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Jeanne d'Arc
I - De Domrémy à Chinon
Aperçu De Domrémy à Chinon La guerre de Jeanne Les procès
Jeanne d'Arc est née le 6 janvier 1412 à Domrémy de Greux (auj. Domrémy-la-Pucelle), dans le bailliage de Chaumont et la prévôté d'Andelot, sur les confins de la Champagne et de la Lorraine. D'ardentes discussions se sont élevées, et durent encore, pour savoir si Jeanne était lorraine ou franco-champenoise. Sa famille semble avoir tiré son nom du village d'Arc en Barrois, qui prit plus tard comme armoiries celles que Charles VIl concéda à la Pucelle; le père de Jeanne, Jacques d'Arc, aurait été originaire de Ceffonds, près de Montierender, en Champagne, si l'on en croit Charles du Lis, auteur d'un ouvrage paru en 1612 (Traité sommaire tant du nom et des armes que de la naissance et parenté de la Pucelle d'Orléans); aujourd'hui encore une maison de ce village de Ceffonds passe pour avoir appartenu au XV siècle à Jean d'Arc, demeurant à Domrémy. La mère de Jeanne, Isabeau Romée de Vouthon, était née au village de Vouthon qui faisait partie du duché de Bar; son surnom de Romée lui fut donné probablement, selon l'usage, à la suite d'un pèlerinage à Rome : Jeanne était donc Champenoise par son père et Barroise par sa mère. Quant au village où elle naquit, Domrémy, limitrophe de Vouthon, il était divisé en deux parties par le petit ruisseau des Trois-Fontaines, affluent de la Meuse; la partie nord dépendait de la châtellenie lorraine de Vaucouleurs; la partie sud où naquit Jeanne relevait de la châtellenie de Gondrecourt et se trouvait ainsi à l'extrême limite du Bassigny champenois, mouvant de la couronne de France depuis l'année 1308. Par les dépositions faites en 1436, durant le procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, nous savons que ses parents étaient de bons et religieux cultivateurs, qu'ils avaient un foyer patrimonial, qu'ils n'étaient pas riches, mais avaient du bétail et des chevaux et secouraient charitablement les pauvres. Jeanne elle-même parle souvent de la maison et du jardin de son père. Un acte du 31 mars 1427, signalé en 1882 par Chapellier dans le Trésor des Chartes de Lorraine, nous montre Jacques, vulgairement Jacquot d'Arc, choisi avec Jean Morel, le parrain de Jeanne, par le seigneur et les habitants de Greux et de Domrémy, pour les représenter dans un procès. Ce fait fournit la preuve que le père de Jeanne jouissait d'une certaine considération dans son village, et que sa condition n'était pas des plus humbles, comme on l'a parfois soutenu. 

Jacques d'Arc et Isabeau Romée eurent cinq enfants, trois fils : Jacquemin, Jean et Pierre, et deux filles : l'aînée, Catherine, épousa Colin le Maire, fils de Jean Colin, maire de Greux, et mourut avant le départ de Jeanne pour Orléans, c.-à-d. avant 1429; la fille cadette fut Jeanne.

Jeanne fut baptisée dans l'église paroissiale de son village consacrée à Saint-Rémy; selon l'usage, elle eut plusieurs parrains et marraines : ses parrains furent Jean Barré ou Barrey de Neufchâteau, Jean le Languart ou le Langart, Jean Morel de Greux, Jean Rainguesson de Domrémy; elle eut pour marraines Edette, femme du susdit Barré, Jeannette, femme Thiesselin, de Vitel, Jeannette Roze, femme Thévenin, et Béatrix, veuve de Thiesselin ou Estellin, ces deux dernières de Domrémy.

Jeanne passa ses jeunes années dans la maison paternelle dont le jardin touchait à l'enclos du cimetière et de l'église du village; elle apprit de sa mère Notre-Père, je vous salue et je crois en Dieu; elle apprit aussi à coudre et à filer. 

