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La découverte du monde > Le ciel |
Le Soleil |
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Les civilisations
antiques observent le Soleil, vénèrent sa puissance, prédisent les éclipses
qui suscitent admiration et effroi. Ils notent son mouvement dans le ciel,
comprennent les cycles des saisons qu'il régit. C'est une source de lumière
et de chaleur dont on reconnaît l'importance vitale. Mais le début véritable
de l'étude du Soleil doit attendre la révolution
de l'instrumentation qui commence avec Galilée.
L'invention de la lunette et du télescope, notamment au début du XVIIe
siècle, ouvre une nouvelle ère d'exploration directe. On découvre les
taches solaires, des marques sombres sur sa surface éclatante. Loin d'être
parfait et immuable comme le pensait Aristote,
le Soleil présente des imperfections et change. On observe le déplacement
de ces taches jour après jour, on en déduit que le Soleil tourne sur
lui-même, mais pas de manière uniforme. C'est une première étape vers
la compréhension de sa nature physique et dynamique. La lumière elle-même
devient un objet d'étude. Newton, un peu plus
tard, décompose la lumière du soleil en un spectre
de couleurs avec un prisme, montrant qu'elle est un mélange.
Le XIXe siècle est le siècle de la spectroscopie, une technique révolutionnaire. Fraunhofer observe des raies sombres énigmatiques dans le spectre continu du Soleil. Kirchhoff et Bunsen, en étudiant la lumière émise ou absorbée par des éléments chimiques chauffés en laboratoire, expliquent ce mystère : ces raies sombres sont des signatures d'éléments chimiques présents dans l'atmosphère solaire, absorbant la lumière à des longueurs d'onde spécifiques. L'analyse spectrale devient un outil puissant pour connaître la composition du Soleil à distance. On identifie ainsi dans notre étoile des éléments comme le sodium, le fer ou le calcium, connus sur Terre. Mais en 1868, lors de l'observation d'une éclipse, l'astronome Janssen et le chimiste Lockyer observent dans le spectre de la chromosphère solaire une raie jaune brillante qui ne correspond à aucun élément connu sur Terre : c'est l'hélium, un nouvel élément, découvert d'abord dans le Soleil (d'où son nom) avant de l'être sur notre planète. L'étude des taches solaires continue. L'apothicaire Heinrich Schwabe observe méticuleusement les taches pendant des décennies et découvre dans les années 1840 un cycle d'environ dix ans (réévalué plus tard à onze ans) dans leur apparition, avec des périodes d'activité maximale et minimale. Richard Carrington observe leur mouvement différentiel (plus rapide à l'équateur qu'aux pôles) et établit en 1859 un lien entre une éruption solaire majeure et une tempête géomagnétique sur Terre (l'événement de Carrington), suggérant une connexion entre l'activité solaire et son influence sur notre planète. L'activité solaire devient un champ de recherche à part entière. De nouveaux instruments sophistiqués voient le jour pour mieux étudier le Soleil en dehors des moments fugaces des éclipses. La photographie permet d'enregistrer fidèlement les observations du disque solaire et des taches. Samuel Pierpont Langley invente le bolomètre à la fin du siècle pour mesurer le rayonnement solaire total, tentant de déterminer la "constante solaire", la quantité d'énergie reçue de l'étoile. Surtout, George Ellery Hale développe le spectrohéliographe dans les années 1890, un instrument révolutionnaire qui permet d'isoler la lumière de longueurs d'onde spécifiques (comme celles émises par le calcium ou l'hydrogène) et d'observer ainsi la structure et la dynamique des couches supérieures de l'atmosphère solaire (chromosphère et protubérances) à tout moment. Des observatoires dédiés exclusivement au Soleil sont créés, comme celui de Yerkes puis de Mount Wilson, équipé de télescopes solaires de grande taille. A la fin du XIXe siècle, on commence à se poser des questions sérieuses sur l'origine de l'énergie prodigieuse que le Soleil émet. Les théories de la contraction gravitationnelle (proposées par Helmholtz et Kelvin) sont débattues, estimant que le Soleil pourrait briller ainsi pendant des millions d'années en se contractant lentement. Cependant, les estimations géologiques et biologiques de l'âge de la Terre commencent à suggérer que ce mécanisme seul n'est pas suffisant pour expliquer la durée de vie de notre étoile. Hale utilise le spectrohéliographe et l'effet Zeeman (la division des raies spectrales sous l'influence d'un champ magnétique) pour démontrer l'existence de champs magnétiques puissants dans les