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La
technique
CRISPR-Cas9 est une méthode d'édition génomique qui permet de modifier
de manière précise, rapide et peu coûteuse l'ADN
d'organismes vivants. Elle repose sur un système de défense naturel utilisé
par certaines bactéries pour se protéger
contre les virus. Les bactéries conservent des
fragments d'ADN viral dans des séquences spécifiques appelées CRISPR
(Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats), qui
leur permettent de reconnaître et de couper l'ADN viral en cas d'une nouvelle
attaque.
Histoire
de la découverte du CRISPR-Cas9. Tout a commencé en 1987, lorsque
Yoshizumi Ishino et ses collègues ont accidentellement cloné et séquencé
une portion inhabituelle d'ADN dans le gène iap d' Escherichia coli. Cette
séquence contenait des répétitions d'ADN, mais à l'époque, leur signification
était inconnue et elles ont été considérées comme une curiosité.
Dans les années 1990, des séquences répétées similaires ont été
trouvées dans de nombreux autres microbes, en particulier des
archées
et des bactéries. Francisco Mojica, un scientifique
espagnol étudiant les archées Haloferax mediterranei, a joué un rôle
décisif dans la compréhension de ces répétitions. Il a remarqué que
ces séquences répétées étaient entrecoupées de séquences variables,
qu'il a appelées spacers. Mojica a persévéré dans l'étude de
ces séquences pendant des années, remarquant qu'elles étaient conservées
entre différentes espèces et que les spacers provenaient souvent
d'ADN étranger, notamment de virus et de plasmides. Il a émis l'hypothèse
que le CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats)
pourrait être un système immunitaire bactérien, capable de mémoriser
et de se défendre contre des infections virales antérieures. Parallèlement
aux travaux de Mojica, d'autres chercheurs ont commencé à identifier
des gènes associés aux séquences CRISPR, appelés gènes cas (CRISPR-associated).
Ruud Jansen et ses collègues ont été parmi les premiers à identifier
et nommer ces gènes cas. L'analyse bioinformatique, notamment par Eugene
Koonin et ses collaborateurs, a révélé que les gènes cas codaient pour
des protéines ayant des similitudes avec des nucléases et des hélicases,
suggérant un rôle dans l'interaction avec l'ADN. La preuve définitive
que le CRISPR-Cas était un système immunitaire adaptatif est venue des
travaux de Rodolphe Barrangou et Philippe Horvath chez Danisco (ensuite
DuPont). En étudiant Streptococcus thermophilus, une bactérie utilisée
dans la production de yaourt et de fromage, ils ont montré en 2007 que
les bactéries pouvaient acquérir une résistance aux phages
(virus bactériens) en intégrant de nouvelles séquences spacers
dérivées du génome viral dans leurs loci CRISPR. Ils ont également
démontré que la suppression de
spacers spécifiques rendait les
bactéries à nouveau sensibles aux phages correspondants. C'était la
confirmation expérimentale que le système CRISPR-Cas fonctionnait
comme un système immunitaire bactérien acquis. Plusieurs types de systèmes
CRISPR-Cas ont été découverts, classés en deux classes principales.
Les systèmes de classe 2, en particulier le système CRISPR-Cas9 de Streptococcus
pyogenes, se sont avérés particulièrement intéressants en raison de
leur simplicité. Cas9 est une seule protéine qui, guidée par un ARN,
peut couper l'ADN à un site spécifique. La percée majeure qui a transformé
le CRISPR-Cas9 en un outil de modification génomique révolutionnaire
est survenue en 2012. Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, avec leurs
équipes, ont publié un article fondamental démontrant que Cas9 pouvait
être reprogrammé pour couper l'ADN à n'importe quel endroit désiré.
Elles ont montré qu'en modifiant l'ARN guide, il était possible de cibler
Cas9 sur des séquences d'ADN spécifiques in vitro. Parallèlement, le
laboratoire de Feng Zhang a rapidement adapté le système CRISPR-Cas9
pour l'édition de gènes dans des cellules de mammifères, et notamment
des cellules humaines. Ces découvertes ont déclenché une révolution
dans la biologie et la biotechnologie. La simplicité, l'efficacité et
la polyvalence de la technique CRISPR-Cas9 ont permis aux scientifiques
de modifier les gènes avec une précision sans précédent, ouvrant de
nouvelles voies pour la recherche fondamentale, le développement de thérapies
géniques, l'amélioration des cultures et bien d'autres applications.
Cette technique repose
sur l'utilisation d'une enzyme Cas9 guidée par
un ARN (gARN) pour cibler et couper l'ADN Ă un endroit
précis du génome. La réparation de cette coupure par les mécanismes
cellulaires, NHEJ ou HDR, permet soit d'inactiver un gène (knock-out)
soit de le modifier de manière précise (knock-in ou gene editing).
La simplicité, l'efficacité et la précision de CRISPR-Cas9 ont révolutionné
de nombreux domaines de la recherche.
