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Les voyages de découverte au Maroc
Le Maroc constitue un cas paradoxal dans l'histoire des explorations de l'Afrique par les Européens. Moins de quinze kilomètres séparent, au détroit de Gibraltar, ce pays de l'Espagne, et pourtant, les voyages y sont longtemps restés très difficiles, au point que jusqu'au début du XXe siècle, nul pays, même le plus fermé et le plus fanatique, ne peut, sous ce rapport, lui être comparé; alors même que des explorateurs tels que Livingstone ou Stanley se sont déjà enfoncés au coeur de l'Afrique, le Maroc, aux portes de l'Europe  n'a jamais été parcouru entièrement par des Occidentaux. A partir du XIXe siècle, de sa seconde moitié, surtout, les voyages commencent à y devenir plus nombreux; la géographie se précise au fil des récits, des cartes sont établies, mais les cinq sixièmes du Maroc restent entièrement fermés aux non-musulmans; ils ne peuvent y entrer que par la ruse et au péril de leur vie. Cette intolérance extrême n'est pas uniquement provoquée par le fanatisme religieux; elle a sa source dans la crainte - dont l'histoire montrera qu'elle est justifiée - de voir le pays parcouru par des émissaires préparant ainsi la conquête future. Au tournant du siècle, les deux tiers du Maroc seront-ils encore inexplorés. 
Pendant longtemps on ne connut en Europe le Maroc que par la description faite par un géographe arabe, né à Grenade, élevé à Fès, et qui, pris par des corsaires chrétiens, fut emmené à Rome où il se convertit sous le nom de Jean Léon, dit l'Africain. Il écrivit, vers 1518, une description de l'Afrique, ouvrage qui souvent fut recopié, par Marmol notamment. Ensuite les voyages des différents membres d'associations religieuses pour le rachat des esclaves chrétiens détenus par les sultans aidèrent à mieux connaître la région du Nord marocain et certaines parties du royaume de Merrakech (Marrakech). Il convient de citer à ce sujet les récits des Pères de la Merci, puis les relations d'esclaves échappés ou rachetés parmi lesquels les plus remarquables sont celles du sieur Mouette vers 1670 et du sieur de La Martinière, chirurgien à bord d'un vaisseau vers 1674. En 1666, un Français, Roland Fréjus, mandataire d'une compagnie commerciale de Marseille, s'était rendu d'Alhucemas à Taza, traversant ainsi le Rif dans sa hauteur, voyage qui n'a plus été effectué pendant plus de deux siècles; enfin les récits d'ambassades, tels ceux des missions du baron de Saint-Amand en 1683, et de Pidon de Saint-Olon, en 1694, envoyés du roi de France, et de Windus, ambassadeur d'Angleterre, en 1725, résumèrent à la fin du XVIIIe siècle, avec le bel ouvrage de Louis Sauveur de Chénier (1785), consul général de France au Maroc, puis avec le récit du chirurgien anglais Lemprière, la plus grande somme des connaissances que l'on possédait alors sur l'empire chérifien. 

Dans les premières années du XIXe siècle, vers 1803, l'Espagnol Domingo Badia y Leblich voyagea dans les royaumes de Fès et du Maroc. Il séjourna à la cour, à Fès, à Mequinez, à Marrakech, se rendit à Oudjda, puis revint à Larache d'où il s'embarqua pour terminer son voyage vers les autres États barbaresques. Ce personnage, d'origine quelque peu mystérieuse, professait la foi musulmane; il fut traité avec une grande munificence par la cour chérifienne, et laissa un ouvrage intéressant qui, à certains égards, donne une excellente description du pays, des moeurs et coutumes des habitants et en particulier sur la ville de Fès. En 1825, A. de Caraman, lieutenant au corps d'état-major, qui accompagnait le consul de France, Sourdeau, dans un voyage de Tanger à Fès, leva un excellent itinéraire de la région parcourue; en 1828, l'illustre René Caillé rentrant de Tombouctou traversait le Maroc du Tafilalet à Tanger, et, en 1829, une ambassade anglaise s'étant rendue à Marrakech, l'officier de la marine britannique qui l'accompagnait fit de même une excellente description de la route suivie et de la portion de la chaîne de l'Atlas visible de la ville de Marrakech. 

En 1846, Émilien Renou donna une description géographique de l'empire du Maroc, consciencieux ouvrage de compilation qui est une merveille de ce genre; on y utilisa notamment les renseignements nombreux recueillis par le capitaine Baudouin, auteur d'une carte du Maroc. Le long séjour que fit dans ce pays un diplomate éminent, sir John Drummont Hay, lui permit de publier en Angleterre d'intéressants récits; mais ce fut après la guerre de Tétouan, après l'expédition espagnole de 1859-60, que les voyages au Maroc devinrent plus fréquents en embrassant une aire plus étendue. Nous en citerons les principaux par ordre chronologique. Gerard Rohlfs parcourut d'abord la plus grande partie du Maroc septentrional, grâce à la protection du chérif d'Ouazzan; il se rendit ensuite au Sud de l'Atlas, puis dans un autre voyage traversa le massif inexploré des Béni-Meguiled, atteignit le Tafilalet, gagna les oasis de l'extrême Sud algérien, c.-à-d. le Touât et le Tidikelt. Ce fut peu de temps après que le lieutenant-colonel Dastugue publiait une savante monographie des oasis de l'oued Ziz établie par une série de renseignements obtenus du Sud oranais. 

