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Littérature > La France  > Le Moyen âge > La littérature bourgeoise et satirique
La littérature française médiévale
Le Roman de Renart
Le roman de Renart est un poème allégorique et satirique fort célèbre au Moyen âge. Les héros en sont Renart ou Goupil (le renard) et Isengrin ou Ysengrin (le loup), en qui se personnifient la ruse et la force. Autour d'eux se meut tout un monde, qui est l'image du monde féodal avec sa hiérarchie, ses castes, ses préjugés, ses moeurs et ses lois : le roi Noble, le lion, et dame Orgueilleuse, se femme; Brun, l'ours, et Beaucent, le sanglier, conseillers du roi; l'archiprêtre Bernart, l'âne; Braiant, le taureau; le bon sire Belin, le mouton; Tardieu, le limaçon, brillant et preux chevalier; Roonel, le mâtin "qui sait de plusieurs latins," un vieux routier; l'abbé Damp Petit-pas le paon; Chanteclair, le coq; frère Tybert, le chat; frère Hubert, l'escouffle (le milan), confesseur; dame Hersent, la louve, épouse d'Isengrin; Hermeline, la femme de Renart; le juge Brichemer, le cerf; Grinbert, le blaireau, parent de Renart; dame Ragueneau, la guenon, vieile plaideuse, également parente de Renart; dom Espinart, le hérisson; le page Rossel, l'écureuil; les huissiers (portiers) Wankez, le geai, et Urediel, le perroquet; Martin, le singe, le jongleur, etc.
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Le Lion Noble et sa cour.
Le lion Noble et sa cour.

Le commencement du drame est la séduction de dame Hersent par Renart. Isengrin porte plainte devant le roi Noble, qui ne semble pas disposé à donner suite à l'affaire. Après un débat auquel prennent part Brun et Grinbert, après que dame Hersent a protesté de son innocence à la grande édification de Bernart, tout va s'arranger; mais Chanteclair et dame Pinte (la Poule) viennent à leur tour accuser Benart, qui a tué la soeur de dame Pinte. Renart est condamné au gibet : on l'y traîne, et c'est à qui insultera le plus à son malheur, d'ailleurs mérité. Tremblant à l'aspect de l'instrument du supplice, il implore la grâce d'aller en pèlerinage à Jérusalem : le roi refuse d'abord, puis consent, et le vaurien échappe au châtiment. Retombé entre les mains de la justice, la reine s'interpose, et le sauve encore. 
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Renart et les anguilles

[Renart fait le mort, le long d'une haie. Passent deux hommes qui portent sur une charrette des paniers de poisson; ils aperçoivent le goupil, le ramassent, le placent sur les paniers. Renart tout doucement mange des harengs; puis il se passe au cou plusieurs colliers d'anguilles, et s'enfuit, en se moquant de ses dupes.]

« Renart s'accroupit sur le chemin... Là il attendra quelque aventure. Voici qu'arrivent à grande allure des marchands qui menaient du poisson et qui venaient du côté de la mer. Ils avaient des harengs en abondance, et beaucoup d'autres poissons, grands et petits, dont leurs paniers étaient garnis. Or, écoutez comme Renart les trompe : il s'est couché sur la route, étendu de tout son long sur le gazon, et il fait le mort. 

Renart qui trompe tout le monde, ferme les yeux et serre les dents; puis il retient son souffle.  Vous n'entendites jamais raconter pareille trahison! D'abord les marchands ne prenaient pas garde à lui. Puis le premier le vit, le regarda, et appela son compagnon : « Vovez, là, un goupil, ou un chien! » L'autre le vit, et s'écria : « C'est un goupil! va, prends-le, va! mais fais bien attention à ce qu'il ne t'échappe ! »... 

Quand ils furent près de Renart, ils trouvèrent le goupil couché sur le clos : ils l'ont retourné de tous les cotés, ils lui ont pincé le cou, puis la côte. L'un dit : « Il vaut quatre sous ». L'autre dut : « Il vaut davantage, il vaut bien au moins cinq sous. Nous ne sommes pas trop chargés, mettons-le sur notre charrette; voyez comme il a la gorge blanche et nette. » A ces mots, ils l'ont chargé sur la charrette, et ils se sont remis en route. Ils se félicitent l'un l'autre, et se promettent, dès qu'ils seront chez eux, de l'écorcher. 

