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La pensée et ses outils > L'écriture
 
La paléographie
grecque et latine
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    On donne le nom de paléographie (mot dérivé du grec palaio = ancien, et graphè = écriture) à la science qui étudie les écritures anciennes et trace les règles à suivre dans la lecture de celles-ci. Son domaine, en principe, peut s'étendre à tous les genres de documents, à tous les pays, à tous les temps, mais, en pratique, les inscriptions font l'objet d'une discipline spéciale, l'épigraphie, et l'étude des légendes des monnaies et des sceaux est naturellement comprise respectivement dans la numismatique et dans la sigillographie. Ces disciplines peuvent être considérées comme des  branches de la paléographie, même si l'usage a réservé, en général, l'emploi du mot paléographie à l'étude des documents écrits sur des matières autres que la pierre ou le métal. 

    La paléographie trouve donc son application dans tous les manuscrits d'autrefois, quelle que soit la branche des connaissances humaines à laquelle ils appartiennent; elles se vérifient également dans les documents officiels et dans les écrits historiques, comme dans les traités de littérature, de philosophie, de théologie, de linguistique, de mathématiques, etc.

    Elle nous fait connaître la forme des lettres, des chiffres, les liaisons ou conjonctions de certaines lettres, les signes abréviatifs, les contractions des mots, la manière d'indiquer les corrections, etc. Elle s'occupe également de la matière employée pour fixer l'écriture, des instruments dont on s'est servi pour la tracer, enfin de la forme donnée aux écrits.

    Ajoutons qu'en vertu de son étymologie, le nom de manuscrit puisse s'appliquer indistinctement à tout écrit tracé à la main : manu scriptum, toutefois il est presque toujours employé dans un sens plus restreint. On s'en sert le plus souvent pour désigner des rouleaux et des livres renfermant des oeuvres littéraires ou des écrits autres que les actes authentiques. Ceux-ci sont plutôt connus sous le nom d'actes ou documents publics.
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    Ecritures capitales, dans le psautier de saint Augustin.
    Fragment d'un manuscrit médiéval, qui mêle plusieurs sortes d'écritures majuscules
    et, dans les notes interlinéaires, une écriture minuscule (anglo-saxonne).

    Quant à ces derniers, la paléographie en étudie les caractères externes, c'est-à-dire la matière (papyrus, parchemin ou papier) sur laquelle est tracée l'écriture, et l'encre dont on s'est servi; elle en déchiffre le texte; en d'autres termes, elle enseigne à les lire et à en apprécier l'écriture, tandis que la diplomatique s'occupe de leurs caractères internes, comme sont la langue dans laquelle ils sont rédigés, leur style, les différentes parties dont ils se composent, etc.

    « Il importe, dit Maurice Prou, de ne pas confondre la paléographie et la diplomatique. Ces deux sciences, très voisines, se prêtent un mutuel secours; cependant leurs champs d'action sont distincts. La première. a pour objet l'étude des caractères extérieurs des actes; la seconde, l'étude de leurs caractères internes et constitutifs. Un savant qui connaît les règles de la diplomatique peut déterminer, d'après le style, d'après l'emploi de telle ou telle formule, l'époque à laquelle un acte a été rédigé; la connaissance de la paléographie lui permettra de déterminer dans quel siècle ce même acte a été transcrit. En un mot, comme l'a si bien dit le savant professeur de l'École des chartes, Léon Gautier, le paléographe étudie le corps des chartes, le diplomatiste en étudie l'âme. » (Manuel de paléographie, 2e éd., pp. 2-3).
    Il serait plus exact, pensons-nous, d'affirmer que les caractères externes des actes publics, tels que la matière sur laquelle ils sont transcrits, leur écriture, leurs abréviations, la forme plus ou moins ornée de leurs lettres etc., sont du domaine de la paléographie lorsqu'on les considère matériellement, c'est-à-dire comme objet du déchiffrement ou de la lecture, mais qu'ils sont du ressort de la diplomatique lorsqu'on les étudie formellement, c'est-à-dire dans leur rapport avec l'authenticité des actes, pour confirmer ou infirmer celle-ci.

