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Iphigénie en Aulide, de Racine

Iphigénie en Aulide est une tragédie en cinq actes et en vers, de Racine (1674). Le poète n'a imité que la contexture de la pièce grecque et les principales situations; pour de reste, il a profondément modifié les caractères, les péripéties, et donné aux personnages des sentiments tout modernes. L'exposition, une des plus heureuses que l'on connaisse au théâtre, est empruntée à Euripide; mais Racine enlève à Agamemnon, comme au vieil esclave dont il a fait Arcas, ce cachet de simplicité que leur avait donné le poète grec; sans doute, cela aurait nui à la pompe tragique. De même, il a substitué à Ménélas Ulysse, qui est moins odieux, et pour faciliter le dénouement, il a imaginé un personnage épisodique, Eriphyle, rivale d'Iphigénie, intrigante perfide et jalouse, que l'on immola à la place de la fille d'Agamemnon, de l'avis de Calchas, qui reconnaît en elle la véritable victime réclamée par les dieux. 

Ces changements sont bien dans le goût du XVIIe siècle. Si l'on considère les développements de cette pièce, en faisant abstraction de ce qu'elle devrait être, pour nous représenter les moeurs des Grecs dans ces êtres fabuleux; si l'on ne veut voir dans Iphigénie que des personnages de n'importe quel temps et de n'importe quel pays, la pièce est belle et offre un digne sujet d'études. On peut admirer la haute raison d'Ulysse, sa ténacité et son habileté politique; dans Agamemnon, la lutte de l'amour paternel contre l'ambition, celle de la religion contre la pitié et la tendresse; dans Iphigénie, la modestie d'une jeune vierge chrétienne et la résignation d'une martyre; dans Achille, le brillant développement d'une nature passionnée et chevaleresque. 

Mais il n'y a plus rien de grec, si ce n'est la fable, et l'action devient, non seulement invraisemblable, mais incompréhensible. A qui fera-t-on croire que des hommes si fins et si politiques, des héros si chevaleresques, des personnages taillés sur le patron de Louis XIV et de Condé, en soient encore à immoler des victimes humaines, à sacrifier une jeune fille pour obtenir un bon vent? Si les Grecs, au temps de la guerre de Troie, avaient des moeurs aussi raffinées que le démontre leur langage dans la pièce de Racine, ils devaient avoir renoncé depuis longtemps aux pratiques les plus barbares. 

Cela n'a pas empéché Voltaire de déclarer qu'Iphigénie est la tragédie la plus parfaite, et de traiter de barbares ceux qui seraient d'un avis contraire; La Harpe, de mettre la pièce française bien au-dessus de la pièce grecque, et d'oser dire qu'Euripide avait fourni le marbre brut dont Racine avait formé sa statue, le grossier canevas qu'il avait brodé. Euripide est un très grand poète, qui sait établir une corrélation parfaite entre les moeurs des personnages et action de la tragédie; il nous transporte dans des âges lointains, nous montre la férocité bestiale et la croyance religieuse aux prises avec des sentiments humains qui sont de tous les temps. Racine, en croyant l'améliorer et l'embellir, nous l'a entièrement gâté. Reste seulement le style, l'expression des sentiments, et, en cela, Racine est un maître. (PL).

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