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L'inflation cosmique |
La théorie du big bang réussit remarquablement à rendre compte des observations. Il rend compte de l'expansion de l'univers, explique l'existence et les caractéristiques du rayonnement cosmologique (fond diffus cosmologique), prédit très correctement les abondances des éléments légers. Il prédit également qu'il devrait y avoir exactement trois types de neutrinos dans la nature, et cette prédiction a été confirmée par des expériences avec des accélérateurs à haute énergie. Cependant la théorie, dans se forme originelle, n'est pas en mesure de rendre compte de certaines caractéristiques fondamentales de l'univers. Elle ne sait pas dire, notamment, pourquoi l'univers est aussi plat que le montrent les observations; il n'est pas non plus capable expliquer pourquoi l'univers est aussi uniforme. Dans les années 1980, certains physiciens ont suggéré que ces insuffisances (et d'autres moins flagrantes) peuvent s'expliquer si, peu de temps après le Big bang mais avant l'émission du rayonnement cosmologique, l'univers a connu une inflation, c'est-à-dire une augmentation fulgurante de sa taille. Un univers dans lequel telle inflation se produit est appelé un univers inflationaire. L'univers inflationnaire est identique à l'univers du big bang pour tous les temps postérieurs à la date 10-30 s. Si l'on suppose que l'inflation a commencé vers la date de 10-35 s, ce phénomène aura donc été extraordinairement bref. Cependant, dans l'intervalle, l'échelle de l'univers a dû augmenter d'un facteur d'environ 1050 fois supérieur à celui prévu par les modèles big bang standard. L'hypothèse de l'inflation n'a pas seulement de mérite de résoudre plusieurs énigmes, elle peut s'inscrire en outre naturellement dans la logique des phénomènes auquels la physique des particules peut attendre dans l'univers très dense et très chaud des tout premiers instants de son histoire. Mais est-elle si indispensable? Certains cosmologistes (aujourd'hui minoritaires, il est vrai), se rappelant la manière dont, autrefois, on ajoutait des épicycles au modèle de Ptolémée, pour rendre compte du mouvement des planètes, se demandent si l'inflation n'est pas elle aussi une sorte d'épicycle ad hoc ajouté au modèle cosmologique dominant. Les insuffisances des modèles Big bang standard. Or, les observations montrent que l'univers est très près d'être plat, sans que l'on puisse à ce stade dire si sa courbure est exactement nulle ou si elle se situe très légèrement en dessus ou en dessous de zéro. Un chose est sûre, si la densité de l'univers avait été notablement plus élevée que la densité critique, l'univers aurait déjà commencé à se contracter. A l'inverse, si la densité de masse avait été notablement plus faible que la densité critique, les effets de l'énergie sombre auraient conduit à une expansion trop rapide pour permettre la formation des étoiles et des galaxies. La question de la platitude se pose alors de façon cruciale : comment se fait-il que parmi toutes les valeurs possibles pour la densité critique, l'univers se soit calé sur une valeur aussi particulière, aussi décisive pour son destin, que la densité critique? Le calcul dans le cadre due la théorie standard du big bang montre que pour que l'univers devienne tel qu'il est aujourd'hui, il aurait fallu qu'à la date de 10-33 .s, la valeur critique ait été ajustée à un 1019e près. Un réglage aussi fin n'est plus un problème lorsqu'on fait l'hypothèse d'une phase inflationnaire, parce que, quelle qu'ait été la courbure initiale de l'univers (ou du moins pour un très large intervalle de valeurs possibles), l'inflation fait tendre cette courbure vers zéro. L'uniformité de l'univers. L'horizon varie pour chaque galaxie. Considérons deux galaxies proches de notre horizon (disons à d'une douzaine de milliards d'années lumière de nous), mais situées dans des directions opposées; nous sommes visibles depuis chacune de ces deux galaxies, car nous nous situons à l'intérieur de leurs horizons respectifs. En revanche, elles ne peuvent pas se voir car leur distance est de 12+12 = 24 années-lumière, et nous savons que l'univers n'est pas âgé de plus de 13,8 ans : la lumière n'a pas eu le temps d'aller d'une galaxie à l'autre. Aucun contact, aucune relation causale ne peuvent être établis entre elles. Il en sera toujours ainsi, et il en a toujours été ainsi selon la théorie originelle du big bang. Comment se fait-il alors que ces galaxies, incapables de recevoir des signaux les unes des autres, soient