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La littérature érotique

Comme l'indique l'étymologie, la littérature érotique (du latin eroticus; du grec érôtikcos ; de érôs = amour) a pour objet de peindre la passion amoureuse, la part de sensualité et de volupté de l'amour, et non pas seulement, si l'on peut s'exprimer ainsi, sa sentimentalité.

Il est assez difficile en fait d'isoler absolument la littérature érotique et de la considérer comme un genre à part. On n'y arrivera à peu près qu'en laissant de côté tout poème de longue haleine, tel, par exemple, que l'épopée, où le thème érotique ne se trouve qu'incidemment développé, tel encore que la tragédie et le drame, où il n'entre que comme ressort de l'action. La plupart du temps, on exclura également des oeuvres moins longues, dont l'amour fait le sujet, mais en y revêtant un caractère particulier : ainsi l'élégie, l'églogue et l'idylle (difficile d'écarter au demeurant plusieurs idylles de Théocrite, la 2e églogue de Virgile, la plupart des élégies de Tibulle, de Properce)

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Frontispice des Contes de La Fontaine.
Frontispice des Contes de La Fontaine.

Il est plus difficile de tracer une ligne précise de démarcation entre la littérature érotique proprement dite et la littérature qu'on a tour à tour appelée sotadique chez les Anciens, sadique chez les modernes et pornographique chez les contemporains. Bon nombre de contes en vers du Moyen âge, les oeuvres de Bertin, beaucoup de chansons, pourraient y être rangés. Mais quel critère choisir pour tracer la limite ? Chaque époque, chaque culture, semble avoir le sien. Le Cantique des cantiques, texte éminemment érotique, appartient à cette collection de livres religieux qu'est la Bible; le Kama Sutra, dans une Inde qui peut être aussi bien pudibonde, voit ses thèmes servir à l'ornementation de temples. A l'inverse, Madame Bovary se voit infliger un procès en obscénité. Et, aujourd'hui même, la page que vous êtes en train de lire s'est vue interdite de publicité à cause de son contenu jugé "trop adulte". La bêtise et l'inculture ne sont pas d'une époque et d'un lieu.

La littérature érotique tiendrait ainsi une sorte de milieu entre deux asymptotes : une littérature purement sentimentale et désincarnée, absolument éthérée, et une littérature idéalement pornographique où, à l'opposé, la sensualité et la sexualité anéantiraient entièrement le sentiment amoureux aussi bien que le sujet ressentant. L'obscène, le grivois, le polisson, le licencieux, le libertin, le courtois, le galant, le voluptueux, le tendre, composeraient dans ce vaste territoire une société hétéroclite, où chacun reconnaîtra peut-être les siens.

En Grèce et à Rome.

On peut faire rentrer dans la littérature érotique de l'Antiquité tous les genres secondaires, poésies légères, épigrammes, romans, dont l'amour, sous ses différentes formes, est le principal sujet. Cette définition exclut naturellement les genres plus élevés où peut être célébré l'amour, tels que les hymnes, les tragédies, les traités philosophiques. 

En Grèce.
En Grèce, la littérature érotique est à la fois une forme dérivée de l'élégie et une branche de la poésie lyrique. Les premiers représentants en sont Alcman, Alcée, Sappho, remplis d'une flamme ardente et sensuelle, et Anacréon de Téos, au ton badin et spirituel. 
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A la bien-aimée

Il me semble l'égal des dieux
Celui qui de ta voix s'enivre,
Qui lit son bonheur dans tes yeux,
Et qui près de toi se sent vivre!

Ce doux souris, quand je te vois,
Me trouble!... Interdite, oppressée,
Sur ma lèvre expire ma voix,
Et ma langue reste glacée!...

Je brûle!... Des feux inconnus
En moi courent de veine en veine...
Je n'entends rien... je ne vois plus...
Je suis tremblante et sans haleine...

J'éprouve une froide sueur...
Plus pâle que l'herbe flétrie,
Je ne sens plus battre mon coeur;
Je n'ai plus qu'un souffle de vie!

