 |
Comme
l'indique l'étymologie, la littérature érotique (du latin eroticus;
du grec érôtikcos ; de érôs = amour)
a pour objet de peindre la passion amoureuse,
la part de sensualité et de volupté de l'amour, et non pas seulement,
si l'on peut s'exprimer ainsi, sa sentimentalité.
Il est assez difficile
en fait d'isoler absolument la littérature érotique et de la considérer
comme un genre à part. On n'y arrivera à peu près qu'en laissant de
côté tout poème de longue haleine, tel, par exemple, que l'épopée,
où le thème érotique ne se trouve qu'incidemment développé, tel encore
que la tragédie et le drame,
où il n'entre que comme ressort de l'action. La plupart du temps, on exclura
également des oeuvres moins longues, dont l'amour fait le sujet, mais
en y revêtant un caractère particulier : ainsi l'élégie,
l'églogue et l'idylle
(difficile d'écarter au demeurant plusieurs idylles de Théocrite,
la 2e églogue de Virgile,
la plupart des élégies de Tibulle, de Properce).
-
Frontispice
des Contes de La Fontaine.
Il est plus difficile
de tracer une ligne précise de démarcation entre la littérature érotique
proprement dite et la littérature qu'on a tour à tour appelée sotadique
chez les Anciens, sadique chez les modernes et pornographique
chez les contemporains. Bon nombre de contes
en vers du Moyen âge, les oeuvres de
Bertin, beaucoup de chansons,
pourraient y être rangés. Mais quel critère choisir pour tracer la limite
? Chaque époque, chaque culture, semble avoir le sien. Le Cantique
des cantiques ,
texte éminemment érotique, appartient à cette collection de livres religieux
qu'est la Bible ;
le Kama Sutra ,
dans une Inde qui peut être aussi
bien pudibonde, voit ses thèmes servir à l'ornementation de temples.
A l'inverse, Madame Bovary
se voit infliger un procès en obscénité. Et, aujourd'hui même, la page
que vous êtes en train de lire s'est vue interdite de publicité à cause
de son contenu jugé "trop adulte". La bêtise et l'inculture ne sont pas
d'une époque et d'un lieu.
La littérature érotique
tiendrait ainsi une sorte de milieu entre deux asymptotes : une littérature
purement sentimentale et désincarnée, absolument éthérée, et une littérature
idéalement pornographique où, à l'opposé, la sensualité et la sexualité
anéantiraient entièrement le sentiment amoureux aussi bien que le sujet
ressentant. L'obscène, le grivois, le polisson, le licencieux, le libertin,
le courtois, le galant, le voluptueux, le tendre, composeraient dans ce
vaste territoire une société hétéroclite, où chacun reconnaîtra peut-être
les siens.
En Grèce et Ã
Rome.
On peut faire rentrer dans la littérature
érotique de l'Antiquité tous les genres
secondaires, poésies légères, épigrammes,
romans, dont l'amour, sous ses différentes
formes, est le principal sujet. Cette définition exclut naturellement
les genres plus élevés où peut être célébré l'amour, tels que les
hymnes, les tragédies, les traités philosophiques.
En
Grèce.
En Grèce,
la littérature érotique est à la fois une forme dérivée de l'élégie
et une branche de la poésie lyrique. Les premiers représentants en sont
Alcman, Alcée, Sappho,
remplis d'une flamme ardente et sensuelle, et Anacréon
de Téos, au ton badin et spirituel.
-
A la bien-aimée
Il
me semble l'égal des dieux
Celui
qui de ta voix s'enivre,
Qui
lit son bonheur dans tes yeux,
Et
qui près de toi se sent vivre!
Ce
doux souris, quand je te vois,
Me
trouble!... Interdite, oppressée,
Sur
ma lèvre expire ma voix,
Et
ma langue reste glacée!...
Je
brûle!... Des feux inconnus
En
moi courent de veine en veine...
Je
n'entends rien... je ne vois plus...
Je
suis tremblante et sans haleine...
J'éprouve
une froide sueur...
Plus
pâle que l'herbe flétrie,
Je
ne sens plus battre mon coeur;
Je
n'ai plus qu'un souffle de vie!
