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La post-vérité

On parle de post-vĂ©ritĂ© pour dĂ©signer des situations, des contextes, un climat, oĂą les discours et les opinions sont souvent guidĂ©s par les Ă©motions, les convictions et les croyances prĂ©existantes des individus plutĂ´t que par des faits objectifs et les preuves empiriques. Cela provient la plupart du temps de ce que les informations disponibles sont dĂ©formĂ©es ou sĂ©lectionnĂ©es pour soutenir des agendas politiques ou idĂ©ologiques, plutĂ´t que pour reflĂ©ter la rĂ©alitĂ©. La post-vĂ©ritĂ© et l'Ă©conomie du mensonge sont constitutives des rĂ©gimes autoritaires (et plus encore des rĂ©gimes totalitaires), dans lesquels croyances et convictions individuelles sont (ou visent Ă  ĂŞtre) le produit direct de l'action de l'Etat. Dans les dĂ©mocraties, ces convictions et croyancess sont, en principe, fondĂ©es sur une information Ă©clairĂ©e et libre. De plus en plus, cependant, l'opinion manipulĂ©e prend le pas sur la loyautĂ© envers les faits. De plus en plus, des discours Ă©motionnels, des mensonges ou des demi-vĂ©ritĂ©s sont diffusĂ©s pour influencer les attitudes et les comportements, sapant la prise de dĂ©cision informĂ©e et  compromettant la confiance du public dans les institutions dĂ©mocratiques. La post-vĂ©ritĂ© est une des calamitĂ©s de notre temps. Les efforts pour faire face Ă  la post-vĂ©ritĂ© et installer un dĂ©bat public basĂ© sur des faits vĂ©rifiables et un respect mutuel des diffĂ©rences impliquent de promouvoir la littĂ©ratie mĂ©diatique, l'Ă©ducation critique et la recherche de sources fiables d'information. Lorsqu'on observe la montĂ©e en puissance des populismes, entièrement fondĂ©e sur l'exploitation de la post-vĂ©ritĂ©, on se dit qu'on est loin du compte.

L'émergence de la post-vérité est ordinairement attribuée à des changements sociaux, technologiques et culturels, tels que le déclin de la confiance dans les institutions traditionnelles, la montée en puissance des médias sociaux, et l'exacerbation des identitarismes et des communautarismes, qui valorisent l'expérience personnelle et l'appartenance à un groupe au détriment des faits objectifs et, d'une certaine manière, localisent ou privatisent la vérité.

Le champ conceptuel de la post-vérité.
La post-vĂ©ritĂ© appartient Ă  une famille de concepts (la dĂ©sinformation, les fake news, les biais cognitifs et l'opinion) distincts mais qu'il peut ĂŞtre utile ici de clarifier : 

• La désinformation est l'action délibérée de diffuser de fausses informations pour tromper ou manipuler les gens. Cela peut être fait pour des raisons politiques, économiques ou sociales. La désinformation est ordinairement utilisée pour influencer l'opinion publique ou pour déstabiliser des institutions.

• Les fake news sont des informations fausses ou trompeuses qui sont présentées comme étant vraies. Elles peuvent être diffusées par des médias, des personnalités politiques, des réseaux sociaux ou des sites web. Les fake news peuvent être créées pour des raisons de désinformation, mais elles peuvent également être le résultat d'une erreur ou d'une mauvaise compréhension.

• Les biais cognitifs sont des erreurs de pensée qui affectent la façon dont nous percevons et interprétons les informations. Les biais cognitifs peuvent être influencés par nos expériences personnelles, nos émotions, nos croyances et nos valeurs. Ils peuvent nous amener à interpréter les informations de manière erronée ou à ignorer des informations contradictoires.

• L'opinion est une croyance ou un point de vue personnel sur un sujet. Les opinions peuvent être basées sur des faits, des expériences ou des émotions. Les opinions peuvent être exprimées de manière subjective ou objective, mais elles sont généralement influencées par nos propres biais et préjugés.