           (Sappho, Melpomène, Ode II).

Nous avons dans l'Anthologie une collection de poésies dites anacréontiques, environ soixante morceaux, mais qui sont d'une époque postérieure à Anacréon. Au Ve siècle, Antimaque de Colophon avait écrit une élégie érotique célèbre, aujourd'hui perdue, à sa maîtresse Lydé. Athénée a conservé un long fragment d'Hermesianax de Colophon. 

Mais c'est surtout dans la littérature alexandrine que se développa la poésie érotique, en s'enrichissant d'une forme nouvelle, la bucolique. Elle compte alors des poètes de grande valeur, Philétas de Cos, dont il nous reste quelques fragments d'élégies; Callimaque, que nous connaissons surtout par la traduction qu'a faite Catulle d'une de ses pièces, sur la Chevelure de Bérénice, et peut-être aussi par la vingtième Héroïde d'Ovide; Cydippe, puis Méléagre et surtout Théocrite dont on peut citer ici les idylles dixième, douzième (l'Amour de Gynisca), treizième (les Syracusaines). 

C'est à la littérature alexandrine qu'appartiennent directement ou se rattachent les nombreux auteurs des trois cent neuf épigrammes érotiques de l'Anthologie grecque. Ils sont généralement compris entre le IIIe siècle avant et le VIe siècle après J.-C.; ils rejoignent donc la période byzantine; quelques-uns sont d'origine latine, mais la plupart sortent des pays grecs. Le roman a fait une première apparition dans la littérature grecque au IIe siècle av. J.-C., avec les Histoires milésiennes d'Aristide qui ont été traduites en latin par l'annaliste Sisenna nous n'avons pas ces oeuvres, mais nous possédons toute la série des romans grecs qu'elles ont inspirés plus tard, lorsque la nouvelle sophistique gréco-latine remit ces compositions à la mode et leur donna de plus amples développements. 

Le recueil des Scriptores erotici Graeci comprend des oeuvres entières ou fragmentaires de Parthenius, d'Achille Tatius, de Jamblique, d'Antonius Diogenes, de Longus, de Xénophon d'Ephèse, d'Héliodore. On peut encore faire rentrer dans la littérature érotique les lettres de plusieurs sophistes du IIIe siècle, de Philostrate, d'Alciphron, de Lesbonax et celles d'un autre sophiste du Ve siècle, Aristaenète de Nicée.

A Rome.
C'est sous l'influence de la littérature grecque et en particulier des Alexandrins que la poésie érotique s'est développée dans la littérature latine, et c'est aussi de romans grecs que s'est inspiré le seul romancier latin que nous ayons à citer, Apulée

Les poètes latins ont fait au ler siècle av. J.-C. de nombreuses traductions de poésies alexandrines ; beaucoup de poètes grecs sont venus à Rome; on petit citer, par exemple, Parthénios de Nicée, qui exerça une certaine influence sur Cornelius Gallus et surtout sur Virgile. Le premier nom à citer est celui de Varron d'Atax (82-37) qui avait écrit des élégies dont il ne reste rien.

De l'époque de César nous avons perdu les oeuvres de Ticidas, de C. Licinius Calvus, de C. Helvius Cinna, de Cornelius Nepos, de Cornelius Gallus, à qui est adressée la dixième églogue de Virgile et qui avait traduit les oeuvres poétiques de l'Alexandrin Euphorion. Nous avons seulement le poème des Dirae, faussement attribué à Virgile, et les oeuvres de Catulle.
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Ipsthilla

Ma douce Ipsthilla, par grâce, que j'obtienne,
Mes délices, mon charme, un rendez-vous de toi
Pour partager ta sieste à la méridienne 
Si tu dis oui, joins-y la faveur que pour moi 
Seul ta porte soit libre, et que nul ne la ferme. 
Et par lubie, au moins, ne t'en va pas sortir. 
Reste donc au logis; sois prête de pied ferme 
A neuf assauts de fuite et pour un long plaisir! 
Surtout, appelle-moi sans tarder, si la chose 
Te va : j'ai bien dîné, sur mon lit je repose, 
Et tout mon corps frissonne embrasé de désir. 