    Notons enfin que le terme de paléographie s'applique dans son acception la plus usuelle, comme on le fera ici, à l'étude des seules écritures grecques et latines, ces dernières concernant non seulement la langue latine, mais aussi les langues modernes qui ont employé l'alphabet latin ou ses dérivés, en usage durant le Moyen âge.
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    Les origines de la paléographie

    Les écritures qui ont leurs origines dans l'Antiquité n'ont été l'objet d'études systématiques que dans les temps tout à fait modernes. L'histoire du progrès des études paléographiques, qui ont renouvelé entièrement  toutes les études historiques, se rattache, à partir du milieu du XVIIe siècle, à l'historique de la diplomatique. C'est principalement par des travaux fondés sur les études de paléographie que les bénédictins sont devenus célèbres. Après l'époque de la Révolution française, l'Ecole des Chartes, par son enseignement, par ses méthodes et par l'intermédiaire des savants qu'elle a formés, a donné à la science de la paléographie une impulsion considérable, qui s'est fait sentir ailleurs qu'en France. On ne rencontre pas, chez les auteurs du Moyen âge, de sens paléographique proprement dit. Ils ne considéraient les textes des classiques latins que comme des modèles de latinité grammaticale sans valeur proprement littéraire, et, pour eux, les oeuvres des historiens romains ne devaient guère servir que d'exemples destinés à illustrer la perversion produite par le paganisme. Les manuscrits latins étaient simplement recopiés ou conservés sans préoccupation d'étude critique d'aucune sorte. Ce n'est qu'à l'époque des humanistes, qui commence avec Pétrarque et ses contemporains, que l'on voit apparaitre chez les commentateurs quelques remarques de paléographie proprement dite, mais sans ordre et sans méthode. Le respect des textes et des manuscrits était si peu développé que les éditions princeps du XVe siècle se faisaient souvent sur les anciens manuscrits, dont plusieurs remontaient bien probablement à l'Antiquité classique, et qui étaient remis directement aux mains des imprimeurs.

    Noms des parties qui composent les lettres.
    Pour pouvoir étudier les transformations successives subies par les différents genres d'écritures, et les décrire avec précision, il est nécessaire de connaître les noms des parties dont se composent les lettres. Une fois en possession de cette terminologie, on comprendra sans peine la description des lettres, même les plus compliquées.

    Les lignes verticales qui entrent dans la composition des lettres portent généralement le nom de hastes. On les appelle aussi queues lorsqu'elles se prolongent au-dessous de la ligne des lettres.

    Les lignes horizontales concourant à la formation de certaines lettres sont appelées barres; quelquefois aussi traverses, notamment dans les lettres A et H.

    Les lignes courbes ou convexes, qu'on rencontre dans quelques lettres, sont des panses ou des boucles.
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    La lettre A se compose de deux montants ou hastes inclinées, écartées à leur base et réunies, au milieu, par une traverse.

    Le B majuscule se compose d'une haste et d'une double panse; le b minuscule d'une haste et d'une panse.

    On trouve dans le C une panse souvent terminée par deux crochets.

    Le D se compose d'une haste et d'une panse enveloppant la haste tout entière; le d, au contraire, est formé d'une haste et d'une panse n'enveloppant que la partie inférieure de la haste.

    L'E et l'F ont une haste à laquelle se rattachent dans l'E trois, et dans l'F deux barres.

    Le G se compose comme le C d'une panse terminée par deux crochets, mais son crochet inférieur, au lieu d'être pointu, est coupé carrément ou tranché.

    L'H se compose de deux hastes et d'une traverse. 

    L'I est une simple haste.

    Le K est formé d'une haste et de deux branches;

    l'L, d'une haste et d'une barre.

    Dans les lettres M et N, les hastes prennent ordinairement le nom de jambages; ils sont réunis, dans la première de ces lettres, par une traverse brisée et, dans la seconde, par une

    traverse oblique.

    L'O est le résultat de la réunion en forme de cercle, d'une double panse. 

    Le P, tant majuscule que minuscule, se compose d'une haste ou queue, et d'une panse qui en enveloppe la partie supérieure.

    Le Q est une double panse formant cercle et munie d'une queue.

    On désigne quelquefois sous le nom de queue la ligne ondulée qui
    distingue l'R du P.

    L'S se compose de deux panses superposées et arrondies, l'une à droite, l'autre à gauche.

    Le T est formé d'une haste surmontée d'une barre.

    L'U a deux jambages, qui s'arrondissent par la base pour se réunir en forme de panse.

    Le V présente deux montants réunis à leur base et séparés à leur sommet. 