« Pour filer et pour coudre, dit-elle dans son procès, je ne crains femme de Rouen. » 
Chez son père elle vaquait aux soins du ménage et n'allait que très rarement aux champs garder les moutons, si jamais elle y alla (l'image de la bergère est une fabrication). Au sommet d'un coteau voisin était le bois chesnu et à mi-côte un grand hêtre dont il est souvent parlé dans le procès de Jeanne, l'arbre charmine de la fée de Bourlemont qui existait encore au XVIIe siècle; tout auprès une fontaine où accouraient en foule pour se guérir les malades atteints de fièvres. Jeanne allait souvent à cette fontaine et sous ce hêtre séculaire « d'où venait le beau mai » et que hantaient les dames fées; elle y suspendait avec ses compagnes des guirlandes qui disparaissaient, dit-on, pendant la nuit; elle tressait aussi des guirlandes pour l'image de la Vierge de Domrémy, car elle était ardemment pieuse, se confessant tous les mois, communiant à Pâques et aux grandes fêtes, accourant fréquemment en semaine aux offices qu'elle entendait sonner. La légende de Jeanne nous dit qu'elle était douce et bonne, qu'elle aimait la rêverie; le sonneur de l'église oubliait parfois de sonner l'Angelus du soir, et Jeanne, privée de cette musique douce à ses oreilles, aux sons de laquelle elle faisait le signe de la croix et s'agenouillait dans les champs, donnait au sonneur des gâteaux ou de la laine de ses brebis pour qu'il fût moins négligent à remplir son office; Jeanne était bonne aux pauvres gens, leur donnant l'hospitalité et les obligeant à prendre son lit tandis qu'elle-même allait coucher sur l'âtre. Et cette jeune fille, bien sûr, était une fidèle du roi de France. Dans ce village tous les habitants étaient Armagnacs, c. -à-d. du parti national, sauf un, qui était Bourguignon
« J'aurais voulu, disait Jeanne, que celui-là eût la tête coupée, si toutefois tel eût été le plaisir de Dieu. »
Elle dut entendre souvent à la veillée le récit des calamités du royaume de France. Les nouvelles arrivaient vite dans ce petit village qui n'était pas, comme l'a remarqué  Siméon Luce, un recoin perdu et pour ainsi dire isolé du reste du monde, mais qui était traversé par une route très fréquentée, l'antique voie romaine de Langres à Verdun qui passait par Neufchâteau, Domrémy, Vaucouleurs, Void, Commercy et Saint-Mihiel. En 1425, Jeanne eut treize ans, et à cette époque sa jeune sensibilité qui vivait si douloureusement « la pitié qui était au royaume de France » dut être plus que jamais tristement impressionnée par les tristesses et les misères de sa famille et des habitants de son village les Anglais avaient envahi le duché de Bar, et leurs excursions incessantes en Champagne rendirent l'existence des gens du plat pays à ce point malheureuse qu'il fut interdit aux paysans, sous peine d'amende, de tenir du feu allumé dans leurs chaumières, de crainte que l'ennemi ne s'en servit pour incendier les villages. Les habitants de Domrémy ne pouvaient échapper à ces dévastations :
un acte nous montre « des compagnons de guerre ayant couru, pillé et robé deux villages assis sur la rivière de Meuse, appelés Greux et Domrémy, et en ayant mené tout le bétail et autres biens qu'ils y avaient trouvé et pu prendre ». 
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Maison de Jeanne d'Arc, à Domrémy.
Maison de Jeanne d'Arc, à Domrémy.

