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L'aristocratie
Les titres nobiliaires
L'aristocratie La noblesse Les titres nobiliaires
La notion de ce que nous entendons aujourd'hui par titres nobiliaires n'apparut qu'au Moyen âge. Les dénominations de kchatryas, d'eupatrides, de patriciens, par exemple, ne s'appliquaient qu'à des classes, sans que les individus qui les composaient fussent hiérarchisés entre eux par des appellations spéciales. Cette distinction des membres d'une même caste est l'oeuvre de la féodalité, et ce sont ses souvenirs qui vivent encore dans les titres nobiliaires. A l'origine n'existèrent que les titres de comte et de duc, nés sous la décadence romaine et repris par les peuples qui avaient envahi l'Empire. Les compagnons du roi, les chefs militaires, se qualifièrent ainsi dès la dynastie carolingienne, quand eurent disparu les mots de leudes et d'antrustions. Placés à la tête de provinces, leur rôle était le même, consistant à administrer leur territoire, à le défendre contre l'envahisseur, à en lever les combattants pour suivre le roi à la guerre.

Plus tard, et quand déjà la féodalité s'était organisée, ceux qui étaient aux frontières ou marches furent appelés marquis, tels les ducs et marquis de Lorraine, les marquis de Provence. Le comte eut sous lui des vicomtes. Quant au titre de baron, qui signifiait l'homme par excellence, il ne s'appliqua d'abord qu'aux plus hauts personnages féodaux. Le chevalier était celui qui avait reçu l'ordre de la chevalerie, et l'écuyer, non noble à l'origine, portait, l'écu du chevalier en attendant qu'il le devint à son tour. Mentionnons aussi le châtelain, qui s'explique de lui-même, et les titres désuets de vidame et d'avoué portés par les représentants temporels d'un évêque ou d'un abbé. Le roi de France était avoué de Saint-Denis, et l'oriflamme n'était que la bannière de cette abbaye. D'autres titres existèrent encore, issus de caprices ou de dialectes locaux : ainsi les satrapes d'Anduze, les captals de Buch.

Nous avons mis à part le titre de prince, parce qu'il n'avait pas d'existence légale en France, sauf pour les membres de la maison royale. Comment se fait-il donc qu'il existe un certain nombre de ces titres en France? Cela tient à plusieurs causes :

1° Quelques seigneurs voulurent ainsi rappeler que leur domaine avait été autrefois un alleu ou une sirerie, termes vite éteints, qui n'eurent pas le temps d'être classés, mais qui avaient indiqué de puissants droits féodaux. 

2° Les terres apportant ces titres étaient d'anciens territoires de l'Empire, où ils existaient régulièrement. Ce furent aussi des concessions impériales à des seigneurs français. 

3° Reconnaissance d'ancienne origine souveraine : les Rohan étaient considérés comme princes étrangers, en vertu de leur descendance des rois de Bretagne

4° Les princes d'origine royale firent précéder de ce titre des noms de terres leur appartenant et se qualifièrent princes de La Roche-sur-Yon, de Léon, de Condé, etc. Ensuite il arriva que certains de ces domaines passèrent à d'autres familles qui, indûment, leur conservèrent les titres sous lesquels ils étaient connus, et s'en parèrent. Ainsi le titre de prince de Carency, né dans la maison de Bourbon, était porté en 1789 par un Quélen-Estuer de Caussade de la Vauguyon.

C'est ici le lieu de faire remarquer qu'aucune terre titrée, cessant d'appartenir à la famille en faveur de laquelle elle avait été érigée en duché, marquisat, comté, etc., ou qui avait fondé ce titre aux premiers temps de la féodalité, n'apportait sa qualification à son nouveau possesseur, et que celui-ci ne pouvait se dire que seigneur de tel marquisat, par exemple à moins de nouvelle concession royale. Tel était le principe; hâtons-nous de dire qu'il ne fut presque jamais appliqué, sauf pour les duchés. Les duchés, comtés et marquisats furent d'abord sur le pied d'égalité. Le comte de Toulouse et marquis de Provence valait, à l'un comme à l'autre titre, le duc de Bretagne ou le duc de Normandie. Des vicomtes aussi étaient très puissants. Le vicomte de Béziers, vassal du comte de Toulouse, n'était pas inférieur en puissance aux comtes de Foix ou de Comminges. Mais des comtes ou des ducs seuls étaient pairs de France. Le titre de vicomte pâtissait donc d'une infériorité évidente que le mot, même, vice-comes, indiquait. 

