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Stedman


Ch. Grosdidier
2013 
John Gabriel Stedman, né en Ecosse en 1748, fut officier dans un régiment de la brigade écossaise au service de Hollande. La révolte des esclaves du Suriname ayant fait prendre la détermination d'envoyer des renforts de troupes dans cette colonie, Stedman obtint, en 1772, le grade de capitaine dans un corps de volontaires qu'on y faisait passer. Il retourna en Europe après la pacification, en 1777 et reprit son rang de capitaine dans le régiment qu'il avait quitté. On lui offrit, peu de temps après, la place de vice-gouverneur de la colonie de Berbice, qu'il ne voulut pas accepter. La guerre ayant éclaté entre la Grande-Bretagne et la Hollande, il quitta le service de cette dernière puissance et mourut à Tiverton (Devonshire), en 1797, après avoir publié une relation de son voyage.
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Stedman.
John Gabriel Stedman (1748-1797).

Mieux connu aux Etats-Unis qu’en France, Stedman est passé à la postérité par son récit de cinq années passées au Suriname, de 1772 à 1777, à la traque des esclaves marrons. Nombre des gravures de son ouvrage, tirées directement de ses dessins, servent encore aujourd’hui de référence lorsqu’il s’agit d’illustrer les sévices subis par les esclaves africains non seulement au Suriname mais aussi, parfois de façon abusive, dans toutes les parties du monde que l’Europe appelait alors les Indes, qu’elles fussent occidentales ou orientales. C’est tout dire du caractère exceptionnel de ce récit, que les abolitionnistes anglais ont utilisé jusqu’à leur victoire complète en 1838. 

La narration de Stedman, même si elle revendique une absence de « parti pris », notamment sur la question de l’abolition elle-même, ne se présente pas sous la forme d’un reportage journalistique contemporain. Au-delà d’observations scientifiques assez honnêtes sur la flore et la faune guyanaises, et d’une ébauche d’étude sur les Indiens (dont Stedman ne serait d’ailleurs pas l’auteur direct), il se mêle à la description de la société surinamaise du XVIIIe siècle une histoire d’amour d’origine biographique, contée sur le mode romantique de l’époque, avec une esclave mulâtresse de quinze ans, Joanna, qui lui donnera authentiquement un enfant. Le comportement noble et protecteur du capitaine britannique Stedman envers la jeune fille qu’il veut arracher à sa condition a assuré le succès du livre lors de sa parution, après une réécriture et bien des atermoiements, en 1794. 
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Joanna.
Joanna.

Toutefois, l’exhumation des écrits intimes du capitaine Stedman, les recherches contemporaines menées par les universitaires américains Richard et Sally Price, autant que les incohérences flagrantes du récit publié, laissent imaginer une réalité un peu différente de celle qui a rencontré une résonnance auprès des lecteurs anti esclavagistes. La notoriété de ce livre reposerait-elle sur un malentendu? Le cas ne serait pas unique, pour ne pas dire systématique. 

Si la narration de ses cinq années au Suriname est la seule des oeuvres que Stedman a voulu publier,  il s’est piqué à la fin de sa vie d’une écriture qui l’amène à se raconter, de façon parfaitement narcissique, depuis ses premiers vagissements au berceau,  jusqu’à sa retraite en gentleman-farmer de Tiverton, marié à une Hollandaise dont il a eu cinq enfants. Les frasques de sa jeunesse n’ont évidemment jamais eu d’intérêt pour personne, mais elles dessinent le portrait d’un être élevé sans contrainte par un oncle philanthrope. Turbulent, fanfaron, égocentrique, Stedman est aussi un être original, curieux, et qui possède surtout, selon lui-même, une capacité d’empathie naturelle, presque maladive, à compatir aux souffrances d’autrui, serait-ce un animal ou un poisson. Stedman vieillissant paraît ainsi justifier à ses propres yeux l’extraordinaire intérêt, pour un soldat de l’époque, qu’il a manifesté pour la condition des esclaves, et semble placer son amour pour Joanna comme la plus achevée de ses extravagances. 

Il développe dans sa jeunesse quelques talents pour le dessin et la peinture, mais il n’est qu’assez peu cultivé. Comment ne pas penser à lui comme à une sorte d’Emile? Un Emile né d’une bonne  famille écossaise, mais ruinée, qui va embrasser la carrière militaire en entrant avec un grade subalterne, celui d’enseigne, dans la Scots Brigade, alors à la solde de la Hollande. Il y mène quelques années la vie querelleuse et débauchée d’un officier sans fortune, jusqu’à ce qu’il trouve l’occasion de s’engager dans un régiment constitué spécialement pour aller mater les rébellions d’esclaves au Suriname. 

En 1772, le Suriname, pays au nord de la Guyane française, est alors la plus prospère des colonies hollandaises, et même des colonies caribéennes. Ses richesses appartiennent à la ville d’Amsterdam et à la Compagnie des Indes occidentales (Le commerce des Hollandais). La population des esclaves déportés d’Afrique y est exceptionnellement nombreuse pour la taille du pays - environ cent mille personnes, avec un ratio d’un homme libre pour vingt esclaves. Le fameux nègre de Candide, présenté par Voltaire, en fait partie. 