(Sappho, Melpomène, Ode II). |
Nous avons dans l'Anthologie
une collection de poésies dites anacréontiques,
environ soixante morceaux, mais qui sont d'une époque postérieure Ã
Anacréon. Au Ve
siècle, Antimaque de Colophon avait écrit
une élégie érotique célèbre, aujourd'hui perdue, à sa maîtresse
Lydé. Athénée a conservé un long fragment
d'Hermesianax de Colophon.
Mais c'est surtout dans la littérature
alexandrine que se développa la poésie
érotique, en s'enrichissant d'une forme nouvelle, la bucolique.
Elle compte alors des poètes de grande valeur, Philétas
de Cos, dont il nous reste quelques fragments d'élégies; Callimaque,
que nous connaissons surtout par la traduction qu'a faite Catulle
d'une de ses pièces, sur la Chevelure de Bérénice, et peut-être
aussi par la vingtième Héroïde
d'Ovide; Cydippe, puis Méléagre
et surtout Théocrite dont on peut citer ici
les idylles dixième, douzième (l'Amour de Gynisca), treizième
(les Syracusaines).
C'est à la littérature alexandrine qu'appartiennent
directement ou se rattachent les nombreux auteurs des trois cent neuf épigrammes
érotiques de l'Anthologie grecque .
Ils sont généralement compris entre le IIIe
siècle avant et le VIe siècle après
J.-C.; ils rejoignent donc la période byzantine;
quelques-uns sont d'origine latine, mais la plupart sortent des pays grecs.
Le roman a fait une première apparition dans
la littérature grecque au IIe
siècle av. J.-C., avec les Histoires milésiennes d'Aristide
qui ont été traduites en latin par l'annaliste
Sisenna nous n'avons pas ces oeuvres, mais nous possédons toute la série
des romans grecs qu'elles ont inspirés plus tard, lorsque la nouvelle
sophistique gréco-latine remit ces compositions à la mode et leur donna
de plus amples développements.
Le recueil des Scriptores erotici Graeci
comprend des oeuvres entières ou fragmentaires de Parthenius, d'Achille
Tatius, de Jamblique, d'Antonius Diogenes,
de Longus, de Xénophon
d'Ephèse, d'Héliodore. On peut encore
faire rentrer dans la littérature érotique les lettres de plusieurs sophistes
du IIIe siècle, de Philostrate, d'Alciphron,
de Lesbonax et celles d'un autre sophiste
du Ve siècle, Aristaenète de Nicée.
A
Rome.
C'est sous l'influence de la littérature
grecque et en particulier des Alexandrins que la poésie érotique s'est
développée dans la littérature latine,
et c'est aussi de romans grecs que s'est inspiré le seul romancier latin
que nous ayons à citer, Apulée.
Les poètes latins ont fait au ler
siècle av. J.-C. de nombreuses traductions de poésies alexandrines ;
beaucoup de poètes grecs sont venus à Rome;
on petit citer, par exemple, Parthénios de Nicée, qui exerça une certaine
influence sur Cornelius Gallus et surtout sur
Virgile. Le premier nom à citer est celui de
Varron d'Atax (82-37) qui avait écrit des élégies
dont il ne reste rien.
De l'époque de César
nous avons perdu les oeuvres de Ticidas, de C.
Licinius Calvus, de C. Helvius Cinna, de Cornelius
Nepos, de Cornelius Gallus, à qui est adressée la dixième églogue
de Virgile et qui avait traduit les oeuvres poétiques de l'Alexandrin
Euphorion. Nous avons seulement le poème des Dirae, faussement
attribué à Virgile, et les oeuvres de Catulle.
-
Ipsthilla
Ma
douce Ipsthilla, par grâce, que j'obtienne,
Mes
délices, mon charme, un rendez-vous de toi
Pour
partager ta sieste à la méridienne
Si
tu dis oui, joins-y la faveur que pour moi
Seul
ta porte soit libre, et que nul ne la ferme.
Et
par lubie, au moins, ne t'en va pas sortir.
Reste
donc au logis; sois prête de pied ferme
A
neuf assauts de fuite et pour un long plaisir!