Quant à celui de baron, après avoir d'abord, comme nous l'avons dit, été l'appellation générique des grands vassaux (on lit partout : le roi et ses barons), il commençait à se spécialiser à de moindres, mais pourtant puissants seigneurs féodaux. Tels les barons de Montmorency. Cet état de choses subsista, au moins en façade, jusque vers la fin du Moyen âge. Mais les titres ne correspondaient déjà plus à leur autorité passée. Gaston de Foix, duc de Nemours, ne valait déjà plus, féodalement, un ancien vicomte de Béziers. Les rois s'étaient mis à donner des titres, encore établis solidement sur des terres, certes, mais déjà dépourvus de leurs plus hautes prérogatives. Et puis certaines de ces concessions les avaient avilis : Olivier le Daim avait été vicomte de Meaux.

Louis XII érigea le premier une terre en marquisat. Ce fut François Ier qui donna l'exemple de créer duchesse une favorite, Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes. Tout bon gentilhomme pouvait se qualifier baron de sa terre, sans même autorisation royale. Henri III, qui fit ducs deux de ses mignons, songea à établir un ordre parmi les titres, et un arrêt du Conseil privé du 10 mars 1578 délimita les conditions nécessaires pour aspirer aux uns ou aux autres. Pour qu'une terre fût érigée en châtellenie, elle devait jouir d'ancienneté de la haute, moyenne et basse justice; la baronnie serait composée pour le moins de trois châàtellenies; le comté formé de deux baronnies et de trois châtellenies, ou bien d'une baronnie et de six châtellenies, le tout tenu du roi; le marquisat de trois baronnies et de trois châtellenies, ou de deux baronnies et de six châtellenies. 

C'est de cet arrêt que date la classification des titres nobiliaires, et c'est à partir de cette époque que l'on vit éclore la profusion de titres qui dure encore de nos jours, même si elle n'a plus aucun caractère officiel. Non pas que les rois les prodiguassent, mais les nobles, voyant leurs droits établis à telle ou telle qualification, s'en emparèrent, dédaignant presque toujours la concession royale. Le souverain, devant la noblesse manifeste des usurpateurs, laissa faire, et, jusqu'à la fin de la monarchie, l'on peut dire que tout véritable gentilhomme put se titrer marquis, comte, vicomte ou baron, suivant l'importance de ses terres, d'abord, ensuite selon son bon plaisir. 

Quand furent institués les honneurs de la cour; même, quiconque avait justifié d'une suffisante lignée d'aïeux pour les obtenir était invité, s'il ne possédait pas de titre, à en prendre un sous lequel il serait désigné. Chacun choisit donc à son gré, parfois sans se conformer à l'arrêt de Henri III, et l'on vit tel fils, dont le père s'était titré baron ou comte, se faire appeler marquis. Ces titres étaient personnels et non transmissibles; c'étaient des titres de courtoisie. Mais il était trop tentant pour le fils de continuer le titre paternel! Nul n'y manqua, et c'est de cette source que nous viennent, à présent, la plupart des meilleurs titres modernes. Usurpation, soit; mais il faut considérer qu'un gentilhomme, établissant deux, trois ou quatre cents ans de noblesse, ne pouvait sembler inférieur à un anobli qui venait d'acquérir, à beaux deniers comptants, un marquisat. 

Pour juger une époque, il faut la vivre par la pensée. Les titres conférés par l'autorité royale à des parvenus justifièrent les usurpations des nobles de vieille lignée, et les rois le comprirent si bien que jamais ils n'inquiétèrent un de ceux-ci pour s'être attribué un titre. Ils le consacrèrent même en donnant, dans leurs lettres, à ceux à qui ils écrivaient, le titre pris sans autorisation.

