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La Souveraineté nationale
Le principe de la souveraineté nationale
est celui en vertu duquel tous les pouvoirs dans l'Etat
émanent de la nation.
• Définition de la nation.
- La nation, dans le sens où nous l'entendrons ici, est une société
d'hommes soumis à une autorité commune et vivant sous l'empire des mêmes
lois générales. On a ainsi pu dire qu'entre
la nation et l'Etat il y a la même différence qu'entre les membres d'une
société commerciale et la société elle-même, considérée comme personne
morale.
Le mot « nation » peut aussi être pris aussi dans un autre sens; il
est employé comme synonyme de « nationalité ». On dit alors qu'une
nation est une réunion d'hommes ayant la même origine, les mêmes traditions,
les mêmes moeurs, les mêmes aspirations. De ce point de vue ont peut
parler de nations sans Etat et d'Etats sans nation correspondante.
Origine historique.
Le principe de la souveraineté nationale
a été proclamé pour la première fois au XVIIIe
siècle par J.-J. Rousseau, dans son célèbre,
ouvrage du Contrat social .
D'autres théories ont essayé de déterminer le fondement de la souveraineté
: l'une est connue sous le nom de système évolutionniste ou matérialiste,
une autre est le système spiritualiste;
on mentionnera aussi la théorie positiviste.
Système
de Rousseau.
Rousseau n'était pas l'inventeur de la
théorie de l'état de nature et du contrat
social. Ces deux hypothèses ont
été exposées avant lui, au XVIIe siècle,
par Hobbes et par Locke,
et de son temps, elles étaient comme un lien commun que l'on retrouve
dans les écrits de tous les philosophes du XVIIIe
siècle. Mais cette théorie a été vulgarisée par Rousseau qui s'est
attaché à en déduire toutes les conséquences logiques.
D'après Rousseau, les hommes auraient
d'abord vécu dans l'état de nature, sans lien entre eux, sans subir d'autorité
supérieure, en possession d'une indépendance absolue. Plus tard, fatigués
de cette liberté et de ses inconvénients, ils
ont voulu former une société, et, pour cela, ils ont fait un contrat,
le contrat social. Ils ont alors abandonné leur ancienne liberté pour
fonder la nouvelle société; la souveraineté a été constituée par
la somme de toutes les libertés individuelles. En échange de son abandon,
chaque homme a reçu une parcelle de la souveraineté.
Malgré cela chacun d'eux est tenu de se
soumettre à la volonté générale
du corps social dont l'expression constitue la loi. Mais tandis que l'unanimité
est nécessaire pour la formation du contrat social, la majorité suffit
pour faire les lois parce que la majorité est seule capable de dégager
la volonté générale du pays. Les minorités se trompent toujours; la
majorité, au contraire, est toujours infaillible.
Depuis longtemps, cette conception d'un
état de nature ayant précédé l'état social a été démontrée inexacte;
l'existence des sociétés étant inhérente à la nature de l'homme qui
n'apparaît nulle part vivant d'une façon solitaire.
En
admettant même la conception du contrat social on peut objecter ceci :
C'est que ce contrat ne liait que les hommes qui l'ont formé, non les
générations futures. Dès lors ceux qui préfèrent reprendre leur liberté
native devraient pouvoir le faire; sinon l'unanimité que Rousseau déclarait
nécessaire à la formation du contrat social n'existerait plus; mais alors
la souveraineté n'est plus qu'un vain mot puisqu'on peut la changer.
Quoi qu'il en soit le principe
de la souveraineté nationale que Rousseau avait dégagé de prémisses
reconnues fausses aujourd'hui, est considéré comme une règle essentielle
du droit public moderne. Toutes les constitutions
en France depuis 1789
l'ont adopté. Ce principe était d'ailleurs consacré dans la déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, mise en tête de la Constitution
de 1791 :
« Le principe
de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps,
nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
»
Seule la charte de 1814 a refusé de l'admettre
en déclarant dans son préambule que l'autorité tout entière réside
dans la personne du roi, qui tient lui-même sa couronne de Dieu,
dont il est le représentant sur la terre.
Système
évolutionniste.
