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La philosophie

Aperçu Divisions de la philosophie La nature du réel Le problème de la connaissance L'action et les fins La valeur de la philosophie

V. Delbos 
c.1900 
Divisions de la philosophie. Sens de ces divisions - Si la philosophie n'est justifiée qu'à la condition d'être sur les mêmes objets que les sciences autre que les sciences, quelle raison y a-t-il de maintenir sous son nom des systèmes d'études qui, à mesure qu'ils seront plus parfaits, auront des caractères très semblables à ceux qu'affectent les connaissances positives. On a divisé traditionnellement la philosophie en psychologie, en logique, en esthétique, en morale, en métaphysique; or, si l'on excepte la métaphysique, les autres parties de la philosophie paraissent susceptibles d'être traitées de plus en plus comme des sciences ordinaires ; on peut, en faisant abstraction de toute question dernière, étudier positivement les faits de conscience, déterminer positivement les conditions normales de la connaissance exacte, du sentiment et de la représentation du beau, de la production et de la transformation de la moralité: et s'il semble que ces dernières disciplines dépassent la science positive parce qu'elles paraissent présenter des canons et des règles, il ne faut pas oublier que toute science est à certains égards normative par rapport à des arts et des façons d'agir qui lui correspondent. Pourquoi dès lors la philosophie ne se borne-t-elle pas à la métaphysique? Ou si elle comprend en elle des connaissances qui doivent dans leurs procédés s'inspirer de plus en plus des autres sciences, pourquoi ne pas réclamer pour elle la physique aussi bien que la psychologie, la biologie aussi bien que la morale? La réponse serait difficile, si l'on prétendait faire coïncider les questions philosophiques avec les divisions ordinaires de la philosophie. Mais il est arbitraire d'invoquer ces divisions pour mettre d'un côté ce qui, dans la connaissance humaine, est philosophique, et de l'autre ce qui ne l'est pas. 

En un sens, la philosophie est aussi liée à la physique et à la biologie qu'à la psychologie et à la morale, et, en un autre sens, la psychologie et la morale, comprises comme sciences, sont aussi indépendantes d'elle que la physique et la biologie. C'est qu'au fond la philosophie, si elle est autre que la science, l'est par le point de vue plus encore que par l'objet de la nature matérielle il peut y avoir science et métaphysique : de même, de la nature intérieure de l'humain. Il resterait néanmoins une anomalie à reconnaître : la philosophie prétendrait, à l'égard de certains objets, être leur métaphysique et leur science, à l'égard de certains autres leur métaphysique seulement.

Cette anomalie n'est pas sans quelque raison : une fois admis que les divisions ordinaires de la philosophie sont loin de désigner ce qui ne serait que philosophique sans être scientifique, il y a lieu de remarquer que les systèmes d'études compris habituellement sous le nom de philosophie se distinguent des systèmes d'études indépendants ou extérieurs en ce qu'ils fournissent pour la solution des problèmes spécialement philosophiques une contribution plus directe. Par exemple, quelle que soit la diversité des sciences, elles ont toutes pour caractère commun de ne pouvoir se constituer que par l'action de la pensée. Or de quelle nature est cette action? Il est Certain que la réponse à ce problème résout pour une part la question de savoir ce qui est le réel. Si l'action de la pensée ne consiste qu'à prendre conscience des rapports qui sont donnés en fait entre les choses, la mesure du réel apparaîtra tout autre que si l'action de la pensée consiste à lier les choses selon des rapports qu'elle-même détermine. La psychologie en traitant de la nature et des lois de formation des états intellectuels, la logique en traitant des règles méthodiques qui garantissent à l'entendement la certitude, peuvent fournie le moyen de déterminer ce qu'est l'action de la pensée. Pareillement, comme nous l'avons dit, la philosophie se propose de compléter l'intelligence scientifique du réel par une estimation des degrés de valeur qu'il a. La psychologie encore, en traitant des sentiments et des motifs qui inspirent la volonté, l'esthétique et la morale, en traitant des fins idéales de l'activité artistique et pratique, permettent de définir ces rapports de perfection selon lesquels la conscience humaine aspire à juger des choses, et d'ajouter aux critères de vérité des critères de valeur. Si dans la psychologie, la logique, l'esthétique et la morale peuvent être plus particulièrement appelées des sciences philosophiques, ce n'est pas parce qu'en tant que sciences elles constituent la philosophie mieux que ne le pourraient faire la physique et la biologie, c'est parce qu'elles sont indispensables, non pas seulement pour la solution, mais pour la détermination des problèmes philosophiques soulevés par les autres sciences aussi bien que par elles-mêmes.

