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Le Diable dans ses oeuvres
De la Tentation à la Possession

Vollet 
1900 
Selon les Chrétiens, parmi les procédés que le Diable emploie pour séduire les hommes, les soustraire au règne de Dieu et les soumettre à son empire, les théologiens et les démonologues distinguent la Tentation, l'Illusion, l'Obsession et la Possession.

L'homme attaqué par la Tentation proprement dite jouit encore de son libre arbitre ou, du moins, de la part que lui en ont laissée la déchéance originelle et l'infirmité résultant de ses chutes précédentes; mais il n'y a en lui ou hors de lui presque rien que le Diable ne sache utiliser pour le vaincre et pour se l'assujettir. Les promptitudes et les témérités de l'esprit, les faiblesses et les convoitises de la chair, les affections et les désirs du coeur, la crainte et l'espérance, les souvenirs et les regrets, l'ignorance et la connaissance, la maladie et la santé, la beauté et la laideur, la richesse et la pauvreté, les revers et les succès, tout devient arme aux mains du Tentateur. En outre, les prédispositions funestes qui constituent les sept vices capitaux : Orgueil, Envie, Colère, Avarice, Gourmandise, Luxure et Paresse, forment, pour ainsi dire, tout autant de provinces occupées, sous la direction de Satan, par des légions de démons aussi actifs qu'habiles en leur spécialité. Contre la tentation, l'Évangile recommande la vigilance et la prière (S. Math., XXVI, 41) : l'ascétisme catholique y ajoute le jeûne, la solitude, le silence et les exercices préventifs ou répressifs de mortification ou de pénitence, dont les principaux instruments sont le cilice et le fouet en ses diverses formes.

Entre la Tentation et l'Obsession se place l'Illusion. C'est ordinairement à propos des illusions nocturnes que les théologiens s'occupent de cet artifice du Diable. Les confesseurs les plus sévères innocentent ces illusions-là, lorsqu'elles n'ont point été provoquées durant la veille, par ces imprudences et ces complaisances du souvenir, ou de l'imagination que les casuistes appellent delectatio morosa.

Ce qui différencie l'Obsession de la Possession, c'est que dans l'Obsession le Diable agit en dehors de l'homme, tandis que dans la possession il agit en dedans. La série des tentations de saint Antoine présente plusieurs cas bien caractérisés d'Obsession. D'autres légendes, pareillement canonisées par l'Église, permettent de compléter l'énumération de ce que les démons peuvent et savent entreprendre pour terroriser ou corrompre les fidèles. Elles les montrent commandant aux éléments, pour faire gronder le tonnerre et tomber la foudre, pour déchaîner les vents et soulever les flots, pour produire tantôt des paysages ravissants, tantôt des précipices épouvantables, tantôt des édifices prodigieux, tantôt les aliments les plus appétissants, tantôt les concerts les plus amollissants ou les cris les plus affreux. Les démons peuvent aussi prendre les formes de tous les êtres de la création, et même créer et revêtir des formes fantastiques, merveilleusement terribles ou merveilleusement belles, suivant le but proposé. Parmi ces créations, les théologiens et les démonologues classent, d'après d'éminents pères de l' Église, l'incubisme et le succubisme. Le démon qui se fait incube prend la forme d'un homme, pour séduire une femme et l'induire au péché. A l'inverse, le succube se présente sous la forme d'une femme, pour consommer la perdition d'un homme. Comme moyens de résister aux obsessions, les documents que nous analysons indiquent le signe de la croix et l'eau bénite. L'effet de ces deux moyens est tout puissant, mais l'eau bénite semble préférable, disent les Chrétiens. Non seulement elle met en fuite le Tentateur; mais elle le punit de son entreprise, en lui infligeant l'horrible souffrance que le contact de cette eau fait toujours endurer aux démons.

Les formes et les effets de la Possession sont très divers; mais tous les cas présentent un caractère commun : l'introduction dans le corps d'un homme d'un ou de plusieurs démons, qui s'y établissent, s'emparent des membres, des sens et de l'esprit de cet homme, et les asservissent à l'accomplissement de leurs volontés. Au gré ou suivant la nature du diable qui le domine, le possédé devient paralytique, épileptique ou hystérique, sourd, muet ou aveugle; il se tord ou s'endort, sourit ou grimace, chante ou hurle, mais ordinairement blasphème et se livre à des paroles et à des actions fort impures et fort impies; parfois aussi à des manifestations religieuses, dans lesquelles cependant un observateur orthodoxe peut toujours reconnaître les inspirations du démon des hérésies.

Le remède spécifique contre la possession, ou plutôt le moyen officiel de délivrance pour le démoniaque, c'est I'exorcisme. 

