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Le
XVIIe siècle.
S'il était nécessaire
de montrer combien il est artificiel de séparer en matière politique
l'art de la science, et de vouloir en étudier les principes indépendamment
de l'histoire, il suffirait de constater à quel point l'évolution de
la science s'est conformée au mouvement politique du XVIe
et du XVIIe siècle. Le XVIe
siècle avait été celui des révolutions et des théories les plus variées.
Le XVIIe fut dominé par la monarchie
française : il vit s'épanouir la doctrine absolutiste,
et les seules notes discordantes vinrent d'Angleterre
où deux révolutions ébranlèrent le trône. Le XVIe
siècle avait, en général, relevé les droits de l'individu;
le XVIIe les abaissa devant l'Etat
représenté par un roi.
Philosophiquement,
c'est assurément Hobbes, courtisan des Stuart
et chargé de légitimer la monarchie absolue, qui en a donné la formule
la plus remarquable. Ce n'est pas au droit divin
ou patriarcal ni même au droit de la force pure qu'il attribue l'origine
légitime du régime despotique. Il existe
un état de nature primitif où les humains vivent sans maîtres et où
ils sont dans l'état de guerre, s'entre-choquant au hasard, selon leurs
instincts et leurs passions. L'existence était intolérable, tout progrès
était impossible dans un tel état. Aussi ont-ils senti le besoin de constituer
une société et de créer une force qui fut capable de les gouverner.
C'est donc la multitude qui a créé le pouvoir de l'Etat,
mais non pas en vertu d'un contrat sur lequel elle aurait le droit de revenir,
mais par une aliénation totale de ses droits sur laquelle elle n'a pas
le droit de revenir, puisque les réclamer serait retourner à l'état
de nature et ramener par conséquent le désordre initial. Le gouvernement
sera de préférence monarchique et absolu,
car c'est ainsi qu'il aura le plus de force pour réprimer les passions
mauvaises et qu'il lui sera le plus aisé d'y échapper. Il fixe le juste
et l'injuste, autorise ou défend les doctrines et les opinions, établit
et réglemente le droit de propriété. En vain, par des restrictions quelquefois
bizarres, l'auteur s'efforce de faire quelques concessions à la liberté
et d'adoucir l'âpreté de ses maximes. C'est bien le théoricien de l'Etat
monarchique et tout-puissant qu'il faut voir en lui.
On peut dire que
la philosophie politique de Hobbes est latente
dans la monarchie de l'Ancien
régime. Le XVIIe
siècle vit d'autres philosophes illustres. La plupart subirent son influence.
Descartes et Pascal
acceptent comme un phénomène nécessaire et justifient le despotisme
de l'Etat représenté par un individu. Spinoza
proclame, en somme, le droit de la force, tout en en déconseillant l'usage,
et en engageant l'Etat à tolérer la liberté et
à se gouverner selon la raison. Mais avec Hobbes, en corrigeant par des
maximes religieuses ce que sa philosophie a de trop âpre, ce sont les
théoriciens de la monarchie française, et au premier rang Louis
XIV et Bossuet, qui élèvent au plus haut
degré la doctrine de la toute-puissance monarchique.
Selon les maximes
du droit romain,
la souveraineté est dévolue au prince; selon la tradition chrétienne,
le prince est le représentant de Dieu sur la Terre;
enfin, selon le principe féodal, le prince
est le suzerain universel et le vrai propriétaire des biens de ses vassaux,
ceux-ci n'en possédant que le domaine utile. En fait comme en théorie,
l'Etat se confond avec le prince et s'incarne en lui. Son autorité ne
doit pas être arbitraire. Mais elle est limitée seulement par son intérêt
et par ses devoirs religieux. Le but principal de l'Etat est d'accroître
sa puissance. Il pèse sur les consciences, se fait théologien, se soucie
peu de la morale et se guide selon la raison d'Etat. Les citoyens ou plutôt
les sujets n'ont aucun droit vis-Ã -vis de lui. La notion d'un droit naturel
est repoussée. Bossuet flétrit Jurieu
et Grotius d'avoir osé l'émettre. Sans doute,
on engage le prince à respecter les « lois fondamentales du royaume »,
à ne pas user arbitrairement des personnes et des choses; mais ce n'est
que par scrupule religieux et en raison des inconvénients pratiques qu'amènent
ces mesures qu'il est engagé à s'en abstenir. Nous sommes avertis qu'il
y a des cas où il peut en agir autrement; il n'en doit compte qu'à Dieu,
et le peuple n'a pas le droit de discuter, moins encore naturellement celui
de se révolter.
Cette théorie du
pouvoir de l'Etat est peut-être la plus absolue
qui se soit produite depuis l'écroulement de la cité antique. Elle subsista,
très faiblement adoucie, dans les pouvoirs constitués jusqu'en 1789 (La
Révolution française) et elle marqua profondément son empreinte
sur les esprits même de ceux qui la discutèrent. Elle fut battue en brèche
dès la fin du XVIIe siècle au nom de
la raison et des droits naturels; mais très souvent l'absolutisme
du prince seul fut critiqué, et l'on accorda à l'Etat, sous une autre
forme, presque autant de droits qu'il en avait sous la monarchie
traditionnelle. Il y a jusque chez Rousseau
et les Jacobins l'empreinte de la théorie classique de l'absolutisme :
elle n'apparaît pas dans leurs principes, et cela suffit pour que la différence
soit énorme; mais elle se retrouve dans leurs conclusions. La monarchie
de l'Ancien régime avait
créé de telles habitudes de socialisme d'Etat
qu'on en retrouve les traces chez la presque totalité des philosophes
réputés libéraux ou individualistes.
(André Lichtenberger). |
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