Le système évolutionniste,
prenant pour postulat que l'homme descend de l'animal et que la société
humaine procède des sociétés animales, donne pour base à la souveraineté
la force. Toute société suppose une autorité supérieure à laquelle
tous les individus devront se soumettre. Au
début cette autorité a appartenu à celui qui était le plus fort physiquement;
plus tard, quelques hommes, les plus intelligents, s'associèrent à celui-là ,
puis finalement le plus grand nombre des hommes s'unirent à eux; la force
morale se substitua ainsi à la force matérielle et la volonté générale
à la volonté d'un seul. Ce système aboutit
comme résultat à la souveraineté du peuple comme le système du contrat
social. Mais on lui a fait principalement cette objection, c'est que la
force, qui peut quelquefois primer le droit, ne
peut jamais engendrer le droit.
Système
spiritualiste.
Le système spiritualiste,
ou plutôt théologique, donne à la souveraineté une origine divine.
Dieu ayant créé l'homme pour vivre en société a créé en même temps
la souveraineté sans laquelle aucune société ne peut fonctionner. Mais
les partisans de ce système aboutissent à des conclusions différentes
au point de vue de l'exercice de la souveraineté; les uns estiment que
Dieu a remis directement la souveraineté au chef d'Etat désigné par
l'élection ou l'hérédité. C'est la théorie de la monarchie
de droit divin. D'autres, au contraire, enseignent
que Dieu a remis la souveraineté à la nation et que celle-ci peut en
confier l'exercice à un prince; en sorte que la souveraineté appartiendrait
à la nation par droit divin et au prince par droit humain positif, d'où
la formule : potestas a Deo per populum.
Théorie
positiviste de Duguit et Jèze.
D'après ces
auteurs, la théorie de la souveraineté nationale est un sophisme
aussi bien que celle du droit divin. Une seule chose est certaine et réelle,
c'est qu'il y a des gouvernants et des gouvernés : les gouvernants sont
les plus forts et les gouvernés les plus faibles.
Fondement de la
souveraineté nationale.
Le principe de la souveraineté nationale
repose sur un double fondement sur un motif rationnel
et sur l'observation des faits.
Le motif rationnel est que l'organisation
politique des sociétés est établie dans l'intérêt de tous ceux qui
les composent; elle a pour but d'assurer le salut et le
bonheur
de la nation. Dès lors, il est logique que tous les citoyens participent
à l'exercice de la puissance publique, sauf a subir la loi de la majorité.
L'observation des faits démontre que la
souveraineté ne s'exerce efficacement que si elle s'appuie sur l'opinion
publique du pays et sur l'adhésion du plus grand nombre. La force matérielle
est insuffisante pour en assurer le respect d'une façon permanente et
durable. Dès lors, reconnaître la souveraineté nationale c'est tout
simplement conformer le droit au fait.
Caractères de
la souveraineté.
Pour déterminer les caractères de la
souveraineté, il faut rechercher si elle est illimitée, si elle est inaliénable,
si elle est imprescriptible, enfin, si elle est indivisible.
1°
La souveraineté est-elle illimitée?
La question est résolue différemment
suivant le fondement que l'on donne à la souveraineté.
Rousseau et les partisans du contrat social
considèrent que la souveraineté est illimitée; il n'y a pas de droit
contre la loi. Ce que le plus grand nombre décide est bon et légitime.
C'est la négation des droits individuels.
L'école spiritualiste donnait deux limites
à la souveraineté :
1° le respect des lois divines,
supérieures aux lois humaines;
2° le respect des droits de l'individu,
antérieurs à ceux de l'Etat.
La conception laïque de l'Etat, telle qu'elle
existe en France, apparaît comme une forme de mixte entre les deux conceptions
précédentes : il n'y a pas de droit contre la loi, mais celle-ci trouve
ses limites dans les principes énoncés par une loi fondamentale, la Constitution,
dont la déclaration des droits de
l'homme et du citoyen est le préambule.
Lorsque ces limites sont dépassées, l'individu
aurait la faculté de résister à l'autorité, soit en refusant d'obéir
(résistance passive), soit en repoussant la violence par la violence (résistance
défensive), soit en organisant l'émeute contre le gouvernement établi
(résistance agressive).
La
Constitution
de 1793 reconnaissait formellement comme sanction aux droits individuels
le droit d'insurrection, « le plus sacré et le plus légitime des devoirs
».