Surtout,
appelle-moi sans tarder, si la chose
Te
va : j'ai bien dîné, sur mon lit je repose,
Et
tout mon corps frissonne embrasé de désir.
(Catulle,
XXXII).
|
La plupart des cent seize
poésies de Catulle sont érotiques, pleines
de la passion la plus fougueuse et la plus incurable : citons particulièrement
les Noces de Thétis et de Pélée, la Chevelure de Bérénice,
la Lettre à Manlius en vers élégiaques, l'Attis et quelques-unes
des épigrammes. L'orateur Hortensius et Marcus Brutus avaient peut-être
aussi écrit des poésies érotiques. Les dix églogues de Virgile rentrent
en partie dans la littérature érotique, surtout deuxième et la dixième,
adressée à Cornelius Gallus. Plusieurs des odes
d'Horace sont également érotiques. Horace y
fait aussi une large place à de sages réflexions sur l'instabilité des
choses humaines.
La poésie légère
fut en grande vogue à l'époque d'Auguste et
pendant tout le Ier siècle ap. J.-C.
Chez Tibulle, la passion tendre et mélancolique
paraît vague et effacée; elle est, chez Properce,
plus sincère et plus forte. Ovide, dans ses Amours ,
ne chante peut-être que des maîtresses fictives, et il donne, dans son
Art d'aimer ,
la théorie d'une galanterie spirituelle et corrompue. Outre ces trois
maîtres du genre, Pline le Jeune nous fait connaître
une liste considérable de poètes connus ou obscurs qui ont cultivé la
poésie amoureuse, même des personnages politiques, Servius Sulpicius,
César, Auguste, Tibère, Néron,
Nerva; nous connaissons encore C.
Valgius Rufus et Domitius Marsus, contemporains d'Horace,
Alfius Flavus, contemporain de Sénèque l'Ancien,
Arruntius Stella sous Domitien, ami de Stace
et de Martial et auteur d'élégies érotiques
sur sa femme Violantilla qui ne nous sont pas parvenues, de la même époque
une Sulpicia, à qui on attribue sans doute à tort une pièce, composée
vraisemblablement au IVe siècle, Sulpiciae
satura ou Heroicum carmen.
-
Corinne
[...]
Voici venir Corinne, la tunique retroussée , les cheveux flottants de
chaque côté sur sa gorge si blanche. Telle la belle Sémiramis s'offrait
aux caresses de son époux : telle encore Laïs accueillait ses nombreux
amants. Je lui enlevai sa tunique, dont le fin tissu n'était du reste
qu'un faible obstacle. Corinne, toutefois, résistait à s'en dépouiller;
mais sa résistance n'était point celle d'une femme qui veut vaincre;
bientôt elle consentit sans peine à être vaincue.
Quand
elle fut devant mes yeux sans aucun vêtement, pas une tache n'apparut
sur son corps. Quelles épaules, quels bras il me fut donné et de voir
et de toucher! Quel plaisir de presser ce sein fait à souhait pour les
caresses! Quelle peau douce et unie sous sa belle poitrine! quelle taille
divine! quelle cuisse ferme et potelée ! Mais pourquoi dire ici tous ses
appas? Je n'ai rien vu que de parfait; et pas le moindre voile entre son
beau corps et le mien. Est-il besoin que je dise le reste? [...]
(Ovide,
Les Amours, Liv. I, Elégie V).
|
On avait dû composer de bonne heure une
Anthologie érotique où ont puisé Pline le Jeune (Epist.,
5, 3, 5), Aulu-Gelle (Nuits Attiques ,
19, 9, 7), Apulée (Apol., 9, 7), et d'où
dérivent sans doute les numéros 23-25, 29, 427, 435, 446, 448-453, 458-460
de l'Anthologie Latine. Les sept églogues de Calpurnius,
contemporain de Néron, rentrent aussi, jusqu'à un certain point, dans
la littérature érotique; il faut certainement y comprendre aussi une
grande partie des épigrammes de Martial.