(Catulle, XXXII). 

La plupart des cent seize poésies de Catulle sont érotiques, pleines de la passion la plus fougueuse et la plus incurable : citons particulièrement les Noces de Thétis et de Pélée, la Chevelure de Bérénice, la Lettre à Manlius en vers élégiaques, l'Attis et quelques-unes des épigrammes. L'orateur Hortensius et Marcus Brutus avaient peut-être aussi écrit des poésies érotiques. Les dix églogues de Virgile rentrent en partie dans la littérature érotique, surtout deuxième et la dixième, adressée à Cornelius Gallus. Plusieurs des odes d'Horace sont également érotiques. Horace y fait aussi une large place à de sages réflexions sur l'instabilité des choses humaines. 

La poésie légère fut en grande vogue à l'époque d'Auguste et pendant tout le Ier siècle ap. J.-C.  Chez Tibulle, la passion tendre et mélancolique paraît vague et effacée; elle est, chez Properce, plus sincère et plus forte. Ovide, dans ses Amours, ne chante peut-être que des maîtresses fictives, et il donne, dans son Art d'aimer, la théorie d'une galanterie spirituelle et corrompue. Outre ces trois maîtres du genre, Pline le Jeune nous fait connaître une liste considérable de poètes connus ou obscurs qui ont cultivé la poésie amoureuse, même des personnages politiques, Servius Sulpicius, César, Auguste, Tibère, Néron, Nerva; nous connaissons encore C. Valgius Rufus et Domitius Marsus, contemporains d'Horace, Alfius Flavus, contemporain de Sénèque l'Ancien, Arruntius Stella sous Domitien, ami de Stace et de Martial et auteur d'élégies érotiques sur sa femme Violantilla qui ne nous sont pas parvenues, de la même époque une Sulpicia, à qui on attribue sans doute à tort une pièce, composée vraisemblablement au IVe siècle, Sulpiciae satura ou Heroicum carmen
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Corinne

[...] Voici venir Corinne, la tunique retroussée , les cheveux flottants de chaque côté sur sa gorge si blanche. Telle la belle Sémiramis s'offrait aux caresses de son époux : telle encore Laïs accueillait ses nombreux amants. Je lui enlevai sa tunique, dont le fin tissu n'était du reste qu'un faible obstacle. Corinne, toutefois, résistait à s'en dépouiller; mais sa résistance n'était point celle d'une femme qui veut vaincre; bientôt elle consentit sans peine à être vaincue.

Quand elle fut devant mes yeux sans aucun vêtement, pas une tache n'apparut sur son corps. Quelles épaules, quels bras il me fut donné et de voir et de toucher! Quel plaisir de presser ce sein fait à souhait pour les caresses! Quelle peau douce et unie sous sa belle poitrine! quelle taille divine! quelle cuisse ferme et potelée ! Mais pourquoi dire ici tous ses appas? Je n'ai rien vu que de parfait; et pas le moindre voile entre son beau corps et le mien. Est-il besoin que je dise le reste? [...] 


(Ovide, Les Amours, Liv. I, Elégie V). 

On avait dû composer de bonne heure une Anthologie érotique où ont puisé Pline le Jeune (Epist., 5, 3, 5), Aulu-Gelle (Nuits Attiques, 19, 9, 7), Apulée (Apol., 9, 7), et d'où dérivent sans doute les numéros 23-25, 29, 427, 435, 446, 448-453, 458-460 de l'Anthologie Latine. Les sept églogues de Calpurnius, contemporain de Néron, rentrent aussi, jusqu'à un certain point, dans la littérature érotique; il faut certainement y comprendre aussi une grande partie des épigrammes de Martial. Il n'y a plus à citer dans la littérature érotique, après l'époque de Marc-Aurèle, que des oeuvres insignifiantes : le Pervigilium Veneris, petit poème en strophes de septénaires trochaïques, qui est peut-être de l'époque d'Antonin, la petite épopée De Concubitu Martis et Veneris attribuée à un certain Reposianus; une lettre de Didon à Enée en cent cinquante hexamètres dont l'auteur et l'époque sont inconnus (Wernsdorf, Poetae Latini minores, IV, p. 439-461); parmi les idylles d'Ausone, la treizième, le Cento nuptialis; quelques-unes des épigrammes de Claudien; quelques pièces de Luxorius, poète africain de l'époque des Vandales (Anthologie latine, éd. Riese, n°s 18, 203, 287-375).

