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Voyage du jeune
Anacharsis en Grèce, par l'abbé
Barthélemy. - Voyage fictif composé
par J.-J. Barthélemy pour servir de cadre à un tableau de
la Grèce ancienne
dans le milieu du IVe siècle avant
J.-C.; il commence quelques années avant la naissance d'Alexandre
le Grand, et finit à l'époque où Philippe
de Macédoine
a dompté toutes les petites républiques grecques. L'auteur
suppose qu'un jeune Scythe, descendant du philosophe
Anacharsis,
curieux de connaître les Grecs et de s'instruire dans leur civilisation,
vient se fixer à Athènes, d'où
il fait plusieurs voyages dans les provinces voisines, observant partout
les moeurs et les usages des peuples, assistant à leurs fêtes,
étudiant la nature de leurs gouvernements; quelquefois consacrant
ses loisirs à des recherches sur les progrès de l'esprit
humain; d'autres fois, conversant avec les grands hommes qui florissaient
alors, tels qu'Epaminondas, Phocion, Xénophon,
Platon,
Aristote,
Démosthène,
etc. Dès qu'il voit la Grèce asservie par Philippe, il retourne
en Scythie, après une absence de 22 ans environ, et rédige
son voyage.
Cette composition, très ingénieuse,
est en même temps une grande oeuvre d'érudition, car Barthélemy
en a puisé les faits et jusqu'aux moindres détails dans tous
les auteurs de l'Antiquité
grecque et latine, et ses autorités sont citées au bas des
pages de son texte. Au point de vue de la science, de l'étendue
et de l'exactitude des recherches, l'ouvrage ne laisse rien à désirer,
surtout pour l'époque où il fut fait; mais le plan et l'exécution
ont essuyé d'assez graves critiques : on a reproché au plan
de n'être qu'une fiction, où sont introduits quelques personnages
imaginaires qui n'ont et ne pouvaient avoir aucun intérêt
à côté des personnages historiques mis en scène;
la donnée acceptée, l'auteur n'en a pas tiré tous
les avantages qu'elle devait produire.
"Ce
plan, dit Villemain, ce n'est pas une
analyse, ce n'est pas un récit, c'est l'imitation de la vie, la
traduction littérale, pittoresque de tout ce que le spectacle de
la Grèce aurait donné d'émotions et d'idées
à un contemporain. Barthélemy
s'était donc imposé à lui-même cette vivacité
de coloris, ce naturel dans les détails, cette expression du moment
dont je lui reproche d'avoir manqué."
Avant Villemain,
on avait déjà remarqué que dans l'Anacharsis la peinture,
soit des scènes vivantes, soit des sites ou des monuments, bien
qu'exacte, manquait d'animation, de vérité, de couleur locale;
c'était sans doute un peu le défaut du temps, qui ne comprenait
rien à l'Antiquité ,
et que l'auteur crut lui faire goûter en l'accommodant en contemporaine;
c'était aussi, il faut bien le dire, la faute du tempérament
de Barthélemy : il n'avait pas visité
la Grèce ,
où l'amour de son sujet aurait dû le conduire, et son imagination
était trop calme pour suppléer par une intuition de génie
à tout ce que la vue même des lieux lui aurait pu inspirer.
Enfin, Barthélemy commença son ouvrage à 47 ans et
le finit à 72 ans, et peut-être faut-il chercher encore dans
ces dates l'origine de plusieurs des défauts dont nous venons de
parler. Malgré tout, le Voyage d'Anacharsis n'en reste pas
moins un livre digne de la plus haute estime :
"On
ne pourra facilement l'égaler, et moins encore le faire oublier",
dit encore Villemain, avec autant de justesse que de justice.
Cet ouvrage d'une placide beauté parut
en 1788, Paris, 4 vol. in-4° et atlas;
il fut accueilli avec une sorte d'enthousiasme; pendant un demi-siècle
il a été très souvent réimprimé, et
on l'a traduit à l'étranger. S'il est aujourd'hui moins populaire,
il garde et gardera toujours un haut rang parmi les meilleures oeuvres
françaises d'érudition solide et de littérature élégante
et sérieuse. (D.).
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En
bibliothèque - Villemain,
Tableau
de la littérature au XVIIIe siècle, 42e leçon. |
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