Luce conjecture que cette scène de pillage eut lieu en 1425, et, dans cet enlèvement de bétail suivi d'une restitution presque immédiate, et donc facilement qualifiée à l'époque de miraculeuse, il voit l'événement extraordinaire qui a dit amener la première vision de Jeanne, Un autre fait put y contribuer, ce fut la nouvelle qui dut parvenir vers cette époque à Domrémy de la défaite des Anglais sur terre et sur mer, en juin 1425, devant le mont Saint-Michel qu'ils, assiégeaient depuis dix mois. C'est alors que Jeanne eut, à l'en croire, sa première vision; elle s'amusait à courir avec ses compagnes dans une prairie et les gagnait toutes de vitesse. Tout à coup (nous empruntons ici le récit de Perceval de Boulainvilliers, conseiller et chambellan de Charles VII) :

« elle crut entendre un jeune homme qui lui dit : « Jeanne, va-t'en à ta maison, ta mère a besoin de toi. » Jeanne crut que celui qui lui parlait était son frère ou quelque jeune voisin et se hâta vers, sa demeure. « Ma mère, m'as-tu envoyé chercher? - Non », dit la mère. Jeanne crut à quelque plaisanterie et se disposa à rejoindre ses compagnes. Mais elle aperçut tout à coup devant elle une grande clarté, et une voix qui lui dit : « Jeanne, tu es appelée à mener une autre vie et à faire des choses merveilleuses, car c'est toi qu'a choisie le Roi du Ciel pour rendre le bonheur à la France et pour secourir le roi Charles. Prends des vêtements d'homme, arme-toi, c'est toi qui seras le chef de la guerre et tout se fera sur ton avis. » 
Jeanne, durant son procès, parla souvent de cette première vision, de cette voix « qui lui fit grand'peur ». 
« C'était vers l'heure de midi, l'été, dans le jardin de son père. » 
Elle entendit cette voix « à droite, vers l'église, et Ia voix était accompagnée d'une Grande clarté. [...] Quand je l'entendis pour la troisième fois, ajoute Jeanne, je reconnus que c'était la voix d'un ange », et, dans un autre interrogatoire, elle dit que la première voix entendue par elle fut la voix de saint Michel; l'apparition revint peu après, toujours saint Michel, non pas seul, mais accompagné d'anges du ciel : 
« Je les vis des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois et quand ils s'éloignèrent je pleurais et j'aurais bien voulu qu'ils m'eussent emportée avec eux. C'est alors que je fis, voeu de garder ma virginité tant qu'il plairait au Seigneur. » 
Deux ou trois fois par semaine les voix revenaient et disaient à Jeanne : « Il faut que tu quittes ton village et viennes en France », et, dans ces apparitions, Jeanne vit venir à elle deux saintes, sainte Catherine et sainte Marguerite, qui se nommèrent à Jeanne et qu'ensuite elle distinguait au salut qu'elles lui faisaient; leurs figures étant ornées de belles couronnes, bien richement et bien précieusement; leur langage était bon et beau, leur voix était belle et douce et humble, et elles « parlaient français ». Elles assurèrent à Jeanne que « son » roi recouvrerait le royaume de France, le voulussent ou non ses adversaires, et elles lui promirent de la mener au paradis. Peu à peu les injonctions des voix devinrent plus précises et un jour elles intimèrent à Jeanne l'ordre d'aller à Vaucouleurs vers Robert de Baudricourt qui y était capitaine et qui lui fournirait des gens pour faire route avec elle vers le roi de France; Jeanne hésitait encore, alléguant qu'elle était « une pauvre fille, ne sachant ni chevaucher ni guerroyer », mais les voix devinrent de plus en plus pressantes, et Jeanne se décida à partir pour Vaucouleurs vers le temps de l'Ascension, soit vers le 13 mai 1428. Elle alla rendre visite tout d'abord à l'un de ses parents, Durand Laxard ou plutôt Lassois, qu'elle nommait son oncle et qui n'était en réalité que son cousin germain par alliance; elle demeura huit jours auprès de lui dans le petit hameau de Burcy-le-Petit, aujourd'hui Burcy-en-Vaux, aux portes de Vaucouleurs, et finit par le décider à l'accompagner devant Robert de Baudricourt. Jeanne portait un habit d'étoffe grossière et de couleur rouge, selon la mode des paysannes du temps, à ce que nous raconte un des témoins de l'entrevue, l'homme d'armes Bertrand de Poulangy; dès qu'elle fut en présence de Robert de Baudricourt, elle prétendra avoir entendu une voix qui lui aurait dit : « Le voilà », et elle alla droit à lui, « quoique je ne l'eusse oncques vu auparavant », raconta-t-elle durant son procès. ll est vrai que l'année précédente Jacques d'Arc avait comparu devant ce même capitaine, et Jeanne avait dû conserver dans sa mémoire la description qu'au retour avait dit en faire son père. « Il faut que j'aille en France », dit Jeanne à Robert de Baudricourt qui éclata de rire et jugea, dit la chronique de la Pucelle, qu'elle serait  « tout au plus bonne pour ses gens à eux esbattre en péché, et y ont aucuns qui avaient volonté d'y essayer, mais aussitôt qu'ils la voyaient ils estaient refroidis et ne leur en prenaient volonté ». 