La post-vérité est ainsi un contexte social et politique qui implique une érosion de la confiance dans les faits et les institutions, tandis que la désinformation, les fake news et les biais cognitifs sont des phénomènes spécifiques qui contribuent à cette érosion. La désinformation et les fake news sont des actions délibérées pour diffuser de fausses informations, tandis que les biais cognitifs sont des erreurs de pensée qui affectent notre perception des informations. L'opinion est une croyance ou un point de vue personnel, tandis que la post-vérité, la désinformation et les fake news impliquent fréquemment une déformation ou une manipulation des faits.

Le brouillard de la post-vérité
La post-vérité, associée à la diffusion rapide de fausses informations, n'est pas une nouveauté. Aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire ont rencontre l'utilisation du mensonge comme outil politique. Ce qui change, aujourd'hui, c'est le rôle considérable des réseaux sociaux et d'autres plateformes en ligne, qui sont des puissants amplificateurs de ce climat. Ce qui change aussi, l'émergence d'une ingéniérie du mensonge, la maîtrise de techniques assez efficaces pour faire gagner (presque à coup sûr) une élection ou, en tout cas, pour miner de façon critique la confiance en tous les fondements de la démocratie en brouillant les repères sur lesquels une pensée en adéquation avec le réel peut se constituer.

La campagne de Donald Trump en 2016 et la campagne pour le Brexit au Royaume-uni la même année, puis la campagne de la candidate de l'extrême droite en France en 2016 et aussi la pandémie de covid-19, à partir de 2020, ont été des moments clés dans la mise en oeuvre des techniques d'exploitation et d'exacerbation de contexte de post-vérité.

L'élection de Donald Trump en 2016.
La campagne électorale de Donald Trump pour la présidence des États-Unis en 2016 a été marquée par une la diffusion extensive d'informations fausses ou trompeuses, souvent relayées par les réseaux sociaux, les médias et les discours publics. Cette stratégie a influencé l'opinion publique et brouillant les frontières entre les faits et la fiction. Exemples de fausses informations et de manipulations :

• Les affirmations sur la naissance d'Obama. - Avant même sa campagne électorale, Trump s'était manifesté avec ses théories du complot sur la naissance du président Barack Obama, affirmant à tort que celui-ci n'était pas né aux États-Unis. Cette fausse information a contribué à établir Trump comme une figure importante dans le mouvement des "birthers".

• Les statistiques sur la criminalitĂ© et l'immigration. - Pendant sa campagne, Trump a rĂ©gulièrement utilisĂ© des statistiques erronĂ©es ou trompeuses sur les taux de criminalitĂ© et les crimes commis par des immigrants. Par exemple, il a affirmĂ© que les taux de criminalitĂ© aux États-Unis Ă©taient plus Ă©levĂ©s qu'ils ne l'avaient jamais Ă©tĂ©, ce qui Ă©tait faux, et a attribuĂ© Ă  tort une grande partie de la criminalitĂ© aux immigrants. La mĂŞme ficelle  sera tirĂ©e par Trump lors des Ă©lections suivante. Trump ira mĂŞme, en 2024, jusqu'Ă  affirmer que les immigrants mangent des chats.

• Les allégations sur l'élection et la "tricherie". - Trump a répétitivement affirmé, sans preuves crédibles, que le processus électoral était "truqué" et que les élections seraient "volées" par les démocrates. Ces allégations ont sapé la confiance dans le système électoral et ont été reprises par ses partisans pour contester les résultats électoraux. Les mêmes éléments ont été repris et amplifiés lors de la défaite de Trump lors de l'élection suvante face à Joe Biden.

• Les déclarations sur les politiques de santé. - Trump a fait des déclarations trompeuses sur le plan de santé de son adversaire principale, Hillary Clinton, ainsi que sur son propre plan. Par exemple, il a promis de "abolir et remplacer" l'Obamacare (la loi sur les soins de santé du président Obama) par quelque chose de "beaucoup mieux", sans jamais fournir de détails précis sur ce que cela impliquerait.

