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L'abbé Pierre Gassendi, de son vrai nom Gassend, est philosophe et savant né à Champtercier, près de Digne, le 22 janvier 1592, et mort à Paris le 24 octobre 1655. Fils de cultivateurs peu aisés, il montra dès son enfance les plus heureuses dispositions, fit au collège de Digne de brillantes études, partit en 1607 pour Aix, où il suivit le cours de philosophie du P. Fesaye, et fut appelé en 1612 à la direction du petit collège de Digne. Reçu en 1616 docteur en théologie à Avignon, il fut pourvu peu après d'un petit bénéfice par le chapitre de Digne, prit les ordres en 1617 et obtint au concours, la même année, la chaire de philosophie de l'université d'Aix, que la venue dans cette ville des Pères jésuites l'obligea de quitter en 1622. Il s'adonna dès lors à peu près exclusivement aux recherches philosophiques et à l'étude des sciences exactes, fit plusieurs séjours à Paris (1624, 1628, 1633, 1641), un voyage en Hollande (1629), et se vit confirmer par le parlement d'Aix, en 1634, la charge de prévôt de la cathédrale de Digne, qui lui avait été conférée longtemps auparavant, mais dont la possession lui avait été contestée. En même temps, Gassendi se liait avec les esprits les plus éminents de son siècle : Galilée, Kepler, Lamothe Le Vayer, Hobbes, Descartes, Pascal, Mersenne, etc., étaient en relations avec lui; Christine de Suède, le prince de Condé, les cardinaux Alphonse de Richelieu, d'Estrées et de Retz, furent ses protecteurs. En 1645, la chaire de mathématiques du Collège de France lui fut offerte. Il refusa d'abord, puis, vivement sollicité, accepta. Molière, Cyrano de Bergerac, et Bachaumont reçurent ses leçons. Mais une maladie de poitrine, que les fatigues de l'enseignement aggravèrent encore, le força de partir en 1648 pour le Midi. Lyon, Aix, Digne, Toulon l'eurent tour à tour pour hôte. En 1653, il revint à Paris, dut bientôt cesser tout travail et mourut à l'âge de soixante-trois ans, tué, dit-on, par treize saignées consécutives que ses médecins lui imposèrent un jour de crise. Son pays natal, où on l'appela longtemps «-le saint prêtre, notre bon prévôt », lui a, en 1852, érigé à Digne, par souscription, une statue en bronze. Pierre Gassendi. Le philosophe. Dans la dernière période de sa vie Gassendi s'arrêta à un système personnel, qui est exposé dans son Syntagma philosophicum (ouvrage posthume formant les deux premiers volumes de la grande édition de 1658) et le pourrait qualifier de mixte. Le sensualisme en est le fond. Mais, dédaigneux de la pure logique, Gassendi n'accepte pas toutes les conséquences du principe, ne va pas jusqu'au scepticisme absolu. Il ajuste la philosophie d'Epicure « au niveau du christianisme aussi bien que de la raison », ne lui prenant que ce qui lui paraît sain et, d'autre part, en comblant les lacunes, refusant, par exemple, l'éternité aux atomes, mais accordant aux âmes l'immortalité. Ce système, que Bernier a répandu par son Abrégé de la philosophie de Gassendi, et que devaient reprendre plus tard Locke et Condillac, est le point de départ du sensualisme moderne. Le système de Gassendi était, malgré toutes ses réserves, en opposition avec celui du spiritualiste-Descartes. Aussi les deux philosophes, d'abord amis, avaient-ils engagé une polémique fort aigre, qui n'avait pas duré moins de six années (1641-1646) et qui nous a valu deux des plus excellents écrits de l'abbé provençal : Disquisitio metaphysica adversus Cartesium (Paris, 1642, in-12; dern. édit., 1678, in-8) et Disquisitio metaphysica seu Dubitationes et Instantiae adversus Cartesii metaphysicam (Amsterdam, 1644, in-12). il attaquait surtout la doctrine des idées innées, et enseignait que toutes nos idées viennent des sens, les unes immédiatement, les autres médiatement. Gassendi avait également pris à partie Robert Fludd et avait publié contre les doctrines de l'auteur du Summum bonum une spirituelle Epistolica exercitatio (Paris, 1631, in-12), qui débute par un remarquable exposé des principes du mysticisme. | ||||
