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Le Barbier de Séville, de Beaumarchais

Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile est un comédie en quatre actes et en prose, de Beaumarchais (Théâtre-Français, 23 février 1775). 

La scène se passe à Séville. Au lever du rideau, le comte d'Almaviva, enveloppé d'un grand manteau, fait le guet sous le balcon de Rosine, la séduisante pupille du docteur Bartholo. Le comte éprouve une vive tendresse pour la jeune fille, à laquelle il n'a jamais adressé la parole. Un importun survient; mais le comte se rassure bien vite en reconnaissant Figaro, son ancien valet, devenu barbier, un drôle de génie qui a usé de tous les moyens honnêtes pour vivre en honnête Espagnol. Le comte révèle ses projets amoureux à Figaro, qui promet de le servir; car il a ses entrées chez Bartholo, son client. Ce Bartholo, en dépit de son âge, s'est mis en tête d'épouser Rosine; il la tient prisonnière, et prend toutes les précautions pour la dérober à l'oeil des galants. Sur ces entrefaites, la fenêtre s'ouvre; Rosine y paraît, suivie de Bartholo, qui lui apprend que leur mariage aura lieu le lendemain. La pupille tient à la main une romance, qu'elle laisse tomber dans la rue par mégarde; elle prie le barbon d'aller la ramasser. Pendant que celui-ci descend l'escalier, le comte s'empare du papier, par lequel Rosine engage Almaviva à chanter, sur l'air connu de sa romance, des couplets qui lui apprennent le nom et l'état de celui qui paraît s'attacher à elle. Le comte obéit et chante :

Je suis Lindor, ma naissance est commune
Mes voeux sont ceux d'un simple bachelier; [...]
Les instants sont précieux; le tuteur peut surprendre le chanteur; Rosine se hâte de répondre sur un autre air :
Tout me dit que Lindor est charmant,
Que je dois l'aimer constamment.
Le comte se retire et va, suivant le conseil de Figaro, se déguiser en soldat pour pénétrer chez Bartholo. Au second acte, le prétendu fils de Bellone, muni d'un billet de logement, parvient à glisser une lettre à Rosine, en présence même du vieux jaloux; au troisième acte, il se fait passer pour un maître de chant, chargé de remplacer l'hypocrite Basile, qu'une indisposition force à garder le lit; et, comme Bartholo se méfie, le comte lui montre la lettre adressée par Rosine à un certain Almaviva, lettre qu'il a eu l'adresse de surprendre. Cette ruse est bien près d'échouer, car Basile arrive. Le comte, se rappelant que Figaro lui a dit que l'or était le nerf de l'intrigue, achète, à beaux deniers comptants, la conscience frelatée de Basile, qui reconnaît alors avoir la fièvre. Au quatrième acte, après une lutte dans laquelle l'habileté de Figaro triomphe des précautions de Bartholo, Rosine devient l'épouse du noble Almaviva.
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Figaro

[Au premier acte du Barbier de Séville, Figaro aperçoit son ancien maître, le comte Almaviva, qui, vêtu en étudiant, chante une romance sous les fenêtres de Rosine, la pupille du docteur Bartholo.]

« FIGARO. - Je ne me trompe point : c'est le comte Almaviva.

LE COMTE. - Je crois que c'est ce coquin de Figaro.

FIGARO. - C'est lui-même, monseigneur.

LE COMTE. - Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras!

FIGARO. - Que voulez-vous, monseigneur? c'est la misère.

LE COMTE. - Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville?
Je t'avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi.

FIGARO. - Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire.

LE COMTE. - Dans les hôpitaux de l'armée? 

FIGARO. - Non : dans les haras de l'Andalousie. 

LE COMTE, rient. - Beau début!

FIGARO. - Le poste n'était pas mauvais, parce qu'ayant le district du pansement et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval...

LE COMTE. - Oui tuaient les sujets du roi?

FIGARO. - Ah! ah! il n'y a pas de remède universel... mais qui n'ont pas laissé de guérir des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.

LE COMTE. - Pourquoi donc l'as-tu quitté?

FIGARO. - Quitté! c'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des puissances :
L'Envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide...

LE COMTE. - Oh! grâce! grâce, ami! Est-ce que tu fais, aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.

FIGARO. - Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Chloris, que j'envoyais des énigmes aux journaux, qu'il courait des madrigaux de ma façon; en un mot, quand il sut que j'étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires.

LE COMTE. - Puissamment raisonné! Et tu ne lui fis pas représenter...

FIGARO. - Je me crus trop heureux d'en être oublié persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

LE COMTE. - Tu ne me dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu étais un assez mauvais sujet.

FIGARO. - Eh! mon Dieu, monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défauts.

LE COMTE. - Paresseux, dérangé...

FIGARO. - Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets?

LE COMTE, riant. - Pas mal. Et tu t'es retiré en cette ville?

FIGARO. - Son pas tout de suite. De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires, et le théâtre me parut un champ d'honneur.

LE COMTE. - Ah! miséricorde!

FIGARO. - En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs; des mains... comme des battoirs; j'avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds; et d'honneur, avant la pièce, le café m'avait paru dans les meilleures dispositions pour moi; mais les efforts de la cabale...

LE COMTE. - Ah! la cabale, monsieur l'auteur tombé!

FIGARO. - Tout comme un autre... Pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais, si jamais je puis les rassembler...

LE COMTE. - L'ennui te vengera bien d'eux.

FIGARO. - Ah! je leur en garde, morbleu!

LE COMTE. - Tu jures. Sais-tu que l'on n'a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses juges?

FIGARO. - On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment.

LE COMTE. - Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid.

FIGARO. - C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups toujours armés les uns contre les autres, et que livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevaient de déchiqueter et de sucer le peu de substance qui leur restait; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d'argent, à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra Morena, l'Andalousie, accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, partout supérieur aux événements, loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là, aidant au bon temps, supportant le mauvais, me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde : vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence, en tout ce qu'il lui plaira de m'ordonner.

LE COMTE. - Qui t'a donné une philosophie aussi gaie? 

FIGARO. - L'habitude du malheur. Je me presse de rire
de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. »
 

(Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte 1, scène II).

C'est une comédie étincelante d'esprit et de verve; il était impossible de rajeunir d'une façon plus originale les types usés de vieux barbon jaloux et de valet fripon. (NLI).

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