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Saint-Amant

Antoine Girard, sieur de Saint-Amant, est un poète français né en 1594 (baptisé à Quevilly, près de Rouen, le 30 septembre), mort à Paris probablement le 29 décembre 1661. Son père, mort en 1624 à soixante-treize ans, était un marchand, peut-être armateur et corsaire; s'il faut en croire Saint-Amant, ce marchand de Rouen aurait commandé pendant vingt-deux ans une escadre anglaise sous Elisabeth Ire. Les Girard étaient protestants : c'est au temple calviniste que le jeune Antoine fut baptisé. Elevé au collège de La Marche, il ne sut jamais beaucoup de grec ni de latin; mais il apprit plus tard l'italien, l'espagnol et l'anglais. Il étudia la musique et jouait du luth. Il s'entendait aussi à la peinture

De bonne heure insinué dans la familiarité des grands seigneurs, qui goûtent sa gaieté libertine, il suit en 1617 le duc de Retz à Belle-Ile-en-Mer; c'est là qu'il compose sa fameuse ode à la Solitude. Pendant plusieurs années, il vit tantôt en Bretagne, et tantôt à Paris dans la maison du duc, dont la protection le fait, en 1619, commissaire de l'artillerie. Il s'est lié à Paris avec Faret « chère rime de cabaret », Michel de Marolles, Malleville, Boisrobert, Molière d'Essartines, et avec le gros comte d'Harcourt dont il partage les joyeuses orgies. C'est alors qu'il écrit ses Visions, la Gazette du Pont-Neuf, la Pluie, la Vigne.
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La Solitude

« O que j'aime la solitude!
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Éloignés du monde et du bruit, 
Plaisent à mon inquiétude!

Mon Dieu! que mes yeux sont contents 
De voir ces bois, qui se trouvèrent 
A la nativité du temps, 
Et que tous les siècles révèrent, 
Être encore aussi beaux et verts 
Qu'aux premiers jours de l'univers!

Un gai zéphire les caresse
D'un mouvement doux et flatteur. 
Rien que leur extrême hauteur 
Ne fait remarquer leur vieillesse. 
Jadis Pan et ses demi-dieux 
Y vinrent chercher du refuge, 
Quand Jupiter ouvrit les cieux 
Pour nous envoyer le déluge, 
Et, se sauvant sur leurs rameaux, 
A peine virent-ils les eaux.

Que sur cette épine fleurie,
Dont le printemps est amoureux, 
Philomèle, au chant langoureux, 
Entretient bien ma rêverie 
Que je prends de plaisir à voir 
Ces monts pendants en précipices, 
Qui, pour les coups du désespoir, 
Sont aux malheureux si propices, 
Quand la cruauté de leur sort 
Les force à rechercher la mort.

Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds, 
Qui se précipitent par bonds 
Dans ce vallon vert et sauvage! 
Puis, glissant sous les arbrisseaux, 
Ainsi que des serpents sur l'herbe, 
Se changent en plaisants ruisseaux, 
Où quelque naïade superbe 
Règne comme en son lit natal, 
Dessus un trône de cristal!

Que j'aime ce marais paisible!
Il est tout bordé d'alisiers, 
D'aunes, de saules et d'osiers 
A qui le fer n'est point nuisible. 
Les nymphes, y cherchant le frais, 
S'y viennent fournir de quenouilles, 
De pipeaux, de joncs et de glais; 
Où l'on voit sauter les grenouilles 
Qui de frayeur s'y vont cacher, 
Sitôt qu'on veut s'en approcher...

Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés, 
Contre qui les ans mutinés 
Ont déployé leur insolence! 
Les sorciers y font leur sabbat; 
Les démons follets s'y retirent,
Qui d'un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martirent; 
Là se nichent en mille trous 
Les couleuvres et les hibous.