« Reconduis-la à son père après l'avoir bien corrigée », dit enfin le capitaine à Durand Laxard, qui emmena Jeanne hors de Vaucouleurs. Mais elle ne fut pas découragée par cet accueil, et cette même année, le 23 juin, la veille de la Saint-Jean-Baptiste, elle affirma à un jeune garçon de Domrémy qu'il y avait, entre Coussey et Vaucouleurs, une jeune fille qui ferait sacrer le roi de France avant qu'il fût un an. Jeanne était alors une grande et jolie fille, « haulte et puissante » dit Baudricourt, brune avec des cheveux noirs, au corps robuste et à la voix douce et frêle. C'est cette même année 1428 que, chassée de son village avec tous les autres habitants par l'approche des hommes d'armes d'Antoine de Vergy qui bloquait Vaucouleurs avec mille soldats à la solde des Anglais, Jeanne trouva un refuge avec ses parents près de Neufchâteau dans une auberge tenue par une femme nommée la Rousse, une quinzaine de jours durant lesquels elle se confessa deux ou trois fois à des religieux mendiants, frères mineurs ou cordeliers; les Anglais soutinrent, durant le procès de Rouen, que l'auberge de cette Rousse était hantée par des femmes de mauvaise vie avec qui parfois se tenait Jeanne; mais au procès de réhabilitation l'honorabilité de cette aubergiste fut affirmée par des témoins oculaires. C'est encore durant son séjour près de Neufchâteau qu'un jeune homme cita Jeanne devant l'official de Toul, se prétendant fiancé à la Pucelle et voulant la contraindre au mariage, mais il perdit sa cause devant les juges. L'acte d'accusation dressé par les Anglais affirme au contraire que c'est Jeanne qui cita ce jeune homme à Toul, se voyant abandonnée par lui à cause de sa conduite dans
cette auberge mal famée. A ces accusations Jeanne répondit avec tranquillité que les faits ainsi présentés étaient faux. Elle revint à Domrémy après quinze jours d'absence et trouva son pauvre village brûlé et probablement son église détruite, car nous la voyons aller entendre la messe à Greux, la paroisse voisine. Les derniers mois de cette année 1428 s'écoulèrent pour Jeanne au milieu de ces misères qu'accroissaient encore des incursions perpétuelles de bandes armées. Ses projets de départ, elle les cachait le plus possible, car son père ne cessait de la surveiller pour s'opposer à sa fuite. Une fois en songe il la vit au milieu d'hommes d'armes et au réveil il s'écria : 