• Les rumeurs infondĂ©es comme une arme. - Trump a propagĂ© des rumeurs sans preuves, comme celles concernant le vote de masse des musulmans en faveur de Bernie Sanders (un candidat Ă  l'investiture du parti adverse), ou les rĂ©vĂ©lations non vĂ©rifiĂ©es de WikiLeaks. 

• Les faits alternatifs. -  Trump et son Ă©quipe ont frĂ©quemment rĂ©agi aux critiques et aux faits vĂ©rifiĂ©s par une stratĂ©gie de dĂ©ni ou de minimisation. Ils en ont appelĂ© Ă  ce qu'ils nommaient des "faits alternatifs". Faut-il le souligner? un fait est un fait, et un fait alternatif, ça n'existe pas.

Trump a été l'un des premiers politiciens à exploiter pleinement le potentiel des réseaux sociaux pour diffuser ses messages, afin de contourner le filtre potentiellement vérificateur des médias traditionnels. Il a utilisé Twitter pour faire des annonces, attaquer ses opposants et partager des informations fausses ou trompeuses. Les réseaux sociaux ont ainsi joué un rôle déterminant dans l'amplification de la post-vérité pendant sa campagne. Celle-ci a illustré pleinement comment la post-vérité peut influencer le débat public et les élections. L'utilisation systématique de fausses informations et de manipulations a, sinon créé, amplifié un climat de méfiance à l'égard des médias et des institutions, rendant plus difficile la distinction entre les faits et la fiction. Tout cela a permi a Trump à mobiliser une large base d'électeurs qui se sentaient délaissés par le système politique établi. Cela a aussi également dégradé le ton du discours public, en favorisant les attaques personnelles et le langage provocateur au détriment d'un débat politique informé et respectueux.

La campagne du Brexit.
La campagne du Brexit ( = vote des Britaniques sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union EuropĂ©enne)  s'est caractĂ©risĂ©e par l'utilisation de messages simplistes et Ă©motionnels, gĂ©nĂ©ralement concentrĂ©s sur des thèmes comme l'emploi et la souverainetĂ© (mise en avant du narratif  "prendre le contrĂ´le de notre pays"), sans entrer dans les dĂ©tails complexes des implications Ă©conomiques et politiques. Les deux camps, celui du Leave (partir) et celui du Remain (rester), ont utilisĂ© des argumentaires qui ont brouillĂ© les frontières entre les faits avĂ©rĂ©s et les manipulations de l'information. Exemples de fausses informations et de manipulations :

• Les 350 millions de livres pour le NHS. - L'un des exemples les plus flagrants est l'affirmation du camp du Leave selon laquelle le Royaume-Uni versait 350 millions de livres sterling par semaine à l'Union européenne, somme qui pourrait être réaffectée au Service national de santé (NHS) en cas de Brexit. Cette affirmation a été largement dénoncée comme étant exagérée et trompeuse, car elle ne prenait pas en compte le montant que le Royaume-Uni recevait en retour de l'UE sous forme de subventions et de fonds structurels.

• L'immigration. - La question de l'immigration a également été au coeur de la campagne, avec des affirmations volontiers sensationnalistes sur les conséquences de l'immigration sur le marché du travail et les ressources publiques. Certains partisans du Leave ont utilisé des chiffres et des statistiques de manière sélective pour promouvoir l'idée que l'immigration avait des effets négatifs sur la société britannique, sans laisser leur place aux arguments contraires ou aux nuances du débat.

• Les menaces économiques. - Les deux camps ont utilisé des scénarios catastrophes pour étayer leurs positions. Les partisans du Remain ont averti des conséquences néfastes d'un Brexit sur l'économie britannique, tandis que les partisans du Leave minimisaient ces risques ou les presentaient comme temporaires. Les prédictions économiques, souvent basées sur des modèles complexes et incertains, ont été utilisées patr les uns et les autres de manière sélective pour renforcer leurs positions.