si similaires en termes de contenu, de densité, de stade d'évolution de leurs populations stellaires? La réponse qui peut être donnée est que ces galaxies se sont formées avec les mêmes ingrédients, en proportions identiques, et dans des conditions physiques (température, densité) qui devaient être les mêmes. D'où une nouvelle formulation de la question : comment se fait-il que des points de l'univers qui n'ont jamais été en contact l'un avec l'autre aient pu s'homogénéiser ainsi aussi peu de temps après le début de l'expansion cosmique? Les mêmes constats peuvent être faits et la même question se pose lorsqu'on considère le rayonnement cosmologique. Ce rayonnement éléctromagnétique en provenance de toute les directions du ciel a été émis 380 000 environ après le début de l'expansion, a exactement les mêmes caractéristiques dans toutes les directions. Il s'agit d'un rayonnement thermique, qui serait celui d'un corps noir dont la température s'éleverait 2,725 K, avec des fluctuations infimes d'un point à un autre (1 partie sur 100 000 partout où nous regardons). Les caractéristiques des ces fluctuations étant elles-mêmes identiques quelle que soit la direction depuis laquelle est émis ce signal. On ne peut pas faire beaucoup plus uniforme. Pourquoi l'univers devrait-il être si homogène alors que chaque partie de celui-ci ne peut contempler qu'une petite partie du tout? Il est vrai qu'en remontant le temps en direction du début de l'expansion, toutes les parties de l'univers étaient plus proches les unes des autres. Mais le temps écoulé depuis le début était également moindre. Les radiations n'avaient pas encore eu le temps de se déplacer de l'une à l'autre et d'équilibrer ainsi d'éventuelles différences. La récession des galaxies le montrait déjà, il ne devrait jamais y avoir eu de contact entre les régions du ciel les plus éloignées. Ainsi, à très grande échelle (pour de très grandes distances) et aussi loin qu'il soit possible de voir, l'univers présente dans toutes les directions le même aspect. Il a partout les mêmes caractéristiques moyennes. Une uniformité inexplicable si l'on considère l'expansion annoncée par les modèles cosmologiques originels, mais qui, ici encore, devient compréhensible si l'on introduit l'hypothèse d'un épisode inflationnaire très tôt dans l'histoire de l'univers. Il apparaît alors qu'une région très petite de l'univers, assez petite pour que ses diverses parties aient eu le temps de se mélanger et de s'homogénéiser, a pu être brièvement soumise à une expansion tellement rapide que des parties initialement en contact se retrouvent projetées au-delà de leurs horizons respectifs. Cela signifie que lors de l'inflation l'expansion a dû être plus rapide que la vitesse de la lumière. Mais on notera bien que ce qui grandit plus vite que la lumière c'est le facteur d'échelle, autrement dit l'espace, mais aucun des objets qu'il contient en un point donné n'acquiert jamais une telle vitesse. Aucune des lois de la physique telle qu'on la connaît n'est donc violée par l'inflation. L'absence des monopôles magnétiques. La mécanique de l'inflation. Une transition de phase. La gravitation vient de se dissocier des autres forces, et les théories de la grande unification considèrent un univers dans lequel l'interaction électrofaible (formée par la combinaison de l'interaction électromagnétique et de la l'interaction nucléaire faible) ne s'est pas encore distinguée de l'interaction nucléaire forte. Cette situation va durer jusque vers t = 10-35 s. A ce moment, l'expansion de l'univers est parvenue au point où la température est tombée à un dix-millième de ce qu'elle était la fin du temps de Planck, bien qu'elle s'élève toujours à quelque chose comme 1028 K. C'est suffisant pour que l'interaction nucléaire forte et l'interaction électrofaible puissent maintenant commencer à être distinctes. On s'achemine ainsi vers une nouvelle étape de l'histoire de l'univers que l'on appelle l'ère électrofaible. Les physiciens assimilent ce passage entre deux états successifs de l'univers à une transition de phase analogue à celles qu'on observe lors des changements d'état des corps ordinaires (cristallisation / liquéfaction, condensation / évaporation, etc.). Or, de telles transitions, qui correspondent à des réarrangements de la matière, donnent lieu aussi à une redistribution de l'énergie impliquée dans le phénomène (absorption ou libération d'énergie selon des modalités particulières). Dans le cas de la transition de phase entre l'ère de la grande unification et de l'ère