« C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe »… 
Mais les exactions des colons blancs ne vont pas sans riposte. Au cours du siècle, deux groupes rebelles déjà,  nommés les Saramaca et les Djuka, ont réussi à gagner leur liberté par la guerre, et se sont installés sur la rive française du Maroni (ils y sont encore). Un nouveau groupe d’esclaves marrons, baptisés Boni, du nom de leur chef, s’est organisé et mène la vie dure aux troupes de la Compagnie. Réfugiés dans la forêt, où ils parviennent à survivre en autarcie, les Boni  mènent de temps à autre des actions de pillage sur les plantations isolées, entraînant avec eux des esclaves toujours plus nombreux. Le gouverneur Nepveu ne sait plus que faire… Le prince d’Orange lève donc un régiment de mille deux cents hommes de toutes les nations européennes. Le suisse Fourgeoud en est le colonel, et John Gabriel Stedman y obtient le grade de capitaine.
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Le sort tragique des esclaves. Illustrations de l'ouvrage de Stedman.

Très vite, le capitaine Stedman se fait remarquer, et jusqu’au gouverneur, à la fois par sa santé de fer, et le journal qu’il tient, avec des croquis : ceux de fruits, de serpents, d’Indiens, mais aussi d’esclaves dont le malheur l’émeut profondément. Sa conscience d’être plongé dans un monde que l’Europe ignore largement est certaine, mais l’intention de faire un livre, prétend-il, ne lui viendra pas immédiatement ; il y sera encouragé par le gouverneur Nepveu lui-même, qui nourrira beaucoup, par sa connaissance du pays, les pages de Stedman sur les Indiens. 

Le journal de Stedmam et le récit qu’il en a tiré diffèrent peu sur le plan des campagnes de guerre. La vanité, la lâcheté et l’incompétence du colonel Fourgeoud y apparaissent constamment. En presque cinq années de combat, Stedman n’échangera qu’une seule fois quelques coups de feu avec l’adversaire, tandis que les maladies, la malaria essentiellement, décimeront la quasi-totalité de la troupe. Des renforts seront envoyés, qui n’empêcheront pas les hommes de Boni de gagner largement leur guerre de libération et de s’installer, comme leurs prédécesseurs, en Guyane française. 

Journal et récit, demeurent tous les deux très peu imagés et circonstanciés sur les personnes que Stedman a rencontrées pendant son séjour. Le nombre de moustiques que, « sur l’honneur », il prétend avoir écrasé en un seul claquement de mains - trente-huit! -  amènent quand même à s’interroger, non sans un malaise à l’idée d’un révisionnisme, sur l’outrance des chiffres et de quelques situations. Certains récits d’exécution, par exemple, paraissent peu crédibles. Pourtant, il ne semble pas utile d’en rajouter sur les conditions dégradantes dans lesquelles la colonie maintient sa population servile. Ainsi, même les religieuses ne semblent prêter aucune attention à la nudité des esclaves males. Dans certaines familles, une nudité totale est même imposée aux serviteurs! 

En Europe, le soldat Stedman avait l’habitude de fréquenter les prostituées dans les bordels de garnison. Au Suriname, il va assouvir ses envies en profitant des avantages que sa situation lui offre. Les esclaves aux seins nus qui accompagnent les riches femmes créoles sont en effet choisies parmi les plus belles, et leurs maîtresses les louent volontiers aux officiers. Le journal de Stedman mentionne très laconiquement quelques parties fines, que le récit oblitère complètement pour décrire longuement, au contraire, mais de la façon la plus conventionnelle, la belle Joanna, s’attardant sur des vertus à la valorisation plutôt douteuse chez une esclave : honnêteté, fidélité, humilité… Devant tant de perfections, et les soins que la jeune fille lui aurait apportés pendant une longue convalescence, le capitaine Stedman se serait senti l’obligation d’une dette amoureuse qui l’aurait amené à vouloir racheter sa liberté. Pourquoi pas ? Mais le récit oublie de raconter au lecteur ce que John Gabriel a noté dans son journal : les conditions de la première rencontre, où la jeune fille est louée comme épouse, pour une durée temporaire, à l’officier britannique. 
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L'Europe soutenue par l'Afrique et l'Amérique, comme une
lecture fantasmée de la politique coloniale des Européens... 

La suite de l’histoire entre la jeune mulâtresse et l’officier anglais a surpris les commentateurs qui n’avaient pas la connaissance du journal de Stedman. John Gabriel lui-même ne semble jamais l’avoir comprise. En effet, coup de théâtre : au moment du départ du capitaine, et bien qu’un fils, Johnny, soit né de leur union, la jeune fille refuse de le suivre en Europe où l’attend pourtant, légalement, sa liberté! Mieux encore… Alors que sur le sol surinamais son rachat coûte deux mille florins (une somme très élevée), alors que le récit montre une riche dame créole, madame Godefrooy, offrant cette somme au capitaine, Joanna refuse encore, exigeant d’abord ce dont elle sait son amant  incapable avec sa seule solde d’officier : le remboursement de la dette à madame Godefrooy ! Il s’en suit dans le livre plusieurs scènes complètement invraisemblables et abondamment arrosées de larmes qui donnent l’impression de vouloir noyer le poisson : la fidélité de Joanna allant d’abord à la richissime madame Godefrooy, semble la rapprocher davantage d’une pensionnaire de maison close que d’une femme amoureuse. 
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Le dépeçage d'un serpent sous la direction de Stedman.