Moyen âge et Renaissance.

Le Moyen âge.
Au Moyen âge, en France, la poésie érotique se rencontre d'abord dans les chansons à danser et dans les chansons de toile, dans les aubes et dans les pastourelles, romances où l'on raconte de simples amourettes (Xe et XIe s.).  L'amour est d'ailleurs la grande préoccupation des époques chevaleresques (XIe, XIIe, XIIIe siècles). Sans parler du poème dit précisément salut d'amour, il est le thème presque unique des chansons des troubadours, tant des tensos, disputes galantes où l'érotisme n'évite pas toujours la licence, que des aubades, adieux d'amants que le jour sépare.
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Pastourelle

Je pousse mon cheval vers elle :
"Que ne puis-je arrêter, la belle, 
La bise qui vous échevêle! 
- Sire, me répond la vilaine, 
Si le vent souffle et me hérisse, 
Je dois au lait de ma nourrice
De ne point trop m'en mettre en peine.

- Sans médire de votre mère, 
La belle, il pourrait bien se faire 
Que quelque chevalier fût père 
D'une aussi courtoise vilaine. 
Votre regard est un sourire;
Plus je vous vois, plus je soupire 
Mais vous être trop inhumaine.

- Non, non, sire, je suis la fille 
De gens dont toute la famille 
N'a manié que la faucille 
Ou le hoyau, dit la vilaine.
J'en sais un qui vante sa race,
Et qui devrait suivre leur trace 
Six jours ou sept dans la semaine.

- Fille aussi farouche que belle,
Je sais un peu, quand je m'en mêle,
Apprivoiser une rebelle. 
On peut, avec telle vilaine,
Faire amour loyal et sincère, 
Et vous m'êtes déjà plus chère 
Que, la plus, noble châtelaine.

- Quand un homme a perdu la tête,
Est-ce un vain serment qui l'arrête? 
Un mot, et votre bouche est prête, 
A baiser mes pieds de vilaine. 
Mais pensez-vous que je désire 
Perdre, pour vous plaire, beau sire, 
Ma richesse la plus certaine.. 

(Marcabrun, XIIe s.). 

Encore y trouverait-on la manifestation d'un culte platonique assez conforme aux idées de l'époque, plus que l'expression d'une passion véritable. Les troubadours provençaux célèbrent l' « amour courtois », épris de perfection, et qui prend toutes les formes de l'amour divin :  poésie d'esprit, dit Diez, et non poésie de sentiment. 

Les trouvères et des seigneurs poètes font vite écho dans le Nord  (XIIe et XIIIe s.) . Thibaut de Champagne, Quènes de Béthune, Gasse Brulé, le châtelain de Coucy, Thibaut de Navarre, Bodel et Adam de La Halle, Villon lui-même, encore qu'il perde vite toute vergogne, peuvent être cités comme les meilleurs érotiques de leur temps.
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Quant on te dira villenye 
Mectz le en ton sac et le lye.
Et quant ce viendra le temps, 
Deslie ton sac et le luy rens.

On ne peult con garder sans coilles 
Ne que sans sel fresches andoilles.

Femme qui fait tetins paroir 
Et cul par estroicte vesture 
A tout homme fait apparoir 
Que son con demande pasture. 
 

(Le Parnasse érotique du XVe s.). 

Dans les poèmes à forme fixe du XIVe siècle (rondeaux, virelais, ballades, etc.), chez Guillaume de Machault ou Froissart, les règles de la galanterie sont exposées avec une froideur des plus pédantes. Charles d'Orléans, au XVe siècle, chante de nouveau l'amour courtois, puis il s'en moque, encore plus qu'il ne l'a chanté.