La campagne électorale du Brexit éclairé les défis posés par la post-vérité dans le débat public. L'utilisation de fausses informations, la manipulation des statistiques, et les appels aux émotions plutôt qu'aux faits ont contribué à polariser l'opinion publique et à rendrer plus difficile une discussion rationnelle et informée sur les enjeux du Brexit. La post-vérité a également souligné les limites des médias traditionnels et des institutions dans la vérification des faits et la correction des informations erronées. Les réseaux sociaux, ici encore, ont joué un rôle décisif dans la diffusion de fausses informations, sans contrôle ni vérification.

La campagne électorale de l'extrême-droite en France en 2017.
En France, la campagne de la candidate d'extrĂŞme droite lors de l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 2017 a elle aussi Ă©tĂ© marquĂ©e par des Ă©lĂ©ments de post-vĂ©ritĂ©, caractĂ©risĂ©s par la diffusion d'informations fausses ou trompeuses, ainsi que par une rhĂ©torique Ă©motionnelle visant Ă  influencer l'opinion publique. La candidate du Front National (devenu Rassemblement National), a utilisĂ© ces stratĂ©gies, autour du narratif de la "France en danger",  pour essayer de convaincre les Ă©lecteurs et de cultiver son image de dĂ©fenseure des valeurs traditionnelles et de l'identitĂ© française. Les arguments mis avant ne sont pas tous propres Ă  cette campagne; certains existaient avant et ont continuĂ©, pour l'essentiel, Ă  ĂŞtre exploitĂ©s depuis, mais ils ont Ă©tĂ© particulièrement exacerbĂ©s Ă  cette occasion : 

• Les statistiques sur l'immigration et l'insécurité. - La candidate d'extrême droite a utilisé des chiffres et des statistiques de manière sélective pour étayer ses affirmations sur l'impact négatif de l'immigration sur la sécurité et l'économie françaises. Elle a par exemple évoqué des taux de criminalité élevés chez les immigrants, sans toujours préciser les sources de ces données ou en manipulant leur contexte pour les rendre plus alarmistes.
• Les promesses économiques. - Le programme économique de la candidate, qui incluait notamment la sortie de la zone euro et la réintroduction d'une monnaie nationale, a été accompagné de promesses de création d'emplois et de stimulation de l'économie. Cependant, de nombreux économistes ont critiqué ces promesses comme étant irréalistes et basées sur des analyses simplistes ou erronées des complexités économiques.

• La question de l'islam et du terrorisme. - La candidate a répétitivement abordé la question de l'islam et du terrorisme de manière à créer une confusion entre les deux, laissant entendre que l'islam en lui-même était une source de danger pour la France. Cette approche a été dénoncée comme stigmatisante et trompeuse, car elle ne tenait pas compte de la diversité des communautés musulmanes et de la nécessité de distinguer entre les actes terroristes, qui répondent à un agenda politique particulier, et la religion elle-même, qui est un fait culturel.

• Les attaques contre les médias et les institutions. - La candidate d'extrême droite a régulièrement critiqué les médias traditionnels, les accusant de partialité et de complot contre elle. Elle a également remis en question la crédibilité des institutions, notamment lorsqu'elles contredisaient ses affirmations ou lorsqu'elles essayaient de la tenir pour responsable de ses propos. Cette stratégie visait à créer un climat de méfiance à l'égard des sources d'information établies et des institutions démocratiques.

• La rumeur infondĂ©e encore et toujours comme une arme. - Lors du dĂ©bat de second tour, la candidate a suggĂ©rĂ© que son adversaire pourrait avoir un compte secret dans un paradis fiscal dans les CaraĂŻbes. Un mensonge fabriquĂ© de toute pièce par un rĂ©seau d'extrĂŞme droite anglophone sur Twitter et relayĂ© par des mĂ©dias pro-Kremlin, avant de se rĂ©pandre plus largement. 