« Si je savais que la chose advint, je vous dirais : noyez-la, et, si vous ne le faisiez, je la noierais moi-même. » 
Aussi Jeanne attendit quelques mois encore avant d'obéir à ces voix de plus en plus impérieuses; mais au commencement de janvier 1429, elle se décida à partir sans l'autorisation de ses parents. 
« Puisque Dieu la commandait, dit-elle plus tard, si j'eusse eu cent pères et mères, et que j'eusse été fille de roi, encore serais-je partie. »
Mais dès qu'elle le put elle écrivit à son père et à sa mère pour implorer son pardon qui lui fut accordé. C'est encore à Durand Laxart qu'elle eut recours pour faciliter son départ; il prétexta, pour l'emmener avec lui, l'état de sa femme récemment accouchée et qui désirait être soignée par Jeanne. Jeanne d'ailleurs était décidée à tout pour obéir à ses voix. 
« Il faut que je sois devers le roi, dussé-je user mes jambes jusqu'au genou, Certes, j'aimerais mieux filer auprès de ma pauvre mère, parce que ce n'est pas mon état, mais il faut que j'aille et que je le fasse, parce que le Seigneur l'exige. »
Jeanne partit donc pour le village de Burcy, mais, ne se trouvant pas encore assez près du capitaine qu'elle voulait convaincre, ce même Robert de Baudricourt qui l'avait si mal accueillie l'année précédente, elle élut domicile à Vaucouleurs même, chez de braves gens, Henri et Catherine Le Royer. Elle put enfin voir Robert de Baudricourt qui, menacé par les progrès des Anglais et du duc de Bedford, fit à notre héroïne un accueil moins sceptique et moins cavalier.
« Nul au monde, répétait Jeanne, ni roi, ni duc, ni fille du roi d'Ecosse, ni autre ne peut recouvrer le royaume de France, et il n'y a de secours à attendre qua de moi. » 
Le capitaine, surpris, presque ébranlé par cette conviction de jeune fille, après être allé la voir chez Catherine Le Royer, accompagné de messire Jean Fournier, curé de Vaucouleurs, se décida à charger un envoyé spécial d'une missive pour le dauphin. Jeanne, en attendant la réponse de la cour de France, priait sans cesse, assistait chaque matin à la messe et communiait dans la chapelle du château de Vaucouleurs; mais le temps lui pesait, disait-elle « comme à une femme qui d'enfant est travaillée ».
Vers la fin de janvier 1429, elle partit avec un homme d'armes, Jean de Nouillompont, dit de Metz, et alla rendre visite, à Nancy, au duc de Lorraine Charles II, qui avait exprimé le désir de voir cette jeune fille de dix-sept ans et qui la traita avec honneur, lui fit cadeau d'un beau cheval noir, et, pour payer ses dépenses de voyage, lui remit « quatre francs ». Après un pèlerinage au sanctuaire de Saint-Nicolas du Port, près de Nancy, la jeune fille revint à Vaucouleurs vers le 13 février; à son arrivée, elle trouva un équipement complet qu'avaient acheté pour elle les habitants de cette ville, un pourpoint, des chausses, une robe courte, un chaperon de laine comme coiffure, et comme armes, une épée, une lance, enfin un cheval. Quelques jours après, impatiente de partir, elle se rend auprès de Baudricourt : 
« Au nom, de Dieu, vous tardez trop à m'envoyer; car aujourd'hui le gentil Dauphin a eu assez près d'Orléans un bien grand dommage. »
Ce même jour, en effet (17 février), se livrait le combat dit des Harengs (La Guerre de Cent Ans) où sir John Falstaff repoussait sous les murs d'Orléans une sortie des Français assiégés. Enfin arrive un messager de Charles VII, Jean Colet ou Colez de Vienne; et sans retard Jeanne se dispose à partir avec six compagnons de route, ce Jean Colet, deux hommes d'armes de Vaucouleurs, Bertrand de Poulangy et Jean de Nouillompont, plus trois servants. Au moment des adieux, Robert de Baudricourt fit jurer à ceux qui accompagnaient la Pucelle de la conduire bien et sûrement; il remit à Jeanne une lettre pour le roi, lui fit cadeau de sa propre épée et lui dit, peu confiant en la mission de notre héroïne : 
« Va, va, et advienne que pourra. »
Le 23 février au soir Jeanne partit ainsi pour la cour de France; elle s'arrêta une nuit dans l'abbaye de Saint-Urbain, passa par Auxerre, Gien et Sainte-Catherine de Fierbois en Touraine, lieu de pèlerinage très fréquenté, d'où elle écrivit au dauphin pour lui demander une entrevue. 
« J'ai fait cent cinquante lieues pour venir vers vous à votre secours et je sais bien des choses bonnes pour vous ». « Il me semble même, dit Jeanne au procès de Rouen, qu'il y avait dans cette lettre que je saurais bien reconnaître le roi entre tous les autres. »
Elle entra enfin dans Chinon où était la cour, le dimanche 6 mars 1429, après avoir échappé à une embuscade que lui avaient dressée près de la ville des hommes d'armes qui voulaient, dit-on, la rançonner, mais qui peut-être étaient chargés par quelques-uns des conseillers du dauphin d'empêcher que Jeanne parût devant lui. Dès son arrivée elle envoya quelques-uns de ceux qui l'avaient accompagnée à la cathédrale du Puy où devait se célébrer un grand jubilé et où ces hommes d'armes se rencontrèrent avec la mère de la Jeanne, Isabelle Romée.
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Arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon.
L'arrivée de Jeanne d'Arc à Chinon. (Tapisserie du XVe s., musée d'Orléans).