Donc, aux deux derniers siècles de la monarchie, deux origines de titres : ceux qui étaient concédés par la faveur du souverain, le plus souvent à des roturiers enrichis, et ceux que prenait la vraie noblesse, de sa propre autorité, comme par un droit.
Le titre de duc, pourtant, était hors d'atteinte; le roi seul pouvait le donner, et il brillait d'un éclat qui n'en permettait pas l'usurpation. Mais il avait ses degrés on était duc et pair, ou duc non pair, ou duc à brevet. Les deux premiers termes n'ont pas besoin de commentaires : on avait ou on n'avait pas le siège au Parlement; mais tous deux étaient héréditaires. Quant au troisième, il signifiait que celui qui en était pourvu n'avait qu'un titre personnel, non transmissible; et comme le nombre des ducs fut toujours, en somme, très restreint, la continuation d'une telle qualification par le fils, sans l'aveu du souverain, était impossible. 

Les titres de chevalier, d'écuyer, mentionnés plus haut dans la hiérarchie féodale, étaient devenus, à la fin de la monarchie, de simples synonymes du mot noble, usité aussi à leur place ainsi que la dénomination de messire, mais noble ou messire étaient moins probants; tandis que l'on devait justifier de cent ans de noblesse pour se dire chevalier et que tout noble était au moins écuyer. On avait porté aussi autrefois les titres de damoiseau, donzel ou daudet, qui signifiaient un gentilhomme n'ayant pas encore reçu l'ordre de la chevalerie.

La Révolution avait aboli les titres nobiliaires; l'Empire les rétablit en partie. Napoléon ler créa des princes, supérieurs dans sa hiérarchie aux ducs, des ducs, des comtes, des barons et des chevaliers. Pour leur maintenir une respectabilité, un majorat, c.-à-d. une rente inhérente au titre, devait être constitué en faveur du fils aîné qui continuerait le titre. Ceux de marquis et de vicomte ne devaient plus exister. Napoléon ler créa 9 princes, 32 ducs, 388 comtes, 1090 barons et un grand nombre de chevaliers. 

A la Restauration, l'ancienne noblesse reprit ses titres, la nouvelle conserva les siens. Mais, pour laver de la tare impériale tels comtes ou barons, par exemple, Louis XVIII les fit marquis ou vicomtes. Sous son règne et celui de Charles X, il fut créé 17 ducs, 70 marquis, 83 comtes, 62 vicomtes, 215 barons, et 785 anoblissements qui devaient conférer, par conséquent, le titre d'écuyer.

Le 17 avril 1832, Louis-Philippe fit supprimer l'article 259 du Code pénal qui condamnait les usurpateurs de titres; et la loi du 12 mai 1835 interdit les majorats. C'était laisser les titres à qui les voulait. Par une inconséquence bizarre, ce roi, qui tendait à leur avilissement, créa 3 ducs, 19 comtes, 17 vicomtes et 59 barons. 

La République de 1848 interdit tous titres nobiliaires; mais Napoléon III les rétablit et en défendit l'usurpation. Sous son règne furent créés ou substitués 12 ducs, 19 comtes ou vicomtes, et 21 barons. 

La République de 1870 ne se donna pas la peine d'abolir les titres ni d'en créer. Elle les tolèra. Les lois du second Empire subsistèrent, mollement appliquées. Le principe, basé strictement sur l'état civil, était que nul n'avait le droit de prendre un titre s'il n'est inscrit sur son acte de naissance.

Ajoutons un mot pour terminer. Il n'a jamais été régulier que les fils aînés, cadets, puînés prissent des titres inférieurs à celui de leur père. Seuls, les aînés des pairs de France y furent autorisés.

Nous n'avons parlé que des titres français; mais les mêmes ou d'analogues (landgraves, margraves, etc.) furent portés dans les autres pays d'Europe et passèrent dans leurs colonies. Notons toutefois ceux de baronnet en Angleterre, de magnat en Hongrie, de boïard en Russie; signalons les nombreuses familles princières russes, en vertu de leur descendance des chefs varègues Rurik et Guédémine, et les princes italiens provenant moins encore des anciens seigneurs d'un territoire très divisé que de tous les neveux des papes qui furent décorés de cette qualification. 

Ne quittons pas l'Europe, pour ne pas nous laisser entraîner trop loin; mais constatons que les Etats occidentaux n'ont pas eu la spécialité des titres, en voyant, dans la Turquie ottomane ceux d'effendi de bey et de pacha. (V. d'Auriac).

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