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Le Marchand de Venise
Pièce de Shakespeare
Le Marchand de Venise est une comédie de William Shakespeare, un de ses chefs-d'oeuvre (1596). 

L'aventure qui en fait le sujet est tirée d'un conte dont il est difficile de désigner la provenance; elle est racontée dans les Gesta Romanorum, dans le Pecorone, dans le recueil de nouvelles françaises intitulé Roger-Bontemps en bonne humeur; on la retrouve dans un conte persan, et l'histoire attribue à Sixte-Quint un jugement sévère contre un particulier qui avait fait avec un juif le fameux marché d'Antonio avec Shylock.

C'est dans le Pecorone sans doute que la lut Shakespeare, qui possédait à fond tous les novellieri italiens et qui a su en tirer un très grand parti. Portia, riche orpheline, est maîtresse absolue de sa main et de sa fortune. Cependant son père, avant de mourir, a fait placer dans un cabinet trois coffres de même dimension, l'un en or, le second en argent, et le troisième en plomb. Dans l'un d'eux se trouve le portrait de Portia; elle doit se marier avec celui qui aura la main assez heureuse pour choisir juste la cassette au portrait. De nombreux prétendants se sont déjà présentés, mais jusqu'à ce jour aucun n'a réussi. Un jeune Vénitien, nommé Bassanio, qui demeure fort loin, et qui a vu autrefois Porta, brûle du désir de tenter l'épreuve; mais sa fortune ne lui permettant pas d'entreprendre ce voyage, il s'adresse à son ami Antonio, qui, engagé dans des entreprises considérables, est obligé, pour rendre service à Bassanio, d'avoir recours à un juif nommé Shylock. 

Ce dernier, qui cherche à se venger de toutes les avanies que lui a fait subir Bassanio, consent à avancer la somme qu'on lui demande sans intérêt. Il exige pour seule condition qu'Antonio, auquel il fait cette avance, signe un engagement portant que, dans le cas où il ne rendrait pas au jour fixé la somme exprimée dans l'acte, il sera condamné à lui abandonner une livre de sa propre chair, que le juif coupera sur telle partie du corps qu'il lui plaira de choisir. Antonio, bien certain d'acquitter ce billet un mois avant l'échéance, s'engage en riant, et Bassanio s'embarque aussitôt pour venir retrouver l'objet de ses amours. Portia, qui n'est pas insensible à la passion du jeune Vénitien, apprend avec plaisir son arrivée, et, voulant le retenir auprès d'elle, l'engage à différer le moment de l'épreuve, car tout compétiteur s'oblige par serment à observer trois conditions : la première, de ne jamais révéler le coffre qu'il a choisi; la seconde, de ne jamais se marier, et la troisième de repartir sur-le-champ. Après mainte hésitation, Bassanio, inspiré par l'amour, choisit le coffre de plomb : c'est celui qui renferme le portrait tant désiré. Il est au comble du bonheur; Portia partage son ivresse, et, pour gage du sa foi; lui donne une bague que Bassanio jure de ne quitter qu'avec la vie. 

Une si grande félicité se trouve interrompue par l'arrivée d'un courrier qui apporte des nouvelles d'Antonio; tous les vaisseaux de cet infortuné sont perdus ou naufragés; il s'est trouvé hors d'état d'acquitter le billet qu'il avait fait à Shylock, et le juif réclame la stricte exécution des conventions signées entre eux, en cas de non-paiement. Vainement on lui offre le double, le triple même de la somme qui lui est due, il ne veut entendre parler de rien : l'échéance est passée, et il préfère la vengeance à l'argent. Bassanio, impatient de revoir son ami, se sépare à l'instant de Portia et part pour Venise. Il arrive au moment où le tribunal assemblé se trouvait forcé de reconnaître les droits de Shylock; le président n'attendait plus que la réponse du docteur Bellario, le plus grand jurisconsulte de Padoue, consulté au sujet de cette affaire. C'est alors qu'on introduit à l'audience un jeune avocat, porteur d'une lettre de Bellario et chargé de faire connaître sa décision. Le jeune médiateur, après avoir par tous les moyens vainement cherché à ramener le juif à des sentiments plus humains, prononce un jugement ainsi conçu :

"Juif, une livre de la chair de ce marchand t'appartient, la cour te l'adjuge etla loi te la donne. De plus, tu dois couper cette chair sur son sein, la loi le permet et la cour te l'accorde. Mais le billet ne t'accorde pas une goutte de sang; les termes sont exprès : une livre de chair. Prends donc ce qui t'est dû, prends ta livre de chair. Mais si, en la coupant, tu verses une seule goutte de sang chrétien, les lois de Venise ordonnent la confiscation de tes terres et de tes biens au profit de la République; bien plus, si la balance penche de la valeur d'un cheveu; tu es mort !"
Le juif, accablé par cette sentence, consent à tout ce que l'on exige de lui, et Bassanio, plein de reconnaissance pour le jeune avocat qui a sauvé son ami, lui donne la bague de Portia, seul gage d'amitié qu'il consente à recevoir. Au cinquième acte, tous ces personnages sont réunis à Belmont, dans la maison de Portia, qui tourmente Bassanio au sujet de cette bague qu'il ne devait quitter qu'avec la vie, et que cependant il a donnée à un inconnu; mais elle met fin bientôt à la confusion de son amant en lui apprenant que c'est elle qui a pris le costume de docteur. Elle annonce, en outre, à Antonio que trois de ses vaisseaux sont rentrés dans le port, qu'il est redevenu riche, et tout le monde se réjouit de cette succession d'événements heureux et imprévus.

Les péripéties romanesques de la pièce, les amours de Bassanio et de Portia, le déguisement de celle-ci en docteur, ont ce charme que Shakespeare savait répandre sur toutes ses créations amoureuses; la figure de Portia est exquise. Mais où le grand poète s'est surtout surpassé, c'est dans l'effrayant caractère de Shylock. Jamais la bassesse unie à lut perfidie n'a été rendue avec plus de force; jamais la haine ne s'est montrée plus hideuse. que dans ce personnage, si humble tant que l'échéance n'est pas arrivée, et qui se redresse, si arrogant et si cruel quand il croit enfin tenir dans sa main celui qui l'a outragé. C'est un des caractères qu'il a le plus profondément creusés.

Le Marchand de Venise a été élégamment traduit en vers par Alfred de Vigny; la meilleure traduction en prose est celle de François-Victor Hugo. (PL).

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