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Des ours et des humains
(bribes)
Des ours mal léchés

Une opinion des plus anciennes est celle qui veut que ce soit en les léchant que la femelle de l'ours donne à ses petits la forme qu'ils doivent avoir. Cette opinion s'est conservée dans les conceptions populaires et elle est devenue proverbiale : c'est en ce sens que l'on dit d'un homme mal tourné : que c'est un ours mal léché. Quelque étrange qu'elle soit, cette idée est consignée, comme une vérité résultant de l'expérience, dans les ouvrages de Pline, de Solin, d'Elien; Aristote lui-même n'en est pas éloigné. On la trouve aussi dans les poètes, où elle semble moins déplacée. 

« Ce qu'enfante l'ourse, dit Ovide, n'est pas un petit, mais une chair informe que la mère façonne en membres, en la léchant, et qu'elle amène ainsi à la forme qu'elle désire. » 
Solin cherche à expliquer le fait en l'attribuant à ce que la gestation de l'ourse ne dure que peu de temps. 
« La délivrance de l'ourse, dit-il, arrive au trentième jour : il résulte de cette fécondité précipitée que ses petits demeurent informes. » 
Aristote assure aussi que l'ourse ne porte que trente jours. Mais ce n'est là qu'une erreur ajoutée à tant d'autres. Il est certain que la portée de l'ourse dure, non pas un mois, comme le veulent ces auteurs, mais quatre mois au moins.

L'opinion singulière que les oursons naissent informes, préoccupa les savants de la Renaissance. Elle leur paraissait déranger les plans de la nature. En effet, prise à la lettre, elle est visiblement absurde : aussi n'eurent-ils pas de peine à s'assurer de sa fausseté. 

« Dans la vallée d'Anania, près de Trente, dit Matthiole (In Disocoridis de medicinali materia libros sex commentarii, Venetiis, 1570), nous ouvrîmes le ventre d'une ourse que des chasseurs avaient prise, et j'y trouvai des petits, non informes, comme se l'imaginent ceux qui se fient plus à Aristote et à Pline qu'à l'expérience ou au témoignage de leurs sens, mais ayant tous leurs membres distinctement formés. » 
Aldrovandi rapporte que l'on conservait dans le cabinet du sénat de Bologne un ours à l'état de foetus, et que toutes ses parties étaient déjà développées. Buffon paraît avoir touché la véritable source de cette erreur : il la rapporte simplement à la lourdeur de l'ours, qui paraît, encore plus disgracieuse dans les jeunes que dans les adultes.
 « Les femelles, dit-il, combattent et s'exposent à tout pour sauver leurs petits, qui ne sont point informes en naissant, comme l'ont dit les anciens, et qui, lorsqu'ils sont nés, croissent à peu près aussi vite que les autres animaux. Ils sont parfaitement formés dans le sein de leur mère, et si les foetus ou les jeunes oursons ont paru informes au premier coup d'oeil, c'est que l'ours adulte l'est lui-même par la masse, la grosseur et la disproportion des membres; et l'on sait que, dans toutes les espèces, le foetus ou le petit nouveau-né est plus disproportionné que l'animal adulte. »
Combats

Dans les temps anciens, et même au commencement du XVIIe siècle; les combats d'ours et de chiens étaient un divertissement princier.

Les Romains tiraient leurs ours principalement du Liban, quoique leurs auteurs racontent qu'ils en faisaient venir de l'Afrique et de Libye. Les princes allemands élevaient des ours dans le but de les faire lutter contre des chiens.

 « Auguste le Fort, raconte Flemming, en avait deux, dont l'un s'échappa un jour du jardin d'Augustusbourg et enleva chez un boucher tout un quartier de veau; la femme voulut l'en chasser, il l'égorgea avec ses enfants; mais les gens accoururent et le tuèrent. "
L'ours que l'on veut faire combattre est amené sur le lieu de la lutte dans une cage que l'on ouvre de loin, et qui est construite de façon à ce que tous les côtés s'abattent à la fois. On lâche ensuite de grands et gros chiens. Si ceux-ci saisissent bien l'ours, un homme peut le reprendre sans difficulté.

