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Luis Molina
est un théologien jésuite ,
né en 1535 à Cuenca (Nouvelle-Castille ),
mort en 1600. Il fit ses études à l'université de Coïmbra,
que le roi Jean avait cédée aux jésuites, et où Fonséca enseignait
déjà les rudiments de la doctrine que Molina
devait développer plus tard et à laquelle son nom est resté attaché.
Entré dans la Compagnie de Jésus vers l'âge de dix-huit ans (1553),
il professa la théologie
Ă Evora pendant vingt ans, puis Ă Madrid
jusqu'Ă sa mort.
Oeuvres principales : De liberi arbitrii
cum gratiae donis, divina praescientia, praedestinatione et reprobatione
concordia (Lisbonne, 1588, in-4; et avec des additions importantes,
Venise, 1595); Commentaires sur la Somme
de saint Thomas (Cuenca, 1593, 2 vol. in-fol.); De jure et justitia
(Cuenca,1593-1609, 6 vol. in-fol.; Mayence,
1669).
Le
molinisme.
Ainsi que l'indique le titre de son livre,
Molina s'est proposé de concilier la doctrine du libre
arbitre de l'humain avec celle des dons de la grâce, de l'infaillibilité
de la prescience
divine, de la prédestination et de la réprobation. Son système
est fondé sur deux points principaux : la volonté
de Dieu
et la science de Dieu. D'une volonté antécédente
et sincère, Dieu veut sauver tous les humains, mais sous condition qu'ils
voudront eux-mêmes se sauver. Il donne à tous les secours nécessaires
et suffisants pour opérer leur salut, quoiqu'il en attribue aux uns plus
qu'aux autres, suivant son bon plaisir. Cette volonté de sauver tous les
humains, malgré le souillure du péché originel, s'est manifestée d'une
manière active, en ce que c'est elle qui a destiné Jésus
à être le sauveur du genre humain. C'est en vertu de cette volonté et
des mérites de Jésus, que Dieu accorde à tous les humains, dans des
proportions diverses, mais toujours en quantité suffisante, les secours
nécessaires à leur salut. Mais cette grâce suffisante ne devient réellement
ment efficace que par l'effet du consentement de l'humain; elle est tantĂ´t
efficace et tantôt inefficace, selon que la volonté humaine y coopère
ou y résiste. Elle agit à peu près comme les sacrements, qui sont par
eux-mêmes productifs de grâce, mais qui pour la produire en effet dépendent
des dispositions de ceux qui les reçoivent.
D'autre part, Molina prĂŞte Ă Dieu trois
sortes de science : scientia simplex, scientia libera, scientia media.
Par la science simple, Dieu voit tout ce qui est possible,
c.-à -d. une série infinie
de choses dans tous les ordres imaginables. Par la science libre, il voit
tout ce que sa volonté toute-puissante accomplira. De tous les ordres
possibles de choses, Dieu a choisi librement celui qui existe
et dans lequel nous nous trouvons. Par la science moyenne, il aperçoit
avec une entière certitude ce que l'humain
fera dans telle ou telle circonstance; par exemple, quels seront ceux qui
profiteront de ses grâces et quels seront ceux qui y résisteront. En
conséquence de cette prévision de leur conduite absolument future, il
prédestine les premiers à la gloire éternelle et il place les autres
parmi les réprouvés, réservés aux supplices de l'enfer .
Dans ce système, la grâce suffisante
et la grâce efficace ne sont point distinguées par leur nature: il n'y
a qu'une grâce, suffisante pour torts, quoique donnée efficace pour les
uns et inefficace pour les autres, en vue de leur coopération ou de leur
résistance et parce que ainsi plaît à Dieu, mais non à cause de cette
coopération ou de cette résistance. Pour échapper au reproche de pélagianisme
( PĂ©lage)
et neutraliser la part de l'humain, Molina insistait sur le bon plaisir
de Dieu, enseignant qu'ainsi la grâce est toujours gratuite, et que d'ailleurs
elle est toujours prévenante, précédant tout mouvement de l'humain vers
elle. Il enseignait aussi que, sans le secours de la grâce, l'humain ne
peut rien qui soit utile au salut et mérite la justification. Néanmoins,
il l'estimait capable d'une action moralement bonne et d'un acte de foi
naturel, auxquels Dieu prend égard, en considération des mérites de
JĂ©sus.