    L'X est formé par deux traverses inclinées qui se croisent. 

    L'Y se compose d'une haste surmontée de deux branches.

    Il y a, dans le Z, deux barres réunies entre elles par une haste inclinée.

    DIVISIONS DE L'ÉCRITURE.
    Nous ne nous occuperons pas ici de l'origine de l'écriture alphabétique, ni des écritures sémitiques et orientales. C'est principalement l'écriture dite romaine ou latine qui fera l'objet des paragraphes qui suivent. C'est  de celle-ci que dérivent plus ou moins directement toutes les écritures européennes du Moyen âge et des Temps modernes.

     L'écriture majuscule et l'écriture minuscule

    Considérée au point de vue de la grandeur et de la forme des lettres, l'écriture peut se diviser en majuscule et minuscule.
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    Capitales rustiques.
    Capitales rustiques. Psautier de saint Augustin.

    Écriture majuscule.
    L'écriture majuscule comprend l'écriture capitale et l'écriture onciale.

    A. Écriture capitale.
    On appelle capitale l'écriture dont les lettres, presque toujours grandes et régulières, et inscrites entre deux lignes parallèles, aboutissent à ces lignes par leur sommet et par leur base, et ne les dépassent que fort rarement. Dans l'onciale et dans la minuscule, au contraire, les lettres sont tracées entre quatre lignes parallèles : les panses ou boucles, et plusieurs lettres entières sont comprises entre les deux lignes moyennes, tandis que les hastes et les queues de certaines autres lettres s'étendent jusqu'aux lignes extrêmes; parfois même elles les traversent et se prolongent au delà.

    On distingue plusieurs espèces de capitale : la capitale primitive ou anguleuse, la capitale épigraphique et la capitale rustique.

    Capitale primitive
    La capitale primitive ou anguleuse ne se rencontre que sur les pierres et les monnaies les plus anciennes; elle se caractérise par la forme anguleuse de certaines lettres; les panses de ces lettres, au lieu d'être courbes comme celles de nos majuscules modernes, sont formées de lignes droites qui s'entrecoupent selon des angles plus ou moins aigus.
    On trouve : pour B, C, D, O, P, R et S.

    Ces lettres, dans la composition desquelles il n'entre que des lignes droites, étaient évidemment plus faciles à tailler dans le marbre que les lettres à panse arrondie, qu'on leur substitua plus tard dans les manuscrits.

    Les Anciens donnaient à cette écriture le nom de litera quadrata, écriture carrée.

    Les lettres ne tardèrent pas à perdre cette forme rudimentaire; leurs angles les plus saillants furent arrondis, et on arriva, par des transformations successives, aux capitales épigraphique et rustique.

    Capitale épigraphique ou élégante
    La capitale épigraphique est belle et régulière; elle ressemble à la majuscule ordinaire dont on se sert encore pour les titres des livres. Sans présenter la régularité absolue des caractères d'imprimerie, régularité obtenue par la fusion dans les mêmes matrices, la capitale épigraphique ancienne atteint cependant une grande perfection dans quelques manuscrits de l'Antiquité et dans beaucoup d'inscriptions gravées sur la pierre, le marbre ou le métal. Il est à remarquer que cette perfection se rencontre beaucoup moins souvent dans les manuscrits que dans les inscriptions gravées.

    Capitale rustique.
    Les copistes de l'Antiquité se sont servis presque constamment, au moins depuis le IVe siècle, d'une capitale moins régulière que la capitale épigraphique ou élégante. Les lettres de cette écriture, tout en conservant leur forme caractéristique, offrent cependant moins d'élégance. Les extrémités tranchées des hastes, des queues et des barres, qui, dans la capitale épigraphique, se terminent par une ligne transversale, ne reçoivent plus cet ornement; la traverse de la lettre A fait régulièrement défaut; et les barres des lettres E, L et T se raccourcissent notablement, etc. Cette capitale est connue sous le nom de rustique.-

    Jusqu'au VIe siècle, on trouve des ouvrages entiers écrits en lettres capitales.