taches solaires au début du XXe siècle. Le Soleil n'est pas seulement une boule de gaz chaud, il est un astre magnétique et dynamique dont le magnétisme joue un rôle clé dans son activité. L'étude du Soleil se lie aussi aux grandes révolutions de la physique. La jeune théorie de la relativité générale d'Einstein, publiée en 1915, prédit que la lumière des étoiles lointaines passant près d'une masse importante comme le Soleil doit être déviée. En 1919, lors d'une éclipse totale observable depuis l'Afrique de l'Ouest et le Brésil, les expéditions dirigées par Arthur Eddington mesurent la position d'étoiles visibles près du bord du Soleil éclipsé. Elles constatent que leur lumière est effectivement déviée de la quantité prédite par Einstein, apportant une preuve cruciale à la relativité générale et montrant le lien profond entre l'étude de notre étoile et les questions fondamentales sur la nature de l'espace, du temps et de la gravitation. Au début des années 1920, la question fondamentale de la source d'énergie du Soleil reste un mystère brûlant. Arthur Eddington propose déjà l'idée de processus nucléaires au centre, et il développe des modèles de l'intérieur solaire, considérant l'équilibre entre la gravité et la pression du gaz et du rayonnement. Cecilia Payne-Gaposchkin, dans sa thèse révolutionnaire de 1925, détermine que le Soleil, comme les autres étoiles, est composé massivement d'hydrogène et d'hélium, une découverte qui contredit les idées de l'époque mais s'avère fondamentale. Les années 1930 voient des avancées majeures. En 1930, Bernard Lyot invente le coronographe, un instrument ingénieux qui permet d'observer la couronne solaire en dehors des éclipses en masquant artificiellement le disque brillant du Soleil. Cela ouvre la voie à une étude continue de cette région la plus externe et la plus dynamique de l'atmosphère solaire. La nature de l'énergie solaire est enfin élucidée à la fin de la décennie par Hans Bethe, qui propose les chaînes de réactions nucléaires, notamment la chaîne proton-proton et le cycle CNO, expliquant comment l'hydrogène est converti en hélium au cœur du Soleil, libérant l'immense quantité d'énergie observée. Après la Seconde Guerre mondiale, la recherche solaire connaît un essor, notamment grâce au développement de la radioastronomie. Les astronomes commencent à détecter et à étudier les émissions radio provenant du Soleil, associées aux phénomènes actifs comme les éruptions solaires. Les modèles théoriques de l'atmosphère solaire s'affinent, cherchant à comprendre la transition spectaculaire entre la photosphère relativement froide (environ 6000°C) et la couronne extrêmement chaude (plus d'un million de degrés), un problème qui défie l'intuition basée sur le transport d'énergie par rayonnement ou convection. L'avènement de l'ère spatiale dans les années 1960 marque une nouvelle révolution. Pour la première fois, il devient possible d'observer le Soleil dans des longueurs d'onde qui sont totalement absorbées par l'atmosphère terrestre, comme les ultraviolets, les rayons X et les rayons gamma. Les satellites, tels que la série des OSO (Orbiting Solar Observatory), sont équipés d'instruments capables de capter ce rayonnement de haute énergie. Ces observations révèlent un Soleil beaucoup plus dynamique et violent qu'on ne le voyait depuis le sol. Les rayons X et UV montrent la chromosphère et la couronne en pleine activité, trahissant la présence de champs magnétiques puissants et complexes qui gouvernent la structure et les phénomènes dans ces couches externes. Dans les années 1960, la théorie de Eugene Parker sur le vent solaire est confirmée par les mesures in situ des sondes spatiales, comme Mariner 2 en 1962. On découvre que le Soleil émet en permanence un flux de particules chargées qui se propage à travers le Système solaire. L'étude de ce vent solaire devient un domaine de recherche important, cherchant à comprendre comment il est accéléré et comment il interagit avec les planètes. Pendant cette même période, un nouveau domaine de recherche se développe, basé sur l'idée d'étudier l'intérieur même du Soleil en détectant les neutrinos produits par les réactions nucléaires dans son coeur. Raymond Davis Jr. commence son expérience historique dans la mine de Homestake à la fin des années 1960. Cependant, les premiers résultats montrent un déficit significatif de neutrinos par rapport aux prédictions des modèles solaires standard, soulevant le problème des neutrinos solaires, un mystère majeur qui persistera pendant des décennies. Les années 1970 sont dominées par les missions spatiales