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L'adoration de
la vache est un des faits qui sont les plus caractéristiques
de la civilisation hindoue. Celles des tribus
qui tuent les vaches et se nourrissent de leur chair sont aussi les moins
hindouisées : telles sont les tribus Gonds. Inversement, à
Bénarès, la ville sainte du
brahmanisme, on peut les voir encombrer les rues étroites, inviolables
«comme des idoles ambulantes» (Barth). On dit que la
fameuse révolte des Cipayes fut occasionnée par le refus
des soldats de se servir, pour leurs cartouches, d'une graisse qu'ils croyaient
être de la graisse de vache. De nos jours, le meurtre involontaire,
même la mort accidentelle d'une vache, sont chose extrêmement
grave et nécessitent de coûteuses expiations.
L'histoire de ce culte est fort curieuse.
Dès les plus anciens temps, la vache est appelée «celle
qu'on ne doit pas tuer » (16 fois dans le Rig Véda).
Des hymnes sont chantés en sa faveur. Ailleurs, il est dit que «celui
qui mange du boeuf renaîtra sous les espèces d'un homme mal
famé».
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Une
vache sacrée, dans une rue de Varanasi (Inde). En médaillon,
statue
de
Nandi, à Lalitpur (Népal).
Dans le rituel védique, la vache,
le taureau (quelquefois incarnation de Rudra),
l'urine, le fumier, la trace des pas de ces animaux, jouent un très
grand rôle. Mais, d'autre part, elle est souvent sacrifiée
en vraies hécatombes; on la mange solennellement lors du mariage,
de l'arrivée d'un hôte; on tue aussi une vache noire lors
des rites funéraires; les brahmanes consomment rituellement la vache
stérile qui leur est réservée.
Comment tous ces faits s'accordent-ils
entre eux? Comment les mêmes hommes pouvaient-ils tuer une bête
et l'adorer en même temps? Comment comprendre la parole de cet ancien
sage, Yajnavalkya, qui disait aimer la viande de boeuf? La seule hypothèse
raisonnable est de supposer que, dans l'Inde védique comme ailleurs,
il fallait adorer ou au moins tuer rituellement la bête dont on ne
pouvait consommer que rituellement. Toujours est-il que la vache devint
de plus en plus un être divin. Dès la plus haute antiquité,
les nuages célestes, les prières même, sont figurées
comme des vaches.
Idâ, déesse des bestiaux,
est identifiée souvent à une vache; son incarnation dans
l'offrande lactée est une partie essentielle de tout sacrifice solennel.
Indra est souvent appelé taureau et même
représenté comme tel. De telle sorte que le rôle de
la vache devint facilement considérable dans le panthéon
hindou. De la fusion des deux notions, vaches-nuages et Idâ-déesse-vache,
naquit, peut-être, la notion de la vache divine, de la vache d'abondance,
dispensatrice des désirs, Kâmaduk. Cette notion est importante
en Inde, depuis l'ère chrétienne jusqu'à nos jours.
L'ancien taureau divin est devenu le taureau Nandi,
coursier de Çiva (Rudra),
ses exemplaires vivants ou de pierre abondent dans les temples. Les bergers
eux-mêmes ont été divinisés dans la personne
de Krichna. En même temps, la vache est
devenue de plus en plus inviolable.
Les plus anciens textes de lois abondent
en prescriptions formelles qui la concernent. La tuer est chose punissable;
la saigner est acte méritoire, qui fait disparaître bien des
crimes; la révérer à l'égal du brahmane
est chose obligatoire ( Jolly, Recht
und Sitte, pp. 106, 115, etc.). Peut-être faut-il attribuer dans
l'histoire de ce culte quelque influence au bouddhisme
et aux mouvements contemporains de l'origine du bouddhisme. Toutes les
doctrines ascétiques, depuis le bouddhisme et le jaïnisme jusqu'au
brahmanisme philosophique, mirent au premier
rang de leurs préceptes la défense de mettre à mort
un être vivant. L'empereur Ashoka donna à
ce précepte force de loi. Mais les épopées noirs montrent
que, loin des cercles religieux, peuple et nobles festoyaient même
à l'aide de la chair des vaches. Il se peut donc que cette interdiction
de tuer qui ne put se généraliser ait réussi à
se concentrer sur la vache, qu'entouraient déjà de respect
les nombreuses croyances religieuses populaires. (M.
Mauss).
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Pas
vraiment sacrée, la Vache d'Alan (Haute-Garonne)? tout de
même l'emblème d'un dignitaire religieux, l'évêque
du Comminges, Jean de Foix de Grailly (1450-1500)...
Photos
: © Serge Jodra, 2011 - 2017.
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