménage et faire face aux premières nécessités de leur vie commune. La mutualité bien entendue produit de ces miracles.

Mais c'est dans les fermes riches de la Cornouaille que les cérémonies du mariage revêtaient une originalité et une couleur dont on ne trouverait nulle part les équivalents. La noce avait toujours lieu à cheval. Dès la fine pointe de l'aube, au jour marqué, la cour de la ferme se remplissait d'une joyeuse cavalcade qui venait chercher la jeune fille et ses parents pour les conduire à l'église.

« Le fiancé est à leur tête, raconte La Villemarqué, le garçon d'honneur à ses côtés. À un signal convenu, son bazvalan descend de cheval, monte les degrés du perron et déclame à la porte de la future, sur un thème invariable, mais arbitrairement modulé, un chant improvisé, auquel doit répondre un autre chanteur de la maison qui fait près de la jeune fille, comme le bazvalan près du jeune homme, l'office d'avocat et que l'on nomme breutaer. »

Le tournoi des deux rimeurs prend fin par la victoire du bazvalan. Le malin personnage est introduit dans la grande pièce du logis, qui sert tout à la fois de salon, de réfectoire et de cuisine. Il s'assied un moment à la table des maîtres, puis retourne dans la cour chercher le fiancé... Le père de la jeune fille attend son futur gendre sur le pas de la porte : dès qu'il paraît, il lui remet une sangle de cheval que le fiancé devra passer à la ceinture de sa belle. C'est l'occasion d'un nouvel impromptu rimé pour le breutaer : « J'ai vu dans une prairie une jeune cavale joyeuse, etc., etc. » Le tour du bazvalan vient ensuite. Il prend la jeune fille par le petit doigt et la mène vers ses parents :

« Allons, jeune fille, lui dit-il, courbez vos deux genoux et baissez le front sous les mains de votre père... Vous pleurez?... Oh! regardez votre père et votre pauvre mère... Eux ils pleurent aussi, mais combien leurs larmes sont plus amères que les vôtres!... ils vont se séparer de la fille qu'ils ont bercée et fait danser dans leurs bras! Qui ne sentirait son cœur se briser à la vue d'une pareille douleur? Et pourtant il faut que ces pleurs tarissent... Père tendre, ta fille est là, regarde, à genoux, les bras tendus!... Pauvre mère, avance tes mains!... Une prière et une bénédiction pour l'enfant qui va partir! (Le père et la mère donnent leur bénédiction à la jeune fille.) Assez maintenant. Vous avez obéi aux commandements de Dieu. Jeune fille, embrasse tes parents et relève-toi forte, car tu appartiens désormais à un homme! »

Les assistants montaient aussitôt à cheval. En tête, sur la même haquenée, s'avançaient le fiancé et sa future, celle-ci avec autant de galons d'argent à ses manches ou de petits miroirs à sa coiffe qu'elle recevait de mille livres de dot. Le rendez-vous général était au bourg voisin, que de longues distances séparaient souvent de la ferme. Mais, avant de pénétrer dans la mairie et à l'église, il restait une dernière formalité à remplir. Précédés du bazvalan, le fiancé et sa future se dirigeaient vers le cimetière et, arrivés devant les tombes de leurs parents, ils se mettaient à genoux, tandis que le bazvalan récitait à voix haute la formule consacrée :

« Maintenant que les vivants ont consenti au mariage de leur fille, nous venons vers vous, âmes des ancêtres, et nous vous adjurons de nous délivrer aussi votre consentement. Vous voyez tout, et vous savez l'avenir autant que le passé. Accordez-nous la jeune fille que recherche notre ami et, connaissant de quelle affection il vous eût chéries, bonnes âmes, agréez-le pour votre enfant. »

Cette fois il n'y avait plus qu'à passer devant M. le maire et M. le recteur (curé). Ces deux parties du cérémonial n'avaient rien d'extraordinaire. Il paraît cependant qu'en certaines paroisses, quand l'assistance était toute rendue dans la sacristie, le prêtre tirait d'un panier que portait le garçon d'honneur un petit pain blanc sur lequel il faisait le signe de la croix avec la pointe d'un couteau et qu'il partageait entre les deux époux.

La noce sortait enfin de l'église. Bim! Boum! De tous côtés, sur la place du bourg, pétaradaient les coups de fusil; bombardes et binious éclataient en sonorités aiguës. L'assistance remontait à cheval et reprenait le chemin de la ferme. Sur l'aire neuve, dans le courtil et les granges, des tentes étaient dressées, vastes quelquefois à pouvoir loger 1500 convives. Comment décrire ces banquets de Gamache? Longtemps contenue et d'autant plus exubérante, la gaieté bretonne, comme un cidre pétillant, lâchait sa bonde et giclait au grand soleil. Commencé à midi, le festin ne s'achevait souvent qu'à six heures du soir. Chaque service était annoncé par un air de biniou et de bombarde. Puis, les tables enlevées, jeunes filles et garçons nouaient leurs rondes sur l'aire neuve. Les jabadao succédaient aux passe-pieds, les laridés aux gavottes. C'est la scène qu'a finement traduite le peintre Leleux dans le tableau dont nous donnons une reproduction. Bien avant dans la nuit, surtout en été, les danses se prolongeaient, et il ne fallait pas moins, pour suspendre l'entrain des couples, que l'annonce, faite à pleine voix par le bazvalan, des préliminaires de la Soupe au lait.