Le Livre noir de La Rochelle, rédigé par le greffier de la maison commune, et signalé par Richemond, archiviste de la Charente-Maritime, nous donne, au mois de septembre 1429, une relation qui, au jugement de Quicherat, peut prétendre à figurer comme la première en date dans la série des chroniques relatives à la Pucelle. Le Livre noir nous dépeint l'arrivée de cette dernière à la cour de Charles VII

« Son habillement, dit Richemond, était noir et gris des pieds à la tête. Elle avait les cheveux noirs et ronds, c.-à-d. coupés suivant cette mode hideuse du XVe siècle, qui fit de la chevelure comme une calotte posée sur le crâne. Nous voyons l'étendard de Jeanne, cet insigne du commandement qu'elle était venue réclamer au nom de la puissance céleste et dont les couleurs et les figures lui avaient été, disait-elle, révélées par ses voix. Le Livre noir nous apprend que cette bannière portait un Saint-Esprit d'argent en champ d'azur, l'oiseau tenant en son bec une banderole avec ces mots : De par le roy du ciel. »
Jeanne parut, après trois jours d'attente, devant le dauphin Charles : 
« Ni celui-ci, ni son conseil, dit Monstrelet, ne ajoutaient point grande foi à elle ni à chose qu'elle sût dire, et la tenait-on comme une fille dévoyée de sa santé. »
Mais les récits enthousiastes de ses compagnons de route, Jean de Metz et Bertrand de Poulangy, qu'on interrogea longuement, le respect qu'ils témoignaient pour la Pucelle, décidèrent la dauphin à la recevoir.

« Le roi, dit Alain Chartier, pour la mettre à l'épreuve, s'était confondu parmi d'autres seigneurs plus pompeusement vêtus que lui, et quand Jeanne, qui ne l'avait jamais vu, le vint saluer disant : « Dieu vous donne vie, gentil roi! » « Je ne suis pas le roi, dit-il, voilà le roi » et il lui désignait un de ses seigneurs. Mais Jeanne répondit : « Prince, vous l'êtes et non un autre. » Voici, d'autre part, la récit de Jeanne dans son procès : « Quand j'entrai dans la chambre du roi, je le reconnus entre les autres par le conseil de ma voix qui me le révéla. » Elle ajoute quelques jours plus tard : 