Il n'y a plus à citer dans la littérature érotique, après l'époque
de Marc-Aurèle, que des oeuvres insignifiantes
: le Pervigilium Veneris, petit poème en strophes de septénaires
trochaïques, qui est peut-être de l'époque d'Antonin,
la petite épopée De Concubitu Martis et Veneris attribuée Ã
un certain Reposianus; une lettre de Didon à Enée en cent cinquante
hexamètres dont l'auteur et l'époque sont inconnus (Wernsdorf, Poetae
Latini minores, IV, p. 439-461); parmi les idylles d'Ausone,
la treizième, le Cento nuptialis; quelques-unes des épigrammes
de Claudien; quelques pièces de Luxorius, poète
africain de l'époque des Vandales (Anthologie
latine, éd. Riese, n°s 18, 203, 287-375).
Moyen âge et
Renaissance.
Le
Moyen âge.
Au Moyen
âge, en France, la poésie érotique se rencontre d'abord dans les
chansons à danser
et dans les chansons de toile, dans les aubes et dans les pastourelles,
romances où l'on raconte de simples amourettes (Xe
et XIe s.). L'amour est d'ailleurs
la grande préoccupation des époques chevaleresques (XIe,
XIIe, XIIIe
siècles). Sans parler du poème dit précisément salut d'amour, il est
le thème presque unique des chansons des troubadours,
tant des tensos, disputes galantes où l'érotisme
n'évite pas toujours la licence, que des aubades,
adieux d'amants que le jour sépare.
-
Pastourelle
Je
pousse mon cheval vers elle :
"Que
ne puis-je arrêter, la belle,
La
bise qui vous échevêle!
-
Sire, me répond la vilaine,
Si
le vent souffle et me hérisse,
Je
dois au lait de ma nourrice
De
ne point trop m'en mettre en peine.
- Sans
médire de votre mère,
La
belle, il pourrait bien se faire
Que
quelque chevalier fût père
D'une
aussi courtoise vilaine.
Votre
regard est un sourire;
Plus
je vous vois, plus je soupire
Mais
vous être trop inhumaine.
- Non,
non, sire, je suis la fille
De
gens dont toute la famille
N'a
manié que la faucille
Ou
le hoyau, dit la vilaine.
J'en
sais un qui vante sa race,
Et
qui devrait suivre leur trace
Six
jours ou sept dans la semaine.
- Fille
aussi farouche que belle,
Je
sais un peu, quand je m'en mêle,
Apprivoiser
une rebelle.
On
peut, avec telle vilaine,
Faire
amour loyal et sincère,
Et
vous m'êtes déjà plus chère
Que,
la plus, noble châtelaine.
- Quand
un homme a perdu la tête,
Est-ce
un vain serment qui l'arrête?
Un
mot, et votre bouche est prête,
A
baiser mes pieds de vilaine.
Mais
pensez-vous que je désire
Perdre,
pour vous plaire, beau sire,
Ma
richesse la plus certaine..
|
Encore y trouverait-on
la manifestation d'un culte platonique assez conforme aux idées de l'époque,
plus que l'expression d'une passion véritable. Les troubadours provençaux
célèbrent l' « amour courtois », épris de perfection, et qui prend
toutes les formes de l'amour divin : poésie d'esprit, dit Diez,
et non poésie de sentiment.
Les trouvères
et des seigneurs poètes font vite écho dans le Nord (XIIe
et XIIIe s.) . Thibaut
de Champagne, Quènes de Béthune, Gasse
Brulé, le châtelain de Coucy, Thibaut de Navarre,
Bodel et Adam de La Halle,
Villon lui-même, encore qu'il perde vite toute
vergogne, peuvent être cités comme les meilleurs érotiques de leur temps.
-
Quant
on te dira villenye
Mectz
le en ton sac et le lye.
Et
quant ce viendra le temps,
Deslie
ton sac et le luy rens.
On
ne peult con garder sans coilles
Ne
que sans sel fresches andoilles.
Femme
qui fait tetins paroir
Et
cul par estroicte vesture
A
tout homme fait apparoir
Que
son con demande pasture.
(Le
Parnasse érotique du XVe s.).
|
Dans les poèmes
à forme fixe du XIVe siècle (rondeaux,
virelais, ballades, etc.), chez Guillaume
de Machault ou Froissart, les règles de la
galanterie sont exposées avec une froideur des plus pédantes. Charles
d'Orléans, au XVe siècle, chante
de nouveau l'amour courtois, puis il s'en moque, encore plus qu'il ne l'a
chanté.