électrofaible, c'est la disponibilité, pendant un temps très court, d'une certaine énergie qui est invoquée par la théorie de l'inflation. L'énergie du vide Cette énergie a une forme très différente de l'énergie ordinaire, qui est celle de la matière et du rayonnement (énergie de masse + énergie cinétique) et ses caractéristiques semblent à même de conduire l'univers à une expansion accélérée (inflation), alors que l'énergie ordinaire « pèse» et est donc un facteur de ralentissement de l'expansion. Deux agents antagonistes sont dès lors en jeu : l'énergie ordinaire, sur laquelle sont construits les modèles cosmologiques et qui régit l'expansion pendant l'essentiel de son histoire, parce qu'elle est alors très supérieure à l'énergie du vide, et l'énergie du vide qui, pendant un infime instant, peut avoir une valeur supérieure à celle de l'énergie ordinaire et, partant, prendre les commandes de l'expansion. Le scénario peut avoir été le suivant : • Au début de l'expansion de l'univers, pendant l'ère de la grande unification, la densité de l'énergie de masse et l'énergie cinétique de l'univers, qui correspond au contenu « pesant » de l'univers, est très supérieure à l'énergie du vide et l'expansion suit le cours que prévoit le modèle standard du big bang.Reste à savoir quel champ invoquer pour expliquer l'inflation et aussi comment ensuite l'energie ordinaire peu-elle reprendre la main, autrement dit comment mettre fin à l'épisode d'inflation et retrouver les conditions physiques (en particulier la température) qui régneraient à ce moment en l'absence d'inflation. A la première question, on n'a jusqu'ici donné généralement qu'une réponse assez vague : on parle d'un champ hypothétique associé à une particule appelée, faute de mieu inflaton. Certains ont supposé que ce champ pourrait être le champ associé au boson de Higgs, mais des centaines d'autres possibilités ont été évoquées et il existe donc aujourd'hui des centaines de versions de la théorie inflationnaire selon la nature supposée de champ responsable de l'inflation. La surfusion. En pratique, cela ne se produit que lorsqu'il y a présence de grains de poussière ou d'ions qui agissent comme des noyaux sur lesquels les gouttes peuvent se développer à l'état liquide. En l'absence de ces noyaux, la vapeur peut être surfondue en dessous de 100 °C sans perdre son état gazeux. On retrouve une situation similaire à plus basse température, à 0°C, quand l'eau reste brièvement à l'état liquide alors qu'elle devrait être déjà à l'état de glace. Dans le scénario de l'inflation, après t = 10-35 s, l'univers était au bord d'un changement d'état correspondant à la séparation des forces nucléaires électrofaible et forte. Cependant, il a continué à refroidir jusqu'à ce qu'il atteigne un âge d'environ 10-32 secondes avant que ladite transition n'ait lieu. Dans ce bref intervalle, il a donc été dans une forme de surfusion ou de sur-refroidissement, qui est une forme d'entre-deux énérgétique pendant lequel l'énergie du vide seule est à la manoeuvre. Un saut dans le vide. A ce moment la forme du champ inflationnaire évolue : au-dessous de la température critique qui définit la transition de phase, l'état s0 n'est plus le l'état d'énergie minimale : il existe au moins un état s1 qui correspond à une énergie inférieure. Si l'on reprend l'image de la bille, on pourra dire que la forme du sol change : celui-ci se creuse autour de la bille. Celle-ci est désormais au sommet arrondi d'une petite colline et le véritable fond de la vallée est plus bas. Pendant un très bref instant, la bille reste au sommet de cette colline, ce qui correspond à ce que les physiciens appellent un état métastable. Si l'on considère de l'eau qui va se transformer en glace on parle de surfusion; dans le cas de notre champ inflationnaire on parle de faux-vide et c'est à ce moment que l'énergie du vide est disponible pour régenter l'expansion. Le vrai vide correspond àà une énergie moindre et une perturbation infinitésimale (une fluctuation quantique) suffit à faire évoluer ce champ vers son minimum. La bille descend au fond de la vallée. Et ici encore quelque chose d'analogue à ce que l'on observe avec la bille se produit le champ inflationnaire avec la situation de l'univers : la bille ne s'arrête pas immédiatement au fond de sa vallée, elle oscille autour de sa future position d'équilibre, dissipant son énergie cinétique sous forme de chaleur. Dans le cas de notre épopée cosmique, des oscillations analogues ont lieu et l'énergie qui occasionnait l'inflation se dissipe