2°
La souveraineté est-elle inaliénable?
Cette question est résolue différemment
suivant les auteurs.
Rousseau déclarait la souveraineté inaliénable,
parce que la souveraineté n'est que la volonté générale, qui ne peut
ni se transmettre ni s'enchaîner.
D'autres ont soutenu, au contraire, que
la souveraineté est aliénable. Dans une monarchie héréditaire et absolue
la souveraineté ne pourrait pas être retirée au roi par la nation, soit
parce que, d'après les uns la souveraineté appartiendrait au monarque
et non à la nation, par droit divin, soit parce que, d'après les autres,
la souveraineté aurait été transmise au monarque par un contrat de sujétion
passé envers lui par la société.
Il y a cependant cette différence entre le système du droit divin et
le système de la sujétion, c'est que, dans le premier, la nation ne peut
jamais enlever au monarque l'exercice de la souveraineté dont il est le
titulaire direct, même lorsqu'il abuse de son pouvoir et se conduit en
tyran; au contraire, les partisans du contrat de sujétion reconnaissent
à la nation le droit de reprendre l'exercice de la souveraineté lorsque
le monarque abuse de son pouvoir et le fait dégénérer en tyrannie.
Enfin, un système éclectique
distingue : la souveraineté ne peut être aliénée. Le principe
que la souveraineté nationale est inaliénable a été ainsi proclamé
par la Constitution de 1791 et par celle de 1848.
• La Constitution de 1791 dit
:
« La souveraineté
est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible ; elle appartient
à la nation », titre III, article 1er.
• La Constitution de 1848, article 1er,
dit :
«
La souveraineté réside dans l'universalité gis, citoyens français.
Elle est inaliénable et imprescriptible. »
La souveraineté réside toujours dans la
nation, mais la nation peut en confier l'exercice à une assemblée de
représentants élus pour un temps déterminé. C'est ce qui est pratiqué
dans la plupart des Etats modernes.
• La souveraineté nationale
est-elle compatible avec la monarchie? Il paraît bien difficile de les
concilier ensemble. En effet, pour que le principe de la souveraineté
nationale soit respecté, il faut que les représentants auxquels est conféré
l'exercice de la puissance publique soient responsables devant le pays,
auquel ils doivent rendre des comptes et qui doit conserver le droit de
ne pas les réélire à la fin de leur mandat. Or, un semblable pouvoir
échappe à la nation à l'égard d'un monarque, la monarchie fût-elle
simplement élective et viagère, au lieu d'être héréditaire.
3°
La souveraineté est-elle imprescriptible?
Pour Rousseau, la souveraineté étant
inaliénable est, par voie de conséquence, imprescriptible.
Il est, au contraire, des auteurs qui,
assimilant la souveraineté à la propriété, admettent la prescription
comme mode d'acquisition de la souveraineté.
Enfin, dans un troisième système, on
distingue et on dit : la souveraineté ne peut pas être prescrite, elle
réside toujours dans la nation, mais l'exercice de la souveraineté peut
être prescrit sous certaines conditions. Par exemple, si un usurpateur
s'empare du pouvoir et qu'il l'exerce pour le bien
commun sans soulever d'opposition sérieuse de la part du plus grand
nombre, on devra considérer sa situation comme légitime et normale.
4°
La souveraineté est-elle indivisible?
D'après Rousseau, la souveraineté est
indivisible, c'est-à -dire qu'elle ne doit pas être exercée par des corps
ou par des personnes différentes. Il rejette donc la théorie de la séparation
des pouvoirs émise par
Montesquieu. Mais,
en pratique, il arrive indirectement aux mêmes conséquences que lui;
parce que, d'après Rousseau, la souveraineté ne comprend que le pouvoir
législatif; le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire sont en dehors
de la souveraineté, et, par conséquent, ils en sont distincts.
L'opinion commune, aujourd'hui, admet que
la souveraineté est indivisible dans son principe, mais que son exercice
doit être confié à des pouvoirs distincts.
Comment s'exerce
la souveraineté nationale.
La souveraineté nationale peut s'exercer
de deux façons :
1° Soit directement par la participation
effective de tous les citoyens à la conduite des affaires publiques;
2° Soit indirectement par le droit de
votation; la nation nomme les membres des assemblées législatives.