Mais Renart n'en fait que sourire : il y a loin entre faire et dire! Il est étendu le menton sur les paniers; il en a ouvert un avec les dents, et il a dévoré plus de trente harengs, sans avoir besoin de sel ni de sauge. Mais avant de s'en aller, il veut encore jeter son hameçon. Il a attaqué l'autre panier, y a mis son museau, et en a retiré des anguilles. Il s'en est mis trois colliers autour du cou; il les a bien arrangés de manière à ce que les anguilles couvrent son dos. 

Maintenant il peut s'en aller. Il cherche comment il pourra sauter jusqu'à terre, car il n'a ni planche ni marche-pied. Il s'est agenouillé, puis un peu avancé, et il se lance des pieds de devant; de la charrette il tombe sur la route, avec sa proie autour de son cou. Quand il eut fait son saut, il cria aux marchands : « Dieu vous sauve! ces colliers d'anilles sont à moi; ce qui reste est pour vous! » Et quand les marchands l'entendirent, ils furent stupéfaits et s'écrièrent : « Voilà le noupil ! » Ils sautèrent de leur charrette, espérant prendre Renart. Mais celui-ci ne voulut pas les attendre : il partit à toute vitesse. » (Roman de Renart).

[Renart fait ensuite croire à Isengrin, le loup, qu'il a pêché ces anguilles, la nuit, sur un étang glacé, en laissant pendre sa queue dans un trou de la glace. Le pauvre Isengrin donne dans le piège; sa queue est prise par la gelée, et il est obligé d'en sacrifier la moitié pour échapper aux chasseurs. - A la fin, Renart sera forcé de comparaîre devant le tribunal de Noble le lion (voir extrait suivant); mais, quoique condamné, il trouvera le moyen d'échapper au châtiment.]

Après maintes aventures, Renart prie le hibou de recevoir sa confession, et celui-ci lui adresse un sermon, parodie de ceux des prêtres et des moines. Feignant d'être touché de componction, Renart saute sur son confesseur et l'étrangle. Tel est le sujet du Renart primitif, auquel ont été rattachés toutes sortes d'épisodes. La tendance générale de ce poème est la négation et la destruction de l'esprit chevaleresque; il montre la ruse triomphant partout du droit et de la force. Il raille non seulement les moeurs du moyen âge, mais souvent aussi ses croyances, enveloppant dans la même moquerie les sacrements, les miracles, les pèlerinages, les croisades les tournois, les cours plénières, etc.
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Roman de Renart en allemand.
Frontispice d'une version allemande du Roman de Renard.

Le Renart remonte beaucoup plus haut que les manuscrits qui nous en ont été conservés, et qui sont du XIIIe, du XIVe et du XVe siècle : plusieurs des fables qui furent mises en oeuvre par les trouvères appartiennent au VIIIe; mais on ne trouve pas avant le XIIe un document qui atteste l'existence du roman dans une langue quelconque. C'est à cette époque qu'il faut placer deux poèmes latins qui ont pour titres Isengrimus et Reinhardus, et qui paraissent avoir été composés en Flandre. Vers le milieu du même siècle, Heinrich de Glichesoere composa un Renart allemand, dont le texte n'existe plus, mais qui servit de modèle à d'autres poètes de la même nation. Enfin, dès les premières années du XIIe siècle, la tradition de Renart était populaire en France. L'idée même de Renart est-elle française ou germanique? Faute de savoir répondre on a longtemps dit qu'elle semblaient être née non loin du Rhin. Depuis on en a aussi identifié une version en Inde.

Ce vaste roman, dont l'ensemble ne forme pas moins de 80 000 vers, est divisé en une trentaine de branches, qui furent composées à diverses époques et par divers auteurs. Deux sont attribuées à Pierre de Saint-Cloud, qui écrivait au commencement du XIIIe siècle, une à Richard de Lison (village de Normandie), et une autre à un curé de la Croix-en-Brie. A la fable primitive les Trouvères ajoutèrent bientôt de nouveaux épisodes, comme Renart couronné, attribué par Méon à Marie de France, Renart le Nouvel par Jackemars Giélée, Renart le Bestourné par Rutebeuf, et Renart le Contrefait par un Trouvère champenois du XIVe siècle. 
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Ysengrin tire Renart du puits.
Renart se sauve d'un puits grâce à Ysengrin.