« J'ai porté des nouvelles de par Dieu à mon roi et l'ai avisé que notre sire lui rendrait le royaume de France, le ferait couronner à Reims et chasserait ses adversaires. De cela, je fus messagère de la part de Dieu et je lui dis « Mettez-moi hardiment en oeuvre; je lèverai le siège d'Orléans. »
Le roi alors voulut conférer particulièrement avec Jeanne et, après cet entretien, dit Alain Chartier, témoin oculaire, il sembla que le roi « venait d'être visité du Saint-Esprit même ». Cette preuve de sa mission céleste que Jeanne donna alors au roi, elle refusa énergiquement de la dévoiler durant son procès. « J'ai promis en tel lieu à sainte Catherine et à sainte Marguerite que je ne pourrais vous le dire sans parjure. » 

On a longuement discuté sur ce point. 
« Après cet entretien, le roi avoua aux assistants que Jeanne venait de lui dire des choses que nul ne savait ou ne pouvait savoir, si ce n'est Dieu »;
Tel est le récit de Pasquerel, l'aumônier de Jeanne, qui nous a rapporté encore ce propos tenu par l'héroine au dauphin : 
« Je te dis, de la part de Messire (Dieu), que tu es vrai héritier de France et fils du roi.»
Cette phrase aurait fait allusion à une prière mentale adressée à Dieu, le 1er novembre 1428, dans l'oratoire de Loches par le roi qui doutait de la légitimité de sa naissance, prière que nous connaissons par le récit de Pierre Sala, confident d'un des chambellans les plus familiers de Charles VII, le sire de Boisy.
« Le roi, connaissant qu'elle (Jeanne) disait la vérité, ajouta foi à ses paroles et crut qu'elle était venue de par Dieu et eut grande espérance qu'elle lui aiderait à recouvrer son royaume et se délibéra soi aider d'elle et croire son conseil en toutes ses affaires » (Abréviateur du procès). 
Charles, cependant, hésita quelque temps encore et crut bon tout d'abord de procéder à un dernier examen et d'envoyer Jeanne à Poitiers « où était la cour du Parlement, clercs solennels, tant séculiers comme réguliers, et que lui-même irait jusqu'en ladite villa et de fait y alla ». 

Il n'est, malheureusement, resté aucun acte de cette commission d'examen que présidait l'archevêque de Reims, et qui siégea trois semaines; de toutes les épreuves qu'on lui imposa, nous savons que Jeanne sortit victorieuse. 

« Le roi, conclut la commission, vu la probation faite de ladite Pucelle en tant que lui est possible, considérée sa réponse qui est de démontrer signe divin devant Orléans, ne la doit point empêcher d'y aller avec ses gens d'armes, mais la doit faire conduire honnêtement en espérant en Dieu. Car la douter ou la délaisser sans espérance de mal serait répugner au Saint-Esprit et se rendre indigne de l'aide de Dieu, comme dit Gamaliel en un conseil de Juifs au regard des Apôtres. »
Le roi n'hésita plus. Il donna à Jeanne toute une maison militaire, lui fit cadeau d'une « belle armure à sa taille »; quant à l'épée, Jeanne tint à posséder celle qu'on trouverait dans l'église de Sainte-Catherine-de-Fierbois, comme ses saintes le lui avaient révélé; « j'écrivis, dit Jeanne, aux gens d'église du lieu qu'il leur plût que j'eusse cette épée, et ils me l'envoyèrent. » C'était une épée « toute rouillée où il y avait en la lame cinq croix assez près du manche », et Jeanne ne la quitta pas depuis le jour où elle l'eut jusqu'à son départ de Saint-Denis après l'assaut de Paris. Elle se fit faire aussi, « sur l'ordre de Dieu, une bannière dont le champ était semé de lis. Le monde y était figuré et deux anges, un de chaque côté. Elle était de couleur blanche et de cette toile blanche qu'on nomme bouscassin. Il y avait écrit dessus Jhesus Maria et elle était frangée de soie ». « J'aimais beaucoup plus, voire quarante fois plus, ma bannière que mon épée », répondit Jeanne à ses juges. (Maxime Petit).
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