L'orfraie, avec ses cris funèbres, 
Mortels augures des destins, 
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux remplis de ténèbres. 
Sous un chevron de bois maudit 
Y branle le squelette horrible 
D'un pauvre amant qui se pendit 
Pour une bergère insensible
Qui, d'un seul regard de pitié,
Ne daigna voir son amitié.

Aussi le ciel, juge équitable
Qui maintient les lois en vigueur, 
Prononça contre sa rigueur 
Une sentence épouvantable 
Autour de ces vieux ossements, 
Son ombre, aux peines condamnée, 
Lamente en longs gémissements 
Sa malheureuse destinée, 
Ayant, pour croître son effroi,
Toujours son crime devant soi.

Là se trouvent, sur quelques marbres, 
Des devises du temps passé; 
Ici l'âge a presque effacé 
Des chiffres taillés sur les arbres;
Le plancher du lieu le plus haut 
Est tombé jusque dans la cave, 
Que la limace et le crapaud 
Souillent de venin et de bave;
Le lierre y croît au foyer
A l'ombrage d'un grand noyer.

Là-dessous s'étend une voûte
Si sombre en un certain endroit,
Que, quand Phébus y descendroit,
Je pense qu'il n'y verrait goutte; 
Le Sommeil aux pesants sourcils, 
Enchanté d'un morne silence, 
Y dort, bien loin de tous soucis, 
Dans les bras de la Nonchalance, 
Lâchement courbé sur le dos,
Dessus des gerbes de pavots.

Au creux de cette grotte fraîche 
Où l'Amour se pourrait geler,
Écho ne cesse de brûler
Pour son amant froid et revêche.
Je m'y coule sans faire bruit,
Et par la céleste harmonie
D'un doux luth, aux charmes instruit, 
Je flatte sa triste manie, 
Faisant répéter mes accords 
A la voix qui lui sert de corps.

Tantôt, sortant de ces ruines,
Je monte au haut de ce rocher, 
Dont le sommet semble chercher 
En quel lieu se font les bruines; 
Puis, je descends tout à loisir 
Sous une falaise escarpée, 
D'où je regarde avec plaisir
L'onde qui l'a presque sapée 
Jusqu'au siège de Palémon, 
Fait d'éponges et de limon.

Que c'est une chose agréable, 
D'être sur le bord de la mer, 
Quand elle vient à se calmer 
Après quelque orage effroyable, 
Et que les chevelus tritons, 
Hauts sur les vagues secouées, 
Frappent les airs d'étranges tons 
Avec leurs trompes enrouées, 
Dont l'éclat rend respectueux 
Les vents les plus impétueux!

Tantôt l'onde, brouillant l'arène,
Murmure et frémit de courroux, 
Se roulant dessus les cailloux 
Qu'elle apporte et qu'elle rentraîne. 
Tantôt, elle étale en ses bords, 
Que l'ire de Neptune outrage,
Des gens noyés, des monstres morts, 
Des vaisseaux brisés du naufrage, 
Des diamants, de l'ambre gris, 
Et mille autres choses de prix.

Tantôt, la plus claire du monde, 
Elle semble un miroir flottant, 
Et nous représente à l'instant 
Encore d'autres cieux sous l'onde;

Le soleil s'y fait si bien voir,
Y contemplant son beau visage, 
Qu'on est quelque temps à savoir 
Si c'est lui-même ou son image; 
Et d'abord il semble à nos yeux 
Qu'il s'est laissé tomber des cieux.

Bernières, pour qui je me vante
De ne rien faire que de beau, 
Reçois ce fantasque tableau 
Fait d'une peinture vivante. 
Je ne cherche que les déserts
Où, rêvant tout seul, je m'amuse 
A des discours assez diserts 
De mon génie avec la muse; 
Mais mon plus aimable entretien 
C'est le ressouvenir du tien.