Les savants allemands qui cherchèrent les premiers l'origine de la fable de Renart y virent une allusion à certains événements accomplis dans leur pays. Eckhart au XVIIIe siècle, et Mone au XIXe siècle, ont supposé que le loup Isengrin était Zwentibold, fils de l'empereur Arnulf et roi de Lorraine, qui fut en guerre avec un ministre perfide nommé Reginarius (Reinhart, Renart), et issu, comme lui, du sang de Charlemagne. Cette hypothèse a été combattue par Raynouard dans le Journal des Savants (juillet 1834), et l'on s'accorde à voir dans le roman de Renart une peinture satirique de la société féodale. Noble lion, le roi, n'est pas toujours le maître dans ses États; Isengrin, le seigneur fort et brutal, est souvent battu par les ruses d'un ennemi moins vaillant et moins fort; Bernart, le baudet, c'est la patiente Église, qui vit en paix avec tout le monde, et l'on voit en lieu des luttes affreuses, des combats qui divisent et ensanglantent la terre. (H. D.).
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Cour plénière du Lion

« Le Lion, qui était le roi des animaux, résolut un jour de tenir cour plénière et lit de justice. Il convoqua au champ de mai une assemblée générale de tous les notables parmi ses sujets; il voulait connaître l'état de l'opinion dans son royaume et porter remède aux abus, partout où ils pouvaient s'être glissés.

Pour rendre la réunion plus brillante, il choisit, comme faisait Charlemagne, les premiers beaux jours du printemps, où les arbres se parent d'une verdure naissante, où la mélodie des oiseaux se réveille, où les campagnes se décorent de fleurs et se couvrent de pâturages. Il songeait qu'il lui serait plus facile alors d'héberger et de fêter les hôtes nombreux qu'il attendait.

Tous les personnages marquants du peuple animal se rendirent, grands et petits, à la convocation du roi; on y vit arriver Fiérapel, duc des léopards; Grosbrun, tribun des ours; Ysengrin, satrape des loups; Berfrid, cacique des boucs; Grimmo, dey des sangliers; Foiconder, khan des porcs-épics; Pancer, sultan des castors; Brunel, tribun des oies; Rearid et Brichemer, barons des cerfs; Baudoin, capitaine des ânes; Guter, prévôt des lièvres; Bertilienne, dame des chèvres, et une foule d'autres potentats. Tous les forts et tous les sujets de certaines classes étaient représentés.

Mais, il y avait les peuples sans droits, comme le canard, la souris, le pourceau et plusieurs autres, espèces d'ilotes qu'il était permis de manger.

Trigaudin le renard fut le seul des seigneurs qui ne parut pas. Depuis longtemps il avait joué à plusieurs des tours sanglants, au sujet desquels il redoutait des plaintes. Les accusations élevées contre lui furent si nombreuses dès le premier jour, qu'il n'aurait eu à l'assemblée que des adversaires, si le Blaireau, son neveu et son ami, n'eût entrepris de le défendre.

Le Loup, que les modernes nomment Glouton et que les vieux conteurs nomment Ysengrin, s'avança le premier au pied du trône et hurla ce qui suit :

« Sire, faites justice à un père malheureux; vengez-moi du Renard; je ne fatiguerai pas Votre Majesté du récit de tous les griefs que j'ai contre lui; on les connaît. Mais voyez comme il a traité mes enfants! Il les a défigurés à coups de dents et à coups de griffes, sous prétexte de façonner leur mine; et il est heureux qu'il 'ait fui ma colère dans son repaire de Maupertuis. »

Les petits du Loup faisaient en effet piteuse contenance, bigarrés qu'ils étaient des égratignures du Renard.

Courtois le Chien demanda la parole aussitôt :

« Puissant monarque, aboya-t-il, je me trouvai réduit, dans l'hiver dont nous sortons, au point de détresse de n'avoir plus qu'une pièce de gibier, que je me ménageais pour ma semaine. Le Renard me l'enleva; et pendant plusieurs jours j'ai dû souffrir les horreurs de la faim.

