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Entre les Pensées
diverses de Montesquieu et celles
de Pascal, tout diffère : l'intention qui les
dicte et l'importance que leur assigne le dessein de l'auteur, l'esprit
qui les conçoit et le coeur qui les inspire, la plume qui les écrit,
les matières mêmes qui les fournissent. Pascal méditait un grand ouvrage
dont ses Pensées
sont les matériaux; Montesquieu se distrait de ses grands ouvrages en
rédigeant chaque soir, par délassement, ses observations de la journée.
Pascal veut déterminer le chrétien à laisser là toute affaire pour
songer uniquement à son salut; Montesquieu, en dédiant ses Pensées
à son fils, lui présente plusieurs carrières à parcourir, et lui permet
l'ambition, parce que l'ambition, bien dirigée, est un sentiment mis en
nous par Dieu, utile à la société, et que la sagesse consiste à régler
les sentiments, non à les détruire. Le recueil des Pensées de
Montesquieu, assez court d'ailleurs, se divise en huit chapitres. Dans
le premier, l'auteur se peint lui-même, et l'on voit que jamais homme
n'a vécu dans un pareil contentement de son sort et de soi-même, mais
que personne aussi n'a reçu de la nature une humeur mieux faite pour jouir
de la paix de l'esprit et du coeur. Chaque matin, il revoit la lumière
avec une sorte de ravissement qui lui dure tout le jour; il dort dès qu'il
est au lit, et il passe la nuit sans s'éveiller. Assez sensible pour éprouver
de la joie, trop peu pour s'affliger, aucun attachement ne lui a coûté
à rompre. Une heure de lecture dissipe ses plus forts chagrins; amoureux
de l'amitié, il a conservé tous ses amis, sauf un seul, et il a vécu
avec ses enfants comme avec des amis. Il n'a ni haine ni rancune; cela
détruirait son contentement: d'ailleurs, à la conscience légitime de
sa supériorité se mêle un certain dédain pour les hommes, et l'on ne
hait guère qui l'on méprise. Telle est cependant son imperturbable modération
de sentiment, que nulle part il ne se fait prendre en flagrant délit de
vanité; il avait, au reste, l'âme naturellement grande, et il était
sincère quand il se flattait d'avoir de l'amour pour le bien et l'honneur
de sa patrie, et de sentir une joie secrète lorsqu'on faisait quelque
règlement qui allait au bien commun.
Le deuxième chapitre traite des Anciens,
et le troisième des Modernes. Grand admirateur de l'Antiquité, Montesquieu
la goûte en critique et la comprend en publiciste. Il appartenait à l'auteur
de l'Esprit des lois
de dire que, pour avoir une juste idée des moeurs et des lois des Grecs,
il faut la chercher, non dans leurs histoires, mais dans la Rhétorique
d'Aristote et la République de
Platon.
Il a dépassé, dans ses jugements sur les Modernes, ce juste
milieu qu'il tient partout ailleurs : indulgent à l'excès
pour Crébillon et La Motte, rivaux de Voltaire
en tragédie, il cède aux suggestions de la jalousie
ou se montre singulièrement aveugle quand il apprécie Voltaire lui-même.
En revanche, il a été enchanté et attendri
en lisant Rollin, et il l'appelle l'abeille
de la France. Vient ensuite un chapitre sur les grands hommes de France;
on y reconnaît la plume qui a écrit le livre De la grandeur et de la
décadence des Romains. De même on retrouve le philosophe du XVIIIe
siècle, mais sans les intempérances de ses successeurs, dans les réflexions
sur la religion, sur la dévotion, sur le pape et sur les Jésuites ,
etc. Diderot niera Dieu : Montesquieu,
avant Rousseau, proclame Dieu et l'immortalité
de l'âme. Une comparaison des Français et des Anglais, équitable d'ailleurs,
rappelle ensuite l'observateur bienveillant et favorablement prévenu de
l'Angleterre. Enfin, dans un dernier chapitre, intitulé
Variétés,
parce que les Pensées s'y succèdent sans aucun rapport entre elles,
il semble qu'on voie revivre à la fois l'homme avec son caractère, et
l'écrivain avec les parties diverses de son riche et beau génie.
Les deux qualités principales de Montesquieu,
la profondeur et l'esprit, brillent autant dans ses Pensées que
dans ses grands ouvrages; malheureusement aussi le raffinement s'y est
glissé : il dit quelquefois trop et au delà . (A.H.).
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En
bibliothèque - LesPensées diverses
de Montesquieu font partie de ses Oeuvres diverses, où elles
occupent de 35 Ã 40 pages seulement. |
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