En 1868, le botaniste français Balansa se rendait de Mogador à Marrakech, mais échouait à Imnitanout dans sa tentative d'exploration de la chaîne de l'Atlas; l'année suivante, Joachim Gatell parcourait le Sous et en laissait une description succincte, mais fort précieuse. Durant cette même période, Beaumier, consul de France à Mogador, recueillait d'amples informations et établissait un itinéraire de Mogador à Marrakech, et de Mogador à Tanger, le long de la côte atlantique. C'est lui qui mit en lumière le rabbin Mardochée dont le voyage à Tombouctou fut remarqué et qui plus tard devait servir de guide à Foucauld. En 1870, l'expédition du général de Wimpfen à l'oued Guir permit de tracer un excellent itinéraire de la province d'Oran jusqu'à ces régions alors peu connues. De 1870 à 1876, Tissot, ministre de France à Tanger, devait, par une série de recherches devenues mémorables sur la géographie comparée de la Maurétanie Tingitane, dresser une carte de Ia partie septentrionale du royaume de Fès. Ce sera encore à la fin du XIXe siècle le meilleur document qui existera de cette région du Maroc. En 1871, les savants anglais J. Hooker et Ball accomplissaient un beau voyage; après avoir visité l'extrême Nord du Maroc, ils se rendaient à Marrakech et, grâce à l'action diplomatique toute-puissante alors de l'Angleterre à la cour chérifienne, réussissaient à pénétrer dans certaines parties des contreforts septentrionaux de l'Atlas. Il convient de citer, en 1878, les observations astronomiques effectuées entre Tanger et Fès par Desportes et François, officiers de la marine française, puis le récit pittoresque de l'écrivain italien de Amicis. Le voyageur Oskar Lenz, dans sa route vers Tombouctou, traversa entièrement le Maroc de l'extrême Nord à l'extrême Sud.

En 1880, le capitaine Colville, de l'armée britannique, accomplit le voyage de Fès à Oudjda, route périlleuse que n'avait parcourue aucun Européen depuis Ali Bey. L'année suivante, le capitaine Trotter, de la même armée, accompagnait le ministre d'Angleterre dans une mission à Fès et publiait une intéressante narration. En 1881, Chavagnac, renouvelait l'exploration du capitaine Colville et, en 1883,  Foucauld, le plus important sans conteste des voyageurs européens au Maroc, commença son grand voyage qui devait durer près d'un an. Avant lui, les cartographes avaient à leur disposition 12 208 kilomètres d'itinéraires jalonnés de bien rares déterminations astronomiques. Ajoutons que la France laissait déjà  apparaître son intérêt spécial pour  le Maroc, et parmi les vingt et un auteurs d'itinéraires au Maroc, susceptibles d'être à cette époque utilisés pour la confection des cartes, seize étaient des Français; sur le nombre des kilomètres levés, 9233 l'avaient été tant par des Français que par deux étrangers patronnés et subventionnés par le gouvernement français (Ali Bey) ou par la Société de géographie (le rabbin Mardochée).

Durant son voyage, Foucauld a doublé pour le moins la longueur des itinéraires déjà levés au Maroc, il a repris en les perfectionnant 689 kilomètres des travaux de ses devanciers en y ajoutant 2250 kilomètres nouveaux. Après le courage et l'héroïsme de ce voyageur, sa science géographique et ses descriptions géographiques si remarquables, il convient surtout et presque avant tout d'admirer la série si riche et inépuisable des renseignements statistiques qu'il donne et qu'il n'a pu se procurer qu'au prix d'une patience inouïe. Comme contribution précieuse à l'étude du Maroc, il convient aussi d'ajouter l'ouvrage du capitaine Erkmann, ancien chef de la mission militaire française détachée auprès du sultan et qui, à ce titre, parcourut certaines parties inexplorées du pays. Enfin, les voyages du lieutenant Quedenfelt, de l'armée allemande; en 1886, celui de Douls dans le Noun, le Draa et le Sous en 1888; celui de Thomson dans une partie de l'Atlas en 1889; puis les recherches archéologiques et de géographie comparée entreprises de 1881 à 1891 par La Martinière pour s'efforcer de compléter les travaux de Tissot, et en dernier lieu le courageux voyage au Tafilalet de l'Anglais Harris en 1894 permettent de clore la liste des principales explorations au Maroc. Quant à l'hydrographie marine et à la description nautique des côtes du Maroc, elles sont dues pour le rivage méditerranéen aux travaux de l'amirauté française, principalement en 1855, sous la direction de Vincendon-Dumoulin, et sur la côte atlantique, ce sont les levers du lieutenant Arlett de la marine britannique qui ont permis d'établir les cartes. (A19).

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