Le capitaine Stedman lui-même s’est-il mépris sur les sentiments de Joanna? Le surnom de Tom Jones dont la colonie l’avait affublé, et dans lequel il ne voit aucune ironie, malgré la naïveté du personnage, permet de le penser, aussi bien que l’attachement qu’il maintiendra envers Joanna, même après son mariage. Qu’une escroquerie sentimentale ait fait aussi long feu, et jusqu’en littérature, ne manquerait pas de sel! Après tout, les suivantes des dames créoles, esclaves élues pour leur beauté, en partageant l’intimité de leur maîtresse, pouvaient avoir l’impression de faire partie d’une caste suffisamment enviable pour ne pas avoir envie de la quitter, malgré leur servitude. Joanna acquerra elle-même une esclave, mais mourra empoisonnée, dans des conditions non élucidées, moins de dix années après le départ du capitaine Stedman. Il est vrai que ne meurent pas assassinées que les personnes que rattrapent la lourdeur de leur passé… 

Mais si John Gabriel Stedman se trompe sur Joanna, peut-être est-ce aussi qu’il l’aime pour de mauvaises raisons. Chez elle, les qualités qui l’enchantent sont finalement celles de l’esclave. En lui offrant sa liberté, ne recherchait-il pas en elle une adhésion totale à son dévouement? Voilà qui ramènerait sa quête à la poursuite d’un certain éternel masculin, dont l’impossible rêve a toujours été de joindre les contraires en possédant une esclave libre. Second coup de théâtre : l’homme qui par ses dessins, par son récit, a voulu dénoncer la condition des esclaves, n’était pas lui-même en faveur de l’abolition! Son émotion face à la flagellation des chairs en devient suspecte… Pour le philosophe John Gabriel Stedman, ce n’est pas en effet la loi qu’il faut changer, mais les maîtres, car si les maîtres sont bons l’esclavage est bon… Et, a-t-on envie d’ajouter, le meilleur des maîtres c’est évidemment lui-même! 

Les arguments de Stedman en faveur de l’esclavage ne plaident en faveur ni de sa profondeur de vue ni de sa clairvoyance. « Emile » John Gabriel Stedman était un homme de coeur, et c’est strictement tout. Lorsque Joanna mourut, il fit venir son fils Johnny auprès de lui et s’occupa de lui en père attentionné. Le garçon acquit toutes les qualités nécessaires à  l’accomplissement du plus beau des destins, selon son père : servir et mourir dans la marine britannique, ce qu’il ne manqua de faire, noyé lors d’un abordage, avant que John Gabriel Stedman ne s’éteigne, en 1797, peu après la parution de son récit. Ses trois autres fils, issus de son mariage, moururent d’ailleurs eux aussi au service de l’Angleterre. (Christophe Grosdidier, 2013).



En Bibliothèque - Le récit du voyage de Stedman a été publié à Londres, en 2 volumes in-4°,1796, sous le titre de : Narrative of a five years expedition against the revolted negroes of Surinam in Guiana, on the wild coast of South America; from the year 1772, to 1777.

Il existe une traduction française sous le titre : Voyage à Surinam et dans l'intérieur de la Guiane, par le capitaine J.-G. Stedman, avec atlas de 44 planches in-4°, dessinées par l'auteur, traduit par P.-F. Henry, Paris, 1799, 3 vol. in-8°. 

Il a été également publié, à Boston, en 1838, un extrait de cet ouvrage, intitulé : Narrative of Joanna, an emancipated Slave of Surinam.

En librairie. - J.-G Stedman, Capitaine au Surinam, éd. Sylvie Messinger, 1991.

Christophe Grosdidier, Capitaine Stedman, ou le négrier sentimental, L'Harmattan, 2013.

Edmund Clarence Stedman est un poète americain, né a Hartford (Connecticut) le 8 octobre 1833, mort en 1908. Il débuta jeune dans le journalisme, fut un des principaux rédacteurs de la New York Tribune et servit de correspondant au New York World pendant la Guerre de sécession. A partir de 1865, il se consacra tout entier à la littérature, et il a conquis une renommée de poète délicat et de fin lettré. 
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Edmund Clarence Stedman.
Edmund Clarence Stedman (1833-1908).

Citons parmi ses oeuvres les plus connues : Poems (1860 et 1873), Alice of Monmouth (1864), Lyrics and Idyls (1879), Edgar Allan Poe (1888), Poets of America (1885), A Victorian Anthology (1896), etc. 

Il a fait à l'université Hopkins et à celle de Columbia une série de conférences remarquées qu'il a ensuite réunies en volume sous ce titre : The Nature and elements of Poetry (1892). (GE).

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Dictionnaire biographique
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