La
Renaissance.
Le XVIe
siècle surtout est riche en érotiques. Clément Marot
tient la tête, puis le galant abbé de cour Mellin
de Saint-Gelais, Brodeau, Heroet, La Borderie,
Charles Fontaine, Louise Labé aux sonnets
empreints d'une ardente passion, enfin la plupart des poètes de la Pléiade,
nourris de Pétrarque, d'Anacréon
et de l'Anthologie
: c'est ainsi que nombre d'odelettes et de sonnets amoureux à la voluptueuse
mélancolie font de Ronsard un érotique au premier
chef.
-
Cinq points
en amour
Fleur
de quinze ans, si Dieu vous sauve et gard'. J'ai en amour trouvé cinq
points exprès :
Premièrement,
il y a le regard,
Puis
le parler, puis le baiser après. Attouchements suivent baiser de près,
Et
tous ceux-là tendent au dernier point...
Lequel
est... - Quoi? - Je ne le dirai point...
Mais,
s'il vous plaît en ma chambre vous rendre, Je me mettrai volontiers en
pourpoint,
Voire
tout nu, pour vous le faire apprendre.
(Cl.
Marot).
|
Rappelons encore,
parmi ceux de ses disciples qui le suivirent dans cette voie, Joachim
Du Bellay (l'Olive), avec une tendresse sensuelle
dans les poésies latines du même et dans les Baisers de Jean Second;
Baïf (les Amours de Métine et les Amours de
Francin), Pontus de Thyard (les Erreurs
amoureuses), Olivier de Magny (Soupirs et Gayetez), Remy
Belleau, Jacques Tabureau, Jean Doublet, Claude de Morenne, Richard
Renvoisy, Pierre Tamisier, Gilles Durant, Colin Bucher, Jacques Bercau,
etc. (odes imitées d'Anacréon). Quant aux recueils
de Desportes et de Bertaut, l'expression seule en saurait passer pour érotique,
et aussi bien est-ce un peu le défaut des oeuvres précédentes, à de
rares exceptions près. Plus licencieux sont les sonnets de l'Arétin,
et, plus tard, les écrits d'un Pietro Liberi, surnommé le Libertin.
Temps modernes.
Le
XVIIe siècle.
L'influence de l'Hôtel
de Rambouillet, renforcée du marinisme et du gongorisme à la mode,
détermina dans les premières années du XVIIe
siècle un courant d'érotisme singulièrement épuré et fade; Voiture
(bien abstrait), Sarrazin, Benserade,
Godeau, Cotin, Ménage,
Colletet sont les favoris du jour. Le concetti
triomphe : c'est le beau temps des Uranins et des Jobelins; dix-neuf poètes,
dont Corneille, qui se chargea de l'hyacinthe,
de la grenade et du lis, prêtent leur voix aux vingt neuf fleurs de la
Guirlande de Julie .
Tout ce qu'on dit
alors d'élevé sur l'amour passe dans les grands genres (tragédie
surtout). Ou alors l'amour redevient, comme au
Moyen âge, une science compliquée, transcendante,
inaccessible à qui n'a pas pâli sur les formulaires et les plans topographiques
des régents de ruelles. A peine si l'on peut citer çà et là quelques
strophes, deux ou trois vers où parle une vraie passion, dans les petites
pièces fugitives de Malherbe, de Théophile,
de Racan, de Chaulieu,
qui s'inspire de l'esprit d'Horace, de La
Fontaine surtout (mais son érotisme avait plutôt le tour gaillard
et vif, comme témoignent les Contes, pleins du gros sel des fabliaux).
-
La Vénus
callipyge
Conte
tiré d'Athénée
Du
temps des Grecs, deux soeurs disoient avoir
Aussi
beau cul que fille de leur sorte;
La
question ne fut que de savoir
Quelle
des deux dessus l'autre l'emport
Pour
en juger un expert étant pris,
A
la moins jeune il accorde le prix;
Puis,
l'épousant, lui fait don de son âme.
A
son exemple, un sien frère est épris
De
la cadette, et la prend pour sa femme.