    Les plus anciens manuscrits en capitale n'ont pas de ponctuation; celle que l'on voit dans quelques-uns d'entre eux date presque toujours d'une époque postérieure à la transcription du manuscrit, comme le prouve la teinte différente des encres employées. De plus, dans ces manuscrits, les mots se suivent sans séparation aucune; il y a entre eux le même intervalle qu'entre les lettres elles-mêmes du mot. L'absence de ponctuation et la non-séparation des mots constituent pour ainsi dire les seules difficultés qu'engendre la lecture des manuscrits en capitales; car les abréviations y sont très rares, et celles qu'on y rencontre se résolvent facilement.

    Dès le VIIe siècle apparaissent des manuscrits dans lesquels des parties en capitale alternent avec des parties en autre écriture : tel est le cas pour un Sedulius, probablement du VIIe siècle, conservé à Turin, et dont une page a été reproduite sur la pl. XVI des Exempla codicum latinorum de Zangemeister et Wattenbach.
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    Psautier de Sedulius.
    Ecriture grecque du psautier de Sedulius.

    A la même époque aussi, on employa parfois la capitale régulière pour la première page d'un livre, pour les titres des chapitres, et en général pour les passages sur lesquels on voulait appeler plus particulièrement l'attention du lecteur. Le manuscrit nn. 9850-9852 de la Bibliothèque de Bruxelles, renfermant les homélies de saint Césaire, et transcrit à Soissons, vers l'année 700, est en onciales, mais le titre et plusieurs pages entières sont en capitales.

    Pendant la période carolingienne le goût pour l'écriture en capitale élégante et rustique reparut; on transcrivit, à cette époque, des ouvrages entiers en ces caractères, et l'on s'en servit fréquemment, dans les manuscrits soignés, soit pour des parties plus ou moins considérables, soit pour les premières pages seulement.
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    Page du psautier d'Athelstan. Le titre utilise des
    capitales, le texte des onciales. (L'initale est un B).

    B. Écriture onciale.
    L'écriture onciale, qu'on appellerait peut-être plus exactement arrondie, est née de la capitale. Pris dans son acceptation rigoureuse, le qualificatif d'onciale appliqué à l'écriture désignerait des lettres d'un pouce de hauteur; en effet, chez les Romains, l'once, uncia, était la douzième partie de l'as, unité de poids, et par extension la douzième partie du pied, unité de longueur. Il ne faut donc pas s'étonner que des auteurs anciens aient appelé onciale une écriture capitale de grande dimension.

    Quoi qu'il en soit, on donne aujourd'hui le nom d'onciale à une écriture dérivée directement de la capitale, ordinairement assez grasse et affectant les contours arrondis. Les angles aigus de certaines lettres de la capitale s'émoussent et prennent une forme convexe; les hastes se prolongent au-dessus de la ligne dans D, L et H, et au-dessous dans F, G, P, Q et quelquefois aussi dans T.

    La naissance de l'écriture onciale s'explique aisément. La forme des lettres de l'écriture capitale, tant rustique qu'élégante, apparut d'abord sur les plaques de pierre et de métal, où les lignes se coupant à angle droit, obtus ou aigu, s'obtenaient sans peine au moyen du ciseau (comme c'est le cas pour A, E, H, M, T et V), tandis que le copiste ou écrivain, qui traçait ces mêmes lettres avec le roseau sur papyrus ou sur parchemin, travaillait plus facilement, et aussi plus vite, en arrondissant les contours, c'est-à-dire en substituant des courbes aux parties anguleuses.

    L'écriture onciale se distingue principalement de la capitale par la forme que prennent les lettres A, D, E, H, M, Q, T et V. Le tableau suivant indique les variations subies par ces lettres dans l'écriture onciale. La première colonne renferme des capitales épigraphiques filocaliennes (De Rossi, Roma, II, pl. II). Les trois suivantes reproduisent des lettres onciales la 2e, du Ve siècle (Palaeographical Society, II, pl. 8); la 3e, du VIe siècle (ibid., II, pl. 10); la 4e, du VIIIe siècle (ibid., I, pl. 236).

    La lettre G prend souvent la forme qu'elle présente déjà parfois dans les manuscrits en capitale. 

    De même que les manuscrits en capitale, ceux en onciale ont été rarement ponctués à l'origine, et les mots s'y suivent sans séparation ni intervalle; les abréviations sont peu fréquentes et n'embarrassent pas la lecture.

    L'écriture onciale était déjà connue au IVe siècle. Aux Ve, VIe et VIIe siècles, on s'en servit presque constamment pour la transcription des livres; et, au IXe, les écoles calligraphiques nées sous l'influence carolingienne la remirent en honneur.