- Trigaudin n'est pas ici le seul coupable, miaula une voix qui s'éleva pour interrompre le plaignant. C'était Tybers le Chat, appelé aussi Moustache.

« Sire, continua-t-il en saluant le roi, ce que le Chien vient de rapporter a eu lieu à mon préjudice, quoique je n'en aie pas dressé plainte d'abord. La pièce de gibier était à moi, je l'avais prise sur la table d'un meunier endormi; Courtois s'aperçut de ma bonne fortune et me la vola. »

Ysengrin profita de cette altercation du Chat et du Chien pour revenir à la charge contre le Renard. « C'est, reprit-il, un scélérat qui aiderait à dépouiller le roi lui-même, s'il lui en revenait une cuisse de poulet. »

Le Loup voulait par cette insinuation animer le prince. Mais le Lion restait impassible, comme doit être un juge; et il paraissait disposé à écouter jusqu'au bout.

« Si les excès par lesquels Trigaudin se signale tous les jours ne sont pas châtiés, hurla encore le Loup, personne dans le royaume ne sera plus en sûreté. »

Le Lion se contenta de dire : « L'accusé a-t-il un défenseur? »

La reine Lionne siégeait à côté de son époux. L'expression de ses traits ne faisait rien préjuger non plus de son opinion personnelle. Le Blaireau, neveu du Renard, prit la parole :

« Il ne sied pas au Loup, dit-il, de venir ici accuser mon oncle. Si notre puissant monarque ordonnait que celui des deux qui a le plus offensé l'autre fût pendu au premier arbre, je ne sais trop ce qui arriverait à l'accusateur. »

[...] Le roi Lion, en conseil, ouvrit la délibération sur la procédure à intenter contre le Renard. Il fut résolu qu'on l'enverrait sommer de comparaître devant la cour. Un décret d'ajournement personnel fut expédié. Mais il fallait, pour une mission aussi délicate, un messager habile. Le monarque avisa un personnage qui passait pour expert en affaires, et qui réunissait, dit-on, la prudence et la force. On ajoutait qu'il était respecté par Trigaudin; on ne lui trouvait qu'un tort, c'est qu'il avait un peu de vanité. Ce personnage était Bruyn, que les narrateurs français appellent Grosbrun l'Ours... » (Roman de Renart.).



Éditions anciennes - Le roman de Renart a été publié par Méon, Paris, 1826, 4 vol. in-8°; M. Chabaille a donné une édition avec Supplément, Paris, 1835, in-4°. Il existe un texte flamand du XIIe siècle, publié par J.-F. Willems, et traduit par Delepierre, Bruxelles, 1837. Un texte d'Henri d'Alkmaar en bas saxon a été reproduit, avec plus ou moins de fidélité, par Gottsched, Scheltema, Hofmann de Fallersleben, etc. Reinhardus a été édité par Mone, Stuttgard, 1832, et Isengrinus par Grimm dans son recueil du Reinhart Fuchs, Berlin, 1834. Le roman de Renart a servi de modèle aux Animaux parlants de Casti, et Goethe en a fait une élégante imitation dans un poème en 12 chants.

En bibliothèque - l'Histoire littéraire de la France, t. XXII; A. Rothe, Les romans de Renart examinés; analysés et comparés d'après les manuscrits les plus anciens, Paris, 1854, in-8°.

En librairie - Le Roman de Renart, Flammarion (GF), 1999, 2 vol. . 

Pour les plus jeunes : Le Roman de Renart, Gallimard, 2002. - Le Roman de Renart, L'Ecole des Loisirs (adaptation théâtrale), 2001. Anne-Catherine Vivet-Rémy, Le Roman de Reanart, Retz (para-scolaire), 2001. - François Crozat et Christian Poslianec, Le Roman de Renart (album, à partir de 8 ans), 1997.

Vessela Guenova, La ruse dans le Roman de Renart et dans les oeuvres de François Rabelais, Paradigme Publications universitaires, 2003. - Armand Strubel, La Rose, Renart et le Graal, la littérature allégorique en France au XIIIe siècle, Honoré Champion, 1989. - Jean Dufournet et Roger Dragonetti, Du Roman de Renart à Rutebeuf, Honoré Champion.

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Dictionnaire Le monde des textes
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