Tant
fut entre eux à la fin procédé,
Que
par les soeurs un temple fut fondé
Dessous
le nom de Vénus Belle-fesse,
Je
ne sais pas à quelle intention;
Mais
c'eût été le temple de la Grèce
Pour
qui j'eusse eu plus de dévotion.
(La
Fontaine).
|
Le
XVIIIe siècle.
Le XVIIIe
siècle français, le siècle d'or de la poésie érotique, est de toutes
les époques celle ou le vice s'est fait le plus aimable, par sa légèreté
il atténue pourtant son désir de débauche. Voltaire,
sans être amoureux, écrit d'aimables madrigaux.
Alors, il est de bon ton de chanter l'inconstance : ainsi font Gentil-Bernard,
Dorat, Bernis, Chaulieu,
Florian, etc.; ce fut chez eux pur libertinage
ou passe-temps de rimeurs. Parny est véritablement
voluptueux, sensuel, mais avec une pointe de bel esprit qui nous le gâte
un peu.
-
Madrigal
Sur
cette fougère où nous sommes,
Six
fois, durant le même jour,
Je
fus le plus heureux des hommes.
Nous
étions seuls avec l'amour.
Sur
les lèvres de mon amie
S'échappoit
mon dernier soupir;
Un
baiser me faisoit mourir;
Un
autre me rendoit la vie.
(Parny).
|
Bertin, Bonnard,
Léonard mêlent au souvenir de leurs plaisirs une douce mélancolie. André
Chénier, outre la manière sensuelle de considérer
l'amour, qu'il a en commun avec son siècle, a une idée tout antique de
la passion invincible qu'inspire la beauté physique. Citons encore André
Chénier, tout passion, jeunesse, sincérité, dans ses pièces à Camille
et dans ses Elégies. Et il y a aussi Piron, Dulaurens,
Crébillon fils, et le Recueil de pièces
choisies sous la direction du duc d'Aiguillon et de la princesse de
Conti; sans parler des provocations de Sade,
qui avec sa Justine ou les malheurs de la vertu, et sa Juliette
ou les bonheurs du vice, s'érige aussi en philosophe libertaire.
-
Juliette
en Italie
[...]
De ces flagorneries, dont je faisais assez peu de cas, nous passâmes Ã
des choses plus sérieuses. Bracciani, Olympe, lui et moi nous passâmes
donc dans le cabinet secret des plaisirs de la princesse, où de nouvelles
infamies se célébrèrent, et je rougis, d'honneur, de vous les avouer.
Cette maudite Borghèse avait tous les goûts, toutes les fantaisies. Un
eunuque, un hermaphrodite, un nain, une femme de quatre-vingts ans, un
dindon, un singe, un très gros dogue, une chèvre et un petit garçon
de quatre ans, arrière-petit-fils de la vieille femme, furent les objets
de luxure que nous présentèrent les duègnes de la princesse. « Oh !
grands dieux! m'écriai je en voyant tout cela; quelle dépravation! -
Elle est on ne saurait plus naturelle, dit Bracciani; l'épuisement des
jouissances nécessite des recherches. Blasés sur les choses communes,
on en désire de singulières, et voilà pourquoi le crime devient le dernier
degré de la luxure. Je ne sais, Juliette, quel usage vous ferez de ces
bizarres objets, mais je vous réponds que la princesse, mon ami et moi
nous allons sûrement trouver de grands plaisirs avec eux. - Il faudra
bien que je m'en arrange aussi, répondis-je, et je puis vous assurer d'avance
que vous ne me verrez jamais en arrière quand il s'agira de débauche
et d'incongruités. »
(Sade,
Juliette).
|
Le
XIXe siècle.
La qualification
d'« érotiques » ne semble guère pouvoir s'appliquer aux grands auteurs
du XIXe, siècle, malgré la place que
tient dans leurs poésies la peinture de l'amour. Elle y est mêlée Ã
d'autres sentiments qui en élargissent la matière au delà du domaine
du genre érotique. Aisni était-il réservé aux lyriques de ce
siècle (et à la suite d'André Chénier) de
faire exprimer à la passion un langage enfin approprié aux troubles et
à la mélancolie des coeurs qu'elle embrase. Lamartine,
Hugo, Musset, retrouvent
pour l'expression d'un amour tantôt sensuel et tantôt mystique les cris
oubliés depuis Tibulle et des larmes qu'on ne
connaissait plus depuis Pétrarque. Et à côté
d'eux, au-dessous l'eux, quelle flamme encore, quelle profondeur de passion,
dans l'oeuvre érotique d'un Baudelaire ou
d'un Verlaine, quelle exquise sentimentalité
dans les sonnets d'un Arvers, les élégies d'une
Desbordes-Valmore et les églogues d'un
Brizeux!