    C. Écriture semi-onciale ou onciale mixte.
    L'écriture semi-onciale, dite aussi demi-onciale ou onciale mixte, n'est qu'une onciale renfermant un certain nombre de lettres empruntées à la minuscule, quelquefois même à la cursive. La distinction de l'écriture semi-onciale d'avec les autres genres d'écriture repose plutôt sur le mélange de caractères propres à des alphabets distincts que sur une altération subie par les lettres. 

    « Toutefois, observe Wailly, ce principe ne doit pas être appliqué sans discernement. Il ne faudrait pas donner le nom d'écriture mixte à celle qui, au milieu d'un grand nombre de caractères de même nature, introduirait, de loin en loin et comme par exception, une lettre appartenant à un autre genre. Si l'on suivait une pareille méthode, on ne trouverait plus guère que des écritures mixtes, et à force de vouloir distinguer, on tomberait dans la confusion. En un mot, quand le mélange des lettres caractéristiques de chaque écriture est purement accidentel, il est évident qu'on doit en tenir compte. » (Éléments de paléographie, I, p. 399).
    On observe, en général, que les lettres e, h, m et v ou u appartiennent à l'onciale, tandis que a, g, r et s se rapprochent de la minuscule.

    L'école calligraphique de Saint-Martin à Tours, qui florissait aux VIIIe et IXe siècles, a souvent fait usage de la demi-onciale pour la transcription de ses livres. 

    Cette demi-onciale, observe Delisle, « se fait remarquer par les particularités suivantes : 1° rondeur et ampleur de la plupart des lettres; - 2° renflement de la partie supérieure des lettres montantes; - 3° forme des a, composés d'un c et d'un i juxtaposés; - 4° forme des g, composés de trois traits parfaitement distincts (une tête formée d'une ligne horizontale, un trait vertical légèrement incliné de droite à gauche, et une ample queue semi-circulaire, ouverte à gauche); - 5° forme des m, dont le dernier jambage se retourne à gauche; - 6° forme des n, qui se rattachent toujours au genre de la capitale et de l'onciale; - 7° développement du trait supérieur des f, des r et des s, surtout quand ces lettres sont à la fin des mots. » Mémoire sur l'école calligraphique de Tours au IXe siècle, dans les Mémoires de l'Académie des inscrip. de l'école de Tours. XXXII, Ire partie, p. 31. 
    Delisle cite ensuite les principaux manuscrits, au nombre de 25, où il a remarqué l'emploi de la demi-onciale.

    Écriture minuscule.
    L'écriture minuscule, en latin scriptura minuta, n'est pas seulement un diminutif de la capitale et de l'onciale quant à la grandeur, elle constitue aussi un genre d'écriture de forme simplifiée, présentant certains rapports, certaines analogies avec les caractères modernes d'imprimerie soit ordinaires soit italiques.

    Elle est appelée minuscule à cause de ses formes simples et exiguës, en opposition avec la majuscule, dont les formes sont plus recherchées et ordinairement de dimensions plus grandes. La capitale et l'onciale sont des écritures majuscules.

    Dans l'écriture minuscule les lettres c, o, p, x, y et z ressemblent beaucoup aux lettres correspondantes de la capitale et de l'onciale, tandis que les lettres h, q, t et u conservent la forme qu'elles avaient dans l'alphabet oncial. Les différences sont surtout sensibles dans les lettres a, b, d, e, f, g, i,  l, m, n, r et s. Le tableau suivant indique quelques-unes des transformations subies par ces dernières lettres dans l'écriture minuscule la plus ancienne :

    La première colonne renferme des lettres onciales de l'année 700 environ (Paleographical Society, II, pl. 65). Les trois autres des lettres minuscules : la 2e, du VIIIe-IXe siècle (Évangeliaire de Maeseyck); la 3e, d'avant l'année 800 (Paleographical Society, I, pl. 239); et la 4e, du IXe siècle (feuillet de garde à la Bibliothèque de l'Université de Louvain).

    Les Romains connaissaient l'écriture minuscule, au moins aux derniers temps de l'Empire. On s'en servait non seulement dans le commerce ordinaire de la vie, par exemple pour les comptes, les quittances ou décharges, les lettres missives, etc., mais aussi dans la chancellerie impériale. Malheureusement peu de monuments graphiques de ce genre sont parvenus jusqu'à nous. La minuscule romaine, même celle qui n'est pas tracée rapidement, présente beaucoup de ligatures.

