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Maupeou

René-Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou est un chancelier de France, né le 25 février 1714, et mort au Thuit, près des Andelys, le 29 juillet 1792. II était l'aîné des trois enfants du magistrat René-Charles de Maupeou (1688-1775) et d'Anne-Victoire de Lamoignon. Conseiller au parlement à dix-neuf ans (11 août 1733), il remplaça, le 12 novembre 1743, son père, dans la charge de président à mortier, dont il avait la survivance depuis six ans. Quelques mois plus tard (22 janvier 1744), il assurait sa fortune en épousant une riche héritière, Anne-Marguerite-Thérèse de Roncherolles, cousine de Mme d'Epinay, l'amie de Grimm

C'était un magistrat instruit, appliqué, fort entendu aux affaires, doué d'une volonté que rien ne faisait plier. Petit, laid, mari désagréable, il ne manquait cependant, dans le monde, ni d'esprit ni de politesse. Il eut avec son père, qui n'agissait jamais sans ses conseils, la plus grande part dans les négociations qui, de 1750 à 1763, eurent lieu à l'occasion des démêlés du parlement avec la cour - affaire de l'hôpital général (1749-1752), des refus de sacrements qui amenèrent la translation du parlement à Pontoise (1753-1757), etc. - et dans lesquelles il sut ménager les deux partis. 

La disgrâce momentanée de son père, en septembre 1757, ne l'atteignit pas, et lorsque celui-ci eut été nommé, en 1763, garde des sceaux, il fut lui-même appelé à la première présidence, en remplacement de Molé (12 octobre 1763). C'était le présage d'une fortune plus haute encore; le roi avait jeté sur lui les yeux pour accomplir les changements qu'il méditait dans l'institution des parlements. Le 16 septembre 1768, il était nommé chancelier de France à la place de son père qui n'avait occupé qu'un jour ces fonctions, et pour frayer la route à son fils. 

Les cinq années pendant lesquelles il siégea comme premier président furent marquées par la condamnation de Lally, la révision du procès Calas, l'affaire des jésuites, et la fameuse séance royale, dite de la flagellation, où fut proscrite toute confédération entre les divers parlements (3 mars 1766). Devenu chancelier, il persuada le roi de présider lui-même son parlement dans l'affaire du duc d'Aiguillon et de La Chalotais, politique qui aboutit au lit de justice (3 septembre 1770) dans lequel Louis XV se fit remettre toute la procédure avec défense de la reprendre. Ce n'était que le début de mesures plus graves. 

Le 27 novembre parut l'édit de règlement et de discipline, par lequel étaient défendues l'union des parlements entre eux, la cessation de service, les démissions combinées, les délibérations de chambres, à moins qu'elles n'aient été autorisées par les présidents, et enfin les remontrances postérieures à l'enregistrement. Le parlement, dès le lendemain de sa rentrée (4 décembre), avant refusé d'enregistrer cet édit, la réponse ne se fit pas attendre :

 « C'est demain, disait Maupeou, que j'ouvre la tranchée devant le parlement. »
Le 7, en effet, dans un lit de justice tenu à Versailles, Louis XV fit transcrire l'édit sur les registres. Le 10, les Chambres ripostèrent par un arrêt suspendant le cours de la justice. Mais Maupeou, que la disgrace du duc de Choiseul (24 décembre) venait de fortifier encore, avait tout préparé pour avoir raison des résistances. Dans la nuit du 19 au 20 janvier 1771, deux mousquetaires se présentent chez chacun des membres du parlement, les obligeant à déclarer par écrit si, oui ou non, ils voulaient reprendre leur service. Il n'y eut que 38 réponses affirmatives; la nuit suivante tous les opposants furent exilés par lettres de cachet, sans pouvoir communiquer entre eux. En même temps un arrêt du conseil supprimait et confisquait leurs offices. Les lieux d'exil avaient été choisis parmi les localités les plus isolées, les moins hospitalières de France. Le conseil du roi qui, sur ordre exprès de Louis XV, avait été chargé de rendre la justice, fut installé par Maupeou dès le 24. 