Ceci conduit à reconnaître que la position des problèmes philosophiques est indépendante des divisions établies entre les sciences. En d'autres termes, les causes qui ont fixé les frontières de chaque mode positif de connaissance ne tiennent en aucune façon aux exigences de la pensée philosophique. -On peut dire que la pensée philosophique se développe à travers les sciences qui peu à peu se sont constituées plus ou moins en dehors d'elle sans s'assujettir aux limites que pour leur intérêt elles se sont fixées. Aussi serait-il inexact, pour expliquer les questions dont elle s'occupe, de les faire dériver des postulats plus ou moins implicites de chaque science prise isolément. Ce qui est vrai, c'est que ces questions ont été transformées par l'évolution même-des sciences sans perdre pour cela leur primitive raison d'être. On ne peut en découvrir le sens actuel qu'en tenant compte de la tradition historique qui l'a déterminé. Les problèmes philosophiques soutiennent donc un double rapport, en premier lieu avec les sciences particulières qui obligent d'en soustraire l'énoncé à des conventions arbitraires ou à d'illégitimes curiosités de l'esprit; en second lieu avec les systèmes déjà produits qui en maintiennent et en spécifient de plus en plus la signification. L'histoire de la philosophie est donc indispensable à l'intelligence de ce que peut ou de ce que doit être actuellement la philosophie. Sans prétendre que les doctrines philosophiques ne soient que le développement d'une seule et même vérité qui traverserait des phases diverses pour arriver à des expressions de plus en plus compréhensives, il faut bien cependant admettre que leurs concordances et leurs oppositions ont servi, non pas sans doute à résoudre absolument, mais à mieux entendre les problèmes auxquels elles tâchaient de répondre.

Position des problèmes philosophiques.
Au vu des différentes conceptions de la philosophie qui se se sont faites jour au cour de l'histoire, on a dû remarquer que l'identité-apparente de certaines définitions de la philosophie est fort loin de correspondre à une même façon d'en concevoir et d'en poursuivre l'objet. L'élimination des différences spécifiques par lesquelles se distinguent d'autres définitions plus ou moins discordantes ne donnerait d'autre part qu'un résidu abstrait, et comme indifférent à la nature essentielle de la chose à définir. A la vérité, sous le nom de philosophie se sont produits des efforts, des méthodes et des doctrines dont l'unité formelle, telle que la peut donner une définition préalable, resterait, à l'égard de ce qu'elle doit comprendre, purement extérieure et schématique, dont l'unité concrète, si elle pouvait être saisie, représenterait ce qui n'est pas encore et ne sera jamais, à savoir la philosophie parfaite.

Il reste toutefois que, selon la plupart des définitions énoncées, la philosophie a pour caractère d'être une connaissance. Si indéterminé que, paraisse ce caractère, il l'est moins qu'on ne pouvait le croire, à cause des exclusions qu'il suppose. Il désigne comme arbitraire l'usage qui attribue la qualification de philosophiques à des modes d'activité surtout pratiques, même à ces modes de l'activité intellectuelle qui, participant plus ou moins, directement de l'expérience quotidienne, du sentiment, de l'imagination, de la vie morale, consistent principalement en vues spontanées, en réflexions sans technique et sans méthode, en représentations mythiques, en croyances. Ce n'est pas à dire que ces acquisitions, ces facultés, ces produits et ces états de la nature humaine ne puissent entrer dans l'explication philosophique; mais ils n'y entrent que comme données ou que comme moyens auxiliaires dont la valeur et la portée sont établies par la raison. La philosophie est essentiellement théorie intellectuelle.

Ce qu'elle est plus précisément ne saurait tenir en une formule. Si, à travers de nombreuses vicissitudes, ce sont les mêmes problèmes qu'elle poursuit, le sens de ces problèmes a été à la fois renouvelé et déterminé par les solutions qu'ils avaient déjà reçues ; objectivement considérées, hors de la suffisance que leur attribuent leurs auteurs, les. solutions philosophiques sont avant tout des transformations de problèmes: de là, pour bien marquer l'objet essentiel de la recherche philosophique, la nécessité de le définir, par des questions, et de montrer aussi comment ces questions qui ont suscité des doctrines nouvelles ont résulté, dans leur énoncé et leur signification, de doctrines antécédentes.

Les problèmes dont s'occupe la philosophie concernent soit la nature du réel, soit la forme de la connaissance, soit les fins de l'action humaine : ils correspondent aux recherches que les anciens avaient distinguées sous le nom de physique, de logique et d'éthique: distinction qui, si elle est largement interprétée, est tout à fait conforme, comme le remarque Kant, à la vérité des choses (Fondation de la métaphysique des moeurs, Préface). (Victor Delbos).

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