Par delà ce dernier exemple, les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans la diffusion des messages de la candidate, lui permettant de contourner les médias traditionnels et de s'adresser directement à ses partisans. Cette approche a ainsi facilité la propagation de fausses informations et de théories du complot, souvent relayées par des comptes proches du Rassemblement National ou par des bots (logiciels qui exécutent des tâches répétitives et prédéfinies) et des faux profils créés pour influencer l'opinion publique. Ce mode de campagne a contribué à polariser le débat public en France, créant des divisions profondes au sein de la société. L'explotation massive de la post-vérité a sapé la confiance dans les institutions et les médias, essentiels au fonctionnement d'une démocratie saine. Cela a également encouragé un climat de peur et de xénophobie, dans lequel les immigrés et les musulmans ont été stigmatisés et rendus responsables de problèmes sociétaux dont la complexité ne s'épuise pas à coup de slogans.

La pandémie de covid-19.
La pandémie de covid-19 a créé des défis importants pour les gouvernements, les organisations de santé publique et les individus, qui s'est accompagnée d'une diffusion à grande échelle de fausses informations, souvent par la population elle-même et par des divers praticiens de l'enfumage (groupes complotistes, extrêmes-droites, les deux à la fois, médecins égotiques, gourous des médecines alternatives, etc.), mais aussi par les gouvernants eux-mêmes. En somme les anti-système, aussi bien que le système lui-même.

• La promotion de faux remèdes. - Dès le début de la pandémie, des informations sur des remèdes prétendument miracles contre le covid-19 ont circulé, notamment sur les réseaux sociaux. Ces remèdes, tels que la l'hydroxychloroquine ou des produits à base de plantes, ont été promus par des personnalités influentes et des médias sans preuves scientifiques solides, voire contre les recommandations des autorités de santé. On a même vu le président des Etats-Unis (encore lui) se baser sur le fait que l'eau de javel étant un désinfectant pour suggérer qu'on pourrait s'en injecter pour se débarraser du virus.

• Les thĂ©ories du complot sur l'origine du virus. - Des thĂ©ories du complot sur l'origine du virus, incluant des affirmations selon lesquelles le virus aurait Ă©tĂ© fabriquĂ© en laboratoire ou serait liĂ© Ă  des agendas gĂ©opolitiques (par exemple pour profiter de la vaccination pour implanter des puces Ă©lectroniques et s'assurer ainsi le contrĂ´le des populations), ont circulĂ© largement. On a invoquĂ© la possibilitĂ© que les grands groupes pharmaceutiques ("Big Pharma", mĂŞme combat que "Big Brother") auraient dĂ©libĂ©rĂ©ment créé la maladie, ou exagĂ©rĂ© sa dangerositĂ©, pour pouvoir vendre leurs vaccins. Ces thĂ©ories, dĂ©pourvues de preuves crĂ©dibles, ont contribuĂ© Ă  la confusion et Ă  la mĂ©fiance. 

• Les fausses statistiques et prévisions. - Des chiffres et des prévisions erronés sur la propagation du virus, le nombre de cas, les taux de mortalité et l'efficacité des mesures de santé publique ont été diffusés. Certains acteurs politiques (Brésil, Etats-Unis) et médiatiques ont minimisé la gravité du virus, le comparant à une simple grippe ou affirmant qu'il disparaîtrait de lui-même. Ces discours, souvent motivés par des considérations économiques ou politiques, ont semé la confusion et retardé la mise en place de mesures de santé publique efficaces.

 â€˘ La dĂ©sinformation sur les vaccins. - Ă€ mesure que les vaccins contre le covid-19 ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s et dĂ©ployĂ©s, une vague de dĂ©sinformation sur leur sĂ©curitĂ©, leur efficacitĂ© et leurs effets secondaires a Ă©mergĂ©. Cette dĂ©sinformation a contribuĂ© l'Ă©mergence non seulement d'une hĂ©sitation vaccinale, mais d'un puissant mouvement contre la vaccination ("antivax"), amalgamant thĂ©ories du complot et souffrance sociale, et mettant en danger les efforts de lutte contre la pandĂ©mie.