Dans le premier cas, on se trouve en présence
du gouvernement direct; dans le second cas, on est en face du gouvernement
représentatif.
Le droit de vote
Réglementation générale
du droit de vote.
Quelle est la véritable nature du droit
de vote. Sur ce point deux opinions ont été soutenues. Dans le système
de Rousseau, le droit de suffrage était un droit individuel dont personne
ne devait être exclu, ni les femmes, ni les mineurs, ni les indignes.
Au contraire, d'après le système exposé par Barnave
à l'Assemblée constituante,
l'exercice du suffrage constitue une véritable fonction sociale; dès
lors, il importe de déterminer les conditions d'aptitude nécessaires
pour l'exercice de cette fonction et l'exercice de cette fonction peut
être déclaré obligatoire.
Le suffrage peut être organisé de façons
bien différentes : il peut être universel ou restreint; direct ou indirect.
Suffrage universel.
Le suffrage universel est celui qui est
reconnu à tous les citoyens sans condition d'instruction ni de fortune.
L'expression « universel » n'est pas tout à fait exacte, car, même
sous ce régime, le droit de vote est refusé à toute une partie de la
population : en France, on l'a refusé aux femmes jusqu'en 1944, et les
mineurs en sont toujours exclus. Quant aux étrangers installés en France,
ils sont dans une situation complexe : les ressortissants de pays de l'Union
européenne
ont le droit de voter aux élections locales; le droit de vote est complètement
dénié à tous les autres.
-
Le droit
de vote des femmes
Jusqu'au 21 avril
1944, la question de l'extension aux femmes du droit de suffrage a donné
lieu à des discussions passionnées.
Les
féministes
disaient :
1° Le suffrage
ne sera vraiment universel que si les femmes sont admises à voter;
2° les femmes paient
l'impôt comme les hommes, il est dès lors équitable qu'elles votent;
3° le vote des femmes
diminuerait l'influence du cabaret dans les élections, les femmes étant
plus sobres que les hommes;
4° le vote
des femmes orienterait la politique du gouvernement dans le sens des économies
sérieuses, les femmes étant plus économes que les hommes.
Les anti-féministes
répondaient :
1° L'admission
des femmes aux affaires publiques serait le renversement de l'ordre des
choses qui a existé de tout temps. Depuis que le monde existe, l'homme
a toujours été chargé des affaires publiques, tandis que la femme, en
raison de ses qualités naturelles, a été toujours confinée dans les
soins intérieurs du ménage; la vie de famille serait compromise si la
femme était distraite de ses occupations par ses devoirs d'électeur;
2° La délicatesse
native de la femme pourrait être froissée si elle était mêlée aux
luttes politiques;
3° Il est vrai que
les femmes paient l'impôt comme les hommes, mais elles échappent à l'impôt
le plus lourd, l'impôt du sang.
Les revendications féministes
ont été entendues dans les pays d'origine anglo-saxonne dès le
XIXe siècle. En Angleterre, les femmes
furent dès cette époqueadmises à voter pour l'élection des assemblées
municipales et de comtés; le droit de vote fut également conféré aux
femmes dans quelques Etats de l'Amérique
du Nord (Colorado, Idaho, Utah et Wyoming), et dans plusieurs colonies
anglaises d'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
En France, une concession
fut faite au féminisme par la loi du 13 janvier 1898 qui accordait
aux femmes l'électorat pour les tribunaux de commerce, et par la loi du
15 novembre 1908 leur accordant l'éligibilité au Conseil de prud'hommes.
On peut se demander
si, un jour, les objections formulées, aujourd'hui, contre le droit de
vote des étrangers établis en France de longue date n'apparaîtront pas
aussi grotesques que les obstacles que l'on opposait autrefois au droit
de vote des femmes. |
Avantages
du suffrage universel.
Le suffrage universel offre les avantages
suivants :
1° Il assure une grande égalité
dans l'établissement de l'impôt;
2° Il donne plus de force à la loi; tant
que le peuple n'a pas été admis à participer à sa confection en nommant
des représentants aux assemblées législatives, il a pu croire qu'elle
était dirigée contre lui;
3° Il raffermit l'autorité du gouvernement
lorsque son principe est mis en doute.
