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La civilisation romaine
Le Sénat de Rome pendant l'Empire
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Le Sénat romain sous le Haut-Empire

L'histoire et le rôle du Sénat sous le Haut-Empire ont été diversement appréciés. Mommsen a affirmé que le Sénat avait, pendant cette période de l'histoire romaine, exercé un pouvoir réel; il a imaginé le mot dyarchie pour caractériser ce qu'il appelle «-la coexistence du gouvernement impérial et de celui du Sénat ». D'autres historiens, en particulier Willems et Bouché-Leclercq, indiquent qu'il ne faut pas prendre trop au sérieux cette collaboration du Sénat au gouvernement de l'Empire romain. A notre avis, c'est là la vérité. Pratiquement, dès le principat d'Auguste, le Sénat a été dépendant de l'empereur; il n'a plus possédé aucune initiative, aucune indépendance, aucune action réelle. Car il ne s'agit pas ici de construire des théories constitutionnelles; il s'agit uniquement de considérer la réalité historique. Examinons donc successivement quels ont été, sous le Haut-Empire, le mode de recrutement du Sénat, la procédure de ses séances, sa compétence et ses attributions.

Auguste fixa le nombre des sénateurs à 600. Pour pouvoir être admis dans le Sénat, il fallait d'abord faire partie de l'ordre sénatorial, institué par Auguste; or on ne faisait partie de cet ordre que si l'on possédait le cens sénatorial, c.-à-d. une fortune évaluée à 1 million de sesterces. En second lieu, il était nécessaire d'avoir géré la questure. Sous Auguste, les questeurs étaient encore nommés par les comices; Tibère transféra l'élection des anciens magistrats républicains de l'assemblée du peuple au Sénat; mais l'institution, ou plutôt la coutume des candidats de César enlevait au Sénat comme aux comices toute indépendance, et l'on peut dire que seuls obtenaient la questure les membres de l'ordre sénatorial dont la candidature était officiellement ou officieusement agréée par l'empereur. Ce n'est pas tout : l'inscription sur la liste des sénateurs était faite par l'empereur en vertu de son pouvoir censorial. Par conséquent n'étaient, en fait, nommés sénateurs que les membres de l'ordre sénatorial à la nomination desquels l'empereur n'avait point opposé sa volonté toute-puissante. 

Outre les sénateurs qui avaient suivi pour entrer au Sénat la voie normale, il y en avait d'autres qui y étaient admis exceptionnellement, grâce à la faveur impériale. L'empereur pouvait conférer, sait à un membre de l'ordre sénatorial le titre honoraire d'ancien questeur, d'ancien tribun, d'ancien préteur, d'ancien consul, et par là lui donner un siège au Sénat, soit à un citoyen qui n était pas membre de l'ordre sénatorial, le laticlave, insigne des membres de l'ordre, et l'un des titres honoraires précités qui comportaient l'admission au Sénat. Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, la volonté impériale jouait le rôle prépondérant : en ce qui concerne le mode normal de recrutement, il lui suffisait de se déclarer hostile pour fermer l'accès du Sénat; quant à la collation exceptionnelle des titres et qualités nécessaires, c'était elle qui la décidait pleinement et sans qu'aucun recours pût lui être opposé. De tout ce qui précède, il résulte que sous le Haut Empire, le Sénat se composait exclusivement de citoyens que les empereurs y nommaient ou qu'ils y laissaient entrer.

Les sénateurs étaient inscrits sur l'album senatorium dans l'ordre même des magistratures qu'ils avaient exercées ou dont ils avaient reçu le titre honoraire. En tête de la liste était l'empereur, princeps senatus. Venaient ensuite les consulares, les praetorii, les tribunicii, les quaestorii. Dans chacune de ces catégories, les sénateurs étaient rangés par ordre d'ancienneté. La liste des sénateurs était révisée tous les ans : tantôt la révision était faite par l'empereur lui-même comme sous Auguste; tantôt l'empereur en déléguait le soin à un des bureaux de sa chancellerie, le bureau a censibus.