    Les plus anciens livres entièrement en minuscule ne remontent pas au delà du VIIe siècle, et encore ceux de cette époque sont-ils extrêmement rares. Ce n'est qu'au VIIIe, et surtout au IXe siècle, que la minuscule supplanta pour ainsi dire complètement les autres genres d'écriture pour la transcription des livres.

    Minuscule carolingienne.
    La réforme de l'écriture qui signala le règne de Charlemagne eut son berceau en Touraine et notamment dans l'abbaye de Saint-Martin; elle se produisit sous l'influence des moines, appelés par le souverain de la Grande-Bretagne, et eut pour conséquence la création d'une nouvelle espèce d'écriture, la minuscule carolingienne ou caroline. Dès l'époque mérovingienne s'était bien créée, pour l'usage ordinaire, une sorte de minuscule dérivée de la cursive, mais son développement fut alors interrompu, et c'est de l'onciale que dérive la minuscule caroline. Cette écriture est la forme dont procède la minuscule postérieure, régulière et droite qui s'est développée depuis. D'autres écoles, à Reims, à Saint-Denis, à Sens, à Metz, à Corbie, pour ne parler que de la France, rivalisèrent alors avec l'école de Tours pour copier de beaux manuscrits en minuscule. L'écriture des chartes, restée mérovingienne pendant tout le règne de Charlemagne, n'a subi la réforme qu'à partir du règne de Louis le Pieux.
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    Minuscule caroline.
    32. - Minuscule caroline. Catalogue de papes écrit en 798.

    Minuscule romane.
    Comme nous l'avons déjà dit, l'écriture franque n'a pas cessé de prendre une influence toujours plus grande et finit par arriver à une domination exclusive. Jusqu'au XIIe siècle, elle ne cessa pas d'acquérir plus de régularité : chaque lettre y a sa forme déterminée, demeure indépendante des autres, a les traits droits, dessinés nettement; les abréviations ne sont employées qu'avec mesure et la ponctuation est mise avec soin. Naturellement ce développement de la minuscule ne fut pas partout uniforme; on peut constater des divergences locales, mais, chose curieuse, ces divergences ont été, somme toute, de peu d'importance, et le développement a suivi une marche commune même dans les contrées les plus éloignées les unes des autres, en sorte qu'il est possible à un paléographe exercé d'arriver à dater approximativement une écriture, d'après son degré de développement, quel qu'en soit la provenance. Il faut seulement observer qu'en général l'Ouest a été en avance d'environ un demi-siècle sur le niveau moyen, tandis que les pays orientaux de la chrétienté ont retardé d'autant. Dès le XIe siècle il s'y rencontre quelques éléments cursifs.
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    Minuscule caroline.
    33. - Minuscule romane. Manuscrit autographe
    du moine Heljaud (vers 1042)..

    Evolution de la minuscule. Ecritures gothiques.
    Vers la fin du XIIe siècle on commence à remarquer aux extrémités des lettres qui, dans la minuscule romane, se terminent carrément, des traits qui se forment des angles. Cela ne tarde pas à donner un nouvel aspect à l'écriture et particulièrement à amener la confusion de la lettre n avec la lettre u. On écrit davantage, plus vite, et conséquemment avec plus de négligence; on multiplie jusqu'à l'abus les abréviations; partout se produisirent des différences locales, il y a des écritures de Bologne, milanaises, arétine, parisienne, anglaise, etc. 

    Au XIIIe et surtout au XIVe siècle, l'écriture prit des formes toujours plus anguleuses; c'est ce qu'on nomme l'écriture gothique par analogie avec l'art de la même époque auquel on a conventionnellement donné ce nom (L'Art gothique), qui n'implique bien entendu aucune relation avec les Goths.

    Pendant cette période la minuscule se fractionne en une foule de variétés diverses : on distingue la minuscule carrée, la bâtarde, la brisée, etc., et écriture notariale on diplomatique spéciale aux chartes. Dès lors les maîtres de calligraphie s'appliquaient à multiplier les genres d'écriture qu'ils baptisaient de toutes sortes de noms bizarres.