"Les Chrétiens, écrit saint Cyprien (Traités de la vanité des idoles), conjurent les démons au nom du Dieu vivant, les contraignant de quitter le corps du possédé, de hurler, pleurer et souffrir, de confesser d'où ils viennent ni de s'enfuir."
Ce n'est pas seulement du corps des hommes que l'exorcisme chasse les démons; c'est aussi du corps des animaux et même des éléments qui composent les choses inanimées; car on sait que toutes les parties de notre monde sont infestées par une multitude invisible d'esprits malfaisants, et que le Diable professe une prédilection marquée pour certains animaux, qu'il associe à ses maléfices. Pour les hommes, l'exorcisme s'opère suivant un rituel assez compliqué. Pour les animaux et les choses la cérémonie est plus simple; elle consiste : 
1° à supplier Dieu de faire cesser le mal;

2° à sommer le démon, de la part de Dieu et en vertu de la puissance qu'il a donnée à l'Église, de quitter le corps des animaux ou les lieux ou les choses dont il abuse pour nuire aux hommes.

Des rites spéciaux sont destinés à exorciser les éléments dont l'Église se sert pour son culte : l'eau, le sel, l'huile, etc. Ces dernières opérations constituent l'exorcisme ordinaire, celles dont on use pour délivrer les possédés, purifier les choses et les lieux infestés, écarter les orages, faire périr les animaux nuisibles, etc., sont appelées exorcismes extraordinaires.

Primitivement, le pouvoir d'exorciser était reconnu à tous les chrétiens, ensuite on en attribua l'exercice à un ministère spécial, qui devint alors très actif, celui des exorcistes. Il ne figure plus aujourd'hui que dans les ordres mineurs et pour le titre seulement, titre sans emploi. Les prêtres eux-mêmes ne peuvent exorciser les personnes, sinon avec une permission de leur évêque. Des instructions de la sacrée Congrégation du Saint-Office (décembre 1700) et de la sacrée Congrégation des Évêques et Réguliers (janvier 1713, septembre 1738, juillet 1787) prescrivent les règles à suivre en ces matières. Elles ont été écrites à l'occasion des troubles qui agitaient les religieuses de l'Annonciation (diocèse d'Iesi); de deux novices d'un couvent de Frésingue misérablement molestées par le Malin Esprit; d'une religieuse choriste du couvent de Saint-Bernardin (évêché de S. Angelo in Vado) et d'une religieuse de Gallerata (diocèse de Milan).

Elles recommandent les exorcismes contenus dans le livre intitulé Flagellum daemonum; mais pour les précautions et mesures à prendre, elles semblent avoir été influencées, sur certains points, par le doute moderne, qui prétend classer parmi les maladies naturelles, que la pathologie médicale réclame, ou parmi les passions humaines, des cas qui autrefois étaient incontestablement attribués à l'oeuvre du Démon : Avant tout, observer sérieusement le confesseur ordinaire du couvent et l'écarter s'il paraît suspect; puis s'enquérir, même avec des explorateurs secrets, si les religieuses obsédées sont encore ou ont jamais été prises d'amour profane : si elles ont l'habitude de fréquenter les grilles du monastère; si elles ont des correspondances d'amitié avec des séculiers; si ces séculiers ont l'habitude de circuler de jour ou de nuit autour du monastère; si leurs agitations peuvent dériver de causes et passions mondaines ou bien d'effets hystériques et naturels : pour cela, les faire examiner par un ou plusieurs médecins d'un âge avancé; enfin, surveiller très attentivement les domestiques qu'on a coutume de faire entrer dans le couvent, pour les services manuels. Il est notable que tous les documents que nous venons de mentionner se rapportent à des cas advenus dans des monastères de femmes. En effet, il semble bien que les religieuses sont particulièrement l'objet des entreprises et des ruses de Satan. Il est avéré que ses suppôts Astaroth, Cédon, Asmodée, Uriel, Belzébuth et autres diables de haut rang, surent s'emparer du corps des Ursulines de Loudun (1633), en y entrant par le nez lorsqu'elles respiraient une branche (le rosier fleuri, envoyée par Urbain Grandier, ainsi qu'ils le déclarèrent à l'évêque de Poitiers, et aux autres exorcistes qui opéraient avec lui. (EH. Vollet, 1900).



En librairie -  Jean-François Lecampte, Le Diable dans tous ses états (anthologie, illust. Jean-Michel Nicollet), E. Dite, 2003. - Collectif, Le Diable en occident, Desclée de Brouwer (Notre Histoire, n° 209), 2003. Robert Muchembled, Une histoire du Diable (XIIe - XXe siècles), Le Seuil, 2002. - Daniel Lacotte, Danse avec le Diable, un histoire des sorcières, Hachette Littératures, 2002. - Sylvie Neuburger-Coirault, La confusion du bien et du mal, le diable imitateur, L'Harmattan, 2000. - Georges Minois, Le Diable, PUF (QSJ), 1998. 
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