Dans la cour du château de Dresde, en 1630, on livra trois combats pareils en huit jours; sept ours combattirent contre des chiens; on les excita avec des serpenteaux, et on les amusa avec un mannequin rouge. D'ordinaire, les plus grands seigneurs eux-mêmes saisissaient l'ours, que les chiens avaient attrapé. Auguste le Fort leur coupait la tête, et on raconte qu'en 1690, il en tranchait une en deux coups.

On voyait encore de pareils combats à la fin du XIXe siècle. A Madrid, on mettait quelquefois des ours aux prises avec des taureaux; et à Paris, quelques décennies plus tôt, des ours étaient enchaînés avec des chiens. Kobell, qui fut témoin d'un de ces combats, dit que l'ours renversait de ses pattes terribles les chiens qui se précipitaient sur lui, et qu'il poussait des rugissements formidables. Quand les chiens l'attaquaient de trop près, il en saisissait plusieurs l'un après l'autre, les poussait sous lui et les écrasait; d'autres fois, il les blessait grièvement et les étendait à côté de lui.

Chasses

Ours noir.
Samuel Hearne fait mention d'un genre de chasse à l'Ours noir en usage parmi les Indiens du Nord. Il n'y a pas là d'arbre qui puisse loger un pareil animal : il est donc contraint, pour se mettre à l'abri des froids et des neiges, de chercher une retraite souterraine. C'est là que les Indiens vont l'attaquer sans danger. 

"J'en ai vu tuer, un hiver, dit Samuel Hearne, et j'ai trouvé que la méthode employée par les Indiens du Nord dans leur chasse contre ces animaux, était la même que celle qu'on attribue aux Kamtschadales. En effet, après avoir bouché, comme eux, l'entrée de la caverne, ils pratiquent au-dessus une ouverture par laquelle ils tuent l'animal avec une lance ou un fusil; mais cette dernière arme leur parait trop peu digne de leur courage pour s'en servir de préférence, l'ours ne pouvant leur opposer aucune résistance. Quelquefois ils lui jettent une corde autour du cou, et, le tirant alors par la tête jjusqu'aüprès de l'ouverture, ils la lui abattent avec une hache. »
Dans beaucoup d'endroits on dresse avec succès un piège à l'aide d'une arme à feu, que l'ours fait partir en voulant enlever un appàt, et dont il reçoit la charge. Près des rivières et des lacs, on le chasse souvent sur l'eau, lorsqu'il traverse d'une rive à l'autre ou qu'on le pousse à traverser un fleuve.

Le genre de chasse des Indiens est très curieux; mais plus curieux encore sont les honneurs que l'on rend à l'esprit de l'ours décédé. En Californie, on prend l'ours vivant; la chasse se fait le plus souvent au lasso, et c'est une véritable partie de plaisir pour ces adroits cavaliers que de s'emparer de l'animal plein de vie, en faisant usage uniquement du terrible instrument dont le maniement leur est si familier. Une fois rendus dans les lieux fréquentés par l'ours californien, ils l'amorcent avec un animal mort et l'attendent en silence. Si l'ours se met en défense et veut se jeter sur l'un d'eux, l'instant est favorable pour les autres de le lacer par derrière. S'il fuit, comme il arrive le plus souvent, le cavalier le mieux monté s'efforce de lui couper le chemin et de l'obliger à combattre. Le premier lasso qui l'accroche ne lui laisse plus de liberté pour courir sur celui qui l'a lacé, et les autres arrivent facilement à lui jeter les leurs; ils les tendent alors en sens contraire et le tiennent ferme pendant que l'un d'eux descend de cheval et lui lie les quatre pattes. Cela fait, on le place sur un cuir de boeuf et on le traîne ainsi partout où l'on veut.