Grâce à cette technologie,
il est possible de modifier le génome d'organismes divers, des bactéries
aux plantes, en passant par les animaux
et les cellules humaines. Elle a de nombreuses
applications en recherche fondamentale, en médecine (notamment pour corriger
des mutations génétiques responsables de maladies), en agriculture (plantes
génétiquement modifiées) et en biotechnologie. Toutefois, son usage
soulève des questions éthiques, surtout
lorsqu'il s'agit de modifications dans les cellules germinales humaines,
transmissibles Ă la descendance.
Les composants
principaux.
Pour comprendre
son fonctionnement, il faut décortiquer ses deux principaux composants
: l'enzyme Cas9 et le guide ARN (gARN).
L'enzyme
Cas9.
Cas9 est une enzyme,
plus précisément une nucléase, ce qui signifie qu'elle a la capacité
de couper l'ADN à la manière d' une paire de ciseaux moléculaires très
précis. Cependant, Cas9 ne coupe pas l'ADN au hasard. Elle a besoin d'être
guidée vers un endroit spécifique du génome
pour exercer son action. C'est lĂ qu'intervient le guide ARN.
Le
guide ARN (gARN).
Le guide ARN est
une courte séquence d'ARN synthétique conçue pour être complémentaire
à la séquence d'ADN que l'on souhaite cibler. En d'autres termes, le
guide ARN est une sorte d'adresse moléculaire qui indique à Cas9 où
aller couper. Il est composé de deux parties essentielles : une séquence
d'environ 20 nucléotides qui correspond
à la séquence cible dans l'ADN et une structure plus longue et constante
qui se lie Ă Cas9.
Le processus.
Le processus commence
par la conception du guide ARN. Les chercheurs identifient la séquence
d'ADN qu'ils souhaitent modifier et conçoivent un guide ARN dont la séquence
de 20 nucléotides est complémentaire à cette séquence cible. Ce guide
ARN synthétique est ensuite introduit dans la cellule, généralement
en mĂŞme temps que l'enzyme Cas9. Dans la cellule, Cas9 et le guide ARN
forment un complexe. Le guide ARN, par sa séquence de 20 nucléotides,
va explorer le génome cellulaire à la recherche de la séquence d'ADN
complémentaire. Une caractéristique cruciale du système CRISPR-Cas9
est la nécessité d'une courte séquence d'ADN appelée PAM (Protospacer
Adjacent Motif) située juste après la séquence cible dans l'ADN.
Le
PAM est une séquence spécifique (par exemple, NGG pour le système
Cas9 le plus couramment utilisé, où N représente n'importe quel nucléotide
et G la guanine) qui est reconnue par Cas9. Le PAM agit comme un signal
de reconnaissance pour Cas9, indiquant que la séquence adjacente est une
cible potentielle. Sans PAM, Cas9 ne peut pas se lier et couper l'ADN,
même si le guide ARN est parfaitement complémentaire à la séquence
d'ADN.
Lorsque le complexe
Cas9-gARN rencontre une séquence d'ADN qui correspond à la séquence
du guide ARN et qui est suivie d'un PAM, Cas9 se lie à l'ADN. La séquence
du guide ARN s'apparie alors avec la séquence cible de l'ADN par complémentarité
des bases (adénine avec thymine,
guanine
avec cytosine). Une fois la liaison établie
et le PAM reconnu, Cas9 effectue une coupure double brin dans l'ADN, au
niveau de la séquence cible définie par le guide ARN. Cette coupure double
brin est l'événement clé de la technique CRISPR-Cas9.
Les
voies de réparation.
La cellule, face
à une coupure double brin dans son ADN, active des mécanismes de réparation
pour réparer les dommages. Il existe principalement deux voies de réparation
: la jonction d'extrémités non homologues (NHEJ, non-homologous
end joining) et la réparation dirigée par homologie (HDR, homology-directed
repair).
• La
NHEJ est la voie de réparation la plus fréquente. Elle est rapide
mais souvent imprécise. Lors de la NHEJ, les extrémités de l'ADN coupées
sont directement réunies, mais ce processus peut souvent entraîner des
insertions ou des délétions de quelques nucléotides au site de la coupure.
Ces insertions ou délétions, appelées indels, peuvent perturber le cadre
de lecture du gène si la coupure se produit dans
une région codante, ce qui peut inactiver le gène. C'est ainsi que CRISPR-Cas9
peut être utilisé pour "éteindre" un gène, une technique appelée knock-out.
• La HDR
est une voie de réparation moins fréquente mais plus précise. Elle utilise
une matrice d'ADN homologue, c'est-à -dire une séquence d'ADN similaire
à la région endommagée, pour guider la réparation. Cette matrice d'ADN
homologue peut être fournie à la cellule de manière exogène, par exemple
sous forme de plasmide contenant une séquence
d'ADN modifiée que l'on souhaite insérer au site de la coupure. Lorsque
la HDR est activée, la cellule utilise cette matrice pour réparer la
coupure, ce qui permet d'insérer une nouvelle séquence d'ADN précise
au site de la coupure, voire de remplacer une séquence existante par une
autre.
C'est ainsi que CRISPR-Cas9
peut être utilisé pour éditer un gène, c'est-à -dire le modifier
de manière précise, une technique appelée knock-in ou gene
editing au sens strict. |
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