encore plus ambitieuses. Le laboratoire spatial Skylab, lancé en 1973, emporte à son bord des télescopes solaires de pointe qui observent le Soleil pendant plusieurs mois avec une résolution sans précédent en UV et en rayons X. Skylab fournit des images spectaculaires de la couronne, des boucles magnétiques géantes, des éruptions solaires et découvre les trous coronaux, des régions d'où semble s'échapper le vent solaire rapide. Ces observations confirment le rôle central du champ magnétique dans tous les phénomènes solaires actifs et dans la structure de la couronne. Parallèlement, les sondes Helios 1 et 2 sont envoyées plus près du Soleil que jamais, mesurant les propriétés du vent solaire et des champs magnétiques dans des régions jusqu'alors inaccessibles. Au sol, les observatoires continuent leurs mesures spectroscopiques de haute précision et améliorent les télescopes. Les théoriciens affinent les modèles de l'intérieur solaire, de l'atmosphère et de l'activité, incorporant de plus en plus les effets complexes de la magnétohydrodynamique. L'idée de la sismologie solaire (héliosismologie), l'étude des oscillations à la surface du Soleil pour sonder son intérieur, commence à prendre forme bien que les résultats majeurs viendront plus tard. A partire des années 1980, l'étude du Soleil entre dans une ère nouvelle, caractérisée par le besoin croissant d'observer notre étoile depuis l'espace, affranchi des limitations de l'atmosphère terrestre. On connaît déjà les grandes structures du Soleil : le noyau où se produit la fusion, la zone radiative, la zone convective, la photosphère visible, la chromosphère, et l'énigmatique couronne, beaucoup plus chaude que la surface et source du vent solaire qui s'écoule dans tout le système héliosphérique. Mais les mécanismes précis qui chauffent la couronne, accélèrent le vent solaire, ou déclenchent les formidables éruptions et éjections de masse coronale (EMC) restent largement incompris. L'activité solaire, avec son cycle de 11 ans, influence directement l'environnement spatial de la Terre – ce que l'on commence à nommer la météo spatiale – et l'on prend conscience de ses effets sur les satellites, les communications et les réseaux électriques. Dès 1980, la mission Solar Maximum Mission (SMM) de la NASA est lancée. Bien que confrontée à des pannes, elle est réparée en orbite par une mission de la navette spatiale en 1984, un exploit technologique marquant. SMM observe les éruptions solaires dans diverses longueurs d'onde, des rayons X aux rayons gamma, fournissant des données importantes sur l'énergie libérée lors de ces événements et les processus de reconnexion magnétique. C'est une première étape vers une compréhension plus fine de la dynamique de l'activité solaire. Les années 1980 voient aussi l'essor de l'hélioséismologie, l'étude des ondes qui traversent l'intérieur solaire. Des observations depuis le sol et par des instruments embarqués (comme sur SMM) commencent à sonder la structure interne, la vitesse de rotation différentielle (l'équateur tourne plus vite que les pôles) et les flux de matière sous la surface. Des réseaux de télescopes au sol se mettent en place, comme le GONG (Global Oscillation Network Group) dans les années 1990, permettant une observation quasi continue. Au début des années 1990, la mission japonaise Yohkoh (lancée en 1991) révolutionne notre vision de la couronne en rayons X. Ses images montrent la couronne comme une structure dominée par des champs magnétiques, visualisés par des boucles de plasma chauffé. Yohkoh observe de manière spectaculaire la dynamique des boucles coronales lors des éruptions, ce qui renforce l'idée que l'énergie éruptive provient de la reconfiguration du champ magnétique. Mais le tournant majeur intervient avec le lancement en 1995 de SOHO (Solar and Heliospheric Observatory), une collaboration entre l'ESA et la NASA positionnée au point de Lagrange L1, offrant une vue ininterrompue du Soleil. SOHO est une mission multi-instrumentale sans précédent. Elle embarque des instruments d'hélioséismologie (MDI) qui cartographient l'intérieur solaire avec une précision jamais atteinte, révélant notamment la présence de flux méridiens et des zones d'activité sous la surface. Ses coronographes (LASCO) fournissent les premières observations continues et détaillées des éjections de masse coronale, ces gigantesques bulles de plasma qui peuvent impacter la Terre. C'est la naissance de la surveillance opérationnelle des EMC pour la météo spatiale. SOHO observe également l'atmosphère solaire dans l'ultraviolet et l'ultraviolet extrême (EIT, SUMER, CDS). Ces observationss montrent la complexité et la variabilité de la chromosphère et de la zone de transition, et permettent de détecter l'origine de certains types de vent solaire. Après SOHO, une série de missions spécialisées affine la compréhension que l'on a de notre étoile. TRACE (Transition Region and Coronal Explorer, lancé en 1998) fournit des images de très haute résolution spatiale et temporelle de la chromosphère, de la zone de transition et de la couronne, mettant en évidence des structures fines et des dynamiques rapides, comme les boucles coronales qui vibrent ou se reconnectent. Au milieu des années 2000, les missions STEREO (Solar Terrestrial Relations Observatory, lancées en 2006) offrent une nouvelle perspective : la vision stéréoscopique. Deux engins spatiaux s'éloignent progressivement de part et d'autre de l'orbite terrestre, permettant de voir le Soleil en 3D et de suivre les EMC et autres phénomènes à mesure qu'ils s'éloignent du Soleil. STEREO transforme la capacité des astronomes à modéliser et prédire l'arrivée des EMC à la Terre. Presque simultanément, la mission japonaise Hinode (lancée en 2006) se concentre sur les champs magnétiques à haute résolution dans la photosphère, la chromosphère et la couronne, utilisant un télescope solaire optique, un télescope en rayons X et un télescope UV/EUV. Hinode établit des liens clairs entre l'activité magnétique en surface et les phénomènes dans les couches supérieures de l'atmosphère. Les années 2010 sont dominées par la mission Solar Dynamics Observatory (SDO, lancée en 2010) de la NASA. SDO devient le télescope spatial solaire par excellence, fournissant des images du disque solaire complet avec une résolution spatiale, temporelle et spectrale sans précédent et de manière continue. SDO observe simultanément le Soleil dans de nombreuses longueurs d'onde, de la photosphère à la couronne, et mesure les champs magnétiques de surface avec une grande précision (HMI). Ses données permettent une analyse détaillée de l'évolution des régions actives, du déclenchement des éruptions et des EMC, de la propagation des ondes (séismologie de surface), et des dynamiques complexes du plasma. La mission IRIS (Interface Region Imaging Spectrograph, lancée en 2013) se concentre spécifiquement sur la région de transition, une zone fine mais cruciale entre la chromosphère et la couronne, dont les processus énergétiques sont essentiels mais difficiles à observer. La fin des années 2010 et le début des années 2020 marquent une nouvelle étape audacieuse : celle de l'exploration in situ et des vues rapprochées. La mission Parker Solar Probe (PSP, lancée par la NASA en 2018) s'approche plus près du Soleil que jamais auparavant, pénétrant dans les couches externes de la couronne pour échantillonner directement le plasma et les champs magnétiques. Son objectif est de résoudre les mystères du chauffage coronal et de l'accélération du vent solaire rapide en mesurant les particules et les champs dans leur zone d'origine. La mission Solar Orbiter (lancée en 2020 par l'ESA et la NASA) combine des observations in situ et de la télédétection depuis une orbite qui s'approche aussi du Soleil, mais surtout qui s'incline progressivement hors du plan de l'écliptique. Pour la première fois, Solar Orbiter offre des vues des régions polaires solaires, essentielles pour comprendre le cycle solaire global et la structure du vent solaire rapide. Sur Terre, le télescope solaire Daniel K. Inouye Solar Telescope (DKIST), opérationnel début 2020, atteint une résolution spatiale sans précédent pour observer les phénomènes à la surface du Soleil. Aujourd'hui, l'étude du Soleil s'appuie sur cette armada d'instruments spatiaux et au sol. On compile les données de SDO, Parker Solar Probe, Solar Orbiter, Hinode, IRIS, STEREO et DKIST, complétées par des observations de plus anciennes missions toujours opérationnelles comme SOHO et des réseaux au sol. Les scientifiques développent des modèles numériques 3D de plus en plus sophistiqués qui simulent l'intérieur solaire, la convection, la génération des champs magnétiques (dynamo), la structure de la couronne et l'initiation des éruptions et des EMC. La prévision de la météo spatiale devient une discipline opérationnelle cruciale, bénéficiant directement des progrès de la recherche fondamentale. L'étude du Soleil continue ainsi de révéler de nouvelles complexités et des mystères persistants, comme les détails précis du chauffage coronal ou la prédiction fiable des événements les plus énergétiques. |
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