• Remise en question des mesures sanitaires. - Outre la vaccination, es mesures de confinement, le port du masque ont été la cible d'attaques constantes de la part de groupes qui les considéraient comme des atteintes aux libertés individuelles ou comme des outils de contrôle social. Ces discours ont été amplifiés par les réseaux sociaux et ont contribué à la polarisation de la société.

• Attaques contre les scientifiques et les experts. - Les scientifiques et les experts médicaux qui communiquaient sur la pandémie ont été la cible d'attaques et de menaces, tant en ligne que dans la vie réelle. Ces attaques, orchestrées par des groupes hostiles aux mesures sanitaires, ont visé à discréditer la parole scientifique et à semer le doute dans l'opinion publique.

Ici encore, les rĂ©seaux sociaux ont jouĂ© un rĂ´le dĂ©terminant dans la propagation de la dĂ©sinformation. Les plateformes (Twitter, Facebook, YouTube, etc.) ont Ă©tĂ© utilisĂ©es pour diffuser des informations fausses ou trompeuses. Les algorithmes de ces plateformes, conçus pour maximiser l'engagement, en favorisant les contenus sensationnalistes et Ă©motionnels, qui sont souvent plus partagĂ©s et commentĂ©s que les informations factuelles, ont contribuĂ© Ă  amplifier les contenus faux ou trompeurs. Les bulles de filtres ont Ă©galement contribuĂ© Ă  enfermer les utilisateurs dans des environnements informationnels qui confirment leurs croyances prĂ©existantes, les isolant des points de vue divergents. 

On doit aussi relever la dĂ©rive de nombre de mĂ©dias mainstream dans leur couverture de la crise et qui a contribuĂ©, en dĂ©naturant la parole scientifique Ă  affermir le climat de post-vĂ©ritĂ©. Une dĂ©rive, dont une cause est peut-ĂŞtre le mercantilisme des journaux moins intĂ©ressĂ©s par les faits que par l'idĂ©e de plaire au plus grand nombre, mais, pensons-nous, plutĂ´t largement dĂ» Ă  la sociologie des journalistes, qui dans leur grande majoritĂ© n'ont pas de culture scientifique, qui s'imaginaient les sciences comme les porteuses de vĂ©ritĂ©s indiscutables, avec les mĂŞmes prĂ©tentions que les religions (Scientisme) et ont dĂ©couvert soudain, mais sans le comprendre, le mode de production des connaissances scientifiques dans sa dynamique, avec ses hĂ©sitations, ses contradictions, ses impasses et, parfois, ses avancĂ©es branlantes, dont seuls les spĂ©cialistes sont en mesure d'apprĂ©cier la valeur. Ils sont passĂ©s d'un excès Ă  l'autre : la parole scientifique qu'ils croyaient intangible est soudain tombĂ©e de son piĂ©destal pour se convertir en une opinion parmi d'autres. 

En France, où les autorités ont été pour l'essentiel géré la crise de manière comparable à celle des pays voisins, on a quand même vu parfois vu s'exprimer les tropismes de la pire politique, qui sont à la fois des effets de la post-vérité et le terreau à partir duquel elle prospère. Par exemple, avec une porte-parole du gouvernement qui, plutôt que d'admettre l'insuffisance du nombre de masques, a expliqué avec suffisance qu'on n'avait pas besoin de masques puisque personne ne savait comment les mettre. On a vu aussi un président de la République aller adouber le promoteur d'un pseudo-remède, comme un pied de nez au travail des chercheurs véritablement attachés à faire leur travail. Quand tout se vaut, rien n'a de valeur.