Le savant. Comme savant, Gassendi était, en même temps qu'un ennemi déclaré de l'astrologie judiciaire (à ce sujet il s'apposa notamment à Morin), un partisan également ardent, mais un peu moins avoué, des théories de Copernic et de Galilée. Comme Descartes, ce n'est que dans l'intimité ou dans sa correspondance privée que Gassendi osait se déclarer franchement copernicien [1]. Mais dans ses ouvrages imprimés qui, tel que son Institutio astronomica, devaient passer sous les yeux de la congrégation de l'Index, il se montrait beaucoup moins affirmatif. Il préférait sans doute le système de Copernic à tout autre, mais s'abritait derrière une déclaration de principe; "[Ce système] est contraire à l'Écriture, ajoutait-il; en conséquence, et pour obéir, je me vois contraint de donner la palme à Tycho."La réserve de Gassendi reste courageuse, car rien n'assurait qu'elle le protégerait : rappelons que Galilée est condamné malgré ce type de précautions. En cela il a donc fait preuve de plus d'audace que Descartes qui ne laissa pas publier le Système du monde avant sa mort. De même, Gassendi, qui avait reçu les Dialogues de Galilée par l'intermédiaire de son ami Diodati, ne put s'empêcher d'en manifester librement son admiration. "Nulle objection, écrivit-il à Galilée, ne tient devant vos principes; les démonstrations et les hypothèses de tous les anciens sont des puérilités et des rêveries, quand on les compare à vos arguments." | [1] Voyez l'article Gassendi, par Aubé, dans la Biographie générale. | |||
La condamnation de Galilée l'incita ensuite à se montrer plus prudent, comme en témoignent les paroles de consolation que Gassendi transmit à Galilée, dans une lettre du mois de février 1634 : il lui conseille, avec Horace, la patience et la résignation : Durum, sed levius fit patientia. Plusieurs lettres de Descartes attestent de la profonde impression que fit sur Gassendi la sentence de l'Inquisition. Son imagination s'exalta; il vit son repos troublé, sa chère liberté compromise, et pensa à brûler tous ses papiers. Le P. Mersenne, publiant, en 1634, un livre intitulé : Questions théologiques, physiques, morales et mathématiques, fit supprimer au plus vite l'analyse du premier dialogue de Galilée, qu'il avait donnée dans les premiers exemplaires [2]. Gassendi fit surtout oeuvre d'expérimentateur habile et d'observateur consciencieux. Peiresc, que Bayle appelle le procureur général des sciences, lui donna le goût des observations astronomiques. Et ce qui assigne à Gassendi une place distinguée dans l'histoire de l'astronomie, c'est d'avoir le premier observé le passage de Mercure sur le disque du Soleil. Il en a publié les détails dans un opuscule intitulé : Mercurius in Sole visus, Parisiis, pro voto et admonitione Kepleri. | [2] F. Arago, Notices biographiques, t. III, p. 257. | |||
"Le rusé Mercure, écrivait-il joyeusement à Schickhard, professeur d'hébreu à Tubingue, voulait passer sans être aperçu : il était entré (dans le Soleil) plus tôt qu'on ne s'y attendait; mais il n'a pu échapper sans être découvert, eureka kai ewraka [3]; je l'ai trouvé et je l'ai vu, ce qui n'était arrivé à personne avant moi, le matin du 7 novembre 1631."L'époque du passage de Mercure et de celui de Vénus avait été annoncée par Kepler. Gassendi s'était préparé à l'observer. A cet effet, il avait divisé en 60 parties le diamètre d'un cercle tracé sur un papier blanc qui devait