En  Louisiane et au Canada, où les ours noirs sont très communs, et où ils ne nichent pas dans des cavernes, mais dans de vieux arbres morts sur pied et dont le coeur est pourri, on les prenait en mettant le feu à leurs retraites. Comme ils montent très aisément sur les arbres, ils s'établissent rarement au niveau du sol, et quelquefois ils sont nichés à trente ou quarante pieds de hauteur. Si c'est une mère avec ses petits, elle descend la première et on la tuait avant qu'elle soit à terre; les petits descendent ensuite, on les prenait en leur passant une corde au cou, et on les emmenait pour les élever ou pour les manger.

Alexandre Henry, le premier Anglais qui voyagea dans les pays à pelleteries, nous a laissé le récit suivant :

 « En janvier, j'eus le bonheur de rencontrer un pin dont l'écorce portait les traces des griffes d'un ours. En l'examinant de plus près, je remarquai un grand trou dans la partie supérieure, conduisant dans l'intérieur qui était creux, et j'en conclus qu'un ours devait avoir là sa retraite d'hiver. Je pris part de mes observations à mes hôtes indiens, et ceux-ci résolurent de renverser l'arbre, qui avait trois brasses de circonférence. Le lendemain matin, ils se mirent à l'oeuvre, et, au soir, ils en avaient fait la moitié; le jour d'ensuite, vers midi, l'arbre s'abattit, et quelques minutes après, à la joie générale, un ours, de taille peu ordinaire parut à l'ouverture. Je le tirai, avant qu'il eût fait quelques pas. Aussitôt après sa mort, les Indiens s'approchèrent, et notamment les vieilles mères, comme nous les appelions. Ils prirent la tête de l'animal dans leurs mains, la caressèrent, la baisèrent, lui demandèrent mille fois pardon de ce qu'on -avait été obligé.-de lui ôter la vie, lui dirent que ce n'étaient pas des Indiens qui l'avaient fait, que c'était un Anglais qui s'était rendu coupable de ce crime. Cette histoire ne dura pas longtemps; ils se-mirent bientôt à dépouiller et à dépecer l'animal; ils se chargèrent de la peau, de la chair, de la graisse et rentrèrent chez eux. Dès qu'ils y furent arrivés, ils ornèrent, la tête dé tous les joyaux de la famille, de bandelettes d'argent, etc.; ils la. placèrent sur un échafaudage et devant elle un tas de tabac. Le lendemain matin, ce furent des préparatifs de fête. La hutte fut nettoyée, balayée. la tête de l'ours soulevée, et on étendit dessous une piece d'étoffe toute neuve; on alluma les pipes, et le chef souffla de la fumée de tabac dans le nez de l'ours; il m'invita à en faire autant et à apaiser ainsi la colère de l'animal que j'avais tué. J'essayai de convaincre mon hôte que l'ours était mort, et bien mort; mes paroles ne rencontrèrent aucun écho. Mon hôte tint encore un discours, où il exalta les vertus de l'ours, et enfin, on se mit à le manger. »
(La suite plus tard.)


En librairie. - Michel Pastoureau, L'Ours, histoire d'un roi déchu, Le Seuil, 2007. - Longtemps en Europe le roi des animaux ne fut pas le lion mais l'ours, admiré, vénéré, pensé comme un parent ou un ancêtre de l'homme. Les cultes dont il a fait l'objet plusieurs dizaines de millénaires avant notre ère ont laissé des traces dans l'imaginaire et les mythologies jusqu'au coeur du Moyen Âge chrétien. De bonne heure l'Église chercha à les éradiquer. Prélats et théologiens étaient effrayés par la force brutale du fauve, par la fascination qu'il exerçait sur les rois et les chasseurs et surtout par une croyance, largement répandue, selon laquelle l'ours mâle était sexuellement attiré par les jeunes femmes. Il les enlevait et les violait. De ces unions naissaient des êtres mi-hommes mi-ours, tous guerriers invincibles, fondateurs de dynasties ou ancêtres totémiques. Michel Pastoureau retrace les différents aspects de cette lutte de l'Église contre l'ours pendant près d'un millénaire : massacres de grande ampleur, diabolisation systématique, transformation du fauve redoutable en une bête de cirque, promotion du lion sur le trône animal. Mais l'auteur ne s'arrête pas à la fin du Moyen Âge. Inscrivant l'histoire culturelle de l'ours dans la longue durée, il tente de cerner ce qui, jusqu'à nos jours, a survécu de son ancienne dignité royale. Le livre se termine ainsi par l'étonnante histoire de l'ours en peluche, dernier écho d'une relation passionnelle venue du fond des âges : de même que l'homme du Paléolithique partageait parfois ses peurs et ses cavernes avec l'ours, de même l'enfant du XXIe siècle partage encore ses frayeurs et son lit avec un ourson, son double, son ange gardien, peut-être son premier dieu. (couv.).