Tu vois dans cette poésie,
Pleine de licence et d'ardeur,
Les beaux rayons de la splendeur
Qui m'éclaire la fantaisie; 
Tantôt chagrin, tantôt joyeux,
Selon que la fureur m'enflamme 
Et que l'objet s'offre à mes yeux,
Les propos me naissent en l'âme 
Sans contraindre la liberté 
Du démon qui m'a transporté.

Oh! que j'aime la solitude!
C'est l'élément des bons esprits, 
C'est par elle que j'ai compris 
L'art d'Apollon sans nulle étude. 
Je l'aime pour l'amour de toi, 
Connaissant que ton humeur l'aime; 
Mais quand je pense bien à moi,
Je la hais pour la raison même 
Car elle pourrait me ravir 
L'heur de te voir et te servir. »
 

(A. de Saint-Amant).

A la mort de son père, il se fit concéder le brevet d'une verrerie que celui-ci avait relevée avec son gendre d'Azémar : d'où procès avec le beau-frère, qui ne se termina qu'en 1638. Notre poète resta en possession de Ia verrerie. Par une transformation dont il y eut plus d'un exemple, Antoine Girard, fils d'un marchand, était devenu Marc-Antoine de Girard, sieur de Saint-Amant, écuyer, bon gentilhomme. Ajoutons que le huguenot s'était fait catholique, grâce à Cospean, avant 1627 (cf. le Contemplateur). On le voit à l'hôtel de Rambouillet et à l'hôtel de Liancourt, et dans les cabarets, tour à tour précieux et débauché. De cette époque sont le fameux sonnet des Goinfres et l'étonnante pièce du Melon. Puis il court le monde on a peine à le suivre, au siège de La Rochelle, en Espagne, en Dauphiné, en Angleterre. II accompagne à Rome en 1633 le maréchal de Créqui, chargé de demander au pape l'annulation du mariage de la princesse de Lorraine avec Gaston d'Orléans. Il y écrit sa Rome ridicule. De retour à Paris, il est un des premiers membres de l'Académie française. En 1636-1637, il suit le comte d'Harcourt dans son heureuse expédition maritime qui se termine par la prise des îles de Lérins : de là date le Caprice héroï-comique du Passage de Gibraltar
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Les Goinfres

« Coucher trois dans un drap, sans feu ni sans chandelle,
Au profond de l'hiver, dans la salle aux fagots, 
Où les chats, ruminant le langage des Goths, 
Nous éclairent sans cesse en roulant la prunelle;

Hausser notre chevet avec une escabelle,
Être deux ans à jeun comme les escargots, 
Rêver en grimaçant ainsi que les magots
Qui, baillant au soleil, se grattent sous l'aisselle;

Mettre au lieu d'un bonnet la coiffe d'un chapeau, 
Prendre pour se couvrir la frise d'un manteau 
Dont le dessus servit à nous doubler la panse;

Puis souffrir cent brocards d'un vieux hôte irrité, 
Qui peut fournir à peine à la moindre dépense, 
C'est ce qu'engendre enfin la prodigalité.. »
 

(A. de Saint-Amant).

Après quelque séjour à Rouen et à Paris, il retourne en Italie avec le comte d'Harcourt qui va secourir Casal (1639), il va avec loi à Rome (1613) et l'accompagne encore dans son ambassade en Angleterre (1643-1644) : il écrit contre les Anglais un Caprice héroï-comique, l'Albion, Lorsque Marie de Gonzague épouse le roi de Pologne, Ladislas VII, elle nomme Saint-Amant gentilhomme de sa chambre, avec 3000 livres de pension (1645). Nous le trouvons en 1647 à Collioure en Roussillon; il a suivi le comte d'Harcourt dans son expédition de Catalogne. Il va ensuite en Bretagne, à Prinçay, chez le duc de Retz; à l'armée de Flandre en 1649, à la suite des Espagnols. Prisonnier un moment des Espagnols à Saint-Omer, il est relâché et se décide à porter son Moïse sauvé à la reine de Pologne. Il part d'Amsterdam le 1er février 1630, et arrive à Varsovie en mars ( ses pièces :  la Polonaise, Epître à Théandre). II revient par Stockholm (cf. Epître à la Vistule sollicitée), passe l'hiver à la cour de la reine Christine, et rentre en France au printemps de 1651. Il passa ses dix dernières années paisiblement à Rouen et à Paris, faisant des vers, parfois des vers pieux; et il mourut déjà à demi oublié, à une date qui n'est pas très certaine; le témoignage le plus sûr est celui de Colletet le fils, qui donne la date du 29 décembre 1661.

