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Sémantique

Tout mot a une signification propre. Mais l'usage ne lui attribue pas toujours exclusivement cette signification propre et primitive, qui réside dans la combinaison du sens de divers éléments avec celui de la racine. De même que les formes se modifient, de même varient les sens; ils s'altèrent, se resserrent, se développent, se nuancent à l'infini; outre leur sens propre, les mots ont des sens figurés qui s'y rattachent par des fils souvent invisibles, qu'une analyse pénétrante peut seule faire découvrir. Cette analyse est l'objet d'une science grammaticale à laquelle on a donné le nom de sémantique (science des significations); le mot sémasiologie a été également proposé. 

Le domaine de cette science est extrêmement vaste, et n'est pas, comme on pourrait le croire, uniquement lexicographique. Le dictionnaire d'une langue, en effet, se borne à donner les sens des mots, en les rangeant autant que possible dans un ordre méthodique, commençant par le sens primitif ou supposé tel, échelonnant ensuite les sens dérivés et figurés, suivant leur rapport plus ou moins voisin avec le sens primitif. Mais la sémantique n'a pas à constater le sens des mots; elle s'appuie, il est vrai, sur cette constatation; elle analyse, elle aussi, les sens multiples des mots d'une langue et les nuances diverses qu'ils expriment; mais son but est plus élevé et en même temps plus philosophique; elle recherche comment le sens primitif a donné naissance aux autres significations, par quelles associations d'idées ces dernières ont été produites, pourquoi des sens ont disparu de l'usage, pourquoi de nouveaux sens ont surgi, quels sont les principes fondamentaux de toutes ces variations ; et elle les poursuit, non seulement dans une même langue, mais aussi d'une langue à l'autre, par exemple du latin au français, du gothique à l'allemand, etc.

La sémantique, en somme, s'occupe du sens des mots exactement comme la phonétique s'occupe des sons; pourquoi en effet n'y aurait-il pas des lois d'où dépendent les variations des sens, de même qu'il y a des lois qui régissent les transformations des sons? Il faut remarquer cependant que les lois découvertes par la phonétique ne sont pas de la même nature que celles qui sont l'objet des recherches de la sémantique; les premières sont d'ordre physique, et totalement en dehors, quoi qu'on ait pu dire, de la volonté humaine, car les sons dépendent exclusivement de l'appareil vocal et échappent à toute modification consciente; les secondes, au contraire, sont d'ordre intellectuel, et sont dues à la perception de rapports plus ou moins directs établis consciemment. C'est pour cette raison que les lois sémantiques ont une portée moins absolue que les lois phonétiques;  celles-ci ne souffrent pas d'exception, en ce sens qu'une modification s'exerce parallèlement à la même époque sur tous les sons soumis aux mêmes conditions, tandis que celles-là s'exercent d'une façon restreinte suivant les mots et suivant les individus.

Une loi étant la formule d'un rapport constant, on ne saurait donc concevoir les lois sémantiques comme des lois à proprement parler; elles ne représentent que des principes généraux inhérents à l'esprit humain, essentiellement mobile dans l'expression de la pensée, qui sont par conséquent variables comme lui et comme lui susceptibles d'exprimer ou non les rapports saisis entre les choses. On ne peut donc établir de lois qui régissent les modifications des sens. La sémantique n'en est pas moins une science du plus haut intérêt, car elle peut découvrir les tendances générales de l'esprit relativement à l'expression des idées par le langage, et la découverte de ces tendances, comme leur réduction en formules, est de la dernière importance non seulement dans l'histoire d'une langue, mais aussi et surtout dans l'évolution qui a fait sortir les divers idiomes dés langues qui les ont précédés. Rien ne s'oppose alors à ce que ces tendances soient qualifiées de lois, à condition que l'on ne se méprenne pas sur le sens de ce mot. (GE).



Georges Mounin, La sémantique, Payot, 2010. 
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La sémantique ne peut être étudiée de la même manière que des branches de la linguistique telles que la phonologie, la morphologie ou encore la syntaxe, où l'on peut construire des structures objectives. C'est que la sémantique, traditionnellement définie comme la science ou la théorie des significations linguistiques, ne se laisse pas réduire à une analyse positive. Il est impossible d'exposer en la matière autre chose que des hypothèses contradictoires et des fragments de thèses contestées. Aussi, pour Georges Mounin, le meilleur moyen de suggérer au lecteur l'état réel de la question, c'est de lui faire suivre le chemin qu'il a lui-même parcouru, d'autant que ce cheminement est une véritable propédeutique. (couv.).
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