Emmanuelle Figueras, L'anthologie de l'ours, Delachaux et Niestlé, 2007. - Quels sont les points communs entre La chanson de Roland, Le Livre de la Jungle, Michel Strogoff, Dersou Ouzala, Lokis, Boucle d'or, Le grizzly, L'hôtel New Hampshire, Jean de l'ours, lvanka ou Le Roman de Renart?

Tous ces textes mettent en scène un ou plusieurs ours. Tour à tour féroce ou familier, ridicule ou héroïque, rassurant ou inquiétant, cet animal a inspiré des écrivains aussi différents que Jules Verne ou Jim Harrison, John Irving ou Prosper Mérimée, Victor Hugo ou Alphonse Allais.

Des contes Inuits à la mythologie grecque, en passant par la littérature occidentale ou les légendes racontées par les Indiens d'Amérique du Nord, l'ours est partout et à toutes les époques. Cet animal à la force redoutable alimente notre imagination depuis la Préhistoire durant laquelle, d'après certains historiens, nos ancêtres lui vouaient déjà un culte. Partout où il promène son étrange silhouette, l'ours a inspiré de nombreuses croyances, dont beaucoup sont encore en vigueur aujourd'hui, à tel point qu'il nous est toujours difficile de le voir tel qu'il est réellement.

il est évidemment impossible de condenser toutes les histoires d'ours en un seul livre, cette anthologie donne un large aperçu des textes les plus importants et présente cet animal sous des jours très différents. Stupide, tendre, cruel, séducteur, protecteur, diabolique... ces multiples visages de l'ours permettent aussi de mieux comprendre le caractère ambivalent des relations qui existent encore actuellement entre cet animal et nous. D'autant plus qu'il se trouve aujourd'hui en France au centre d'une polémique qui dépasse largement la simple réalité des faits. (couv.).

Jordi Soler, La fête de l'ours, Belfond , 2011. - Un jour qu'il est invité à une conférence à Argelès-sur-mer, Jordi Soler est abordé par une vieille femme qui lui remet une photo et une lettre. Sur la photo, trois soldats républicains : Arcadi, le grand-père du narrateur ; Oriol, son frère ; et leur père. Dans la lettre, une incroyable révélation. Oriol, qu'Arcadi avait dû abandonner blessé dans les Pyrénées lors de leur fuite en 1939, cet homme que la légende familiale disait mort ou reconverti en pianiste quelque part en Amérique latine, aurait vécu toute sa vie là, dans un village du coin. Dès lors, l'enquête peut commencer.

Le narrateur va alors découvrir la face cachée de cet oncle à qui il est censé tellement ressembler. Un homme aux antipodes du héros inventé par Arcadi et les siens. Une sorte de bandit de grand chemin dévalisant les malheureux qui fuient les camps de réfugiés; un traître qui n'hésitera pas à dénoncer celui qui l'a sauvé dans les montagnes et soigné dans sa cabane ; un meurtrier qui finira par être arrêté. Jusqu'à l'ultime coup de théâtre : Jordi Soler découvre qu'Oriol serait encore en vie, juste à côté, dans la petite ville de Prats del Mollo…. (couv.).

 
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