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Héraclius, de Corneille

Héraclius, empereur d'Orient, est une tragédie de Corneille, en cinq actes et en vers,  représentée pour la première fois à l'hôtel de Bourgogne à la fin de 1646 ou au début de 1647.

La question de l'originalité de Corneille a donné lieu à de nombreux débats. Plusieurs critiques, entre autres Voltaire, ont prétendu que Corneille avait emprunté son sujet à une pièce de Calderon' En esta vida todo es verdad y todo mentira (Dans cette vie, tout est vérité et mensonge). Les nombreux arguments invoqués par Voltaire sont sans grande valeur, et un critique moderne, Viguier, a démontré d'une façon à peu près irréfutable que l'oeuvre de Calderon, postérieure de dix-sept ans (1664) à Héraclius, a été inspirée par la tragédie française, à laquelle elle ressemble toutefois assez peu.

Corneille a trouvé son thème dans l'histoire de l'empire d'Orient, à laquelle il ne doit d'ailleurs que peu de chose. Il n'y a d'historique dans Héraclius que la succession des quatre empereurs : Tibère Constantin, Maurice, Phocas et Héraclius, et les noms des personnages. Tout le reste est romanesque. L'auteur a pris ici de très grandes, quoique légitimes, libertés avec l'histoire. Il a fait d'Héraclius, fils d'un préteur d'Afrique, le fils de l'empereur Maurice; il a prolongé le règne de Phocas de douze années et lui a donné un fils, Martian. L'héroïsme de la nourrice d'Héraclius n'avait pas eu de résultat, par suite de l'intervention de Maurice qui avait refusé ce sacrifice : Corneille fait de la nourrice une gouvernante et suppose que la substitution de son fils à celui de Maurice a eu réellement lieu. Enfin il prolonge de dix ans la vie de l'impératrice Constantine.

L'usurpateur Phocas a fait élever à sa cour, le croyant son fils, le fils de l'empereur Maurice, Héraclius, qu'il croit mort comme son père. En revanche, son véritable fils, Martian, a été élevé sous le nom de Léonce par Léontine, daine de la cour qui a préparé cette substitution pour perdre Phocas. Le tyran veut unir Héraclius (Martian) à Pulchérie, seule fille survivante de Maurice, et propre soeur d'Héraclius, pour porter dans sa maison le droit et les titres de l'empire et légitimer ainsi son usurpation. Héraclius, qui connaît le secret de sa naissance, s'efforce d'éviter cet hymen incestueux. Or Phocas finit par apprendre qu'Héraclius est à sa cour : celui qu'il croit être son fils et celui qui l'est réellement ne veulent l'être ni l'un ni l'autre, et tous deux revendiquent avec une égale obstination le nom d'Héraclius. C'est alors que le cruel Phocas, dans cette douloureuse anxiété, s'écrie :

O malheureux Phocas! Ô trop heureux Maurice! 
Tu recouvres deux fils pour mourir après toi,
Et je n'en puis trouver pour régner après moi!
Interrogée, Léontine refuse de répéter son secret et répond par le vers resté célèbre :
Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses (IV, iv).
De plus en plus indécis, Phocas cherche à obtenir un aveu d'Héraclius, qu'il croit malgré tout son fils, en ordonnant le meurtre de Léonce. Héraclius consent à se reconnaître fils de Phocas pour sauver son ami; mais lorsque Phocas veut lui faire épouser Pulchérie, il se révolte de nouveau. Enfin le meurtre de Phocas par Exupère, partisan d'Héraclius, vient dénouer la situation. Léontine révèle l'identité des deux princes à l'aide d'un billet que lui remit en mourant l'impératrice Constantine. Héraclius épouse Eudoxe, fille de Léontine, et donne sa soeur Pulchérie à Martian, qui conservera le nom de Léonce.

Tel est, brièvement résumé, le sujet de cette tragédie, si touffue qu'il est difficile de s'en faire une idée nette à la première représentation. Corneille lui-même avoue que « le poème est si embarrassé qu'il demande une merveilleuse attention ». Et il ajoute : 

« J'ai vu de fort bons esprits et des personnes les plus qualifiées de la cour se plaindre de ce que sa représentation fatiguait autant l'esprit qu'une étude sérieuse (Examen).- » 
En outre la reconnaissance ne sert en rien à dénouer la péripétie; mais cette tragédie renferme deux ou trois scènes extrêmement pathétiques, en particulier la scène où
Héraclius et Martian se disputent l'honneur de mourir sous le nom du fils de Maurice, devant Phocas désespéré de ne pouvoir reconnaître lequel des deux est son enfant. Elle est trop longue pour être citée tout entière. Contentons-nous d'en donner la fin, où Phocas gémit sur son incertitude (a. IV, sc. III) :
PHOCAS.
Hélas! je ne puis voir qui des deux est mon fils,
Et je vois que, tous deux, ils sont mes ennemis. 
En ce piteux état quel conseil dois-je suivre? 
J'ai craint un ennemi, mon bonheur me le livre; 
Je sais que de mes mains il ne peut se sauver, 
Je sais que je le vois et ne puis le trouver. 
La nature tremblante, incertaine, étonnée, 
D'un nuage confus couvre sa destinée;
L'assassin sous cette ombre échappe à ma rigueur, 
Et, présent à mes yeux, il se cache en mon coeur. Martian!
A ce nom aucun ne veut répondre, 
Et l'amour paternel ne sert qu'à me confondre; 
Trop d'un Héraclius en mes mains est remis, 
Je tiens mon ennemi, mais je n'ai plus de fils.
Que veux-tu donc, nature, et que prétends-tu faire? 
Si je n'ai plus de fils, puis-je encore être père? 
De quoi parle à mon coeur ton murmure imparfait? 
Ne me dis rien du tout, ou parle tout à fait.
Qui que ce soit des deux que mon sang ait fait naître, 
Ou laisse-moi le perdre, ou fais-le-moi connaître.
O toi, qui que tu sois, enfant dénaturé,
Et trop digne du sort que tu t'es procuré,
Mon trône est-il pour toi plus honteux qu'un supplice? 
O malheureux Phocas! ô trop heureux Maurice! 
Tu recouvres deux fils pour mourir après toi, 
Et je n'en puis trouver pour régner après moi. 
Qu'aux honneurs de ta mort je dois porter envie, 
Puisque mon propre fils les préfère à sa vie!
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