La tenue des séances, la procédure et le règlement intérieurs de l'assemblée furent aussi modifiés sous l'Empire. La présidence du Sénat fut dévolue avant tout à l'empereur; en l'absence de l'empereur, l'assemblée pouvait être présidée par l'un des consuls, des préteurs ou des tribuns de la plèbe. Comme président, l'empereur fixe l'ordre du jour des séances qu'il préside; mais, en outre, il a le droit de se faire représenter, dans les séances auxquelles il n'assiste pas, par un des questeurs spécialement attachés à sa personne, et ce questeur peut communiquer à l'assemblée un ordre du jour écrit, qui a toujours la priorité. Aussi l'on peut dire que l'empereur est le maître de l'ordre du jour du Sénat; qu'il soit présent ou absent, c'est lui qui détermine l'ordre et l'objet des délibérations de l'assemblée; quant aux propositions dont il ne prend pas l'initiative, elles ne peuvent venir en discussion que s'il le veut bien, puisque ses propres propositions ont toujours la priorité. Il est à peine besoin de faire remarquer que les projets de loi présentés par l'empereur au Sénat équivalaient à des ordres, d'autant plus qua le vote était public. 

Lorsque le Sénat devait se prononcer sur une proposition d'un autre magistrat, l'empereur exprimait son avis, soit le premier en tant que princeps senatus, soit le dernier. Les décisions prises par le Sénat sur la proposition de l'empereur ne pouvaient pas être frappées d'intercession, parce qu'il n'y avait dans l'Etat aucune compétence supérieure ni même égale à celle de l'empereur; les autres décisions, au contraire, pouvaient toutes être annulées par l'empereur, en vertu de sa major potestas et de sa puissance tribunicienne. Donc les décisions sénatoriales ne peuvent être prises, et, une fois prises, ne peuvent être valables que si telle est la volonté de l'empereur. En règle générale, le Sénat se réunissait chaque mois le jour des calendes et le jour des ides ; il pouvait être aussi convoqué à d'autres dates dans des circonstances spéciales. Les séances se tenaient dans la curia Julia, construite sur l'emplacement même de la curia Hostilia; commencée par César, la curia Julia fut continuée par les seconds triumvirs, et définitivement inaugurée par Auguste en 29 av. J.-C. Elle était plus vaste, plus somptueuse et autrement orientée que l'ancienne curie (Sur cette question controversée, V. Thédenat, le Forum romain (2e éd.), 1900, et Mispoulet, la Vie parlementaire à Rome).

La compétence du Sénat sous le Haut-Empire peut paraître à un observateur superficiel plus étendue que celle du Sénat républicain; en réalité, elle était entièrement subordonnée à la volonté impériale. A partir d'Auguste, le Sénat perdit une partie des attributions qu'il avait exercées sous la République; il en acquit de nouvelles, que Tibère augmenta encore. Tout ce qui concernait la guerre et l'organisation militaire, les affaires étrangères et la diplomatie lui échappa complètement; il dut partager avec l'empereur l'administration du culte, des finances, de l'Italie et des provinces. Dans ce partage. l'empereur garda encore la haute main sur la part qu'il laissa au Sénat. Par exemple, s'il est vrai de dire qu'en droit le trésor public, aerarium Saturni, alimenté surtout par les impôts perçus dans les provinces sénatoriales, demeura sous la surveillance du Sénat, il est encore plus vrai qu'en fait les administrateurs du Trésor, praefecti aerarii Saturni, furent des agents impériaux, surtout depuis l'année 56 ap. J.-C. à partir de laquelle ces praefecti furent nommés par l'empereur.