Inconvénients
du suffrage universel.
On a voulu voir dans le suffrage universel
plusieurs inconvénients. Le principale est qu'il donne la même portée
au vote de des électeurs différemment impliqués dans la vie
démocratique, et pouvant user aussi très différemment de leur sens
critique. Ce qui ouvre la voie à la démagogie
et aux sophismes chez le personnel politique.
Correctifs
au suffrage universel.
Pour remédier aux inconvénients réels
ou supposés du suffrage universel on a proposé divers correctifs. Les
principaux sont les suivants : le vote plural, le vote multiple, le vote
indirect, la représentation proportionnelle des minorités, la représentation
des intérêts et le vote obligatoire.
1° Le vote plural. - Le vote plural
consiste à donner plusieurs voix à certaines catégories d'électeurs,
dans le but d'assurer la prépondérance à la famille, à la fortune ou
à l'instruction.
• Le vote plural avait été
établi sous la Restauration par la loi
du 29 juin 1820. Cette loi établissait deux collèges électoraux :
a) un collège d'arrondissement,
dans lequel votaient tous les Français de 30 ans payant 300 francs d'impôts
directs;
b) un collège de département où votait
le quart des électeurs les plus imposés.
Les collèges d'arrondissement nommaient 2
députés; les collèges de département en nommaient 172. Sous l'Empire
de cette législation le vote plural existait, puisque les électeurs du
collège départemental votaient deux fois une fois dans le collège d'arrondissement
et une seconde fois dans le collège de département. Cette loi connue
sous le nom de loi du « double vote » avait été faite dans une pensée
de réaction sous le coup de l'émotion produite par l'assassinat du duc
de Berry, que les royalistes attribuaient au réveil des idées libérales.
2° Le vote multiple. - Le vote multiple
est le système qui consiste à permettre à un électeur de voter dans
plusieurs circonscriptions en raison des attaches qu'il peut avoir avec
chacune d'elles. Mais le système du vote multiple est anti-démocratique.
Il assure une influence prépondérante à la fortune et particulièrement
à la propriété foncière.
3° Le vote indirect. - Le vote
indirect, ou à plusieurs degrés, est celui d'après lequel les électeurs
ne désignent pas directement les représentants de la nation; ils nomment
un certain nombre d'entre eux qui seront chargés d'élire les députés.
Il peut être combiné avec le suffrage
universel ou avec le suffrage restreint. D'autre part, les électeurs du
premier degré peuvent être nommés spécialement en vue de l'élection
des représentants, ou bien ils peuvent être élus à d'autres fins que
l'élection, qui ne forme qu'une partie de leurs attributions.
• Le vote indirect a été en
vigueur en France pendant la période révolutionnaire.
Il fut organisé notamment par la Constitution de 1791 et par celle
de l'an III ; mais ce fut surtout la Constitution de l'an VIII qui
assura le triomphe complet de ce procédé d'élection. De nos jours, le
vote indirect au 2e et même au 3e
degré fonctionne encore pour l'élection des sénateurs.
• Hors de France, on rencontre quelques
applications du vote indirect, en particulier aux Etats-Unis. Le Président
de la République américaine est élu au suffrage universel à deux degrés;
il convient cependant de remarquer qu'en réalité, le deuxième degré
disparaît pour ainsi dire, parce que les électeurs du premier degré
sont désignés avec mandat impératif de voter pour tel candidat qui leur
est désigné à l'avance. De même, le Sénat américain est élu par
la législature des Etats, à raison de deux membres par Etat.
On mentionne parmi les avantages du vote indirect
les suivants :
1° Il remet l'élection définitive
à un collège électoral plus impliqué dans la vie politique et assure
un meilleur choix des élus;
2° Il évite les luttes électorales trop
ardentes; les entraînements irréfléchis de la foule;
3° Il convient mieux, en principe, aux
pays dont la population est peu politisée.
On a peu aussi noter que le vote indirect
est un moyen employé pour écarter le peuple du pouvoir et pour assurer
la majorité dans le Parlement à une classe privilégiée, soit à la
bourgeoisie comme pendant la Révolution,
soit à l'aristocratie de fortune ou de
naissance comme sous la Restauration.