recevoir l'image du Soleil par le tuyau d'une lunette; la circonférence de ce cercle était divisée en 360 degrés. Un aide placé dans un étage supérieur, avec un quart de cercle de dix pieds de rayon, était chargé de lui donner le signal quand il verrait Mercure, et de saisir avec son quart de cercle les mouvements du Soleil, pour avoir les hauteurs pour chacun des instants d'observation. Le 7 novembre, dans la matinée, le ciel était couvert de nuages; il s'éclaircit un peu vers 9 heures, et l'observateur put recevoir l'image du Soleil sur le carton; il y aperçut à la distance d'environ un quart de diamètre du bord inférieur, un point noir qui avait un peu passé le vertical. Il le prit d'abord pour une simple tache du Soleil; mais il changea d'opinion, quand il vit le point noir se déplacer : il put ainsi se convaincre que c'était Mercure; seulement il se l'était imaginé beaucoup plus gros. Il donna le signal convenu; mais l'aide n'était plus à sa place; Gassendi l'appela, et l'aide eut le temps de s'installer avec son quart de cercle avant que Mercure eût quitté le disque du Soleil. Mercure lui parut noir au milieu, rougeâtre au bord et d'un diamètre d'environ 20". Au moment où Mercure quitta le disque lumineux, le Soleil était à 21° 42' de hauteur, correction faite de la réfraction; d'où Gassendi conclut la sortie de Mercure à 32° ou 33° du vertical, à 10 heures 28 minutes du matin. Gassendi. | [3] Par ces mots (j'ai trouvé et j'ai vu), Gassendi faisait allusion aux travaux des alchimistes qui cherchaient à marier (combiner) le vif-argent (Mercure) avec l'or (Soleil).
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"Qui pourrait, s'écrie ici Gassendi, s'imaginer que ce Mercure, qu'on appelle trismegiste (= trois fois très grand), fût si petit? On devrait plutôt le nommer trisélachiste (= trois fois très petit)."Et en effet, ce n'est pas même un angle de 20", mais seulement un angle de 12", que Mercure sous-tend dans sa conjonction inférieure. Or un objet rond et obscur, d'une telle petitesse, n'est pas visible à l'oeil nu, lors même qu'il se projetterait sur le soleil. Pour l'apercevoir, il fallait l'artifice employé par Gassendi, et imaginé par le P. Scheiner : recevoir l'image agrandie du Soleil sur une feuille de papier blanc. Aussi n'est-il guère probable qu'Averroès ait, comme on l'a dit, le premier aperçu Mercure sur le Soleil [4]. Ajoutons que Gassendi signala neuf satellites de Jupiter, détermina la latitude de plusieurs villes du midi de la France, décrivit nombre d'éclipses de Soleil et de Lune, de conjonctions de planètes, d'appulses de la Lune à des fixes. Les taches du Soleil, les couronnes lumineuses qui l'entourent et sa grandeur apparente furent aussi l'objet de ses recherches. En 1641, il démontra, avec Fermat, la fausseté de l'hypothèse de l'accélération des graves en raison de l'espace. Il fit enfin, avec Peiresc, d'intéressantes expériences d'anatomie, mais il ne voulut jamais, malgré les travaux de Harvey, admettre la circulation du sang. En somme, il n'a enrichi la science d'aucune découverte véritable; il s'est borné à vérifier par des observations précieuses, et à coordonner, des faits déjà acquis. (Léon Sagnet / Hoefer; merci à Claude Marti pour ses utiles remarques).
| [4] La seconde observation de ce remarquable phénomène, d'une si grande utilité pour calculer exactement l'orbite de la planète, fut faite en 1651 par Skakerlaeus, qui pour en être témoin, se rendit tout exprès à Surate, dans l'Hindoustan (Nord de l'Inde). La quatrième observation fut faite en 1661 par Hévélius, qui, comme Gassendi, se contentait d'examiner l'image agrandie du Soleil dans une chambre obscure. |
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