Au final, la résistance aux mesures sanitaires, alimentée par la désinformation et la méfiance, a ralenti la réponse à la pandémie et a probablement contribué à l'augmentation du nombre de cas et de décès. La pandémie a exacerbé les divisions et les tensions sociales, créant un climat de méfiance et d'hostilité entre les différents groupes d'opinion. La gestion de la pandémie, marquée par des contradictions, des erreurs et des controverses, a contribué à accélerer l'érosion de la confiance dans les gouvernements, les médias et les institutions scientifiques. La prolifération de la désinformation a rendu plus difficile la communication des autorités sanitaires et a réduit l'impact des messages de prévention.

Des éclairages sur la post-vérité.
Le terme post-vérité (post-truth) semble avoir été utilisé pour la première fois par le dramaturge Steve Tesich, qui a introduit ce concept en 1992 dans un article publié dans The Nation, où il écrivait que les États-Unis étaient entrés dans une ère où les vérités objectives étaient rejetées si elles ne correspondaient pas aux préférences émotionnelles ou idéologiques des individus. Mais d'autres pilosophes, sociologues, et auteurs avaient déjà engagé les thèmes de la post-vérité dans leur réflexion. Voici une liste de penseurs qui ont étudié ou abordé cette problématique, implicitement ou explicitement :
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• Hannah Arendt (La crise de la culture, 1961). - Bien qu'elle n'utilise pas le terme de post-vérité, Arendt étudie le rôle du mensonge en politique et la manière dont la manipulation des faits peut déstabiliser la société. Son analyse sur la capacité des régimes totalitaires à réécrire la réalité peut être associée à l'idée de post-vérité.

• Harry Frankfurt (On Bullshit, 1986). - Il  analyse la diffĂ©rence entre le mensonge dĂ©libĂ©rĂ© et le bullshit. Ce dernier, selon lui, consiste Ă  ignorer les faits dans le but de manipuler ou persuader. Son analyse est frĂ©quemment citĂ©e dans les discussions sur la post-vĂ©ritĂ©.

• Jean Baudrillard (Simulacres et simulation, 1981). - Il  dĂ©crit un monde oĂą la distinction entre rĂ©alitĂ© et reprĂ©sentation s'efface, donnant naissance Ă  une "hyperrĂ©alitĂ©". Cette idĂ©e est fondamentale pour comprendre comment les faits peuvent perdre leur pouvoir dans une ère oĂą les images et les rĂ©cits priment.

• Lee McIntyre (Post-Truth, 2018). - Il fournit une analyse détaillée de la montée de la post-vérité dans le contexte politique et médiatique, en analysant comment les biais cognitifs, la polarisation, et les médias sociaux contribuent à cette ère.

• Peter Pomerantsev (Nothing is True and Everything is Possible, 2014). - Ce livre décrit la manipulation médiatique

 dans la Russie contemporaine, illustrant comment la vĂ©ritĂ© est systĂ©matiquement manipulĂ©e dans le cadre d'une stratĂ©gie politique, un exemple clĂ© de la post-vĂ©ritĂ©.

• Nicholas Carr (The Shallows, 2010). - Il analyse l'impact des technologies numĂ©riques sur nos capacitĂ©s de rĂ©flexion et de jugement.  Bien qu'il n'aborde pas directement la post-vĂ©ritĂ©, ses rĂ©flexions sur la fragmentation de l'attention sont essentielles pour comprendre pourquoi les faits perdent de leur importance.

• George Orwell (1984, 1949). - Le concept de "double pensée" et l'idée d'un contrôle total de la vérité par un régime oppressif anticipent directement les phénomènes modernes de manipulation de l'information.

• Kathleen Higgins (articles sur la post-vérité dans le cadre philosophique). - Elle associe la montée de la post-vérité à une crise d'autorité dans les institutions de savoir, comme les universités et les médias, et au rôle des émotions dans la perception de la vérité.

• Zygmunt Bauman (Liquid Modernity, 2000); Strangers at Our Door, 2016). - Il s'intéresse les transformations de la modernité et à la manière dont l'incertitude et la fluidité des sociétés contemporaines favorisent l'érosion des vérités établies.

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