    La minuscule gothique continua longtemps à être employée pour les manuscrits, et elle atteignit son plein développement dans les grands manuscrits qui servirent aux offices (gothique des livres de choeur) où l'usage s'en est conservé jusqu'au seuil de l'époque contemporaine; mais pour la pratique usuelle, on préférait une écriture plus simple, plus commode, qui ne tardait pas à dégénérer en une cursive rapide, qui est souvent à peine lisible.
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    Ecriture gothique.
    Ecriture gothique. Missel de Henri VII d'Angleterre (fin du XVe s.). 

    L'écriture posée et l'écriture cursive

    Considérée au point de vue du temps et du soin qu'on met à la tracer, l'écriture se divise en écriture lente, appelée posée ou droite, et écriture rapide ou cursive.

    Écriture posée.
    L'écriture droite ou posée, en latin scriptura erecta, est celle qui a été employée communément pour transcrire les textes religieux de même que les oeuvres littéraires et scientifiques. On s'en est servi également pour la plupart des actes publics. Elle se caractérise par des dimensions ordinairement plus grandes, la forme plus régulière et plus nette des lettres, et l'absence presque complète de ligatures.

    Écriture cursive.
    On appelle cursive, en latin scriptura cursiva, toute écriture tracée rapidement ou en courant. Celui qui veut écrire vite doit chercher à diminuer le plus possible la dimension des lettres, à en simplifier la figure afin de pouvoir les former d'un seul trait, et à les lier entre elles pour ne pas devoir lever la main à chaque lettre. La cursive se distingue, par conséquent, de l'écriture posée, d'abord presque toujours par son exiguïté, ensuite par une déformation plus grande des lettres de l'alphabet normal ou régulier, enfin par des ligatures fréquentes et l'enchevêtrement de deux ou plusieurs lettres voisines. Une seule et même lettre prend souvent, dans l'écriture cursive, un grand nombre de formes déterminées par la position et la figure des lettres qui la précèdent ou la suivent, et avec lesquelles elle se lie intimement.

    L'écriture cursive était déjà connue des anciens Romains. Les fouilles d'Herculanum et de Pompéi en ont mis au jour d'intéressants spécimens datant d'entre les années 53 et 79 de notre ère : ce sont des fragments de papyrus à moitié calcinés; des inscriptions et des annonces tracées sur les murs au moyen du pinceau, de charbon de bois, du ciseau ou d'un instrument pointu; et des tablettes de cire renfermant des notes, des contrats et des quittances. Des inscriptions en écriture cursive ont aussi été découvertes dans les catacombes romaines. Enfin, de 1786 à 1855, on a trouvé, dans les mines d'or de Vöröspatak en Transylvanie, vingt-cinq tablettes de cire dont la plus ancienne date de l'année 131 et la plus récente de l'année 167 de notre ère.

    Dans tous ces documents les lettres ont conservé la forme de la capitale, quelques-unes seulement sont modifiées par l'exagération ou la perte de certaines de leurs parties, et les ligatures y sont encore peu nombreuses. Cependant tout montre qu'elles ont été tracées rapidement. On voit par là qu'on appliqua le système cursif à la capitale avant même que la minuscule fût connue. Plus tard on l'appliqua également à l'onciale, à la demi-onciale, et surtout à la minuscule qui, grâce à ses formes simplifiées et multiples, se prête mieux que les autres écritures à une exécution rapide.

    L'écriture cursive minuscule se rencontre dans une série de documents sur papyrus de la fin du IVe siècle, découverts au XIXe siècle dans la Haute-Égypte et acquis par l'archiduc d'Autriche Renier.

    On s'en est servi également, au Ve siècle, pour la transcription des actes des empereurs , comme le prouvent des fragments de rescrits impériaux adressés à des fonctionnaires résidant en Égypte. Cette cursive de la chancellerie impériale présente des caractères qui lui sont propres et qu'on ne rencontre pas dans d'autres documents.

    L'écriture se distingue par sa régularité et par la non-séparation des mots. Les lettres sont très grandes : celles qui forment le corps de la ligne mesurent entre un et demi et deux, celles à longue haste entre trois et trois et demi centimètres de hauteur. Quelques-unes seulement ont conservé la forme qu'elles avaient sur les tablettes de cire; toutes les autres se sont modifiées notablement. Ces changements de forme proviennent, du moins en partie, de ce que les rescrits impériaux sont écrits sur papyrus, à l'encre et au moyen du roseau. Ce procédé portait naturellement le copiste à chercher des contours arrondis. On remarquera aussi que les lettres penchent vers la droite, et non vers la gauche, comme c'est ordinairement le cas dans les inscriptions murales et sur les tablettes de cire des deux premiers siècles. Toutes les hastes qui s'élèvent au-dessus de la ligne sont bouclées.