La même remarque doit être faite en ce qui concerne les provinces sénatoriales : en apparence, l'empereur avait abandonné ces provinces au Sénat; en réalité, il y possédait une action considérable. Les gouverneurs de ces provinces, les proconsuls, étaient sans doute choisis chaque année parmi les sénateurs consulaires ou prétoriens; mais l'empereur avait le droit d'examiner la liste dressée et d'en rayer les noms qui lui déplaisaient. Ainsi ne pouvaient être nommés gouverneurs de provinces sénatoriales que les sénateurs dont les noms avaient été au préalable agréés par l'empereur. Dans ces provinces, l'empereur était représenté par un procurateur provincial, chargé d'exploiter ou de surveiller l'exploitation des domaines impériaux, de gérer ou de contrôler la gestion de certains monopoles (carrières, mines, salines, etc.), de percevoir au d'affermer la perception de certains impôts. Ces procurateurs avaient sous leurs ordres un nombreux personnel; leurs attributions étaient importantes; ils étaient absolument indépendants des proconsuls; ils relevaient directement de l'empereur; tandis que les proconsuls ne pouvaient rester en charge qu'un an, les procurateurs impériaux demeuraient dans la même province aussi longtemps qu'il plaisait à l'empereur. L'administration des provinces sénatoriales n'avait été abandonnée au Sénat qu'en apparence. La preuve en est que la distinction entre provinces sénatoriales et provinces impériales alla en s'effaçant progressivement et finit par disparaître au nie siècle, sans qu'il fût besoin de rien changer aux attributions du Sénat ou de l'empereur.

Les attributions nouvelles concédées par Auguste et Tibère au Sénat présentent le même caractère. Le Sénat exerça sous l'empire la juridiction criminelle dans certains cas, par exemple lorsqu'il s'agissait de membres de l'ordre sénatorial, ou encore lorsque le cas ne pouvait pas être jugé par les juges ordinaires. La sentence prononcée par l'assemblée était rédigée sous forme de sénatus-consulte, et comme l'empereur pouvait annuler par voie d'intercession toute décision du Sénat, il en résultait que seules les sentences, qui avaient l'agrément de l'empereur, étaient exécutées. En matière civile, le Sénat pouvait se prononcer en appel dans les procès qui avaient été jugés à Rome, en Italie et dans les provinces sénatoriales; mais cette jus ridiction d'appel était délégué par le Sénat aux consuls. La compétence judiciaire du Sénat impérial fut donc, en fait, illusoire.

Anguste donna au Sénat des attributions législatives. 

« Depuis le règne de Tibére, dit Willems, le Sénat devient le vrai corps législatif de l'empire romain. Les mesures votées par lui ont force de loi; elles ne s'appellent pas leges, mais sénatus-consultes. Ces sénatus-consultes se rapportent à toutes les branches de la législation : au droit privé et au droit public, au droit pénal et à la procédure, au droit administratif, etc. »
Soit, mais ici encore la réalité historique diffère profondément de l'apparence théorique. Les seuls sénatus-consultes législatifs, qui peuvent vraiment devenir des lois, sont :
1° ceux qui ont été votés sur la proposition de l'empereur et contre lesquels aucune intercession n'est possible;

 2° ceux qui émanent de l'initiative du Sénat, mais que l'empereur a bien voulu accepter, en n'exerçant pas contre eux son droit d'intercession. Le Sénat ne peut exercer sa nouvelle fonction législative que dans la mesure où l'empereur vent bien y consentir.

Sous Tibère, le Sénat hérita des attributions électorales que les comices avaient jusqu'alors possédées. Ce fut lui qui élut dès lors à toutes les anciennes magistratures républicaines : questure, tribunat de la plèbe, édilité de la plèbe et curule, préture, consulat. Mais, d'une part, ces magistratures ne comportaient plus aucun pouvoir réel; d'autre part, l'empereur se réserva le droit de présenter des candidats, que le Sénat se gardait bien de ne pas élire. La compétence électorale du Sénat était si peu réelle qu'au IIIe siècle les jurisconsultes considéraient les magistrats comme désignés en fait par l'empereur.

La prétendue dyarchie, chère à Mommsen, n'est qu'une construction théorique de droit constitutionnel; elle n'a jamais existé dans la réalité. Le Sénat fut toujours et complètement subordonné à l'empereur. Il n'exerça une action véritable que sous les empereurs qui voulurent bien lui accorder quelque indépendance, par exemple sous Trajan, mais alors le Sénat fut plus soumis que jamais à la volonté impériale. Pendant le IIIe siècle, il essaya à plusieurs reprises de jouer un rôle important dans l'Etat, sous Alexandre Sévère, à l'avènement de Gordien ler, pendant le règne de Gordien Ill, sous les empereurs illyriens; un historien moderne a même parlé d'une restauration sénatoriale, qui aurait rempli une bonne partie du IIIe siècle (Lécrivain, le Sénat romain depuis Dioclétien). 