sous forme de matière et de rayonnement : une énorme bouffée de photons réchauffe l'univers, que la dilatation extrême avait porté à une température très basse, et lui fait retrouver la température qu'il aurait eue à ce moment s'il n'y avait jamais eu d'inflation. Ainsi, l'inflation, telle une deus ex-machina quitte la scène sans ni avoir rien changé, sauf que son passage a réglé entre autres questions celle de la planité et de l'uniformité de l'univers. Et s'il n'y avait jamais eu d'inflation? Retour aux conditions initiales. Mais les détracteurs de l'hypothèse inflationnaire ont tiré sur ce dernier point des conclusions opposées. Pour eux, les théories inflationnaires simples ne permettent pas d'expliquer convenablement certaines caractéristiques des anisotropies. Il faut les compliquer considérablement, et chaque complication ajoutée apparaît alors comme une condition initiale supplémentaire demandée à l'état de l'univers pour que s'engage une phase inflationnaire dont les effets seraient conformes aux observations. Par ailleurs, quand bien même on recourrait à de telle théories inflationnaire compliquées, les difficultées posées par la théorie du big bang standard n'en serait qu'en partie réduites. De fait, l'univers n'aurais certes pas eu besoin d'être partout et depuis le excessivement plat et uniforme, mais il aurait quand même fallu qu'une petite zone aient de telles caractéristiques. Un multivers dans le fruit. Dans ce cas, expliquent Steinhardt et ses collègues, l'inflation dure beaucoup plus longtemps dans certaines régions de l'espace que dans d'autres. Bien que les grandes fuctuations soient rares, les régions dans lesquelles elles se produisent s'étendent énormément et dominent rapidement l'espace. Très vite, chaque zone où l'inflation est terminée se trouve encerclée par des régions encore en expansion et est presque amenée à disparaître. A l'inverse, les régions où l'inflation serait la plus importante veraient se créer par endroits des volumes supplémentaires en expansion. Un processus qui se continuerait ainsi à l'infini. Seules les régions où l'inflation s'est arrêtée et a abouti à un taux d'expansion de l'espace suffisamment lent pouraient permettre la formation de galaxies, d'étoiles, de planètes et l'apparition d'organismes vivants. Mais toutes n'en auraiuent pas pour autant les caractéristiques cosmologiques observées dans notre portion d'univers. En raison du caractère aléatoire inhérent aux fluctuations quantiques, la plupart des portions d'univers résulant du processus inflationnaire ne sortiraint pas plats ou sans distorsion; le plus souvent, la distribution de la matière ne seraient presque pas homogène; et celle des points chauds et froids du fond diffus cosmologique n'auraient pas la plupart du temps les caractéristiques qu'on observe (invariance d'échelle approximative). Une infinité de portions d'univers pourraient ainsi se trouver dans des états physiques différents, régis par des lois différentes. Un univers affecté par un tel bourgeonnement est appelé multivers. Pareille conception ouvre des perspectives vertigineuses. Mais si l'on s'en tient au seules questions posées au départ, force est de constater que l'hypothèse inflationnaire n'a pas permis d'avancer d'un pouce. Si la question était : pourquoi l'univers observé est-il si plat et uniforme? la réponse désormais est : parce que nous sommes dans une bulle du multivers qui est plate et uniforme. Rebondissement final? Beaucoup de difficultés disparaissent alors. Le rebond ayant lieu à une échelle supérieure à l'échelle de Planck, la cosmologie n'a plus besoin de disposer d'une théorie quantique de la gravitation. (Une théorie qui resterait cependant nécessaire à la physique, pour bâtir une théorie complète des trous noirs ou pour comprendre la structure de la réalité à l'échelle la plus fine, l'échelle de Planck, qui elle est une notion qui conserve sa pertinence). Par ailleurs, aucune hypothèse supplémentaire ne serait nécessaire pour expliquer la platitude et l'uniformité de l'univers : la phase de contraction antérieure à notre phase d'expansion aurait abouti naturellement à cette situation. Au final, le modèle initial du big bang (modèle sans inflation), répondant seulement aux lois de la relativité générale, suffit à rendre compte des observations et la question du «-début de l'univers » est repoussée dans un passé indéfiniment lointain. Il n'y a pas eu de début et il n'y aura pas de fin, nous explique-t-on avec cette théorie. |
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