    L'alphabet suivant, où les lettres se présentent isolément, permettra de se faire facilement une idée exacte de chacune d'elles, et par là-même facilitera singulièrement le déchiffrement d'une écriture, qui, au premier aspect, paraît devoir offrir bien des difficultés.

    La panse du b se trouve à gauche de la haste, et non à droite comme dans notre b minuscule moderne; elle est toujours légèrement ouverte à sa partie supérieure. Grâce à cette particularité, on distingue facilement le b du d, car la panse de celui-ci, également placée à gauche de la haste, est entièrement fermée. Les lettres o et v sont extrêmement petites et s'écrivent dans le haut de la ligne. Les changements de forme des lettres e, m et n, sont remarquables. L'e en forme de double barre, II, tracé rapidement et sans lever la main, donna sans doute naissance à l'e bouclé de la chancellerie impériale. L'm et l'n ne sont probablement que des formes cursives de ces lettres, et non pas des dérivés des lettres grecques µ et , avec lesquelles elles ont cependant une certaine ressemblance.

    De nombreux documents sur papyrus, conservés jusqu'à nos jours, fournissent la preuve qu'aux Ve, VIe et VIIe siècles, on écrivait aussi en cursive la plupart des actes authentiques relatifs à des ventes, des donations, etc. Ces documents proviennent de l'Égypte et de l'Italie, surtout de Ravenne.

    Les documents du VIe et du VIIe siècle montrent les modifications importantes que subirent, à cette époque, un grand nombre de lettres de l'alphabet par suite de l'application du système cursif à la minuscule. Dans la cursive minuscule, bien plus que dans la majusule, ce système cherche, au moyen de ligatures nombreuses, à diminuer le nombre des mouvements de la main en substituant des mouvements continus à des mouvements successifs et multiples. Les ligatures, dont on constate la présence dans les documents de Ravenne, continuèrent à être employées sans changement, non seulement dans la cursive romaine, mais aussi dans les écritures nationales dérivées de cette cursive.

    La cursive n'a été employée que très rarement pour la transcription de livres entiers, mais on s'en est servi pour enrichir de notes marginales des ouvrages écrits en capitale ou en onciale.
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    Ecritures Irlandaise et Anglo-Saxonne.

    Ecritures nationales : Extraits de l'Ancien Testament sur un manuscrit bilingue grec-latin
    en écriture irlandaise (premier paragraphe) et anglo-saxonne. (av. le IXe s.).

    Ecritures modernes

    Depuis la Renaissance, la cursive ne cesse de devenir toujours de plus en plus personnelle; après s'être surchargée d'abréviations, elle tendit à s'en débarrasser sous l'influence de l'imprimerie; mais en même temps se créèrent un certain nombre de nouvelles sortes d'écriture.

    Les humanistes du XVe siècle, en recherchant et en copiant les manuscrits des auteurs classiques, eurent l'occasion d'admirer la belle minuscule de l'époque carolingienne et s'appliquèrent à l'imiter. Cette rénovation artificielle de la minuscule caroline est ce qu'on appelle l'écriture humanistique. Elle fut alors copiée par les imprimeurs pour remplacer les types que les premiers imprimeurs des bords du Rhin avaient empruntés à l'écriture gothique, et c'est là l'origine de nos caractères romains d'imprimerie. 

    Vers le même temps, on se servait à la chancellerie pontificale d'une minuscule inclinée à droite que Francesco Griffo de Bologne imita pour créer de nouveaux types pour l'imprimerie des Aldes, et c'est là l'origine de l'écriture italique

    D'autre part, la chancellerie pontificale adoptait pour les bulles une écriture singulière, lourde, écrasée, d'aspect archaïque, qui, sous le nom d'écriture des bulles, est restée en usage jusqu'à nos jours. 

    Nous n'avons pas à parler ici des écritures modernes telles que la néo-gothique, la ronde, la coulée, la bâtarde, etc., qui ne relèvent pas de la paléographique. (C. Reusens / GE).

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