La Renaissance.
Le XVIe siècle surtout est riche en érotiques. Clément Marot tient la tête, puis le galant abbé de cour Mellin de Saint-Gelais, Brodeau, Heroet, La Borderie, Charles Fontaine, Louise Labé aux sonnets empreints d'une ardente passion, enfin la plupart des poètes de la Pléiade, nourris de Pétrarque, d'Anacréon et de l'Anthologie : c'est ainsi que nombre d'odelettes et de sonnets amoureux à la voluptueuse mélancolie font de Ronsard un érotique au premier chef.
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Cinq points en amour

Fleur de quinze ans, si Dieu vous sauve et gard'. J'ai en amour trouvé cinq points exprès :
Premièrement, il y a le regard,
Puis le parler, puis le baiser après. Attouchements suivent baiser de près,
Et tous ceux-là tendent au dernier point... 
Lequel est... - Quoi? - Je ne le dirai point... 
Mais, s'il vous plaît en ma chambre vous rendre, Je me mettrai volontiers en pourpoint, 
Voire tout nu, pour vous le faire apprendre.  


(Cl. Marot). 

Rappelons encore, parmi ceux de ses disciples qui le suivirent dans cette voie, Joachim Du Bellay (l'Olive), avec  une tendresse  sensuelle dans les poésies latines du même et dans les Baisers de Jean Second; Baïf (les Amours de Métine et les Amours de Francin), Pontus de Thyard (les Erreurs amoureuses), Olivier de Magny (Soupirs et Gayetez), Remy Belleau, Jacques Tabureau, Jean Doublet, Claude de Morenne, Richard Renvoisy, Pierre Tamisier, Gilles Durant, Colin Bucher, Jacques Bercau, etc. (odes imitées d'Anacréon). Quant aux recueils de Desportes et de Bertaut, l'expression seule en saurait passer pour érotique, et aussi bien est-ce un peu le défaut des oeuvres précédentes, à de rares exceptions près. Plus licencieux sont les sonnets de l'Arétin, et, plus tard, les écrits d'un Pietro Liberi, surnommé le Libertin.

Temps modernes. 

Le XVIIe siècle.
L'influence de l'Hôtel de Rambouillet, renforcée du marinisme et du gongorisme à la mode, détermina dans les premières années du XVIIe siècle un courant d'érotisme singulièrement épuré et fade; Voiture (bien abstrait), Sarrazin, Benserade, Godeau, Cotin, Ménage, Colletet sont les favoris du jour. Le concetti triomphe : c'est le beau temps des Uranins et des Jobelins; dix-neuf poètes, dont Corneille, qui se chargea de l'hyacinthe, de la grenade et du lis, prêtent leur voix aux vingt neuf fleurs de la Guirlande de Julie

Tout ce qu'on dit alors d'élevé sur l'amour passe dans les grands genres (tragédie surtout). Ou alors l'amour redevient, comme au Moyen âge, une science compliquée, transcendante, inaccessible à qui n'a pas pâli sur les formulaires et les plans topographiques des régents de ruelles. A peine si l'on peut citer çà et là quelques strophes, deux ou trois vers où parle une vraie passion, dans les petites pièces fugitives de Malherbe, de Théophile, de Racan, de Chaulieu, qui s'inspire de l'esprit d'Horace,  de La Fontaine surtout (mais son érotisme avait plutôt le tour gaillard et vif, comme témoignent les Contes, pleins du gros sel des fabliaux). 
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La Vénus callipyge
Conte tiré d'Athénée

Du temps des Grecs, deux soeurs disoient avoir 
Aussi beau cul que fille de leur sorte; 
La question ne fut que de savoir 
Quelle des deux dessus l'autre l'emport
Pour en juger un expert étant pris, 
A la moins jeune il accorde le prix; 
Puis, l'épousant, lui fait don de son âme. 
A son exemple, un sien frère est épris 
De la cadette, et la prend pour sa femme. 
Tant fut entre eux à la fin procédé, 
Que par les soeurs un temple fut fondé
Dessous le nom de Vénus Belle-fesse, 
Je ne sais pas à quelle intention; 
Mais c'eût été le temple de la Grèce 
Pour qui j'eusse eu plus de dévotion.