Il ne faut pas exagérer le rôle joué par le Sénat pendant la période de troubles et d'anarchie que traversa alors l'empire; l'armée, les légions, même les provinces ne furent pas moins actives, et l'on ne voit pas trop quelle action exerça le Sénat sur le gouvernement général du monde romain. A nos yeux, la vérité historique est que, dès le début de l'empire, le gouvernement impérial fut une monarchie, parce que toute la réalité du pouvoir se trouva concentrée dans les mains de l'empereur; non seulement l'empereur était tout-puissant, mais il pouvait à chaque instant affûter net, par son droit d'intercession, l'exercice des attributions qu'il avait laissées ou accordées au Sénat. gons l'empire, la destinée du Sénat nous paraît tout à fait analogue à celle des anciennes magistratures républicaines : le Sénat formait le corps le plus honoré de l'empire; mais s'il avait l'apparence et l'éclat du pouvoir, il n'en avait pas la réalité.

Le Sénat au Bas-Empire

Une nouvelle période s'ouvre dans l'histoire du Sénat romain avec la réorganisation impériale de Dioclétien et de Constantin. Conformément à l'idée générale qui domina tout cet ensemble de réformes sociales et politiques, les anciennes institutions furent à peu près complètement dépouillées, au profit du palais et des fonctionnaires impériaux, des attributions pourtant plus apparentes que réelles qu'elles avaient encore exercées sous le Haut-Empire
Le Sénat de Rome « descendit au rang d'une institution quasi municipale, sans autorité sur le reste de l'empire » (Willems). 
Pour y être admis, il fallait avoir exercé le consulat on avoir reçu de l'empereur le titre de consul honoraire. L'assemblée était présidée par les consuls. Le Sénat perdit la plupart de ses attributions : il ne légiféra plus, il ne jugea plus que les causes très peu nombreuses que l'empereur daignait lui soumettre; il élut toujours les préteurs et les questeurs, mais parmi les consuls, il ne désigna désormais que les consuls suffects; d'ailleurs ces magistratures avaient perdu, comme le Sénat lui-même, presque toutes leurs anciennes attributions. Parfois l'empereur le consultait; mais ce n'était pas là  un droit. Le prestige du Sénat de Rome fut diminué par la création du Sénat de Constantinople, que Constantin institua lorsqu'il fonda cette ville, et auquel il accorda tous les privilèges du Sénat romain.

Le Sénat de Rome dura jusque vers la fin du VIe siècle. Il semble n'avoir joué aucun rôle politique sérieux. L'un des traits les plus intéressants de son histoire au IVe siècle est la lutte qu'il soutint contre Gratien, Valentinien II et Théodose, pour arrêter la chute du paganisme et pour faire relever dans la curie l'autel de la Victoire renversé par Gratien. Sous Théodoric, au contraire, il fut l'organe des catholiques orthodoxes contre les Ariens. Après Théodoric, il se montra hostile aux Ostrogoths et favorable aux Byzantins. Il salua avec joie la victoire définitive de Justinien. Mais il n'était plus depuis longtemps que l'assemblée municipale de Rome; il ne ressemblait que de nom à l'antique Sénat de la République ou même du Haut-Empire.

Le Sénat de Constantinople dura aussi longtemps que l'empire byzantin. Il ne disparut qu'en 1453. Son organisation était, au début du moins, la même que celle du Sénat de Rome; son histoire politique n'est guère mieux connue que celle du Sénat romain, mais son intervention dans les affaires religieuses paraît avoir été beaucoup plus considérable. 

« Dans cet Empire, où les pouvoirs civils et religieux sont presque confondus, le Sénat intervient plus activement qu'à Rome dans le domaine de l'Eglise; dans cet Orient ou pullulent les hérésies, il se fait le défenseur de l'orthodoxie » (Lécrivain). 
Après Justinien, l'histoire du Sénat byzantin est obscure, bien qu'il soit resté l'un des organes essentiels de l'Empire romain, et bien que, suivant la conclusion de Lécrivain, il ait peut-être joué à Constantinople un rôle plus considérable que les textes ne le laissent voir. (J. Toutain).
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