4° Représentation des intérêts ou
représentation professionnelle. - Ce système, qui a connu un regain
d'intérêt à la fin du XIXe siècle,
consiste à répartir les électeurs en un certain nombre de groupes, suivant
la profession qu'ils exercent (agriculteurs, industriels, rentiers, professions
libérales, etc.), et à donner à chacun de ces groupes une représentation
distincte. Ce système aurait, prétendait-on, l'avantage de faire élire
les députés par les éléments les meilleurs de la population qui sont
actuellement noyés dans la grande masse du suffrage universel.
Il y avait aussi de nombreuses objections
à l'adoption d'un pareil système. D'abord, des objections d'ordre pratique
: comment établirait-on ce groupement des intérêts? Y aurait-il un groupe
unique pour l'industrie ou bien faudrait-il faire autant de groupes que
d'industries distinctes? Et, dans le groupe unique ou dans les groupes
multiples, donnerait-on une représentation unique aux patrons et aux ouvriers,
ou bien y aurait-il un groupe patron et un groupe ouvrier? D'autre part,
une semblable organisation ne tendrait à rien moins qu'à nous ramener
aux pratiques de l'Ancien régime où l'individu
n'était rien par lui-même et n'apparaissait que comme le représentant
d'un groupe social déterminé : clergé, noblesse ou tiers état. On aboutirait
à l'oppression des individus par des groupes trop puissants et à une
lutte à mort des différents groupes les uns contre les autres.
5° La représentation proportionnelle
des minorités. - C'est un système électoral opposé à celui qu'on
appelle le système majoritaire ou système de la moitié plus d'un. Il
consiste à accorder à la minorité d'avoir dans le Parlement des représentants
en nombre proportionnel à celui de ses membres, afin de ne pas être étouffée
par la majorité.
Parmi les avantages du système proportionnel
sur le système majoritaire, on mentionnera :
1° Le régime majoritaire est
peu rationnel parce qu'il peut amener l'élection d'un Parlement qui ne
soit pas l'image fidèle du pays. Avec un semblable système, on ne peut
pas dire que les lois en France soient l'expression exacte de la volonté
du pays. On éviterait cet inconvénient avec la représentation proportionnelle
des minorités. La Chambre serait une image fidèle du pays politique et
la volonté qu'elle exprimerait correspondrait exactement à la volonté
du pays.
2° La représentation proportionnelle
augmente le pouvoir électoral de chaque citoyen, puisque sa voix compte
même s'il fait partie de la minorité; elle tend donc à diminuer le nombre
des abstentionnistes, très considérable avec le système majoritaire,
parce que l'électeur de la minorité préfère souvent s'abstenir que
d'émettre un vote stérile, qui ne peut en rien changer le résultat du
scrutin. Il sera encouragé à voter sous un régime qui assurera à son
vote une réelle valeur.
Des objections peuvent aussi être soulévées
:
1° On a dit que la représentation
proportionnelle était incompatible avec le régime parlementaire, parce
qu'elle aboutissait à l'émiettement et au morcellement des partis et
entraînait par voie de conséquence l'instabilité des ministères.
2° On ajoute que les systèmes de représentation
proportionnelle ou bien sont trop simples et alors ils donnent des résultats
médiocres, ou bien ils sont trop compliqués et alors ils présentent
des difficultés d'application presque insurmontables.
Différents systèmes de vote majoritaire
ont été proposés.
• Système du vote limité.
- Chaque électeur ne peut voter que pour un nombre de députés inférieur
a celui des députés à élire dans la circonscription, par exemple 4
sur 6; de cette façon la majorité ne pourra, faire passer que quatre
candidats; les deux autres sièges seront réservés à la minorité. Ce
système soulève plusieurs objections : d'abord il a le tort de fixer
à l'avance d'une façon empirique la proportion entre les représentants
de la minorité et ceux de la majorité. Et puis, si la majorité est nombreuse
et disciplinée, elle peut réussir à ne laisser passer aucun candidat
de la minorité.
• 2° Système du quotient électoral
ou système de Hare. - On doit regarder comme élu tout candidat qui
réunit un nombre de voix égal au quotient obtenu en divisant le nombre
des électeurs par celui des députés à élire. Ainsi, soit 3 députés
à élire, dans une circonscription déterminée, et 90.000 électeurs;
le quotient électoral est 30.000. Tout candidat
qui obtiendra ce nombre de voix sera élu.