(La Fontaine). 

Le XVIIIe siècle.
Le XVIIIe siècle français, le siècle d'or de la poésie érotique, est de toutes les époques celle ou le vice s'est fait le plus aimable, par sa légèreté il atténue pourtant son désir de débauche. Voltaire, sans être amoureux, écrit d'aimables madrigaux. Alors, il est de bon ton de chanter l'inconstance : ainsi font Gentil-Bernard, Dorat, Bernis, Chaulieu, Florian, etc.; ce fut chez eux pur libertinage ou passe-temps de rimeurs. Parny est véritablement voluptueux, sensuel, mais avec une pointe de bel esprit qui nous le gâte un peu. 
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Madrigal

Sur cette fougère où nous sommes,
Six fois, durant le même jour, 
Je fus le plus heureux des hommes.
Nous étions seuls avec l'amour. 
Sur les lèvres de mon amie 
S'échappoit mon dernier soupir; 
Un baiser me faisoit mourir;
Un autre me rendoit la vie.

(Parny). 

Bertin, Bonnard, Léonard mêlent au souvenir de leurs plaisirs une douce mélancolie. André Chénier, outre la manière sensuelle de considérer l'amour, qu'il a en commun avec son siècle, a une idée tout antique de la passion invincible qu'inspire la beauté physique. Citons encore André Chénier, tout passion, jeunesse, sincérité, dans ses pièces à Camille et dans ses Elégies. Et il y a aussi Piron, Dulaurens, Crébillon fils, et le Recueil de pièces choisies sous la direction du duc d'Aiguillon et de la princesse de Conti; sans parler des provocations de Sade, qui avec sa Justine ou les malheurs de la vertu, et sa Juliette ou les bonheurs du vice, s'érige aussi en philosophe libertaire. 
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Juliette en Italie

[...] De ces flagorneries, dont je faisais assez peu de cas, nous passâmes à des choses plus sérieuses. Bracciani, Olympe, lui et moi nous passâmes donc dans le cabinet secret des plaisirs de la princesse, où de nouvelles infamies se célébrèrent, et je rougis, d'honneur, de vous les avouer. Cette maudite Borghèse avait tous les goûts, toutes les fantaisies. Un eunuque, un hermaphrodite, un nain, une femme de quatre-vingts ans, un dindon, un singe, un très gros dogue, une chèvre et un petit garçon de quatre ans, arrière-petit-fils de la vieille femme, furent les objets de luxure que nous présentèrent les duègnes de la princesse. « Oh ! grands dieux! m'écriai je en voyant tout cela; quelle dépravation! - Elle est on ne saurait plus naturelle, dit Bracciani; l'épuisement des jouissances nécessite des recherches. Blasés sur les choses communes, on en désire de singulières, et voilà pourquoi le crime devient le dernier degré de la luxure. Je ne sais, Juliette, quel usage vous ferez de ces bizarres objets, mais je vous réponds que la princesse, mon ami et moi nous allons sûrement trouver de grands plaisirs avec eux. - Il faudra bien que je m'en arrange aussi, répondis-je, et je puis vous assurer d'avance que vous ne me verrez jamais en arrière quand il s'agira de débauche et d'incongruités. »

(Sade, Juliette).

