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Bestiaires

 On donne le nom de Bestiaires à certains poèmes didactiques composés au XIIe et au XIIIe siècle  et consacrés à la description des moeurs des animaux, mais où les auteurs s'attachaient surtout à développer des allégories pouvant rappeler aux fidèles quelques supposées vérités morales ou religieuses. 

Le bestiaire n'est à vrai dire qu'une partie du Physiologus. Sous ce dernier nom, dont le sens précis n'est pas bien déterminé, on désignait dès le Ve siècle de notre ère une sorte de résumé des connaissances en histoire naturelle les plus utiles à l'instruction religieuse. En 494, un concile déclara apocryphe un Physiologus qui circulait sous le nom de saint Ambroise. On a attribué à saint Epiphane un commentaire du Physiologus qui nous est parvenu. Au XIe siècle une rédaction passait, sans aucun fondement, pour être de saint Jean Chrysostome

Le Physiologus dans ses différentes rédactions, qui sont nombreuses, réunit la description des pierres précieuses à celle des animaux, mais la partie consacrée aux animaux est de beaucoup la plus considérable : elle a donné naissance aux bestiaires et plus tard aux volucraires, tandis que la description des pierres a produit de son côté des ouvrages spéciaux connus sous le nom de lapidaires.
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Bestiaire.
Un éléphant représenté sur un Bestiaire.

Les bestiaires français les plus connus sont ceux de Philippe de Thaun (ou de Than), de Guillaume, clerc de Normandie, et de Richard de Fournival. Nous allons les passer rapidement en revue.

Philippe de Thaun.
Philippe de Thaun, chevalier normand établi en Angleterre, appartenait à la famille des seigneurs de la terre de Than, près de Caen, qui s'est éteinte au XVe siècle. Ses oeuvres ont pour titres : Bestiaire et Livre des Créatures, et sont traduites du latin. 

Il a dédié son ouvrage à Aélis (Adélaïde) de Louvain, femme de Henri Ier, roi d'Angleterre, et a dû par conséquent le composer vers 1130. Il ne le donne lui-même que comme une traduction de la grammaire, c.-à-d. du latin :

Phelipes de Thaun
En franceise raisun
Ad entrait Bestiaire,
Un livre, de grammaire.
En effet, malgré ce nom de bestiaire, ce n'est qu'une reproduction de l'ancien Physiologus, puisqu'à la suite des quadrupèdes et des oiseaux il y parle des pierres précieuses. Quelques détails sur cette oeuvre, la plus ancienne que nous possédions en français, feront comprendre comment les auteurs médiévaux traitaient ce sujet et nous dispenseront d'insister sur les oeuvres postérieures. 

A côté des animaux réels figurent quelques animaux imaginaires, bien connus, pour la plupart, des mythologues, notamment la licorne, la sirène, etc. Philippe de Thaun parle d'abord de quelques animaux qui peuvent servir d'emblème à Jésus-Christ : le lion, le monoceros (licorne), la panthère, etc. La partie antérieure du corps chez le
lion, qui est large et puissante, représente la divinité du Christ; la partie postérieure, plus grêle et plus faible, l'humanité du Christ, etc. Six animaux sont les emblèmes du Christ, onze de l'homme, six du Diable. Mêmes divisions en ce qui concerne les oiseaux : la perdrix représente le diable; l'aigle, la caladre, le phénix, le pélican et la colombe représentent le Christ, la tourterelle représente l'Eglise, et enfin l'homme trouve son symbole dans la houppe, l'ibis, la foulque et le nycticorax (fresaie).
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La Licorne

« Monosceros est beste,
un corn ad en la teste,
pur çeo ad si a nun. 
de buc ele ad façun. 
par pucele est prise, 
or oëz en quel guise. 
quant hom le volt cacer 
et prendre et enginner, 
si vent hom al forest
u sis repaires est;
la met une pucele
hors de sein sa mamele,
e par odurement
monosceros la sent; 
dunc vent a la pucele,
si baiset sa mamele, 
en sun devant se dort, 
issi vent a sa mort;
li hom survent atant,
ki l'ocit en dormant,
u trestut vif le prent, 
si fait puis sun talent, 
grant chose signefie, 
ne larei nel vus die.

Monosceros griu est,
en franceis un-corn est : 
beste de tel baillie
Jhesu Crist signefie; 
un deu est e serat
e fud e parmaindrat; 
en la virgine se mist,
e pur hom charn i prist,
e pur virginited,
pur mustrer casteed, 
a virgine se parut
e virgine le conceut.
virgine est e serat
e tuz jurz parmaindrat. 
ores oëz brefment
le signefïement.

Ceste beste en verté 
nus signefie dé;
la virgine signefie, 
sacez, sancte Marie; 
par sa mamele entent 
sancte eglise ensement;
e puis par le baiser
çeo deit signefïer,
que hom quant il se dort 
en semblance est de mort : 
dés cum home dormi,
ki en cruiz mort sufri, 
ert sa drestructïun
nostre redemptïun,
e sun traveillement
nostre reposement. 
si deceut dés dïable
par semblant cuvenable;
anme e cors sunt un,
issi fud dés et hum,
e içeo signefie
beste de tel baillie.-»
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(Philippe de Thaun, Bestiaire).

Guillaume, clerc de Normandie.
Le clerc normand Guillaume, qui écrivait une centaine d'années après Philippe de Thaun son Bestiaire divin, n'a guère fait que répéter avec plus de développement ce qu'avait dit son prédécesseur : l'ordre des animaux est un peu interverti, il y a quelques additions, quelques suppressions, mais l'esprit est absolument le même.

Richard de Fournival.
Au contraire, Richard de Fournival a voulu rajeunir une vieille forme littéraire en y apportant un esprit tout nouveau. Son Bestiaire d'amour, composé vers 1240, est adressé à sa dame : il fait défiler sous ses yeux la plupart des animaux dont les bestiaires avaient l'habitude de parler, mais ce ne sont plus des allégories divines ou morales qu'il en tire; partout il voit l'emblème de la femme et des choses de l'amour, et l'ensemble de son oeuvre est un plaidoyer ingénieux pour décider sa dame à répondre favorablement à ses voeux. Richard de Fournival a composé son bestiaire en prose; il en a plus tard commencé la versification, mais ne semble pas l'avoir terminée. (A. Thomas / T.).



Collectif, Bestiaire du Moyen âge, Somogy, 2004.

En bibliothèque - Les PP. Martin et Cahier ont donné, dans leurs Mélanges archéologiques; d'après un manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal à Paris, un Bestiaire en prose picarde du commencement du XIIIe siècle. - Hippeau, Le Bestiaire divin de Guillaume, clerc de Normandie, Introduction, Caen, 1852, in-8°.

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