Chaque électeur inscrit sur son bulletin
de vote autant de noms qu'il y a de députés à élire dans l'ordre de
ses préférences, chaque liste ne devant servir que pour élire un député.
On porte au nom du candidat Primus tous les bulletins qui portent son nom
en tête; quand il a obtenu le quotient électoral, on s'arrête et on
attribue à Secundus tous les bulletins où il est nommé, soit le premier,
soit le second après Primus; on s'arrête lorsqu'il a obtenu le quotient
électoral et ainsi de suite. Cela suppose que chaque parti vote pour les
mêmes candidats dans le même ordre.
• Système du vote cumulatif
ou cumulé. - Il est ou a été appliqué au
Portugal,
au Chili, dans l'Illinois
et dans l'Ohio. Chaque électeur a autant de
voix que de députés à élire; et il peut reporter toutes ses voix sur
la même personne. De cette façon la minorité peut faire passer un certain
nombre de candidats. On peut seulement craindre que la majorité employant
la même tactique ne parvienne tout de même à vaincre la minorité.
• Système des listes concurrentes
ou du diviseur commun ou système d'Hondt. - Ce système est très
compliqué. On commence par constater le nombre de voix obtenu par chaque
liste. Puis, on divise chacun de ces nombres par les chiffres 1, 2, 3,
etc., autant qu'il y a de listes concurrentes. On relève ensuite les quotients
les plus forts obtenus en nombre égal au nombre des sièges à pourvoir.
Le quotient le plus faible obtenu forme le diviseur électoral commun.
Chaque liste va avoir autant de députés élus que ce quotient entre de
fois dans le nombre de voix obtenu par chaque liste.
Exemple : soit 38.000 électeurs et 3 listes
concurrentes A. B. C. et députés à élire. A obtient 24.000 voix;B,
11.000; C, C 3.000. On divise chacun de ces nombres successivement
par 1, 2, 3, on obtient :
A : 24.000
- 12.000 - 8.000;
B : 11.000 - 5.500 - 3.666;
C : 3.000 - 1.500
- 1.000.
On prend les quatre quotients les plus forts
: 24.000, 12.000,
11.000, 8000. C'est ce dernier chiffre 8000
qui forme le diviseur électoral commun. Chaque liste aura autant de députés
que ce chiffre sera contenu de fois dans la somme de voix obtenues. Donc,
A aura 3 députés, B 1 député la liste C n'en aura pas.
6° Le vote obligatoire. - C'est un
système qui oblige l'électeur à remplir son devoir électoral, sous
la menace d'une peine. Le but est de combattre les abstentions et de contraindre
l'électeur à s'intéresser à la direction des affaires politiques du
pays. On a soulevé différentes objections contre ce système :
1° On a dit : l'électeur a un
droit dont il peut user ou ne pas user à sa fantaisie;
2° On ajoute que si l'électeur ne vote
pas, c'est tantôt parce qu'il estime ou bien que son bulletin n'empêchera
pas son candidat d'être battu ou bien est inutile à son candidat qui
sera élu de toute façon. Le vote obligatoire en pareil cas ne changerait
rien au résultat;
3° Enfin on a dit : il est impossible
d'appliquer des sanctions pénales à des millions d'électeurs.
Quoi qu'il en soit, le système du vote obligatoire
fonctionne en Belgique depuis 1893.
Le suffrage restreint.
Faisant antithèse au suffrage universel,
le suffrage restreint est le système électoral qui exclut du droit de
vote toute une catégorie de citoyens pour en laisser l'exercice exclusif
à une élite particulière.
Ses
différents éléments.
Le suffrage restreint a fonctionné en
France de 1789 à 1848, et, pendant cette longue période de temps, la
limitation du suffrage est résultée de trois causes principales : la
fortune, l'instruction, l'état de dépendance de l'individu.
• La fortune. - L'idée
odieuse qui sert de base à cette limitation du suffrage est que ceux qui
n'ont pas de biens et qui ne paient pas d'impôts ne sont pas intéressés
à la bonne administration des affaires publiques.
