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Badin
Un poème badin est un petit poème où se trouve racontée avec enjouement quelque action plaisante, même invraisemblable.

Homère avait composé composé un poème badin, probablement satirique, le Margytès; mais ce poème a été perdu. Un poème de l'Arioste est devenu le type qui a servi de règle aux poèmes que depuis cet auteur on a composés dans le genre badin.

Le sujet d'un conte, soumis aux règles du poème, suffit même au poème badin. Il comporte de la malice et la plus vive gaieté. La caricature est son écueil, comme son but est d'instruire en amusant et de recouvrir la leçon d'un innocent badinage.

Les poèmes de Gresset, le Lutrin vivant et surtout le Vert-Vert  sont, dans ce genre, parmi les meilleurs qui aient été composés en France. 
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Vert-Vert le perroquet

« A Nevers donc, chez les Visitandines,
Vivait naguère un perroquet fameux, 
A qui son art et son coeur généreux, 
Ses vertus même et ses grâces badines 
Auraient dû faire un sort moins rigoureux, 
Si les bons coeurs étaient toujours heureux. 
Vert-Vert (c'était le nom du personnage), 
Transplanté là de l'indien rivage, 
Fut, jeune encor, ne sachant rien de rien, 
Au susdit cloître enfermé pour son bien.
Il était beau, brillant, leste et volage, 
Aimable et franc, comme on l'est au bel âge, 
Né tendre et vif, mais encore innocent;
Bref, digne oiseau d'une si sainte cage, 
Par son caquet digne d'être au couvent.

Pas n'est besoin, je pense, de décrire
Les soins des soeurs, des nonnes, c'est tout dire;
Et chaque mère, après son directeur,
N'aimait rien tant. Même dans plus d'un coeur,
Ainsi l'écrit un chroniqueur sincère, 
Souvent l'oiseau l'emporta sur le père.
Il partageait, dans ce paisible lieu,
Tous les sirops dont le cher père en Dieu, 
Grâce aux bienfaits des nonnettes sucrées,
Réconfortait ses entrailles sacrées. 
Objet permis à leur oisif amour, 
Vert-Vert était l'âme de ce séjour. 
Exceptez-en quelques vieilles dolentes, 
Des jeunes coeurs jalouses surveillantes; 
Il était cher à toute la maison.

N'étant encor dans l'âge de raison, 
Libre, il pouvait et tout dire et tout faire,
Il était sûr de charmer et de plaire. 
Des bonnes soeurs égayant les travaux,
Il béquetait et guimpes et bandeaux;
Il n'était point d'agréable partie 
S'il n'y venait briller, caracoler, 
Papillonner, siffler, rossignoler ;
Il badinait, mais avec modestie, 
Avec cet air timide et tout prudent 
Qu'une novice a même en badinant.
Par plusieurs voix interrogé sans cesse,
Il répondait à tout avec justesse 
Tel autrefois César, en même temps, 
Dictait à quatre, en styles différents.

Admis partout, si l'on en croit l'histoire,
L'amant chéri mangeait au réfectoire. 
Là, tout s'offrait à ses friands désirs;
Outre qu'encor pour ses menus plaisirs, 
Pour occupe. sons ventre infatigable,
Pendant le temps qu'il passait hors de table, 
Mille bonbons, mille exquises douceurs, 
Chargeaient toujours les poches de nos soeurs 
Les petits soins, les attentions fines, 
Sont nés, dit-on, chez les Visitandines ;
L'heureux Vert-Vert l'éprouvait chaque jour. 
Plus mitonné qu'un perroquet de cour, 
Tout s'occupait du beau pensionnaire; 
Ses jours coulaient dons un noble loisir.
Au grand dortoir il couchait d'ordinaire. 
Là, de cellule il avait à choisir 
Heureuse encor, trop heureuse la mère 
Dont il daignait, au retour de la nuit, 
Par sa présence honorer le réduit! 
Très rarement les antiques discrètes 
Logeaient l'oiseau : des novices proprettes 
L'alcôve simple était plus de son goût 
Car remarquez qu'il était propre en tout. 
Quand chaque soir le jeune anachorète 
Avait fixé sa nocturne retraite, 
Jusqu'au lever de l'astre de Vénus 
Il reposait sur la boîte aux agnus. 
A son réveil, de la fraîche nonnette, 
Libre témoin,, il voyait la toilette. 
Je dis toilette, et je le dis tout bas 
Oui, quelque part j'ai lu qu'il ne faut pas 
Aux fronts voilés des miroirs moins fidèles
Qu'aux fronts ornés de pompons et dentelles. 
Ainsi qu'il est pour le monde et les cours 
Un art, un goût de modes et d'atours,
Il est aussi des modes pour le voile; 
Il est un art de donner d'heureux tours 
A l'étamine, à la plus simple toile. 
Souvent l'essaim des folâtres amours, 
Essaim qui sait franchir grilles et tours,
Donne aux bandeaux une grâce piquante, 
Un air galant à la guimpe flottante; 
Enfin, avant de paraître au parloir,
On doit au moins deux coups d'oeil au miroir. 
Ceci soit dit entre nous, en silence. 
Sans autre écart revenons au héros. 
Dans ce séjour de l'oisive indolence, 
Vert-Vert vivait sans ennui, sans travaux 
Dans tous les coeurs il régnait sans partage. 
Pour lui soeur Thècle oubliait les moineaux; 
Quatre serins en étaient morts de rage; 
Et deux matous, autrefois en faveur, 
Dépérissaient d'envie et de langueur.
Qui l'aurait dit, en ces jours pleins de charmes, 
Qu'en pure perte on cultivait ses moeurs ;
Qu'un temps viendrait, temps de crime et d'alarmes,
Où ce Vert-Vert, tendre idole des coeurs, 
Ne serait plus qu'un triste objet d'horreurs 
Arrête, muse, et retarde les larmes 
Que doit coûter l'aspect de ses malheurs, 
Fruit trop amer des égards de nos soeurs. »
 

(Gresset, extrait de Vert-Vert).

Le poème badin s'écrit ordinairement en vers de dix syllabes. Ce mètre, moins uniforme que l'alexandrin, en ce que sa césure est alternativement de quatre et de six syllabes, se prête plus facilement à la liberté du genre: l'enjambement y est moins choquant et, habilement  travaillé, le trait y paraît plus vif. Cependant, ainsi que l'épopée sérieuse, et à plus forte raison, pourrait se composer en strophes régulières ou même irrégulières, et il y en a en français plusieurs exemples. (A19).

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Dictionnaire Le monde des textes
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