Le
congruisme.
La doctrine de Molina fut modifiée par
des théologiens, notamment par Suarez (1548-1617)
et par Vasquez (1551-1604), qui en admettaient la substance, mais qui s'efforcèrent
de la dégager de toute connivence apparente avec le semi-pélagianisme.
Ils s'ingénièrent à supprimer tout ce qui semblait faire résulter de
la liberté du consentement humain l'efficacité de la grâce, et à faire
ressortir l'effet de la prescience divine et de la prédestination. Dans
ce dessein, ils imaginèrent une expression qui, suivant eux, démontrait,
sans équivoque possible, que l'efficacité de la grâce résulte de sa
nature spéciale, et qu'elle est la conséquence d'un décret rendu pour
chaque humain avant sa naissance et déterminé par la prescience divine.
Par sa science moyenne, Dieu voit ce que
sera chacune de ses créatures, chaque humain, par exemple. Lorsqu'il constate
que les dispositions de tel ou tel humain, qui sera créé, concorderont
avec la grâce, il reconnaît que la grâce sera pour lui congrue; sinon,
elle sera incongrue. Par un décret absolu et efficace, il choisit parmi
ses créatures, celles à qui il donnera des grâces congrues. Ces créatures
privilégiées choisiront ce que la grâce produit ; elles le choisiront
librement et sans nécessité, parce que la
grâce congruera, c.-à -d. correspondra à leurs propres dispositions;
néanmoins, elles le choisiront infailliblement, parce que Dieu n'a pas
pu se tromper. Les autres, réduites aux grâces incongrues, resteront
dans l'impossibilité de se sauver, destinées à la damnation, par l'effet
du décret qui a présidé à la spécification et à l'attribution des
grâces.
La
congrégation de auxiliis.
Les premiers adversaires du molinisme
furent des professeurs de théologie appartenant à la Compagnie de Jésus,
Henriquez à Salamanque, Mariana à Tolède.
Mais cette opposition intestine ne prit aucun développement important
et n'eut aucune durée : le molinisme devint bientôt et resta la doctrine
favorite, sinon la doctrine officielle des jésuites. L'attaque fut reprise
par les dominicains Thomas de Lemos et Dominique
Bennesius. Leur ordre les soutint avec vigueur, parce que l'opinion qu'ils
combattaient différait de la doctrine de Thomas d'Aquin
et parce qu'elle émanait des jésuites. Une disputation publique fort
vive eut lieu à Valladollid; le livre de Molina fut dénoncé à l'Inquisition .
Le roi d'Espagne obtint du pape (1594) une décision interdisant toute
controverse sur ces matières, mais sans succès aucun. Il fallut porter
le débat devant la cour de Rome (1596).
Pour examiner ces questions et les résoudre,
Clément VIII institua la Congrégation de
auxiliis (1597), ainsi nommée parce qu'il s'agissait des secours de
Dieu, c.-à -d. de la nature de la grâce et de la manière dont elle opère.
Deux cents conférences furent tenues, dont quatre-vingt-cinq en présence
de Clément VIII et de Paul V. Aux arguments théologiques les jésuites
ajoutèrent l'énumération, quelque peu menaçante, des services politiques
rendus par eux et l'attestation de la Vierge ,
apparue pour confirmer la doctrine de leur théologien. Devant ces rivalités,
Paul V vit qu'il serait aussi dangereux de condamner le molinisme que de
l'approuver. Se réservant de prononcer le jugement lorsqu'il l'estimerait
opportun, il congédia la Congrégation de auxiliis (1607). Le jugement
ainsi annoncé ne fut jamais prononcé. Finalement, le pape défendit de
publier sur les matières de ce débat aucun ouvrage qui n'aurait pas été
préalablement vu et approuvé par les inquisiteurs romains (21 décembre
1611). Malgré ce décret, confirmé par plusieurs autres, deux histoires
de la Congrégation de auxiliis, fort amples, furent publiées,
l'une par un dominicain, l'autre par un
jésuite. (E.-H. Vollet). |
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