Ainsi, d'après la Constitution de 1791,
pour être électeur au 1er degré, il
fallait payer un impôt équivalent à trois journées de travail, et pour
être électeur au 2e degré, il fallait
être propriétaire, usufruitier, métayer, ou locataire d'un immeuble
d'un revenu de 100 à 400 journées de travail, suivant les localités.
Le décret du 14 août 1792 n'exige plus
aucune condition de cens, ni au 1er degré,
ni au second. Seulement, pour être électeur, il fallait vivre de son
revenu ou du produit de son travail. Le suffrage devenait ainsi presque
universel.
La Constitution de 1793 maintint l'abolition
du cens électoral. Mais il fut rétabli par la Constitution de l'an III.
Pour être électeur au 1er degré, il
fallait payer une contribution directe, si minime qu'elle fuit ; pour être
électeur au 2e degré, il fallait être
propriétaire, usufruitier, métayer ou locataire d'un bien foncier, sans
valeur déterminée.
Sous le Consulat
et sous l'Empire il n'y eut
plus de cens électoral. Il reparut et fut très élevé sous la Restauration
et sous la Monarchie de juillet
qu'on appelle pour ce motif la période censitaire.
D'après la loi de 1817, pour être électeur
il fallait payer 300 francs de contributions directes. La loi du mois d'avril
1831 réduisit le cens à 200 francs et même à 100 francs pour les membres
et pour les correspondants de l'Institut.
Supprimé par le décret du 5 mars 1848,
le cens fut momentanément rétabli, sous une forme déguisée, par la
loi du 31 mai 1850. Mais il a été définitivement aboli, en 1851, sur
l'initiative du Prince-Président.
• L'instruction. - La restriction
du droit de suffrage pourrait tenir au défaut d'instruction des individus.
On part de cette idée, émise par Stuart Mill,
que, pour exercer une influence sur la direction des affaires, il ne faut
pas être illettré.
On en a trouvé quelques applications dans
les législations des Etats-Unis. Dans l'Etat du Massachusetts,
l'électeur devait pouvoir lire trois lignes de la Constitution et pouvoir
écrire son nom; dans l'État du Mississippi,
l'électeur devait savoir lire une partie de la Constitution, la comprendre
quand on la lisait devant lui et pouvoir l'interpréter convenablement.
• L'état de dépendance. - En
vertu de cette considération que l'électeur doit être libre pour pouvoir
voter, les diverses Constitutions de la période révolutionnaire, même
celle de 1793, excluaient les domestiques du droit de suffrage. Cette exclusion
a disparu pour toujours en 1848. Cependant la loi municipale du 5 avril
1884 les déclarait encore inéligibles au conseil municipal (art. 32).
Forme moderne du
gouvernement direct. Le référendum.
La forme moderne la plus usitée du gouvernement
direct est le référendum. Le référendum est le système consistant
à consulter le peuple sur les résolutions prises ou à prendre par l'assemblée
législative.
Diverses
sortes.
On peut imaginer plusieurs espèces de
référendum :
1° On peut poser au peuple la
question de savoir s'il y a lieu de réviser la constitution en vigueur.
Le référendum vise alors une loi à intervenir dans la suite; on l'appelle
référendum consultatif;
2° On peut consulter le peuple au sujet
d'une loi déjà votée par le pouvoir législatif; le référendum s'appelle
alors référendum législatif. Le référendum législatif peut
affecter trois formes différentes : il peut être obligatoire, facultatif
ou consister dans un simple droit de veto populaire.
• Le référendum obligatoire
consiste à soumettre toutes les lois votées par l'assemblée législative
à la ratification populaire. C'est le système préconisé par J.-J. Rousseau,
au nom du principe de la souveraineté nationale.
• Le référendum facultatif laisse
au peuple la faculté de demander, pendant un certain délai, qu'une loi
votée par les assemblées législatives soit soumise à l'approbation
populaire. Si cette demande n'a pas eu lieu dans ledit délai, la loi est
exécutoire de plein droit.
• Avec le système du veto populaire,
la loi votée par les assemblées législatives est immédiatement obligatoire;
mais, dans un délai déterminé, le peuple peut émettre un vote tendant
à son abrogation. (R. Foignet).
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