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Le Médecin volant

Le Médecin volant est une comédie attribuée à Molière.  - Molière, durant ses courses en province, avait composé et joué un certain nombre de farces ou comédies joyeuses en un acte. Nous avons deux de ces farces, le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé, ou du moins deux rédactions qui doivent se rapprocher de ce que jouait Molière. On y sent déjà la verve de du grand comique, qui commence à avoir l'expérience de la scène. D'ailleurs Molière s'est souvenu du Médecin volant quand il composa plus tard l'Amour médecin, le Médecin malgré lui et le Malade imaginaire. De même la Jalousie du Barbouillé est une esquisse de George Dandin.

Gorgibus, avare, vieux et naïf, veut marier sa fille Lucile à Villebrequin, qui n'est point jeune et qu'elle n'aime pas. Or Lucile voudrait épouser Valère. Elle feint d'être malade. Il s'agit de trouver un médecin qui, en trompant Gorgibus, permette aux deux amoureux de se rencontrer et de s'épouser. Valère s'adresse donc à son valet Sganarelle, qui passe pour un lourdaud, mais qui est, on le verra, aussi ingénieux que leste. Sganarelle, qui endosse la robe doctorale et abuse le naïf Gorgibus en lui prescrivant de transférer Lucile dans un appartement qui sera très favorable à un enlèvement. Cependant, il occupe Gorgibus en lui apparaissant, tantôt sous l'aspect de Sganarelle, tantôt sous les espèces du médecin. Le bonhomme se laisse persuader qu'il a affaire à deux frères très ressemblants, brouillés ensemble. Il veut absolument les réconcilier, et Sganarelle, pour jouer son double rôle, est obligé sans cesse d'entrer dans la maison et d'en sortir parla fenêtre, d'où son nom de médecin volent. 

Ce canevas est emprunté à une farce italienne : il Medico volante, d'où Boursault tira aussi une comédie : le Médecin volant (Comédie-Italienne, 1661). (NLI).
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Extrait du Médecin volant
Un consultation

Scène Il
Valère, Sganarelle

VALÈRE. - Ah! Mon pauvre Sganarelle, que j'ai de joie de te voir! J'ai besoin de toi dans une affaire de conséquence; mais comme je ne sais pas ce que tu sais faire...

SGANARELLE. - Ce que je sais faire, Monsieur? Employez-moi seulement en vos affaires de conséquence, en quelque chose d'importance : par exemple, envoyez-moi voir quelle heure il est à une horloge, voir combien le beurre vaut au marché, abreuver un cheval : c'est alors que vous connaîtrez ce que je sais faire.

VALÈRE. - Ce n'est pas cela; c'est qu'il faut que tu contrefasses le médecin.

SGANARELLE. - Moi, médecin, Monsieur! Je suis prêt à faire tout ce qu'il vous plaira; mais, pour faire le médecin, je suis assez votre serviteur pour n'en rien faire du tout; et par quel bout m'y prendre, bon Dieu? Ma foi, Monsieur, vous vous moquez de moi.

VALÈLRE. - Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pistoles.

SGANARELLE. - Ah! pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois médecin; car, voyez-vous bien, Monsieur, je n'ai pas l'esprit tant, tant subtil, pour vous dire la vérité. Mais quand je serai médecin, où irai-je ?

VALÈRE. - Chez le bonhomme Gorgibus, voir sa fille qui est malade; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien faire, pourrais bien...

SGANARELLE. - Hé! mon Dieu, Monsieur, ne soyez point en peine; je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une personne qu'aucun médecin qlui soit dans la ville. On dit un proverbe, d'ordinaire: Après la mort, le médecin. Mais vous verrez que, si je m'en mêle, on dira : Après le médecin, gare la mort! Mais, néanmoins, quand je songe, cela est bien difficile de faire le médecin; et si je ne fais rien qui vaille?

VALÈRE. - Il n'y a rien de si facile en cette rencontre Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu parles d'Hippocrate et de Galien, et que tu sois un peu effronté.

SGANARELLE. - C'est-à-dire qu'il lui faudra parler philosophie, mathématique. Laissez-moi faire. S'il est un homme facile, comme vous le dites, je vous réponds de tout; venez seulement me faire avoir un habit de médecin, et m'instruire de ce qu'il faut faire, et me donner mes licences, qui sont les dix pistoles promises.

[Voici donc Sganarelle, vêtu en médecin. Il entre solennellement chez Gorgibus. ]
 
 

Scène IV
Gorgibus, Sganarelle, Sabine

GORGIBUS. - Très humble serviteur à Monsieur le médecin. Je vous envoie quérir pour voir ma fille, qui est malade; je mets toute mort espérance en vous.

SGANARELLE. - Hippocrate dit, et Galien, par vives raisons, persuade qu'une personne ne se porte pas bien, quand elle, est malade. Vous avez raison de mettre votre espérance en moi; car je suis le plus grand, le plus habile, le plus docte médecin qui soit dans la faculté végétable, sensitive et minérale.

GORGIBUS. - J'en suis fort ravi.

SGANARELLE. - Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin dit commun. Tous les autres médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de médecine. J'ai des talents particuliers, j'ai des secrets. Salamalec, salamalec. « Rodrigue, as-tu du coeur? » Signor si; segnor non. Per omnia saecula saeculorum. Mais encore voyons un peu. (il lui tâte le pouls.)

SABINE. - Hé! Ce n'est pas lui qui est malade, c'est sa fille.

SGANARELLE. - Il n'importe; le sang du père et de la fille ne sont qu'une même chose; et par l'altération de celui du père, je puis connaître la maladie de la fille...

[On va chercher Lucile, et voici la consultation.]
 
 

Scène V
Gorgibus, Sganarelle, Sabine, Lucile

SGANARELLE. - Eh bien, Mademoiselle, vous êtes malade? 

LUCILE. - Ouli, Monsieur.

SGANARELLE. - Tant pis, c'est une marque que vous ne vous portez pas bien. Sentez-vous de grandes douleurs à la tête, aux reins?

LUCILE. - Oui, Monsieur.

SGANARELLE.- C'est fort bien fait. Oui, ce grand médecin, au chapitre qu'il a fait dle la nature des animaux, dit... cent belles choses ; et, comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport; car par exemple, comme la mélancolie est ennemiede la joie, et que la bile, qui se répand par le corps, nous fait devenir jaunes, et qu'il n'est rien de plus contraire à la santé que la maladie, nous pouvons dire, avec ce grand homme, qlue votre fille est fort malade. II faut que je vous fasse une ordonnance.

GORGIBUS. - Vite une table, du papier, de l'encre. 

SGANARELLE. - Y a-t-il quelqu'un qui sache écrire? 

GORGIBUS. - Est-ce que vous ne le savez point?

SGANARELLE. - Ah! je ne m'en souvenais pas; j'ai tant d'affaires dans la tète, que j'oublie la moitié... Je crois qu'il serait nécessaire que votre fille prit un peu l'air, qu'elle se divertît à la campagne.

GORGIBUS. - Nous avons un fort beau jardin et quelques chambres qui y répondent; si vous le trouvez à propos, je l'y ferai loger.

SGANARELLE. - Allons visiter les lieux. (Ils sortent tous.)
  


(attribué à Molière, la Médecin Volant).
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