-
Luxures
Chair!
ô seul fruit mordu des vergers d'ici-bas,
Fruit
amer et sucré qui jutes aux dents seules
Des
affamés du seul amour, bouches ou gueules,
Et
bon dessert des forts, et leurs joyeux repas,
Amour!
le seul émoi de ceux que n'émeut pas
L'horreur
de vivre, Amour qui presses sous tes meules
Les
scrupules des libertins et des bégueules
Pour
le pain des damnés qu'élisent les sabbats,
Amour,
tu m'apparais aussi comme un beau pâtre
Dont
rêve la fileuse assise auprès de l'âtre
Les
soirs d'hiver dans la chaleur d'un sarment clair,
Et
la fileuse, c'est la Chair et l'heure tinte
Où
le rêve éteindra la rêveuse, - heure sainte
Ou
non! qu'importe à votre extase, Amour et Chair?
(Paul
Verlaine).
|
Aussi bien n'est-il pas un poète de ce
temps qu'on ne puisse ranger par quelque côté parmi les érotiques :
chez tous la passion parle, différemment sans doute, et avec des nuances
dans la mélancolie ou l'emportement. Qu'il nous suffise de rappeler les
noms de Sainte Beuve (le Livre d'amour),
de Théophile Gautier (Emaux et Camées),
de Arsène Houssaye
(la Symphonie de vingt ans), de François Coppée
(les Intimités, Arrière-Saison), de Sully-Prudhomme
(les Vaines Tendresses), de Catulle Mendès
(Philoméla), d'Alphonse Daudet (les
Amoureuses), de Jean Richepin (les Caresses),
de Paul Bourget (les Aveux, la Vie inquiète),
de d'Edmond Haraucourt (l'Ame nue, Seul!), d'Armand Sylvestre (les
Ailes d'or), de Maurice Rollinat (les Névroses), d'Amédée
Pigeon (les Deux Amours), de Jean Marius (les
Cantilènes), de Laurent Tailhade (le Jardin des Rêves), d'Auguste
Dorchain (la Jeunesse pensive), de Marsolleau (les Baisers perdus),
de Jean Ajalbert (Paysages de femmes), de Jacques Madeleine (l'Idylle
éternelle), d'Henri de Régner (Poèmes anciens et romanesques),
de Daniel de Venancourt (les Adolescents), etc.
Moins sages sont
les audaces neurasthéniques qu'on rencontre en des livres, comme l'Examen
de Flora, né au Palais de Justice, ou comme ce Gamiani attribué
aux mauvais jours d'Alfred de Musset, mais surtout
dans ces réimpressions du passé suivies de quelques oeuvres du moment.
La Bibliothèque Nationale
créa, pour conserver de pareilles oeuvres, un cabinet spécial qui s'appelle
l'Enfer. (Ch. Lécrivain / Ch. Le Goffic /
E. Bricon).
 |
Sarane
Alexandrian, Histoire
de la littérature érotique, Payot, rééd, 2008. - Des
comédies, contes
et poèmes galants de l'Antiquité aux
surréalistes du XXe siècle, en passant notamment par les fabliaux
du Moyen Age, les libertins du XVIIe siècle,
les coquins du XVIIIe siècle et les livres interdits du XIXe siècle,
Alexandrian raconte et analyse toute la littérature
érotique et nous en fait redécouvrir les trésors. Des plus célèbres,
comme l'Arétin, Sade ou
Genet, aux plus obscurs, tels Chorier,
Blessebois ou Glatigny, chacun est ici expliqué, justifié dans sa logique
et son époque. Un livre unique en son genre et d'une très grande richesse
d'information. Un classique. (couv.). |
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