Nombre de vieux us matrimoniaux ont disparu, même en Bretagne, ce Conservatoire par excellence de la tradition : la coutume de la soupe au lait s'y est maintenue avec fidélité. Brizeux l'a popularisée dans une ballade célèbre :

Chantons la soupe blanche, amis, chantons encor
Le lait et son bassin plus jaune que de l'or.
Près du lit des époux chantons la soupe blanche.

La voilà sur le feu qui bout dans son bassin.
Comme les flots de joie et d'amour dans leur sein,
La voilà sur le feu qui déborde et s'épanche.

Chantons, etc.

Bien! Le lait jusqu'aux bords dans les écuelles fume :
Dans un seul vase offrons leur part aux deux époux,
Pour qu'ils boivent toujours ainsi que ce lait doux
Dans un vase commun le miel et l'amertume.

Chantons, etc.

Admirez! admirez! De ses larges mamelles
La génisse féconde a donné ce lait blanc.
Ainsi la jeune mère, avant la fin de l'an,
Versera son lait pur à deux bouches jumelles.

Chantons, etc.

Saint Herbod, écoutez les appels de notre âme,
Et vous, sainte Enora, les vœux de notre cœur :
Oh! ne laissez jamais sans la douce liqueur
Les pis de la génisse et les seins de la femme.

Chantons, etc.

Assez! Les mariés ont bu la soupe blanche.
L'épouse rougissante est pleine d'embarras.
Elle voudrait cacher sa tête sous son bras.

L'époux attire à lui cette fleur qui se penche.
Chantons la soupe blanche, amis, chantons encor
Le lait et son bassin plus jaune que de l'or.

Ce que ne dit point le poète, c'est le mélange de sérieux et de gaieté qui accompagne cette petite scène : les nouveaux mariés sont assis sur un banc, quelquefois même couchés dans leurs lits clos à volets mobiles. Le garçon et la fille d'honneur leur apportent sur un plateau le bassin qui contient la soupe; mais les cuillers sont percées; les morceaux de pain sont liés par un fil invisible. Le lait fuit de tous côtés, tandis qu'aux éclats de rire de l'assistance, les mariés font leurs efforts pour en attraper quelques gouttes. De guerre lasse, ils laissent tomber la cuiller.

C'est le moment que guettent les garçons et les filles d'honneur pour entonner la chanson de la soupe au lait. Il y a plusieurs variantes de cette chanson. Celle qu'on chante sur le littoral trégorrois est particulièrement grave et mélancolique. Je ne puis en donner ici qu'un court fragment. L'auteur anonyme de cette émouvante composition y a fait tenir tout le drame de la vie bretonne; il ne flatte pas les nouveaux époux; il leur peint le mariage sous des couleurs plutôt sévères.

« Aimez-vous bien l'un l'autre, dit-il en terminant. Gardez l'un pour l'autre une étroite fidélité; élevez vos enfants dans la crainte de Dieu. — Par ainsi, chrétiens, quand l'heure de la mort sonnera pour vous, votre séparation ne sera point éternelle, et Dieu vous donnera la joie de vous retrouver dans son paradis. »

La première journée des noces est terminée. La seconde est d'un caractère tout différent. Elle commence par un service funèbre auquel assistent tous les invités de la veille : les morts ne sont jamais oubliés en Bretagne. Mais il y a une autre catégorie de malheureux pour qui ce jour est un jour de liesse; ce sont les pauvres, ces hôtes de Dieu, comme les appelle une expression bretonne. Pareils à un volier de moineaux pillards, ils s'abattent sur la ferme des quatre aires du vent. Tous les éclopés de la création sont réunis là; on dirait une nouvelle Cour des miracles.

« Revêtus de leurs haillons les plus propres, dit La Villemarqué, ils mangent les restes du festin de la veille; la nouvelle mariée, la jupe retroussée, sert elle-même les femmes, et son mari les hommes. Au second service, celui-ci offre le bras à la mendiante la plus respectable; la jeune femme donne le sien au mendiant le plus considéré de l'assemblée, et ils vont danser avec eux dans la cour. Il faut voir de quel air se trémoussent ces pauvres gens! Les uns sont nu-pieds; les « merveilleux » portent des sabots; il y en a nu-tête; d'autres ont des chapeaux tellement percés que leurs cheveux s'échappent par les crevasses; tous les haillons volent au vent; mainte ouverture trahit la misère, mais laisse voir battre le cœur; les pieds s'agitent dans la fange, mais l'âme est dans le ciel. »

La nuit venue, les pauvres, avant de quitter la ferme, adressent aux nouveaux époux leurs souhaits de prospérité. Le plus âgé de la bande se place ensuite au milieu de l'aire, s'agenouille et récite un De profundis pour les trépassés. Cette fois tout est fini. Le De profundis achevé, les pauvres se relèvent et s'en vont; mais leur lèvres reconnaissantes balbutient encore de sourdes prières.

« Le murmure monotone de leurs voix, dit un poète, se fait entendre quelque temps au dehors et meurt insensiblement dans les bois, tandis que les époux, dont ils ont sanctifié l'union par leur présence, commencent une vie nouvelle sous les auspices de la charité. » 

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