Cette nouvelle justice restait cependant à organiser. Maupeou le fit par l'édit du 22 février qui, morcelant l'immense juridiction du parlement, créait six conseils supérieurs, à Arras, Blois, Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne), Clermont, Lyon et Poitiers. La cour des aides qui, le 22 mars, avait aussi protesté, fut supprimée, et son président, Malesherbes, exilé (22 mars, 9 avril). 

Ces mesures furent complétées par trois édits enregistrés dans le lit de justice tenu à Versailles le samedi 13 avril. Ils supprimaient définitivement les offices de l'ancien parlement et de la cour des aides, qui devaient être liquidés et remboursés; abolissaient la vénalité des charges judiciaires, auxquelles un traitement serait désormais attribué, et transféraient les magistrats dn grand conseil dans le nouveau parlement. D'autres dispositions étaient relatives à la simplification de la procédure et à la gratuité de la justice.

Toutes ces réformes ont été depuis accomplies par la Révolution française; Maupeou en fut la précurseur très inconscient, mais non sans énergie, ainsi qu'il apparait dans le préambule de ces édits. Après avoir écouté l'avocat général Séguier qui essaya de réfuter le discours de Maupeou, le roi dit froidement :

« Je ne changerai jamais. » 
Le lundi suivant, Maupeou alla lui-même installer le nouveau parlement. Les princes du sang, qui tous, sauf le comte de La Marche, avaient protesté, ainsi que treize pairs, reçurent l'ordre de ne plus paraître à la cour. Le Châtelet fut cassé et reconstitué (27 mai). 

Si, dans cette révolution judiciaire, Maupeou eut à souffrir de nombreux pamphlets, parmi lesquels il faut signaler les fameux Mémoires où Beaumarchais (septembre 1773) couvrit de ridicule le conseiller Goezman, il eut pour lui Voltaire et le parti philosophique. 

On cria beaucoup, mais le coup d'Etat avait pleinement réussi. D'août à novembre, tous tes parlements, sauf celui de Paris et de Rouen - ce dernier fut remplacé par deux conseils - avaient fait leur soumission. A Paris même, 4 présidents et 25 conseillers se tirent liquider. Le prince de Condé et le duc d'Orléans reconnurent le fait accompli. A la rentrée (novembre 1771), Linguet, Gerbier, et beaucoup d'autres avocats recommencèrent à plaider. La liquidation des offices aurait coûté, il est vrai, environ 100 millions, mais Terray, qui avait fait enregistrer onze édits bursaux, ne s'inquiétait pas de cette charge. 

La mort seule du roi (10 mai 1774) fit échouer l'oeuvre de Maupeou. Le 24 août, les sceaux lui furent repris et donnés à Hue de Miromesnil; les anciens parlements rétablis. Il supporta avec dignité cette disgrâce et ne consentit jamais à se démettre de sa dignité de chancelier. 

« J'avais fait gagner un grand procès au roi, dit-il, il veut faire remettre en question ce qui était décidé, il en est le maître. »
Exilé à sa terre de Thuit, c'est là qu'il mourut vingt-deux ans plus tard. Il avait assez vécu pour voir à jamais supprimés (6-7 septembre 1790) ces parlements qu'il avait voulu réformer. Continuateur de l'oeuvre de Richelieu et de Louis XIV, précurseur de celle de la Révolution française, Maupeou, pendant longtemps si vivement critiqué, ne doit l'être que par les rares et sages esprits qui pensent que la liberté véritable est inséparable de l'existence de corps intermédiaires fortement constitués, capables de résister au pouvoir, quelque nom qu'on lui donne. 

De son vivant, Maupeou avait publié les documents officiels de son coup d'Etat sous ce titre : Code des Parlements ou Collection d'édits [...] depuis décembre 1770 jusqu'à décembre 1771 (Paris, 1772, in-8). Le Compte rendu justificatif, qu'il présenta au roi en 1789, existe en manuscrit à la Bibliothèque nationale (fonds fr., 6570-72). (E. Asse).

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Dictionnaire biographique
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