Le XIXe siècle.
La qualification d'« érotiques » ne semble guère pouvoir s'appliquer aux grands auteurs du XIXe, siècle, malgré la place que tient dans leurs poésies la peinture de l'amour. Elle y est mêlée à d'autres sentiments qui en élargissent la matière au delà du domaine du genre érotique. Aisni était-il réservé aux lyriques de ce siècle (et à la suite d'André Chénier) de faire exprimer à la passion un langage enfin approprié aux troubles et à la mélancolie des coeurs qu'elle embrase. Lamartine, Hugo, Musset, retrouvent pour l'expression d'un amour tantôt sensuel et tantôt mystique les cris oubliés depuis Tibulle et des larmes qu'on ne connaissait plus depuis Pétrarque. Et à côté d'eux, au-dessous l'eux, quelle flamme encore, quelle profondeur de passion, dans l'oeuvre érotique d'un Baudelaire ou d'un Verlaine, quelle exquise sentimentalité dans les sonnets d'un Arvers, les élégies d'une Desbordes-Valmore et les églogues d'un Brizeux
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Luxures

Chair! ô seul fruit mordu des vergers d'ici-bas,
Fruit amer et sucré qui jutes aux dents seules
Des affamés du seul amour, bouches ou gueules,
Et bon dessert des forts, et leurs joyeux repas,
Amour! le seul émoi de ceux que n'émeut pas
L'horreur de vivre, Amour qui presses sous tes meules
Les scrupules des libertins et des bégueules
Pour le pain des damnés qu'élisent les sabbats,
Amour, tu m'apparais aussi comme un beau pâtre
Dont rêve la fileuse assise auprès de l'âtre
Les soirs d'hiver dans la chaleur d'un sarment clair,
Et la fileuse, c'est la Chair et l'heure tinte
Où le rêve éteindra la rêveuse, - heure sainte
Ou non! qu'importe à votre extase, Amour et Chair?
 

(Paul Verlaine). 

Aussi bien n'est-il pas un poète de ce temps qu'on ne puisse ranger par quelque côté parmi les érotiques : chez tous la passion parle, différemment sans doute, et avec des nuances dans la mélancolie ou l'emportement. Qu'il nous suffise de rappeler les noms de Sainte Beuve (le Livre d'amour), de Théophile Gautier (Emaux et Camées), de Arsène Houssaye (la Symphonie de vingt ans), de François Coppée (les Intimités, Arrière-Saison), de Sully-Prudhomme (les Vaines Tendresses), de Catulle Mendès (Philoméla), d'Alphonse Daudet (les Amoureuses), de Jean Richepin (les Caresses), de Paul Bourget (les Aveux, la Vie inquiète), de d'Edmond Haraucourt (l'Ame nue, Seul!), d'Armand Sylvestre (les Ailes d'or), de Maurice Rollinat (les Névroses), d'Amédée Pigeon (les Deux Amours), de Jean Marius (les Cantilènes), de Laurent Tailhade (le Jardin des Rêves), d'Auguste Dorchain (la Jeunesse pensive), de Marsolleau (les Baisers perdus), de Jean Ajalbert (Paysages de femmes), de Jacques Madeleine (l'Idylle éternelle), d'Henri de Régner (Poèmes anciens et romanesques), de Daniel de Venancourt (les Adolescents), etc.

Moins sages sont les audaces neurasthéniques qu'on rencontre en des livres, comme l'Examen de Flora, né au Palais de Justice, ou comme ce Gamiani attribué aux mauvais jours d'Alfred de Musset, mais surtout dans ces réimpressions du passé suivies de quelques oeuvres du moment. La Bibliothèque Nationale créa, pour conserver de pareilles oeuvres, un cabinet spécial qui s'appelle l'Enfer. (Ch. Lécrivain / Ch. Le Goffic / E. Bricon).



Sarane Alexandrian, Histoire de la littérature érotique, Payot, rééd, 2008. - Des comédies, contes et poèmes galants de l'Antiquité aux surréalistes du XXe siècle, en passant notamment par les fabliaux du Moyen Age, les libertins du XVIIe siècle, les coquins du XVIIIe siècle et les livres interdits du XIXe siècle, Alexandrian raconte et analyse toute la littérature érotique et nous en fait redécouvrir les trésors. Des plus célèbres, comme l'Arétin, Sade ou Genet, aux plus obscurs, tels Chorier, Blessebois ou Glatigny, chacun est ici expliqué, justifié dans sa logique et son époque. Un livre unique en son genre et d'une très grande richesse d'information. Un classique.  (couv.).
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