Saint-Amant est un des plus curieux esprits et des meilleurs poètes du temps; il y avait vraiment quelque chose en lui. De culture peu classique, peu superstitieux des Anciens, indépendant de Malherbe, admirateur de Rabelais, Marot et du Bartas, il connaît Bacon, il aime le Don Quichotte, Lazarillo de Tormes, subit peut-être l'influence de Gongora et sûrement celle de Marini. C'est un précieux, qui se plait aux pointes et aux concetti. Mais il est un des créateurs du burlesque : en lui se manifeste la parenté étroite du burlesque et du précieux, deux déformations de la nature par l'esprit. Par le précieux et le burlesque s'enveloppe et se gâte trop souvent sa vraie et excellente originalité, qui était de voir et de peindre la nature. 
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Le Paresseux

« Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté, 
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.

Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
Du comte Palatin ni de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
Où mon âme en langueur est comme ensevelie.

Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je vois déjà s'en enfler ma bedaine.

Et hais tant le travail, que, les yeux entr'ouverts, 
Une main hors des draps, cher Baudoïn, à peine 
Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers. »
 

(A. de Saint-Amant).

Saint-Amant serait un réaliste puissant, s'il n'avait la manie, que lui impose la mode, de tout dire finement ou comiquement. Il a un sentiment vif de la nature; c'est un grand peintre de paysages, qui note les impressions de l'air et de la lumière avec une délicate justesse; je ne sais s'il n'a pas un mérite unique au XVIIe siècle, il a vu et senti la mer. Il sait voir et rendre les réalités quotidiennes ou vulgaires de la vie, scènes de cabaret, intérieurs, pêche à la ligne, natation. Il a le sens des différences, il a appris à voir dans ses voyages les aspects singuliers des pays exotiques : le mob anglais, une hôtellerie romaine, une armée polonaise et tartare, tout cela est noté avec une remarquable précision. Peu lyrique, point épique, point religieux, il n'a su mettre dans son idylle héroïque de Moïse sauvé que des descriptions de paysages, des impressions de la vie et de la réalité communes; et par là ce mauvais poème contient des vers et des couplets de premier ordre. Parfois, il met dans le pittoresque trivial une largeur de style, une richesse de couleur qui font penser à Rubens ou du moins à Jordaens. En un autre temps, il serait sorti un grand poète.

Saint-Amant a publié ses Oeuvres poétiques en trois parties (1629, et une suite en 1631; 1643; 1649) : il ajouta en 1658 un Dernier recueil. Furent édités à part : le Passage de Gibraltar (s. d. [1640]); Rome ridicule (s. d.; 1643); Moïse sauvé (1653); la Seine extravagante (S. l. n. d. [Paris, 1656]); la Généreuse (1658); Poème fait pour l'année 1659 sur la suspension d'armes (1660). (G. Lanson).
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Fumée et vent

« Assis sur un fagot, une pipe à la main, 
Tristement accoudé contre une cheminée, 
Les yeux fixés vers terre et l'âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.

L'espoir, qui me remet du jour au lendemain,
Essaie à gagner temps sur ma peine obstinée, 
Et, me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu'un empereur romain.

Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre, 
Qu'en mon premier état il me convient descendre 
Et passer mes ennuis à redire souvent :

Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d'espérance,
Car l'un n'est que fumée et l'autre n'est que vent. »
 

(A. de Saint-Amant).
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Dictionnaire biographique
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